mercredi 20 septembre 2023

EMC (Terminales 2 /3): Rédiger un discours pour un concours d'éloquence



Ce qui suit n’est pas une méthodologie, à proprement parler. Ce n’est pas à appliquer de façon aussi rigoureuse qu’une méthode pour la dissertation en philosophie. La spontanéité voire l’improvisation  peuvent être bienvenues si l’on a suffisamment d’aplomb et si l’on perçoit dans l’auditoire que tel ou tel trait d’humour passera. Comme il a été dit, la règle la plus impérative, c’est de tenir son auditoire en haleine, de faire en sorte qu’il n’existe aucun temps mort, dans votre prise de parole. On pourrait dire, sans jeu de mot qu’un discours d’éloquence, c’est du temps vivant dans de l’institution morte ou moribonde. Qu’est-ce que ça veut dire? Qu’il y a un protocole, que dans de nombreux concours d’éloquence prestigieux, on est parfois saisi par le contraste entre la pesanteur des règles, du décor voire des habits des organisateurs et des candidates et candidats. On se veut les garants d’une tradition….Mais il se trouve que cette tradition toute enserrée qu’elle est dans ses codes et dans ces attitudes empesées, solennelles, étriquées consiste en réalité à donner à chacune et à chacun une authentique marge de manoeuvre. Vous disposez de 5 minutes pour animer un public. Une tension naît de la présence du public et il faut sentir que ce public est porteur. Comment ne pas se sentir intimidé.e ? En réalisant que ce public est vraiment comme  la résistance de l’air qui en réalité permet à la colombe de voler, qu’ il est ce sans quoi vous ne pourriez pas parler. Personne ne vous entendrait si le son n’existait pas, c’est une évidence. Le public pour un discours d’éloquence c’est ce qui participe de cette force sonore, de cette résonance sur le fond des laquelle parler ne pourrait pas s’effectuer.

De plus, il est probablement nécessaire à la qualité de la prestation que l’on se sente intimidé.e. Pourquoi? Parce que ce sentiment place les candidates et candidats sur les bons rails, ou plutôt, dans la juste atmosphère de l’éloquence. Etre intimidé.e c’est être impressionné.e, ce qui veut dire que le public, le decorum, l’imminence de votre prise de parole, etc, vous font impression. C’est très bien parce que c’est dans ce registre qu’il vous faut jouer en inversant simplement le mouvement de telle sorte que c’est vous qui allez faire impression. Mais c’est  à ce niveau qu’il faut se situer, faire impression et user des mots, du silence, des rythmes, de la voix, des intonations pour créer des affects.

Cela suppose un usage particulier et impactant des mots. Ceux ci ont bien un sens, et il faut que votre discours soit sensé, qu’il ait un sens, une direction, que vous convainquiez le public de votre prise de position mais précisément ce sens ne passera pas sans passer par les sens, pas les sensations et les affects. Il importe d’avoir bien conscience de ces deux acceptions du mot « sens ». Un discours d’éloquence jour sur la corde sensible, constamment et cette corde qui peut nous apparaître comme le fil du rasoir est en même temps le fil rouge qui nous fera réussir l’exercice à condition de ne jamais le lâcher. C’est notre fil d’ariane et nous allons nous dépasser dans un labyrinthe d’affects.


Un discours d’éloquence peut se composer de 5 parties: 1) exorde 2) narration 3) argumentation 4) réfutation (facultatif) 5) péroraison. Ce qui suit s’adresse à celles et ceux d’entre vous qui soit ont besoin de repère parce qu’elle et ils se sentent perdue.s, ou bien à celles et ceux qui veulent s’approcher le plus possible de cet exercice tel qu’il est pratiqué dans certaines écoles de magistrature, ou Sciences po. Si vous pensez pouvoir vous en passer, il n’est pas exclu que vous ayez raison mais la règle à ne jamais oublier est d’éviter coûte que coûte l’ennui du public.




