mercredi 6 septembre 2023

Prise de parole en public

 

    Le philosophe et sémiologue français Roland Barthes affirme qu’il faut inverser les termes du proverbe selon lequel « les paroles s’envolent alors que les écrits restent. » Quelque chose d’humain et d’irrévocable s’effectue davantage dans la parole que dans l’écriture. De fait il nous est toutes et tous déjà arrivé de regretter nos paroles dans certaines circonstances, mais c’est trop tard, on les a dites. Quand nous écrivons, il y a une page, un logiciel de traitement de texte, bref un support et, de ce fait, la teneur des propos exprimés, des thèses défendues est plus manipulable, plus escamotable. Le philosophe Bernard Stiegler reprend à Husserl la notion de rétention en établissant des distinctions entre trois types:

  1. les rétentions primaires qui désignent finalement la mémoire à court terme, et plus encore le fait que vous ne pouvez pas écouter une musique sans que la note actuelle ne soit perçue comme la continuité de celle qui a été jouée juste avant. Dans tout processus de parole, il y a forcément de la rétention primaire comme dans toute acte mental finalement, mais en fait c’est la capacité d’un présent de maintenir le passé sans cesser pour autant d’être un présent. Nous comprenons une parole non pas parce qu’elle a été émise d’un coup mais dans son déploiement. C’est toujours un flux que l’on comprend. C’est très important parce qu’en fait nous dissocions passé/présent/futur, mais  ce qui fait que j’entends une parole dont je saisis le sens, c’est justement ma capacité à relier le pur présent avec le passé immédiat, ce qui crée d’ailleurs une attente, un suspens, une ouverture vers l’éventuelle réponse ou vers le fait que tout simplement ce que j’entends « donne à penser », comme on dit. Il est nécessaire de distinguer passé/présent/futur mais en même temps, ce qui fait qu’on se parle, c’est justement qu’ils soient liés sans s’exclure.
  2. Les rétentions secondaires, c’est ce que l’on va stocker dans notre mémoire, parce que notre conscience ne peut pas rester attentive tout le temps. C’est ce que nous allons garder en nous: le souvenir.
  3. Les rétentions tertiaires ce sont les supports écrits et technologiques sur lesquels s’inscrivent les pensées et les propos exprimés. C’est grâce à cela que nous avons une histoire, des documents, des traces. Ce sont aujourd’hui les rétentions tertiaires qui posent le plus de problème, paradoxalement parce que sévit un processus d’enregistrement de données informatiques absolument colossal. Il est étrange de se dire que faire l’histoire du 21e siècle sera sûrement plus difficile que d’écrire l’histoire de l’Egypte ancienne, tout simplement parce qu’il faudra trier une masse délirante de données, de saisir leur origine, leur provenance idéologique, etc.



Tant que nous restons dans les rétentions primaires et secondaires, nous sommes encore dans la parole, les rétentions tertiaires, c’est de l’écrit ou des documents sonores enregistrés, mais de toute façon cela ne nous intéresse pas ici puisque il s’agit de travailler la prise de parole en public et que les prestations orales ne seront pas enregistrées. On peut néanmoins relever plusieurs évidences qui manifestent la justesse de ce qu’affirme Roland Barthes. S’il ne peut exister d’Histoire sans les rétentions tertiaires, c’est aussi à cause d'elles qu’elle est aussi difficile à réaliser, voire offerte à certaines manipulations. Staline a détruit et trafiqué des photos, des documents pour éliminer Léon Trotski du passé de la révolution russe. Il n’y est pas totalement parvenu heureusement (parce qu’il y a de vrais historiens) mais c’est sur ce contenu là que porte sa tentative de mystification.

L’autre point fondamental qu’il faut bien avoir en tête, c’est que si le support des rétentions tertiaires est matériel, celui des rétentions primaires et secondaires est mental, c’est de l’attention d’êtres humains. C’est là dessus que nous devons  travailler. Votre prestation s’inscrit dans de « l’attention ». Cela ne veut pas forcément dire qu’il faut « marquer les esprits » mais d’abord que c’est dans cette « matière »  (qui n’en est pas vraiment une) que nous devons « œuvrer ». Il y a là une donnée affective essentielle. On peut miser dans l’écriture sur la faculté de déchiffrement et d’intellection du récepteur. Ici, c’est-à-dire dans la parole, il y a forcement d’abord (et peut-être parfois seulement) des sentiments. Ce que nous disons, la façon dont nous le disons impacte des affects, crée de la tristesse, de la joie, de l’ennui, etc. C’est exactement la raison pour laquelle Aristote définit les trois piliers de l’art rhétorique comme étant:

