Le terme de guérilla vient de l’espagnol qui signifie « petite guerre » et remonte à l’occupation française du temps de Napoléon. Il désigne des petites actions ponctuelles qui évitent toujours l’affrontement frontal avec l’armée de l’occupant. Il se caractérise donc par des embuscades, des stratégies de harcèlement, de « coups de main », de sabotages. Le rapport des forces en présence étant toujours défavorable aux combattants de la guérilla, il s’agit pour eux de compenser la faiblesse de leur effectif par l’intensité et la précision de leur frappe.
Cette stratégie peut être définie en six points :
- asymétrie des forces en présence
- effet de surprise des attaques
- terrain d’action étendu et difficile d’accès
- mobilité, dispersion et flexibilité des guérilleros
- absence de ligne de front
- lien fort avec la population locale
Le lien avec le guérilla marketing se situe peut-être d’abord dans l’effet de surprise d’une publicité décalée sortant des cadres habituels de son expression. Les entreprises ou les causes concernées par ce type de promotion n’ont pas plus les moyens de lutter contre les campagnes de publicité des grandes firmes que les guérilleros n’ont le luxe de se confronter directement aux occupants. C’est le contraire de la bataille rangée. Il s’agit donc d’éviter le face à face entre un consommateur un peu blasé et des espace temps voués à des promotions. On peut ici penser à la remarque crue mais totalement vraie du PDG de TF1 Patrick le Lay affirmant : « ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. Mais rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances afin de dégager ce temps de l’attention au message. »
C’est bien là tout le contraire du guérilla marketing qui, du fait de son peu de moyens, n’a pas le temps de travailler en vue de faire peu à peu advenir le temps de la disponibilité au message. Autrement dit, alors que dans la publicité notamment télévisuelle, on tente de créer préalablement les conditions optimales favorisant la sensibilité du téléspectateur à la publicité, le guérilla marketing prend le consommateur à la gorge en faisant simultanément advenir le temps du message et le message. Le passant n’a pas le temps de se mettre dans la peau du récepteur qu’il l’est déjà de toute façon, comme si marcher, être dans la ville, était déjà assumer ce rôle d’information comme la mousse à mémoire de formes se laisse plastiquement informer des empreintes des objets par pressurisation. Comment créer dans l’espace urbain le temps de cette surprise qu’est l’instantanéité du message et du temps de le recevoir. Ce n’est plus le message qui se déploie dans le temps, c’est le temps qui se crée dans l’imprévisibilité du message, lequel, de ce fait, s’impose sans qu’il soit possible de l’éviter. Or, ce qui est intéressant, c’est le fait que cette instantanéité entre temps du message et message ne peut se concevoir que dans des décalages, des interstices, des brèches dans la normalité attendue de l’espace urbain. Il est donc bien question de créer du temps en disjoignant de l’espace citadin, en brouillant l’automaticité de ces codes et de ses transitions. Le temps de se sensibiliser à…c’est comme de l’herbe entre les pavés, ce qui pousse dans les interstices, dans les disjonctions, ce qui remet en question le caractère routinier du décor de la rue.
La violence du guérilla marketing se situe précisément dans l’indignation du passant qui peut-être réagira en disant qu’il n’est plus possible de marcher dans la rue sans se faire agresser par…mais, en même temps, c’est comme si cette agression promotionnelle nous éveillait à la conscience de cette dimension sous-jacente effective en toute ville qu’est ce que l’on pourrait appeler « le fond idéologique de sa disposition ». On ne peut pas circuler dans un quartier sans y saisir ce fond d’efficience codé entre des résonnances, lesquelles constituent un ensemble. Marcher dans une rue, qu’on le veuille ou pas revient donc à s’intégrer dans ce jeu de reflets, d’échos par quoi nous y agissons nous-mêmes comme élément conducteur ou réfracteur des flux idéologiques qui y circulent. Il n’est pas question pour le guérilla marketing de prendre brutalement le contre-pied de ces flux ce qui reviendrait nécessairement à s’y soumettre d’une autre manière : faire une pub en faveur d’ATD quart monde sur les Champs Elysées, c’est jouer d’un contraste idéologique sur le fond d’une signifiance idéologique reconnue et finalement consentie. Beaucoup plus fine et marquante serait l’action guérilla marketing entreprenant de casser la couche épaisse de cette structure de renvois idéologiques pour révéler « de la pure plasticité urbaine », de « la plage sous les pavés » (slogan de mai 68), jouer de la symbolique d’un élément du décor, de la courbe d’un réverbère ou de l’aplomb sentencieux d’un sens interdit pour les ramener, par un décalage finalement révélateur à la simplicité matérielle et crue de la verticalité d’un panneau de signalisation ou à la linéarité d’un passage clouté.
Il s’agit toujours de créer du message sur ce fond d’efficience d’une matérialité « parlante » mais la force du message vient de ce que ce caractère parlant, édifiant des bâtiments et du décor urbain sera démasqué, exhibé pour ce qu’il est. Dessiner un monsieur propre sur la bande blanche d’un passage clouté c’est révéler derrière l’injonction à traverser ici plutôt que là parce que c’est autorisé la blancheur immaculée de la bande. La guérilla, c’est toujours la défiance à l’égard de l’autorité mais au-delà de ce message politique, c’est peut-être aussi le rappel à une réalité immédiate sur laquelle l’autorité n’a pas prise, un peu comme lorsqu’on voit un pommier pousser exactement sur la limite cadastrale entre deux parcelles.
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