vendredi 28 avril 2023

Terminale HLP - Grand oral: Folie et la vérité dans l'oeuvre de Michel Foucault


 «Tel est le pouvoir de la folie : énoncer ce secret insensé de l'homme que le point ultime de sa chute c'est son premier matin, que son soir s'achève sur sa plus jeune lumière, qu'en lui la fin est recommencement.»

Cette citation de Michel Foucault est vraiment décisive dans la compréhension philosophique de ce qu’est la folie. Il faut savoir que ce philosophe est probablement l’un de ceux qui a accordé à ce thème la plus grande place dans son œuvre parmi les philosophes récents, notamment dans ses livres « naissance de la clinique » et « Histoire de la folie à l’âge classique ». En même temps, cette définition du pouvoir de la folie n’est pas évidente ni claire même si l’on voit bien qu’elle semble se rapprocher de l’éternel retour de Nietzsche et ce n’est pas un hasard puisque Foucault s‘est toujours présenté comme un continuateur de plusieurs thèses de Nietzsche, notamment sur l’importance de la généalogie, qui en fait définit une méthode plus qu’un contenu, une thèse proprement dite. 

            Mais quelle est cette méthode? Considérer que rien, mais vraiment rien n’est apparu, ni n’est susceptible d’apparaître autrement que généalogiquement. Dieu, c’est le processus par le biais duquel les humains y croient puis moins puis peut-être plus du tout. Il faut constamment déplacer le curseur de nos questionnements, autrement dit, le problème n’est pas de savoir si Dieu existe (en fait: évidemment non!) mais de retracer le processus historique, généalogique de sa croyance. De même, il n’est pas vraiment affaire de savoir si la vérité "est", mais quels sont les régimes de vérité auxquels les hommes adhèrent en fonction des évolutions de la société.

Une fois que l’on est vraiment revenu de l’illusion que des valeurs puissent apparaître par la volonté divine ou parce qu’elles seraient dans un ciel d’idéaux supraterrestres (Platon), on peut suivre les idées à la trace, c’est-à-dire dans le creuset humain de l’histoire de la pensée et des mentalités. Foucault reprend totalement cette méthode Nietzschéenne. 

Mais alors que donne cette méthode sur la folie? En premier lieu, il n’est pas question de croire que la folie existe en elle-même. C’est le présupposé de cette méthode: les humains établissent dans les différentes sociétés qu’ils ont créées des critères d’intégration et d’exclusion qui varient selon les époques mais qui finalement définissent l’ensemble des gens qui ont toute leur raison et celui des personnes que l’on va considérer comme « aliénées ». Il n’est vraiment pas question de savoir si c’est « vrai » ou pas, encore moins si c’est « bien » ou si c’est « mal ». Ce qu’il faut c’est comprendre de quoi ces déterminations sont la signification, ce que ça veut dire, de quoi sont-elles le symptôme?

En d’autres termes, la folie est un fait de civilisation et pas du tout une donnée physique. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’anomalies physiques. Il y en a évidemment mais les critères à partir duquel telle anomalie sera considérée comme symptôme de folie changent, évoluent. Certaines sociétés enferment les fous, d’autres les écoutent ou les élèvent au statu de chamans, ou d’oracles. Donc ce qu’il faut faire en premier lieu, c’est dépouiller la folie de toute ambition qui consisterait à lui donner un statut objectif.

MAIS (et c’est un grand mais), il se trouve que si la folie intéresse autant Foucault, c’est parce qu’il est l’un des très rares auteurs philosophique avec Nietzsche, avec Gilles Deleuze et Félix Guattari notamment à penser qu’en réalité, la folie est probablement la manifestation d’une exigence de vérité extrême, un peu comme le risque pris par le papillon de se brûler au feu de la chandelle quand il s’approche de trop prés. Nous comprenons bien que nous nous situons en plein dans une conception de la vérité très proche de celle de l’alétheia, du « lever de voile ». C’est pour cela qu’elle est aussi proche de l’art.