  • le logos: l’art de convaincre par le raisonnement, l’argumentation
  • Le pathos: l’aptitude à jouer des sentiments des auditeurs
  • L’ethos, la capacité à manifester par son discours une solidité, une confiance, une crédibilité qui repose sur une autorité (étymologie: auteur). Pour convaincre, il faut aussi se convaincre et trouver un ton qui puisse attester que l’on est en accord avec ce que l’on dit (la parhésia, le dire vrai).

Ce premier exercice consistera pour vous à choisir un sujet et à le traiter en vue d’une prise de parole devant la classe qui ne devra pas dépasser 5 minutes. Il faudra absolument répondre à trois exigences:

  • Maintenir l’attention de votre public pendant ces 5 minutes
  • Utiliser pour ce faire tous les registres de discours qui vous semblent appropriés: gravité, humour, émotion, adresse directe, référence à l’actualité, poésie, lyrisme, second degré, sens de l'absurde, etc (la seule limite à ne pas dépasser est l’insulte)
  • Viser une authentique originalité, une prestation qui soit  empreinte de votre style de telle sorte que vous puissiez vous y retrouver. Si l’objectif est de maintenir l’attention de vos camarades, cela ne doit pas vous empêcher de produire un discours que vous seul.e pouvez réaliser. Il faut vous y reconnaître (et vous y approuver… Mais peut-on prendre la parole en s’acceptant?) 




Ces prestations orales auront lieu  le 5/10 pour les Tle 2 et le 06/10 pour les Tle 3


  1. Naître femme est-il un châtiment?
  2. Avez vous quelque chose à déclarer?
  3. Dieu joue-t-il aux dés?
  4. Que faire des cons?
  5. Une société sans politesse est-elle possible?
  6. Peut-on en faire trop?
  7. Le père Noël est-il une ordure?
  8. Peut-on twitter du Nietzsche?
  9. Et toi, ça va?
  10. De quoi Cyril Hanouna est-il le nom?
  11. Faut-il toujours chercher midi à quatorze heures?
  12. Si « c’est au-delà des mots », pourquoi ne pas la fermer?
  13. Faut-il en finir avec la notation dans l’Education?
  14. Est-ce l’oeuf qui fait la poule?
  15. L’âme soeur est-elle un mythe?
  16. Faut-il passer son bac d’abord?
  17. Sait-on ce qu’on fait quand on fait un enfant?
  18. Peut-on mieux faire?
  19. Commentez cette affirmation de Walter Benjamin: « l’humanité s’est suffisamment aliénée pour vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de tout premier ordre. »
  20. Faut-il résister à la tentation?
  21. L’espoir fait-il vivre?
  22. Si tout est éternel retour, est-il bien nécessaire de s’acheter le billet pour l’aller?
  23. Faut-il toujours raison garder?
  24. Qu’est-ce qu’une vie réussie?
  25. Un ado est-il naturellement dépressif?
  26. Peut-on plaire à tout le monde?
  27. Tout est-il matière à débat?
  28. La femme est-elle l’avenir de l’homme?
  29. Faut-il donner de l’argent aux SDF?
  30. « Influencer » peut-il être un métier?
  31. Au prince qui ne viendra pas, faut-il préférer le livreur Uber dispo tout de suite?
  32. Puis-je aimer mon prochain comme moi-même?
  33. Séduire: est-ce manipuler?
  34. Peut-on se tuer à la tâche de vivre?
  35. Dieu est-il une femme?
  36. Toute conviction est-elle un piège?
  37. Y’a-t-il du sens à toujours vouloir arrondir les angles?
  38. Comprendre les motivations d’un criminel, est-ce l’excuser?
  39. L’amour rend-t-il bête?
  40. La nature a-t-elle des droits?
  41. Tous les proverbes sont-ils débiles?
  42. Qu'y-a-t-il à déplorer de la coupe du monde au Qatar? 
  43. Peut-on vraiment prendre un mal pour un bien?
  44. Qui est mon prochain?
  45. Le selfie est-il un crime contre l'humanité?

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