jeudi 7 septembre 2023

Terminale 2 / 3 / 6 - Les articulations du cours d'introduction (cours 1) en 8 points

   


    1 - L’étonnement n’est pas une capacité de l’être humain, pas davantage qu’un don ou qu’une fatalité, c’est tout simplement une donnée anthropologique (c’est-à-dire une caractéristique propre à l’humain, indissociable de ce qu'il est). C’est là tout ce que Jakob Von Uexküll, ethologue, « rajoute » à la pensée d’Aristote, 23 siècles plus tard. Mais il faut bien comprendre la nature de cet étonnement, c’est celui que nous éprouvons dés que nous réalisons la différence entre le comment et le pourquoi. La science et notamment la biologie nous a permis de mieux comprendre le vivant notamment la génétique, mais aussi loin que nous puissions aller dans cette voie, cela explique le comment, pas le pourquoi. Que la vie soit, que le monde soit, que « je » sois, c’est dont je peux rendre compte par le comment mais absolument pas par le pourquoi. Etre, ça n’a pas de raison d’être pour quiconque (la mort peut nous frapper à tout instant et ainsi faire perdre tout sens à ma présence sur terre). Nous nous rendons compte de cela aussi bien pour notre existence que celle du monde et c'est ce qui explique que nous soyons aussi curieux, que nous pratiquions la science, la technologie, l’art, la philosophie, mais cette conscience là, cette expérience de l’absence de raisons d’être nous concernant, nous l’évitons, nous l’évacuons parce qu'elle est un peu traumatisante. C’est ce que Blaise Pascal affirme dans cet extrait de cette pensée concernant un roi. Le souverain, occupant pourtant la charge la plus haute et la plus désirable du royaume serait malheureux s’il était privé de divertissement, parce qu’il ne pourrait pas « évacuer le sujet », oublier sa condition humaine de question sans réponse, d'humain mortel:

"Et cependant, qu’on s’en imagine accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher. S’il est sans divertissement et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point. Il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent des révoltes qui peuvent arriver et enfin de la mort et des maladies, qui sont inévitables. De sorte que s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit."




2 - Il peut sembler assez étrange de rapprocher Jakob Von Uexküll, un scientifique d’Aristote ou de Pascal, et de fait, lui, ne parle pas du tout de ce questionnement, de cette curiosité, de cette angoisse (il faut d’ailleurs insister sur le fait qu’Aristote, contrairement à Pascal, ne considère pas cet étonnement comme un drame, ou une catastrophe. Grâce au scientifique autrichien, nous réalisons que c’est un fait, c’est une donnée. L’étonnement de l’être humain vient tout simplement d’un autre type de rapport avec le monde: l’homme naît dans le monde, l’animal s’effectue dans son milieu. De ce fait l’animal n’a pas de question à se poser sur son existence alors que l’homme, privé qu’il est de biotope, la vit comme une énigme, comme une question qu’on peut se poser, ce qui est étrange., mais de fait, c’est cela que nous sommes.

Cela signifie que dés que nous revenons à ce malaise qui nous est propre, à cette absence de raisons d’être de notre être, nous revenons dans ce qui est notre « terre natale », et c’est ici que la philosophie prend tout son sens. En tant que questionnement la philosophie trouve son origine dans cette terre natale. Cela n’est pas nécessairement agréable à vivre et Zigmunt Bauman en écrivant la vie liquide décrit cette évolution des sociétés occidentales (on pourrait parler de dérive)  par le biais de laquelle nous nous efforçons de fluidifier, c’est-à-dire de dénaturer cet ancrage à la question. Nous consommons, communiquons, nous nous représentons, nous publions sur les réseaux sociaux des vies jouées, des loisirs clonés, nous nous reflétons mais ce qui importe c’est que rien ne soit vraiment vécu, ni authentique, ni maintenu. C’est une vision très moderne du divertissement pascalien. Nous pouvons ainsi comprendre que la philosophie soit parfois vécue comme « prise de tête », comme fastidieuse, parce qu’en réalité, elle est une pratique qui ne veut pas s‘éloigner de ce que nous sommes anthropologiquement: à savoir des animaux étonnés d’exister.


