mercredi 1 avril 2020

Séance du 02/04/2020 CALM (Cours A La Maison) 1ere 3: 1h

Bonjour,

            
Nous reprenons aujourd’hui le texte de Spinoza et le situons par rapport à cette question de l’usage de la fiction en politique. Ce texte est une critique de Platon, du début jusqu’à la fin. Que disait Platon? Que l’on pouvait parfaitement décrire une république idéale de la même façon que l’on attend d’un artiste qu’il peigne la beauté sans pour autant exiger de lui qu’il fasse exister réellement la beauté qu’il peint. Avant d’analyser le texte de Spinoza, il nous faut vraiment réfléchir à ce que veut dire Platon. Selon lui, il existe un cercle vicieux que la politique doit rompre: il ne peut exister d’hommes justes que si ils sont éduqués dans une cité juste. Mais le problème c’est qu’il ne peut exister de cité juste que si elle est composée par des hommes justes. C’est un peu comme le problème de l’oeuf et de la poule. Où trouver des hommes justes si aucune cité ne les rend justes? Mais comment concevoir une cité juste si les hommes réels sont injustes? Pour rompre ce cercle qui ne nous mène nulle part, il faut donc d’abord réfléchir à ce que serait la cité idéale, et finalement quand on en regarde la structure, on se rend compte que ceux qui la dirigent sont des hommes dont l’âme est naturellement tournée vers la contemplation des Idées. Platon adhère finalement au principe d’une hiérarchie des âmes à partir de laquelle on peut bâtir une hiérarchie des classes, avec évidemment les philosophes au sommet de la pyramide.
  

        C’est très exactement cette présence de l’idéal en politique que Spinoza va s’efforcer de contredire, de combattre. Toute la philosophie de Spinoza peut d’ailleurs se concevoir comme une remise à plat des valeurs et des idéaux. Il s’agit, pour lui, aussi bien en philosophie qu’en religion, de revenir sur le présupposé de la transcendance, c’est-à-dire de la croyance en des entités supérieures comme Dieu, ou les idéaux de justice, de beauté, de vérité. Dieu existe mais  il est la nature, il est « ce qui est ». De même les valeurs sont en réalité portées par le désir. Ce n’est pas parce qu’une femme serait absolument BELLE que tel homme la désire, c’est au contraire parce qu’il la désire qu’il crée et constitue finalement de toutes pièces sa beauté, laquelle est moins une valeur supérieure que l’émanation d’un désir réel.
        Pour Spinoza, chacune et chacun de nous est fondamentalement une puissance distinguez bien puissance de pouvoir: nous allons y revenir) et que veut cette puissance? Persévérer dans son être, continuer à exister. Or nous sommes tous en tant que puissance affecté par des passions. Nous le sommes nécessaires: certaines de ses passions sont joyeuses et nous permettent d’accroître notre puissance d’autres sont tristes et étranglent ou diminuent le flux de cette puissance. Spinoza ne croit pas à la liberté des hommes. Regardez ce qui vous fait agir, et nécessairement vous trouverez une passion, c’est-à-dire un affect qui va influencer votre puissance de telle ou telle façon. Elle va vous donner envie d’exister ou pas. Tout dans notre vie est affaire de rencontres, lesquelles vont susciter des affects qui à leur tour vont entrainer des actions. C’est très simple, en fait.


