samedi 11 novembre 2023

Terminales 2 / 3 / 6: Peut-on parler une langue? (3)

 


1) Je peux parler?

Nous avons évoqué en cours la situation suivante: imaginons une assemblée de personnes amies ou pas qui discutent de tel ou tel sujet et puis voilà que l’une d’entre elles essaie sans succès de se mêler au débat. Elle prend alors la parole pour la réclamer:

« Ho! Est-ce que je peux parler? »

Comprendre la question posée pourrait revenir à reprendre cette scène qui se produit de façon courante et régulière mais de la déplacer un peu en lui donnant une tournure beaucoup plus philosophique, complexe et néanmoins universelle. Dans le contexte évoqué, cette personne est simplement frustrée de ne pas pouvoir dire ce qu’elle veut dire, mais ne le sommes nous pas nécessairement même quand nous parlons? La langue nous laisse-t-elle vraiment parler?

Comment cette question pourrait-elle être recevable dés lors qu’il est absolument évident que parler, c’est émettre un énoncé dans une langue? Comment pourrions nous reprocher à notre langue maternelle de nous interdire de parler, puisque justement ce que nous réclamons c’est le droit de dire quelque chose dans cette langue ? Bien au contraire il nous semble d’abord que l’on ne peut pas parler sans nécessairement parler une langue. Il y a une certaine liberté inhérente à cette liberté de parole là. Je ne peux parler que grâce à cette langue parce qu’elle me donne le pouvoir de prendre la parole.

- Est-ce que je peux parler?

- Oui, eh bien parle!

Et alors on parle dans notre langue maternelle, en elle, grâce à elle. 

Saussure distingue la langue et la parole, notamment en insistant sur la passivité du sujet face à la langue et à son activité par rapport à la parole. L’homme prend la parole, il ne « prend » pas sa langue, il ne l’adopte pas. Il la reçoit passivement en naissant dans un milieu qui va l’immerger très tôt dans le bain de la langue maternelle. Bien sûr on peut ici évoquer les autres langues que l’on va apprendre, mais il serait vraiment vain et de mauvaise foi que de penser que cet apprentissage premier de la langue maternelle ne serait pas déterminant dans l’acquisition d’autres langues ultérieures qui nécessairement se feront sur le fond de celui-ci. La façon dont le sujet est libellé manifeste bien que c’est cela que l’on veut interroger: le rapport langue/parole, donc a priori par rapport à la langue maternelle.

Parmi tous les points de distinction relevés par Saussure, nous pouvons nous concentrer sur le deuxième: « La langue, distincte de la parole, est un objet qu'on peut étudier séparément. Nous ne parlons plus les langues mortes, mais nous pouvons fort bien nous assimiler leur organisme linguistique. Non seulement la science de la langue peut se passer des autres éléments du langage, mais elle n'est possible que si ces autres éléments n'y sont pas mêlés. »



Saussure est le fondateur de la linguistique. Il veut faire de la langue l’objet d’une science. Or toute science délimite très rigoureusement l’objet de son étude en le circonscrivant, en le séparant de tout ce qui n’est pas lui. On n'imagine pas un mathématicien se dire mathématicien sans avoir une parfaite représentation de ce que sont les mathématiques par distinction avec la physique ou les sciences naturelles. De la même façon un linguiste ne fait pas le même métier qu’un phonologue ou qu’un orthophoniste, qui finalement s’intéresse davantage à la parole.  Par conséquent, le fait qu’une langue ne soit plus parlée ne signifie pas du tout qu’elle ne puisse pas être l’objet d’une science. C’est bien ce qui se passe avec les langues dites anciennes. Donc il est possible de ne pas parler ce qui n’en constitue pas moins une langue. On peut ne pas parler une langue.

Mais la question posée n’est pas exactement celle ci, elle est plus directe: peut-on parler une langue? Saussure insiste énormément sur ce point: « la science de la langue n’est possible qu’à la condition de la séparer des autres éléments du langage parmi lesquels nous pouvons compter la parole. On ne peut vraiment étudier la langue scientifiquement QUE sans parole.  Une telle affirmation est assez problématique, non seulement parce que la langue est parlée mais aussi parce qu’une langue qui n’est plus parlée perd finalement sa « vie » puisque elle devient une langue morte.  Imagions que la personne qui demande la parole  et qui l’obtient dans cette assemblée se mette à parler latin. Elle ne sera comprise que par les latinistes et les personnes capables de tenir une conversation en latin ancien ne sont pas la majorité. Sans langue la parole n’a pas lieu d’être puisqu’elle n’aurait rien à dire (sans langue la parole est un cri: souvenons nous de cette proposition)  mais sans parole la langue meurt. Saussure est bel et bien est train de nous dire que pour étudier scientifiquement la langue, c’est beaucoup mieux quand elle est morte et ainsi qu’elle n’est plus dérangée, bouleversée, vitalisée par la parole. 




2) Puriste ou rebelle?