«Ce que la folie dit d'elle même c'est, pour la pensée et la poésie du début du XIXe , ce que dit également le rêve dans le désordre de ses images : une vérité de l'homme, très archaïque et très proche, très silencieuse et très menaçante; une vérité en dessous de toute vérité, la plus voisine de la naissance de la subjectivité, et la plus répandue au ras des choses; une vérité qui est la profonde retraite de l'individualité de l'homme et la forme inchoative du cosmos.»


En d’autres termes, il y a une vérité construite, que l’Humain s’est construite, et qui donc nécessairement n’est pas vraie. Dans cette optique, on peut suivre la folie dans son évolution sociétale, dans la façon dont l’homme l’a étiquetée, suivant les époques. On peut suivre les epistémès (concept foucaldien), c’est-à-dire les champs de savoir psychologiques, psychiatriques, scientifiques, philosophiques, etc. qui se sont constitués dans cette construction sociale de la folie, au fil des époques. On pourrait dire en un sens que chaque époque fantasme la vérité, Dieu, la folie, la conscience, la morale, la vertu, etc. Allons même plus loin: chaque époque se constitue son délire sur ces notions, sur ces valeurs, et il revient au philosophe généalogiste de déconstruire ce délire, ce qui ne veut pas dire: « le discréditer », mais « l’analyser » froidement, de comprendre pourquoi ce délire qui va faire autorité, un temps, a marché, pourquoi une société s’est structurée autour de lui, par lui, et puis est passée à un autre: Hitler est un paranoïaque ici et un dirigeant politique là, à tel moment (mais n’en restons pas à cet exemple honni, toute époque construit et se construit autour de constructions délirantes et nous ne sommes pas en reste).

Mais en allant au bout de cette vérité construite qui finalement suit la trace des représentations que l’être humain se donne de la notion de vérité, on tombe enfin sur « le fond de l’affaire », sur le trouble dont jusque là, nous n’avons fait que suivre le sillage symptomatique. Par bien des aspects, une généalogie est aussi une psychanalyse. D’où vient que nous ayons autant fantasmé sur la vérité? Il faut bien qu’il y ait quelque chose à l’occasion de quoi les êtres humains ont constitué toutes leurs visions, toutes leurs Épistémès. Cela, en l’occurrence pour Nietzsche décrit le tragique dans la civilisation grecque, à savoir ce moment de révélation un peu horrifique dans l’éclair duquel les grecs ont vu ce que c’est qu’être offert au délire des Dieux, c’est-à-dire aux forces d’une nature qui finalement ne fait aucun cas de nous. Pourquoi les tragédies grecques contiennent-elles autant de moments, comme le premier Stasimon d’Antigone dans lesquelles on a vraiment l’impression qu’une vérité pure suit son cours (le Deinos)? On pourrait concevoir l'esprit tragique comme une acceptation du monde tel qu'il est dans sa présence immédiate et sa brutalité, sans espoir d'un « au-delà ». Il est jouissance des plaisirs de la terre autant qu'acceptation des maux qui les accompagnent : les drames de la vie de l'individu sont vécus avec humilité et stoïcisme. (Wikipedia) 


Le tragique a bien un rapport avec la vérité et avec la folie: il frôle la folie que recèle l’action de voir notre présence au monde sans illusion ni déni. Il en fait une pièce qui exorcise cette folie, qui en est la catharsis, la purification. On comprend mieux la citation précédente maintenant: une fois que l’on a compris tout ce que nous avions construit comme fantasmes sur la vérité, la folie, etc. Nous réalisons que tout ça part d’une expérience vraie, pure, traumatique, ce que Foucault appelle la naissance de la subjectivité. La forme inchoative du Cosmos, décrit justement ce qui rend vraiment urgent la représentation e la nature comme cosmos, c’est-à-dire comme totalité ordonnée. Il y a de quoi perdre la raison à voir les choses telles qu’elles sont, donc il faut la raison. Mais ce moment de lucidité: c’est ça le tragique, c’est ça la vérité, et c’est cela aussi la folie.