  1. L’exorde

La puissance « impactante » de l’exorde doit être conséquente (très). C’est une adresse à votre public qui va d’emblée situer une tonalité, un style, un registre: « mes amis, l’heure est grave… » il s’agit de prendre les rênes et d’emmener le public quelque part, et ce quelque part, c’est vous et vous seul.e qui en décidez. Si l’exorde est ratée, il est très dur de rattraper ce coup.

        Au tout début, vous êtes là: le silence s’installe:  il faut se demander ce qui justifie que ce silence soit rompu. Ce qui va être dit vaut-il la peine de briser ce silence qui est plein? On ne prend jamais la parole sans cette prise de risque. L’écriture ne force pas la lecture comme la voix force l’écoute. Vous vous engagez sans possibilité de retour. Une fois le silence rompu, c’est à vous de prendre en charge l’écoute du public pour 5 minutes. Dans cette première phase, il faut avoir de l’aplomb.

Il est une donnée physique essentielle : poser la voix. Parler, c’est imposer une tonalité et c’est d’autant plus intéressant que nous ne connaissons pas bien notre propre voix. Elle peut nous faire horreur quand nous l’entendons. Mais cela signifie justement qu’elle contient quelque chose de nous qui est d’autant plus « nous » que cela nous échappe, comme une caractéristique que l’on peut un peu moduler mais dont la tessiture fondamentalement est une donnée avec laquelle il faut composer. Poser la voix, c’est à la fois prendre la mesure sonore de la pièce et ne pas la forcer.

Il existe au moins trois modalités d’exorde:

  • l’hommage: c’est un peu daté, et ça dépend du contexte du concours. Il s’agit de rendre hommage, de s’avouer touché ou impressionné par le décorum, par l’organisation, etc. C’est un peu vide sur le fond à moins d’en profiter pour glisser une allusion ou un trait d’humour.
  • L’enjeu: c’est une personnalisation du discours, une façon de donner plus de poids au discours en disant je, moi et en expliquant pourquoi l’occasion qui vous est donnée maintenant est cruciale pour vous.
  • La surprise: c’est sûrement le meilleur exorde. Il s’agit de créer un effet de surprise, une référence à un fait inattendu, mais qui étrangement, plaisamment va vous permettre de poser votre sujet. Créer une onde de choc telle que le public vous suivra, sera séduit. « On ne s’y attendait pas, mais le pire c’est que ça tient la route », voilà ce que le public pourra dire à la fin de cette surprise. Un effet de surprise purement gratuit ne fonctionnera pas. C’est finalement une manière très originale d’en venir à votre question.

L’exorde doit se terminer par la thèse que vous allez défendre. C’est vraiment crucial. Aucun public ne vous suivra s’il ne sait pas où vous allez. Il faut retomber sur ces pieds et tout le monde sera d’autant plus conquis que ce rétablissement aura été « magistral », original, vertigineux.




  1. La narration

Cela consiste à raconter une histoire qui évidemment va illustrer la thèse défendue, la contextualiser au travers d’un personnage fictif ou réel. On sait bien que la plupart des gens s’embêtent quand on situe son propos à une hauteur universelle ou abstraite. Cela peut commencer par « imaginez… » ou bien « Alfred Chouinard a 40 ans, une femme qui l’aime, un métier passionnant…etc. » ou encore « nous sommes en 1927…. » ou encore « hier soir, il m’est arrivé telle aventure.. » etc. Mais cela peut aussi être une histoire extrêmement grave, une mort ou le récit d’une injustice. Il faut bien choisir son histoire en faisant en sorte que personne ne puisse y rester insensible.


  1. L’argumentation

C’est la partie dans laquelle il est nécessaire qu’une machine argumentative s’emballe et écrase tout sur son passage. Vous avez raison, la preuve….De tout le discours, c’est le moment où l’on va le plus faire jouer le logos (la raison). Il faut jouer de toutes les expressions et figures de style susceptibles de donner l’impression d’un déroulement implacable, notamment en qualifiant la nature de vos arguments avant de les formuler: « nous le démontrerons du point de vue de la légalité mais aussi de la morale, et finalement de l’existence elle-même… »   Ou encore « il y a un bénéfice politique, mais aussi économique et militaire…Il faut donner l’impression d’une construction, d’un ordre des raisons qui se déploie de façon vraiment maîtrisée. Evidemment le pathos n’est jamais très loin, c’est-dire que la rigueur argumentative de vos raisons peut de temps à autre laisser affleurer des appels à témoins, des effets de style et d’adresse qui sur le fond ne rajoute rien rationnellement: « mais qui pourrait se comporter ainsi? » Ou encore « mais est-ce vraiment ainsi que nous voulons vivre? » Autant l’indignation est une impasse en philosophie, autant ici elle peut être pratiquée, voire mise en scène, ou encore transformée en trait d’esprit.