Notre sujet prend à ce moment une ampleur particulièrement puissante et complexe. Saussure insiste sur la nécessité de concevoir la langue comme un ensemble doté de sa propre autonomie. Mais jusqu’où va cette autonomie? Si la langue fonctionne par elle-même et en elle-même, en circuit fermé (thèse qu’il faudra démontrer, étayer d’un pur point de vue linguistique), comment pourrait-elle être parlée sans être dénaturée par la parole? Comment concevoir son rapport à la parole autrement que dans les termes d’une entité propre mise en présence d’un élément étranger, potentiellement hostile? Pour qu’une langue soit parlée, ne faudrait-il pas qu’un sens, elle ne soit plus vraiment une langue? Et inversement pour qu’une parole soit dite (étant entendu qu’elle ne peut se dire que dans une langue), ne faut-il pas qu’elle accepte de ne pas être une parole « pure »? Une langue parlée est-elle encore une langue? Une parole dite est-elle une parole « pure »?

Nous avons toutes et tous idée de ce pourrait signifier une langue « pure » ne serait-ce que parce que nous avons en tête ces personnes que l’on appelle les puristes de la langue, ces individus  (souvent des enseignants d’ailleurs) toujours prêt.e.s à nous corriger pour nous dire que l’on ne peut pas dire prêt.e.s ou « iel »  parce que « ça ne se dit pas », « ce n’est pas correct », parce que si nous acceptons telle ou telle réforme en orthographe ou en grammaire, nous perdons notre patrimoine, notre bien le plus précieux, notre âme, bref notre langue (évidemment je fais ici référence à l’académie française mais plus largement à toutes ces autorités soucieuses de nous rappeler à l’ordre de la langue: enseignant.e.s, grammairiens, les défenseurs attitrés de la langue française, etc.) Il y a ici une distinction vraiment importante à faire entre celles et ceux qui disent « non » à toute transformation, à toute anglicisation, à toute porosité de la langue FRANÇAISE que l’on pourrait appeler les passéistes (l’académie française en général) et celles et ceux qui comme  Saussure évoque quelque chose de propre à la structure même de toute langue et évidemment c’est beaucoup plus intéressant parce que beaucoup plus fondé. Ce n’est pas qu’il y ait à défendre une langue contre d’autres langues ou contre des modifications actuelles venant des changements de mentalités de notre présent, c’est qu’une langue en soi, dans sa structure même fonctionne en excluant tout ce qui n’est pas elle. On ne comprend l’énoncé d’une langue que sur le fond de son assimilation comme totalité. On ne comprend une langue qu’en tant qu’elle est TOUTE.  Il y a un fascisme de la langue (Roland Barthes).

Dans cette perspective, soit la parole est extérieure et elle n’est pas compréhensible dans cette langue, soit elle est intérieure et elle ne parle qu’en étant déjà dans cette langue, par quoi elle n’est pas tout à fait parole, puisque elle est soumise à la langue et ne peut dire autre chose que ce que cette langue lui dicte. En même temps, cette dernière affirmation pose problème: voilà que là maintenant je parle: je dis quelque chose qui est bel et bien ce que ma langue maternelle m’autorise à dire, mais j’ai quand même aussi l’impression de parler parce que je le veux, parce que je suis l’auteur de cette parole. Mais en quel sens, en suis-je « l’auteur »? Ai-je vraiment dit quelque chose qui finalement n’était pas déjà écrit, ratifié, composé par l’use de mots déjà existant? Non, tout était là déjà. Je n’ai rien dit de nouveau. Comment l’aurais-je pu d’ailleurs puisque il faut bien que je parle dans cette langue, à partir de cet ordre préétabli et systématique dans lequel elle consiste? Mais en même temps, quelque chose s’est passé, qui n’était pas là avant et qui est ma liberté de prendre la parole, même pour dire quelque chose qui de toute éternité était déjà potentiellement dicible dans cette langue.





Mais avons-nous idée, en parallèle, de ce qu’est ou serait une parole pure? Une parole qui, en tant qu’action s’imposerait comme telle à la passivité imposée par notre rapport à la langue. Ce serait une sorte d’affirmation miraculeuse et somme toute improbable dont il faudrait faire remonter la possibilité à l’intransitivité même du verbe parler, laquelle semble faire signe d’une effectivité pure, d’un agir pur de la parole et c’est toute la distinction à la fois très difficile à cerner et pourtant très éclairante entre parler et dire. Il faut vraiment ici faire un travail de définition très très appliqué. S’il y a deux mots (parler et dire), c’est forcément qu’il existe une nuance différentielle entre ces deux termes et donc si parler ce n’est pas seulement dire des mots, qu’est-ce que c’est cette  action du verbe parler qui n’est pas recouverte, restituée par l’action de dire des mots (laquelle est déjà en soi finalement passive, soumise à la langue)? Aucune réflexion ne saurait être aussi orientée vers la recherche d’une LIBERTE  incroyable, insoupçonnable, peut-être informulable que celle de cette pureté de la parole, ou plutôt de cette dimension de la parole qui vaut en contrepoint de cette pureté scientifique, fonctionnelle, structurelle et systématique de la langue (systématique mais pas vivante, on pourrait même dire « donc » pas vivante)

Résumons: toute langue est fondamentalement un système clos (il faudra le prouver, mais c’est vraiment fondé) mais en même tant pour qu’elle vive il faut qu’elle soit parlée. Inversement toute parole s’effectue physiquement comme un cri mais pour qu’elle soit parole, il faut qu’elle soit « dite », et donc s’exprime déjà dans une langue.                             