                « Les philosophes conçoivent les affects qui se livrent bataille en nous, comme des vices dans lesquels les hommes tombent par leur faute, c’est pourquoi ils ont accoutumé de les tourner en dérision, de les déplorer, de les réprimander, ou, quand ils veulent paraître plus moraux, de les détester. Ils croient ainsi agir divinement et s’élever au faîte de la sagesse, prodiguant toute sorte de louanges à une nature humaine qui n’existe nulle part, et flétrissant par leurs discours celle qui existe réellement. Ils conçoivent les hommes en effet, non tels qu’ils sont, mais tels qu’eux-mêmes voudraient qu’ils fussent : de là cette conséquence, que la plupart, au lieu d’une Éthique, ont écrit une Satire, et n’ont jamais eu en Politique de vues qui puissent être mises en pratique, la Politique, telle qu’ils la conçoivent, devant être tenue pour une Chimère, ou comme convenant soit au pays d’Utopie, soit à l’âge d’or, c’est-à-dire à un temps où nulle institution n’était nécessaire. »
          Et nous comprenons dés lors le début du texte: de nombreux philosophes (et on peut d’emblée penser à Platon) prennent en grippe cette notion d’affects. Effectivement nous sommes passifs devant ces affects mais les passions joyeuses nous permettent d’accroître notre puissance. Platon méprise tout ce qui vient du corps au bénéfice de l’âme. Dés lors se crée dans la philosophe de Platon cet écart entre l’homme tel qu’il est et l’homme tel qu’il devrait être, tout simplement parce que l’home juste est celui dont l’âme est juste. A partir de ce modèle de ce qu’un homme aurait à être, l’écrasante majorité des hommes ne saurait être à la hauteur de l’idéal politique platonicien. C’est finalement cet écart qui rend nécessaire et incontournable l’exercice d’un pouvoir, lequel va contraindre les puissances que nous sommes. On mesure bien ici à quel point toutes les théories philosophiques qui reposent sur la distinction du corps et de l’âme impliquent un pouvoir alors que celles qui comme Spinoza défendent l’idée selon laquelle le corps et l’âme sont une seule et même chose vue de deux points de vue différents s’orientant politiquement vers une conception visant à libérer les puissances.
          
Il est ainsi de bon ton de critiquer les affects de l’Homme quand on est philosophe, dit Spinoza. Le rapprochement entre Machiavel et Spinoza peut ici être souligné même si Spinoza serait en désaccord complet avec le cynisme de Machiavel dans la description de ce qu’un prince a à être. Sur quelle idée se rapprochent-ils cependant? Sur la soumission de la politique à la morale. Jusqu’à Machiavel, en effet, la politique n’était pas considérée comme une pratique spécifique, comme un domaine qui pourrait aspirer à constituer une sphère à part entière. L’influence de Platon et d’Aristote soumettait l’exercice de la politique à la vertu. Avec Machiavel apparut finalement LE politique, c’est-à-dire l’idée qu’il pouvait exister une vertu spécifique du politique, une habileté proprement politique, n’ayant plus à se soucier d’être vertueuse (avec tout ce que cela implique)
        Or toute l’oeuvre de Spinoza peut-elle aussi se concevoir comme une révocation un rejet de la notion même de morale au profit de la  notion d’éthique. Qu’est-ce qui distingue la maorie de l’éthique? Autant la morale pose la question: « que dois-je faire? », c’est-à-dire comment faire en sorte que ce que je suis corresponde à ce que je dois être moralement (en me conformant à des principes généraux), autant l’éthique essaie plutôt de répondre à la question comment puis-je m’adapter à chaque situation de telle sorte que je ne me renie pas, que je ne me trahisse pas? L’Ethique s’efforce de maintenir la puissance dans laquelle je consiste, de ne pas se défaire, se disperser alors que la morale impose que j’exerce un pouvoir sur mes passions, que je sois un sujet maître décideur et responsable de mes actions. La morale veut des sujets responsables, l’éthique veille à ce que je demeure un existant intègre, capable de libérer et de se libérer en tant que puissance grâce à des affects joyeux.       
        Envisageons une modalité politique de structure de la société telle qu’elle favorise en chacune et en chacun de nous la rencontre avec des affects dotés de la capacité d’augmenter cette intensité de vie que nous sommes et nous nous représenterons la politique selon Spinoza. Il s’agit de ne pas se méprendre sur soi et de réaliser qu’il n’est pas question de savoir différencier le bien du mal (morale) mais plutôt de saisir rapidement la différence entre les affects joyeux et les affects tristes. « On ne sait pas ce que peut un corps » dés lors qu’il est placé dans une configuration dont les affects lui donnent la possibilité de libérer la puissance dans laquelle il consiste. Nous ne sommes pas « quelqu’un », nous sommes « ce que nous pouvons » et nous n’avons pas idée de ce que nous pouvons dés lors que nous cessons de nous imposer des limites morales ou de subir l’effet de contrainte de personnes qui veulent nous imposer un pouvoir, au nom de certain idéaux. Chacune et chacun de nous a déjà fait la malheureuse expérience de rencontrer des stimulateurs de passions tristes, des culpabilisateurs nés, des experts en contrition, en pénitence, en remords, en « esprit de sacrifice ». C’est ce qu’il nous faut fuir à vitesse grand V.
   