3 - Pourtant si nous prêtons vraiment attention à cette donnée anthropologique, nous réalisons bien que cela nous donne plusieurs caractéristiques:

  1. un style: nous établissons une distance à l’égard de l’existence, nous n’y sommes pas immergés impliqués immédiatement comme l'animal l'est par son rapport au biotope.
  2. Une éthique: notre attitude n’est donc pas donnée, elle est construite, elle est à construire.
  3. Une puissance: nous agissons. Agir, c’est ce qui a pour nous un autre sens, puisque privés que nous sommes de biotope, nous créons des cités  au sein desquelles vont se forger et s’effectuer des actions humaines dans un monde qui avant cela n’était que le lieu de phénomènes naturels

4- Il faut bien comprendre ces deux mouvements: l’étonnement qui nous caractérise, le divertissement par lequel nous nous efforçons de le nier. Finalement la plupart de nos attitudes s’expliquent dans la tension qui naît de ces deux pôles.

L’être humain S’étonne, donc il y a un rapport à soi puisqu’il y a un pronom réfléchi (forme pronominale du verbe s’étonner) mais quel soi? Notre humanité ou notre moi personnel, privé? Deux directions se détachent ici: ce rapport à soi en tant qu’être humain rend nécessaire notre individuation et la polis (donc la politique). Le rapport à soi en tant que moi explique l’individualisme et le désir de tout ramener à l’Oïkos, c’est-à-dire à son foyer, à la maisonnée, à la vie privée. Le divertissement est très actif dans cette perspective là (la 2e) alors que l’étonnement philosophique participe de la première.


5 - Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est une dépolitisation de la vie humaine, un éloignement total de la phrase d’Aristote: « l’homme est un animal naturellement politique ». Qu’il existe un mode de vie humain fondé sur la cité et sur des principes d’individuation par le biais desquels nos "je" se constituent dans le rapport à un « nous », c’est ce qui ne semble plus nous intéresser, nous motiver, et dans cette démotivation, le rapport à la philosophie perd son sens. Dans cet effondrement de la cité, il faut aussi situer la crise de l’éducation, le fait que les lycéennes et es lycéens ne vont plus au lycée pour apprendre des choses, pour satisfaire cette curiosité natale de l’être humain mais  sous la contrainte.  


6 - Quiconque comprend ce mouvement et constate que malgré tout la philosophie est une matière présente en terminale ne peut en déduire qu’une seule chose: il faut, autant que nous le pouvons,  prendre conscience de ce mouvement et pratiquer la philosophie telle qu’elle est, telle qu’elle est née, c’est-à-dire en rapport avec ce questionnement mais aussi avec ce rapport privilégié qu’elle a avec la polis, avec le processus d‘individuation par lequel il y a des citoyens qui comprennent la notion d’espace public. Un cours c’est un processus d’individuation. 


7- Ce qui s’ensuit est une dépersonnalisation du cours qui n’est la petite affaire privée d’aucun parmi nous, ni des élèves ni de l’enseignant. Cela implique aussi une certaine intensité de présence, uns sorte de bouton PAUSE que nous opposons à la vie liquide. Mais qu’est ce que ça veut dire? Nous pouvons bien décrire tous les éléments d’un cours comme hasardeux, aléatoire. Nous inscrivons alors tous ces éléments dans la vie liquide. Ce qu’il convient de faire au contraire c’est de transformer ces hasards en destin. C’est exactement le mouvement décrit par la philosophie stoïcienne. Il faut accepter ce qui est, aimer le fait que c’est comme ça, il y a de la philosophie au programme, cela se pratiquera dans ces locaux là, à ces heures là, de cette façon là. Cette acceptation de ce qui est qui n’a vraiment rien à voir avec une résignation ou une défaite, c’est ce qui rend possible et effectif l’enseignement de la philosophie et c’est tout ce qui nous est demandé.


8 - La dernière partie du cours décrit plus précisément les trois exigences qu’il nous revient de satisfaire pour parvenir à ce résultat, Ce sont des préalables à partir desquels faire de la philosophie se peut (la présence, le « nous », le parfait inconnu)




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