C’est exactement comme si langue et parole ne pouvait pas se concevoir indépendamment l’une de l’autre et en même temps ne pouvait faire autrement que continuer dans dette cohabitation à cultiver fondamentalement sa spécificité contre l’autre. L’une ne peut pas vivre sans l’autre mais chacune d’elle ne peut être elle-même au sein de cette cohabitation que contre l’autre. On croirait lire l’histoire d’un couple qui ne peut s’aimer que dans la déchirure et le conflit permanent, un couple dont le mode et la condition pour être est le conflit et étrangement qui TIENT comme ça. Mais c’est quoi ce « se tenir »? Il se pourrait que ce soit tout simplement le fait d’être humain qui se tient comme ça:  en tant que Da sein, en tant qu’être qui ne se reconnaît pas dans le fait d’être et vit ainsi dans l’angoisse incessante de son questionnement existentiel. Cela signifierait qu’Aristote en disant que l’être humain était articulation du logos (langue)  et de la phoné (parole) ait finalement tout dit sur l’humain.



3) Liberté: cri de naissance

Nous pouvons maintenant revenir sur notre scène archétypale: « He Ho! Je peux parler? » Je ne peux pas parler sans dire un énoncé dans ma langue mais dés lors, est-ce que c’est vraiment de la parole? Nous voyons bien que nous pouvons, sans nous tromper, dire dans un premier temps: 

  1. Oui, c’est même seulement en tant que je parle une langue que je parle. Puis..
  2. Non, parce que quelque chose de cette parole pure, en tant que parole ne pourra pas s’assumer complètement  purement dés lors qu’elle sera dite (mot et langue)
  3. Mais alors n’y aurait-il pas quand même, paradoxalement des manifestations de cette parole pure dans toute parole, quelque chose d’une parole purement et seulement vivante? Et là nous mesurons bien toute la différence avec la première partie:

-   Est-ce que je peux parler?

-   Eh ben vas-y parle! Dis quelque chose!

-   Ben non justement je n’ai rien à dire, parce que si je le dis, ce sera encore de la langue et donc de la soumission à un ordre préétabli,  à l’ordre préétabli de tous les ordres établis,  ce que je veux c’est PARLER (praxis d’une parole pure).  Il faut alors contredire le fameux poème de Paul Eluard: 

Liberté, je n’écris pas ton nom (parce que ce serait encore de la langue), je crie ta venue au monde, je crie l’avènement de ta venue au monde.




4) Le pouvoir de la langue (pouvoir pouvoir)

Il est un mot présent dans le sujet auquel on peut accorder une importance plus vive qu’il ne peut sembler au premier abord, c’est le « peut » de « peut-on ». Est-ce que parler est un véritable pouvoir dés lors que l’on parle une langue? Et si oui, est-ce un pouvoir du sujet qui parle ou de la langue qui est parlée? Est-ce que l’on peut parler sans devenir assujetti à la langue que l’on parle et qui finalement nous dicte de façon impérative les mots, les formules, les opérations? Que peut-on vraiment en parlant une langue? Est-ce que parler une langue manifeste vraiment une démonstration de force, une prise de pouvoir, une maîtrise? 

Il est dans un premier temps indiscutable que oui, mais encore faut-il vraiment comprendre comment s’opère cette affirmation de soi, cette prise d’initiative par et dans la langue. Or c’est exactement ce que Sigmund Freud accomplit dans cet extrait de son livre « Au-delà du principe de plaisir »:

« J’ai profité d’une occasion qui s’était offerte à moi pour étudier les démarches d’un garçon âgé de 18 mois, au cours de son premier jeu, qui était de sa propre invention (…) Cet enfant avait l’habitude d’envoyer tous les petits objets qui lui tombaient sous la main dans le coin d’une pièce, sous un lit, etc. En jetant loin de lui ses objets, il prononçait avec un intérêt et de satisfaction le son prolongé o-o-o-o qui, selon les jugements concordants de la mère et de l’observateur, n’était nullement une interjection mais signifiait le mot « Fort » (loin). Je me suis aperçu que c’était là un jeu et que l’enfant n’utilisait ses jouets que pour les jeter au loin. Un jour je fis une observation qui confirma ma manière de voir. L’enfant avait une bobine de bois, entourée d’une ficelle. Pas une seule fois l’idée ne lui était venue de trainer cette bobine derrière lui, c’est-à-dire de jouer avec elle à la voiture, mais tout en maintenant le fil il lançait la bobine avec beaucoup d’adresse par-dessus le bord de son lit entouré d’un rideau où elle disparaissait. Il prononçait alors son invariable o-o-o-o, retirait la bobine du lit et la saluait cette fois par un joyeux « da ! » (voilà). Tel était le jeu complet, comportant une disparition et une réapparition, mais dont on ne voyait généralement que le premier acte, lequel était répété inlassablement, bien qu’il fut évident que c’est le deuxième acte qui procurait à l’enfant le plus de plaisir.