  1. La réfutation

C’est une partie vraiment facultative qui peut enfoncer le clou de la précédente: tourner en ridicule la position adverse. Vous venez de donner des arguments positifs mais vous vous sentez envahi.e d’une pulsion destructrice et caustique, moqueuse. Il ne suffit pas de montrer que vous avez raison, encore faut-il démontrer que les autres ont tort. Là, tous les coups sont permis ou presque, mais il vaut mieux privilégier, l’humour l’ironie ou l’absurde. 


  1. La péroraison 

La meilleure définition de la péroraison est qu’elle vise à susciter des applaudissements spontanés comme si l’auditoire était pris d’une irrépressible envie de frapper dans ses mains en vous écoutant. Il faut susciter un mouvement d’adhésion, un soulèvement en votre faveur. C’est assez délicat. Il faut tout donner, tout miser sur cette fin, comme si la totalité du propos se condensait dans une deux ou deux phrases que l’on veut enfoncer comme un clou dans la tête de nos auditrices et auditeurs. Un KO final qui laisse pantoise et pantois d’admiration. Il n’y a rien à dire de plus. On dit de la musique de Mozart qu’une fois terminée, le silence est encore de lui et ici ça doit être pareil. Un suspens saisit le public comme un frisson dont personne ne peut s’exclure. L’un des plus beaux discours d’éloquence qui ait jamais été écrit est celui d’André Malraux pour l’entrée des cendres de Jean Moulin au Panthéon. La gravité du contexte interdisait les applaudissements. Le bruit du tambour s’est peu à peu mêlé à la voix chevrotante de l’orateur, mais quiconque prête attention au discours lui-même ne peut pas ne pas être atteint, comme si « pour une fois », littérature, protocole et politique se retrouvait dans l’excellence et l’éloquence. Ce discours se termine ainsi: « Ce jour là, elle (la figure de Jean Moulin totalement déformée par la torture) était le visage de la France » C’est juste,  pertinent, dépouillé, éloquent. 




6) Ce qu’il faut éviter 

  • Lire son texte, a fortiori son portable. Il y a là un exercice particulier de lecture si l’on n’a pas envie de tenter l’oralité pure, sans texte. En fait lire son texte mécaniquement en trébuchant sur les phrases et en ratant les effets, revient quasiment à avouer qu’on ne l’a pas écrit, parce qu’il est impossible que les phrases à peine effleurées du regard ne retrouve pas leur trace quasiment génétique dans l’esprit de celle ou celui qui les a conçues. Cela veut dire que le papier est bien là mais que vous ne perdez jamais le fil du discours tout simplement parce que c’est vous qui l’avez rédigé. On jette un œil sur son papier de temps à autre mais le discours est en vous plus que sur la feuille.
  • Parler pour soi, trop bas
  • Se juger. Quoi qu’il arrive, parler en public est une épreuve et il faut l’avoir fait et c’est déjà bien qu’on l’ait fait. Point barre!
  • La banalité et les clichés. Pendant 5 minutes, vous avez le contrôle total de la parole émise. C’est une responsabilité mais c’est aussi une libération qui impose que vous ne vous ne vous cachiez pas derrière la doxa, derrière des formulations déjà entendues mille fois. C’est votre instant de grâce et il ne faut pas le gâcher.
  • Oublier ce que nous avons abordé durant le cours d’introduction en philosophie: transformer le hasard en destin. S’il est bien une occasion durant laquelle ce mot d’ordre peut être appliqué, c’est bien celui-là


Bon courage à toutes et à tous!

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