Foucault est du côté de Nietzsche contre Descartes. On trouve, en effet dans la première Méditation ce passage auquel Foucault aborde une très grande importance:

« Comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient à moi ? si ce n’est peut-être que je me compare à ces insensés, de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois, lorsqu’ils sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre, lorsqu’ils sont tout nus ; ou s’imaginent être des cruches, ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples.
Toutefois j’ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j’ai coutume de dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins vraisemblables, que ces insensés, lorsqu’ils veillent. Combien de fois m’est-il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? Il me semble bien à présent que ce n’est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier ; que cette tête que je remue n’est point assoupie ; que c’est avec dessein et de propos délibéré que j’étends cette main, et que je la sens : ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais, en y pensant soigneusement, je me ressouviens d’avoir été souvent trompé, lorsque je dormais, par de semblables illusions. Et m’arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu’il n’y a point d’indices concluants, ni de marques assez certaines par où l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, que j’en suis tout étonné ; et mon étonnement est tel qu’il est presque capable de me persuader que je dors ».

Descartes, Méditations métaphysiques

Descartes, dans sa quête méthodique et résolue de vérité produit ici un effort assez incommensurable. Il remet tout en doute. Faut-il que j’aille jusqu’à remettre en cause que ces mains soient les miennes, que ce corps soit mien, que je vive? Il y a là un lien très profond entre la philosophie et la folie. Oui, philosopher, c’est frôler cette question là, dont on nous dit que les gens « normaux » ne se la posent pas, et c’est bien le problème d’ailleurs. Foucault fait de ce cri du cœur de Descartes: « Mais quoi, ce sont des fous! », une sorte de ligne de démarcation représentative d’une époque où finalement les fous sont privés de l’usage de leur raison. En faisant cela, Foucault ne rend pas tout à fait justice du « toutefois » qui vient après et par quoi Descartes, d’une certaine façon, mais justement pas sur un mode totalement assumé opère le passage de la folie au rêve comme s’il accréditait plus le rêve que la folie de constituer un fondement à un raisonnement métaphysique viable. Mais qu’est-ce  que le rêve  si ce n’est aussi et peut-être surtout la folie? « Ce que dit aussi le rêve dans le désordre des images » dit Foucault, payant de la poésie du 19e. 


Résumons: Chaque époque se construit en fonction de ses critères sa représentation de la folie. Par rapport à elle, toute une société des gens sensés s’instaure, se met en place, et enferment ou stigmatisent « les fous ». Il faut tracer cette ligne généalogique de la folie. Cela décrit comme un sillage symptomatique d’un trouble ou d’un trauma pur, vrai, fascinant. C’est cela qu’il faut trouver.  Cela nous conduit à l’origine de la folie dans tout ce qu’elle révèle de loin avec l’Humain, avec ce moment où l’humain s’éprouve dans toute son humanité dans la nudité d’un monde là. Évidemment il y a pour Heidegger du Da Sein dans ce moment là, et du tragique dans la pensée Nietzschéenne (mais finalement c’est un peu la même chose, en fait), c’est exactement aussi cela que Foucault décrit ainsi: « une vérité de l'homme, très archaïque et très proche, très silencieuse et très menaçante; une vérité en dessous de toute vérité, la plus voisine de la naissance de la subjectivité, et la plus répandue au ras des choses ». La folie c’est ce qu’une pensée ne peut pas ne pas frôler quand elle s’éprouve pensée, c’est ce que la raison resitue dans son urgence à devenir elle-même. C’est aussi ce par quoi l’humanité se resserre et se rassemble ou devrait se rassembler dans la genèse de ce par quoi elle se constitue: l’émergence d’un sens et d’une vue, d’un visage de l’être (le Da Sein). La folie c'est voir la figure de la gorgone et l’œuvre, c'est en faire un visage.




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