L’interprétation du jeu fut alors facile. Le grand effort que l’enfant s’imposait avait la signification d’un renoncement à un penchant et lui permettait de supporter sans protestation le départ et l’absence de la mère. L’enfant se dédommageait pour ainsi dire de ce départ et de cette absence, en reproduisant avec les objets qu’il avait sous la main, la scène de la disparition et de la réapparition (…) Une observation exempte de parti pris laisse l’impression que l’enfant a fait de l’événement qui nous intéresse l’objet d’un jeu, c’est pour la raison suivante : il se trouvait devant cet événement dans une habitude passive, le subissait pour ainsi dire : et voilà qu’il assume un rôle actif, en le reproduisant sous la forme d’un jeu, malgré son caractère désagréable. »

Freud- Essais de Psychanalyse (Au-delà du principe de plaisir)

Cette observation de l’analyste se fait à partir de la garde de son petit fils dont il remarque l’exercice d’un jeu récurrent. Ce garçon a un an et demi.  Il jette une bobine reliée par un fil dont il garde l’extrémité à la main. Elle disparaît derrière le lit et l’enfant crie « O-OOOOOh! ». Puis il tire sur le fil pour la faire réapparaître et l’enfant salue cette réapparition par un DA.AAAA (da, en allemand, en allemand, veut dire: « voici »).  Freud insiste sur le fait que la deuxième action, la réapparition suscite apparemment un grand plaisir chez son petit fils. Finalement, cela revient un peu au fameux « Caché/Coucou » du doudou auquel  la plupart des parents jouent mais à une très grande différence prêt, c’est qu’ici, c’est l’enfant qui prend tout en mains. Bref nous avons toutes et tous probablement déjà assisté à des jeux de disparition/apparition de très jeunes enfants, mais ici (comme c’est Freud), l’analyse va acquérir une profondeur de champ  considérable (il n'est pas exclu d’ailleurs qu’elle dépasse Freud lui-même). Ce qui se passe en fait, c’est l’intégration de l’enfant dans un champ symbolique grâce auquel il est déjà en train d’apprendre à parler une langue.


Freud observe que le jeu consiste à mimer l’apparition et la disparition de quelque chose ou de quelqu’un. Inconsciemment l’enfant imite une scène qui lui arrive: celle de la présence et de l’absence de sa mère, comme une compensation de ce dont, dans la réalité, il est le spectateur impuissant, la victime. Que sa mère s’en aille, à cet âge là, il n’y peut rien et cela le plonge dans une détresse évidente. Il ne faut pas oublier que cette mère est aussi celle qui le nourrit au sein. Celle qu’il voit s’en aller, c’est aussi sa mère nourricière. 

Mais voilà que le symbole lui donne une forme de substitut à ce manque dans quoi s’origine la jouissance propre au jeu. Pour mesurer la grande pertinence de tout ce que Freud ici suggère, il suffit de prêter attention à cette incroyable aptitude des enfants à investir des objets d’une puissance symbolique: telle boîte sera un vaisseau, tel bout de bois, un fusil, tel morceau de chiffon, une poupée, etc. Ici la bobine représente la mère et l’enfant exerce exactement le pouvoir qu’il n’a pas (du moins qu’il n’a pas encore) en la mettant au loin pour la faire réapparaître quand il le jugera bon. Quel rapport avec la langue? Avec la langue proprement dite aucun encore à ce stade, mais on ne voit pas comment nous pourrions parler une langue sans être doté.e de capacité symbolique.

Le rapport avec la langue avec le « OOOH! » et le « DAAA! ». Ces interjections préfigurent la consonance dominante du mot allemand Fort qui signifie loin alors que Da veut dire «  voici ». L’enfant n’ a pas encore appris vraiment les mots mais il a compris que dans la distinction du Oh et du Ah quelque chose de l’opposition entre l’apparition et la disparition se symbolisait, s’exprimait. Cela veut dire qu’il est bien en train de parler une langue. Allons encore plus loin: il est en train de rentrer dans un ordre linguistique à partir duquel il pourra d’ici quelques années, formuler parfaitement à sa mère qu’il ne veut pas qu’il s’en aille, expression d’un désir avec lequel la mère sera nécessairement obligée de composer (alors qu’ici elle peut toujours faire semblant de ne pas voir que son enfant se désespère de son absence). Le moins que l’on puisse dire ici, c’est que l‘enfant peut quelque chose en parlant une langue. On pourrait même dire qu’il peut tout, qu’il passe d’une situation d’impuissance totale à celle d’un pouvoir absolu: celui de tout ce que nous ouvre univers construit sur du symbole et pour un être humain, cet univers construit sur du symbole, c’est tout simplement le monde, ce que les grecs appelaient le Cosmos, c’est-à-dire un univers ordonné par des lois.