        « C’est plus comme avant, c’est plus ce que c’ était, ce n’est pas comme il faudrait que ce soit, etc. » Voilà les mots d’ordre de ces rabatteurs professionnels de passions tristes. La politique de Platon est d’une autre dimension, mais elle situe bien notre rapport aux lois dans cette problématique de la répression de nos appétits au profit de la compréhension par notre raison d’un intérêt général (Les lois - Platon).
            
La référence finale à l’âge d’or est à resituer dans la mythologie, notamment dans les travaux et les  jours du poète Hésiode qui décrit les races successives crées par les Dieux:

- La race d’or : l’âge de Cronos. Jeunesse perpétuelle. Abondance et paix.
- La race d’argent : infantile plutôt que jeune. Sans justice (Diké) et péchant par démesure (hubris).3
- La race de bronze : elle ne songe qu’aux travaux gémissants d’Arès et aux œuvres de démesure. Âge de la guerre : les guerriers succombent en s’entretuant.
 - La race des héros : âge de l’épopée. C’est le chant d’Homère. Les autres vivent dans les Iles des Bienheureux, aux confins du monde.
- La race de fer : la race parmi laquelle vit Hésiode, le poète. Elle est soumise à la fatigue et aux angoisses, au dur labeur. Elle laissera la place à :
- La race sans nom (Hésiode ne la baptise pas) : les hommes naîtront avec des tempes blanches : la perpétuelle jeunesse de l'âge d'or est à jamais perdue. Plus de respect, le seul droit (dikê) sera la force.
                                                       Cours de Jacques Darriulat

               Dans cette description chaque « race » correspond à un âge et nous voyons bien que plus on avance, plus on périclite, plus on arrive à cette « Race sans Nom » dans laquelle il ne semble pas faire de doute que nous, aujourd’hui, consistons. Mais bien évidemment c’est de la mythologie qui correspond à la fiction d’un temps « où nulle institution n’état nécessaire ». Plus que toute autre pratique,  la politique doit s’inspirer davantage d’une éthique que se soumettre à une morale ou à un devoir-être. Pourquoi? D’abord parce que nous ne sommes pas nés avec ce devoir d’être mais plutôt poussés par cette puissance d’exister, ensuite parce que la politique est l’art de concevoir une cité c’est-à-dire d’organiser les rencontres les plus à même de susciter les affects libérateurs de puissance. La possibilité de « vivre ensemble » que met ainsi à notre disposition la cité ou l’état est alors celle de « devenir ce que nous sommes » étant d’entendu qu’il n’est rien d’autre que nous puissions envisager rationnellement.  C’est à cet usage là de notre raison que nous convie Spinoza et nous pouvons à bon droit le qualifier « d’usage politique de la raison de l’Homme. »

C’est tout pour aujourd’hui. Pour la semaine prochaine, je vous demande de répondre à ces deux
questions:

1) Qu’est-ce qui différencie les conceptions de la politique de Platon et de Spinoza?
2) La période que nous vivons en ce moment (contexte de pandémie) nous permet-elle de mieux appréhender la politique? Justifiez votre réponse.

GARDEZ LE MORAL!


Je vous souhaite une très bonne semaine. Portez vous bien!

Normalement je suis un affect qui libère de la passion joyeuse!

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