Mais il faut d’abord parfaitement comprendre ce texte inaugural à bien des titres: 

Il y a trois niveaux d’effectuation qui se croisent et d’accomplissement dans ce jeu:

  1. L’enfant est passif devant les apparitions et disparitions de sa mère (réalité)
  2. Il compense cette impuissance par la symbolisation de sa mère transformée en bobine et devient le maître d’œuvre d’une action mimée, représentée (symbole)
  3. Il accompagne ce jeu d’apparition et de disparition d’interjections qui sont déjà en elle-mêmes porteuse d’un principe de distinction qui constitue le propre de sa langue et se retrouve en elle (Fort et Da: langue).

Imitation / Symbolisation / Domination: voilà les trois étapes décrites dans ce processus grâce auquel l’enfant va transformer sa passivité en action et par action, ce qu’il faut entendre, c’est ce pouvoir que la maîtrise d’une langue nous donne, c’est-à-dire ce pouvoir que l'enfant est en train d’acquérir par l’expression de son désir de changer effectivement les choses car une mère à laquelle son enfant exprime son désaccord n’est pas dans la même situation que celle à laquelle rien n’est exprimé par une langue. Ce pouvoir à bien des égards c’est finalement celui que l’on acquiert en disant « je », en devenant un sujet grammatical qui peut exprimer un désir, un affect, une volonté une pensée, une action comme étant « sienne ». 



Or c’est exactement cela qui s’effectue ici: par le jeu du symbole, l’enfant se donne un rôle qu’il n’a pas. Dans un monde où tout se passe sans lui, sans son accord, voilà qu’il insinue une zone de maîtrise, une marge de manœuvre en devenant celle ou celui qui peut symboliser la situation subir, ce qui signifie qu’en la jouant il n’en est déjà plus la victime. Quiconque voit à l’œuvre la capacité d’imitation de ses enfants perçoit précisément le premier moment de leur émancipation. 

Par conséquent c’est parce que symboliser puis parler progressivement se fait en moi que je peux petit à petit dire « je » et m’imposer comme sujet non pas seulement dans le jeu, non pas simplement dans la langue mais aussi dans le monde, enfin dans un monde humain, culturel dans lequel on ne peut entrer qu’en tant que sujet de langue. Il est donc un véritable pouvoir, un véritable « je peux » qui ici se produit et cela dans tout ce que Freud observe et analyse dans le jeu de son petit fils. Par conséquent parler, c’est nécessairement parler une langue parce que c’est l’aboutissement de ce processus, et que, symbolisant la mère par une bobine, la jetant au-delà du lit (euh la bobine…pas la mère!) et la faisant réapparaître, puis en accompagnant ces mouvements de cris qui en réalité ne sont pas des cris mais des préfigurations de mots, l’enfant apprend à parler. C’est donc d’un même mouvement qu’il s’insinue progressivement comme un « je » dans la réalité et qu’il acquiert une langue. Il est train corrélativement de faire les deux. Ce que l’on peut, on ne le peut qu’en tant qu’on parle et apprendre à pouvoir c’est apprendre à parler, les deux sont consubstantiels.

Une dernière chose est à réaliser dans cette analyse, c’est qu’elle révèle avec clarté quelque chose qui jusque là demeurait obscur: comment apprend-t-on une langue? Comment un enfant allemand apprend-t-il à dire fort et da, alors même qu’on ne le voit pas apprendre chaque jour une liste supplémentaire de mots? Comment l’enfant finit-il par utiliser des mots qu’on ne lui a pas transmis « littéralement » comme une liste ? Parce qu’il les a entendus, répondra-t-on. Oui évidemment mais cela n’explique pas tout car il va les utiliser toujours «  à point nommé », comme s’il connaissait leur sens avant même de savoir les prononcer ou les écrire correctement. 

Précisément, c’est exactement cela: l’enfant apprend le sens avant de connaître les mots. Il ne connaît pas encore le mot « fort » ni le mot « da », mais il a compris que Oh et Ha s’opposait en tant qu’interjections, en tant que cris, par quoi déjà ce ne sont plus tout à fait des cris. Ces deux consonances sont déjà en train de devenir des mots parce qu’elles sont déjà articulées dans l’esprit de l’enfant comme des oppositions et qu’il sait très bien que le ha dit la présence et le oh dit la disparition. Il comprend déjà le maître mot de la logique de non-être de la langue, à savoir que Oh n’est pas Ha et que finalement le mot « fort » aura moins un sens de désigner la disparition que de s’opposer d’abord à Da qui signifie le contraire. «  dans la langue il n’y a que des différences », et l’enfant entre dans la langue en saisissant ces différences, entre l’absence et la présence de la mère, entre le Oh et le Ha, entre Fort et Da.



Il semble vraiment difficile de formuler une réponse plus fortement positive à la question posée dans la mesure où ce que Freud observe par le jeu de son petit fils c’est finalement son aptitude à entrer dans la dimension de la symbolisation et, grâce à elle  à acquérir le pouvoir de « compter », de changer une situation dans laquelle il n’était que passif en activité. Ce n’est ni plus ni moins que son désir qui par l’imitation de la scène d’abord, puis par le rapport que cette imitation va établir avec des sons qui sont déjà des préfigurations de mots va s’affirmer, se formuler et s’effectuer. Ce jeu est donc  la matrice symbolique du « je ».  

Comment en vient-on à parler une langue? C’est exactement de ce processus que Freud ici voit en pleine lumière les étapes et les rouages. Or, ce qui s’impose à nous dans l’observation du jeu de l’enfant, c’est que c’est d’un même mouvement qu’il entre dans la langue et qu’il s’impose à  la situation comme acteur. Ce n’est pas seulement que parler, donc, soit une action, c’est plutôt qu’elle est bel et bien la première de toutes. Si l’on peut avoir l’impression, de prime abord que grâce au symbolisme, l’enfant ne fait qu’imiter une situation dont il est victime en tant qu’il n’a aucun recours devant les disparitions de l’objet de son amour et de sa survie, il faut bien prendre en compte que la bobine/mère est là à sa disposition et que c’est lui qui décide de sa présence et de son absence.

Tout symbole est un substitut de ce dont il fait signe. Ne pouvant voir la mère, l’enfant dispose de la bobine et accompagne les deux moments de son jeu du sentiment qui correspond, la tristesse dans la disparition, la joie dans la réapparition. Mais le Oh et le Ha ne disent pas que cela, sans quoi nous pourrions en rester à l’idée pure d’un mimétisme, d’une restitution. Ils annoncent les mots allemands, c’est-à-dire  la langue dont il semble impossible de séparer la naissance du tout premier symbolisme.  L’enfant est en train d’apprendre à parler dés le premier jet de la bobine au-delà du lit. Ce qu’il est donc question d’articuler ici, c’est l’impuissance physique avec la toute puissance symbolique. Il y a un « peut-on » dont il fait l’expérience du non, c’est celle de sa capacité physique à retenir la mère et un peut-on dont il va s’ouvrir les portes du oui, c’est celui de disposer du pouvoir symbolique de signifier son désir en le mettant en scène, en le jouant. 


                    Nous ne devons pas oublier que ce jeu est, comme disent les enfants « pour du semblant », du conditionnel, du dédoublement de la réalité stricte et physique par une dimension au sein de laquelle « on dirait que la bobine vaut pour la mère, que le cri ha ou ho vaut pour les mots, et que les mots finalement valent pour les choses. Au monde physique d’une absence et d’une présence effectives auxquelles il ne peut rien, l’enfant substitue simplement par le jet d’une bobine et d’une alternance de cris distincts un monde symbolique dans lequel il peut tout dans une scène où ne sont disposés que des substituts. Mais cette dynamique de la substitution va culminer dans l’acquisition de mots faisant sens au sein d’un système régi par des rapports entre des signifiants, ce système ne pouvant fonctionner qu’en circuit fermé. Le Oh et le ha peuvent nous sembler correspondre à ce qu’on appelle la fonction thaumaturgique de la langue, c’est-à-dire à ce pouvoir pur de provoquer un effet réel sur le réel par la simple prononciation d’une formule comme « Sésame ouvre toi ». L’enfant profiterait alors simplement de cette jouissance illusoire de faire apparaître la bobine en disant ha, de faire correspondre un évènement avec un son qu’il a le pouvoir de prononcer.

Mais ni ce pouvoir ni cette jouissance ne sont complètement illusoires puisque de fait ces sons sont déjà en train de s’articuler selon des usages grammaticaux , syntaxiques de «  sens »: le oh dit le contraire de ce que dit le ha, puisque « fort « , en allemand, dit le contraire de ce que dit le « Da ». L’absence et la présence sont donc ainsi en train d‘être vécues comme s’opposant, ce qui n’est pas si évident que cela, on veut dire par là que le fait d’être appréhendées comme s’opposant signifie déjà que ni la présence ni l’absence ne sont simplement vécues comme « étant » physiquement. Non seulement on peut les représenter par des substituts: absence et présence de la bobine, mais l’on peut relier ses substituts par des sons différents et successifs dont chacun voudra dire quelque chose au sein d’ une chaîne signifiante.

             Par ce dernier terme de chaîne signifiante, il faut bien entendre déjà une langue, c’est-à-dire le système d’une langue UNE, communautaire dont la maîtrise assurera à l’enfant le pouvoir de signifier clairement avec les mots appropriés un désir qui aura bel et bien un impact direct sur la personne de la mère. Il existe donc bel et bien une toute puissance du sujet à laquelle l’enfant est en train d‘accéder grâce à la bobine. Cela n’est ni plus ni moins que la liberté conquise par un sujet d’en être effectivement un dans un monde qui ne sera plus ce monde littéral et physique où il n’a pas la moindre emprise sur quoi que ce soit mais celui du signe et de la langue. C’est exactement comme si au cordon ombilical dont la rupture le fait souffrir puisque la mère peut s’éloigner se substituait un cordon totalement voulu par l’enfant par le bais duquel il accède à ce pouvoir de faire advenir des choses par et dans la langue. Ce cordon est celui qui nous relie à notre langue maternelle, à notre mater linguisticae, ce que la bobine est finalement déjà. C’est bien ce que très concrètement nous dit  ce fil. Grâce à la langue, donc, ce qu’on peut c’est précisément pouvoir, a fortiori, parler.




5) Monde de signes et monde de choses

                Il convient de bien réfléchir sur cette dernière formulation: sans la langue et sans cette acquisition progressive par l’enfant de sa langue, il ne pourrait pas « pouvoir ». L’entrée dans le symbolique coïncide avec la capacité de l’être humain à pouvoir agir dans un monde physique, dans un monde où les évènements s’effectuent sans son assentiment, sans qu’il n’y puisse rien. Mais est-ce vraiment dans ce monde là qu’il intervient? Et comment y est-il vraiment entré? Où est-il allé chercher cette idée de symboliser sa mère par une bobine, puis de la jeter, puis de crier ho et ha? Dans un monde physique, ou dans un monde déjà structuré par du symbolisme et de la langue?  La bonne réponse est la deuxième car si l’absence de la mère est vraiment ressentie comme une absence traumatisante et réelle qu’il va falloir compenser par un jeu, l’idée même de ce jeu ne saurait s’expliquer par autre chose que l’existence préalable d’un monde symbolique.

Pour bien comprendre cette dernière idée, nous pourrions la schématiser très simplement. 1) L’enfant souffre de l’absence de la mère 2) il jette la bobine et tire sur le fil 3) il crie Ho quand il la lance et Ha quand il la ramène à lui. Maintenant faisons comme si nous pouvions soulever cette ligne et la faire basculer sur ce levier qu’est le tout début, soit la souffrance de la mère. On inverse complètement le processus et tout commence alors par le Ho et le Ha, mais non pas en tant que l’enfant le crie, en tant que l’enfant l’entend. Qu’il soit possible de symboliser son trouble par l’opposition de deux mouvements exercé sur la bobine n’est pas une idée qui descend du ciel. Elle ne peut se comprendre que par la capacité de la dialectiser, c’est-à-dire de la découper en deux phases, ce qui finalement n’est pas du tout évident, car comme toute chose en ce monde elle ne se passe pas aussi brutalement. Que la mère parte et qu’elle revienne, c’est déjà une interprétation de ce qui dans les faits se produit, une interprétation à deux termes qui caricature la stricte continuité de l’expérience vécue, à moins que la mère ne disparaisse de la surface de la terre. 


 Mais où l’enfant, qui est presque un bébé,  est-il allé chercher le principe de cette interprétation en deux termes opposés de l’absence de sa mère ? Il ne peut exister qu’une seule réponse à cette question: dans son immersion dans un monde parlé, structuré par du symbolique et par de la langue. Il ne fait aucun doute que le nourrisson ne comprend pas le sens des mots mais il commence à s’éveiller à autre chose, au rapport entre les faits et les sons émis par ses parents, sons dont les consonances épousent par leur opposition phonique les changements de situation dans les faits. On peut rendre compte voire provoquer une situation en la réduisant à ces deux extrêmes (absence /présence) et en étiquetant chacun de ces extrêmes par une séquence sonore ou par un seul son. Il n’est pas question ici de dire que l’enfant prend conscience de cela mais il semble évident que quelque chose comme une structure ou un ordre ou un certain mode de perception modèle inconsciemment son ressenti pour rendre possible une telle mise en scène (mise en scène observable chez tous les bébés humains, à savoir le mimétisme et le symbolisme). « L’inconscient est structuré comme un langage »: c’est ce que dit le psychanalyste Jacques Lacan et cette phrase peut être appliquée à des très nombreux cas de figure, mais on peut lui prêter ce sens là: le langage, et même la langue, ou disons la préfiguration de la langue interviennent très tôt dans le développement de l’enfant, bien avant que l’enfant maîtrise les mots.




Résumons: que cette situation d’être abandonné par la mère puisse être appréhendée par une dialectique, c’est-à-dire par une opposition stricte entre deux états (présence absence), puis que l’on puisse représenter ces deux états par l’apparition et la disparition d’un objet  de substitution (symbole, bobine), ensuite que l’on puisse accompagner ce double mouvement de deux cris qui déjà annoncent deux mots, tout cela manifeste la pesée en amont d’une immersion dans un ordre qui est celui là même dans lequel l’enfant va faire une entrée « agissante ». Mais cette « action » ne peut s’expliquer que par une passivité, ou une réception, une immersion au sein d’un ordre préétabli qui est déjà celui de la langue. Ainsi s’explique de façon enfin très claire que nous apprenions une langue maternelle, et plus encore le fait que nous soyons toujours déjà DANS une langue. Or ce « dedans » là dont nous venons de mettre à jour qu’il remontait à plus loin que le début du jeu lui-même, il n’est pas vrai que le sujet, l'enfant l’ait librement choisi.

Le philosophe Alain décrit bien cette antériorité radicale de la langue et des signes dans le développement de l’enfant: « Ne demandez pas comment un homme forme ses premières idées; il les reçoit avec les signes; et le premier éveil de sa pensée est certainement, sans aucun doute, pour comprendre un signe (….) tout homme a connu des signes avec de connaître des choses (…) Il n’a pas d’expérience qui précède cette expérience de l’humain; tel est son premier monde non pas monde de choses, mais monde humain, monde de signes d’où sa frêle existence dépend. »

Ces deux philosophes sont si opposés qu’il est particulièrement intéressant de relier ces affirmations d’Alain à l’enfant à la bobine de Freud tant la convergence dont il est fait signe alors peut revêtir l’apparence d’une réalité stricte. Le point crucial et éclairant de cette citation est l’opposition que fait Alain entre un monde de signes (un monde symbolique) et un monde de choses (un monde physique). S’il est vrai que l’enfant souffre physiquement de l’absence de la mère, il n’est pas tout à fait exact qu’il la reçoit de plein fouet. En fait, cette absence prend chair et forme dans un monde qui est déjà baigné, structuré par des signes, autrement dit qui est déjà de la langue. 

La mère est là et puis elle va partir. Il n’est pas vrai que cela va effectivement s’effectuer en deux temps, mais c’est ce que la dialectique propre aux mots et particulièrement au principe de non-contradiction va poser. De deux choses l’une: soit elle est là, soit elle n’y est pas et d’abord elle est là ensuite elle n’est pas là. Il nous faut vraiment produire un effort pour saisir que ce principe là, ce principe de l’alternative est absolument décisif dans notre interprétation du réel mais qu’il est bel et bien une interprétation, qu’il est seulement cela. Dés qu’il intègre ce principe de traduction d’une réalité continue en termes discontinus, opposés, l’enfant saisit l’occasion unique qui lui est donnée d’intervenir dans cette dualité de termes opposés en s’en faisant le maître d’œuvre et le jeu apparaît. Mais qu’est ce que ce jeu? C’est une symbolique de la dialectique présence / absence. Or ce que nous venons de révéler c’est que cette symbolique reposait elle-même d’abord sur une dialectique du symbolique, c’est-à-dire d’abord sur une certaine modalité de perception de la situation, modalité héritée du signe, d’un rapport binaire au réel qui n’est pas le réel (car la langue comme l’informatique est un système binaire)




Ce mode de perception n’est pas choisi. Il vient de ce que l’enfant est d’emblée exposé et finalement intégré de force à cette dynamique dualiste de la langue au fil de laquelle la mère est là ou pas là (la vérité c’est que la mère est toujours en train d’être là ou en train de de plus y être: rien n’est jamais ceci ou cela, tout n’est qu’en train de devenir, tout n’est qu’un devenir de mutation perpétuelle, c’est ce que dit Héraclite: "on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve"). C’est seulement à partir de ce mode d’interprétation dualiste ou dialectique ou linguistique de la réalité que l’enfant va pouvoir s’intercaler comme l’artisan même de cette dialectique par le jeu et ainsi se mettre sur la voie de ce qui va lui donner toutes les prérogatives d’un sujet: moi je lance la bobine et je tire dessus m’intercalant dans la situation comme ce qui la fait advenir. Puis moi je dis Ho et Ha , je dis « fort » et « da », et finalement bien plus tard je dirai « je ». « Pouvoir pouvoir », c’est donc bel et bien ce que l’enfant va effectuer par le symbole, mais la façon dont ce mode d’appréhension de la réalité par le symbole lui est venu, cela: il n’y peut rien, il est même divisé entièrement par cette dialectique plus qu’il n’est celui qui l’impose. Il est divisé plus qu'il ne divise, il est joué plus ne joue, il est parlé plus qu'il est "parlant" ("le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant qui ne le représente pas" Slavoj Zizek et sa lecture de Lacan)

Comprenons-nous vraiment ce que se passe ici? Il est VRAI que l’enfant acquiert par la langue et surtout en elle un pouvoir, un titre de sujet qui agit et qui peut. Mais il est tout aussi vrai que ce pouvoir vaut dans ce que Alain appelle le monde des signes et que la subtilisation du monde des choses par le monde signes est un acte de substitution qui est opéré à l’insu de l’enfant qui n’a et là c’est vraiment le cas de le dire « PAS SON MOT A DIRE » sur cette subtilisation. L’enfant ne joue de la dimension du symbole que pour autant qu’il est joué par elle. Nous pourrions dire que ce pouvoir pouvoir auquel il a accès dans le monde des signes , c’est exactement ce à quoi il ne peut rien dés lors que l’on fait entrer dans ce jeu là la perspective du monde des choses, du monde physique dont l’enfant a été autoritairement exflitré.

                Grâce à la langue donc, l'enfant est libre de pouvoir, parce qu'il s'insinue dans une réalité symbolique dans laquelle il est un sujet "je". Mais il n'est pas libre de ne pas pouvoir. Mais ne pas pouvoir, est-ce vraiment renoncer à tout pouvoir ou obliquer vers une autre forme d'aptitude qui serait la libération de la parole en tant que puissance (et pas de pouvoir)? Une perspective s'ouvre ici, extrêmement riche qui pourrait d'ailleurs s'orienter vers le sens le plus exact de ce que l'on entend par puissance, féminin, parole. Une parole libre ne peut s'exprimer que dans la langue mais en cassant sa matrice comme un enfant récalcitrant.


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