jeudi 2 avril 2020

Séance du 03/04/2020 CALM (Cours A La Maison) TL2: 2H

  
Bonjour,
Finalement, nous avons passé tous les cours de cette semaine à citer et expliquer des éléments visant à traiter la question: « Ne peut-on tenter de connaître la réalité qu’en créant des fictions? », d’abord parce que plusieurs parmi vous m’en avaient fait la demande et ensuite parce qu’il est tout à fait pertinent d’aborder une œuvre avec une question en tête: cela permet de lire Nietzsche avec une arrière pensée et il me semble que cette arrière pensée là est vraiment de nature à nous faire comprendre de nombreux passages de l’œuvre.
        Cela veut dire que, même si vous envisagez de traiter plutôt le texte (pour l’instant toutes et tous les élèves qui m’ont parlé du prochain devoir n’ont évoqué que la dissertation), il est vraiment judicieux d’envisager cette question. De plus elle prépare largement le terrain pour deux notions qui sont à votre programme: « l’Art » et « la Science ».
        Si vous avez des difficultés, des zones obscures qui vous empêchent de rentrer dans ce sujet, contactez moi par ce blog ou par mail et je consacrerai d’autres séances à répondre à vos questions.  Profitez de ce que ces conditions nous permettent de faire: à savoir « des cours à la carte », mais pour cela il me faut des questions. Il est important que je me rende compte de ce qui pose problème à la plupart d’entre vous pour concevoir des cours qui puissent répondre à la majorité.
Merci d’avance!

     
      
        Nous allons reprendre l’explication de l’œuvre de Nietzsche là où nous avions laissée à savoir le §8. Nous n’avions pas fini. Pour faire le lien prés cette interruption, nous avions vu les deux comparaisons utilisées par Nietzsche pour décrire cette sorte de tautologie, de processus pléonastique dans lequel, selon lui, la science consiste. Je reproduis ici la fin du §8:

         En tant que génie architecte l’homme s’élève loin au-dessus de l’abeille: celle-ci bâtit avec la cire qu’elle recueille dans la nature, lui avec la substance bien plus délicate des concepts qu’il doit élaborer en partant rigoureusement de lui-même. En quoi il il est ici très admirable - mais sûrement pas pour son instinct de vérité, ni pour la pure connaissance des choses. Si quelqu’un cache une chose derrière un buisson, qu’il la recherche au même endroit et la trouve en effet, on ne va pas spécialement célébrer cette recherche et cette trouvaille: pourtant c’est bien ainsi que les choses se passent avec la recherche et la découverte de « la vérité » dans le secteur de la raison. Quand je procède à la définition du mammifère et que j’explique ensuite, ayant examiné un chameau: « regardez un mammifère » - une vérité a certes été mise au jour, mais sa valeur est limitée, je veux dire qu’elle est de part en part anthropomorphique et ne contient pas le moindre point qui soit « vrai en soi », effectif et valable universellement, indépendamment de l’homme. Celui qui recherche de telles vérités ne cherche au fond que la métamorphose du monde dans les hommes, il se bat pour une compréhension du monde en tant que chose humaine, et conquiert, dans le meilleur des cas, le sentiment d’une assimilation. De même que l’astronome observait les étoiles comme étant au service des hommes et en rapport avec leurs joies et leurs peines, de même un tel chercheur observe le monde entier comme étant attaché à l’homme, comme l’écho chaque fois déformé d’un son originel, celui de l’homme, comme la reproduction multipliée d’une image originelle unique: celle de l’homme. Son procédé consiste à prendre l’homme comme mesure de toutes choses; en quoi il s’appuie sur l’erreur de croire qu’il tient ces choses devant lui comme de purs objets. Il oublient donc les métaphores originales de l’intuition sensible en tant que métaphores et les confond avec les choses mêmes. (§8)
               

La comparaison avec l’abeille permet à Nietzsche de reprendre l’image des cellules et donc du colombarium, mais aussi de suggérer que de même que l’abeille fait son nectar à partir du pollen, le scientifique fait lui aussi son « miel » à savoir des concepts, à partir de ce qu’il collecte de la nature, mais précisément ce qu’il recueille est déjà transposé, déformé, humanisé. Il croit connaître la nature quand il commence déjà à la transformer en autre chose, du fait même qu’il la perçoit « d’une certaine façon ». Ce « déjà » est fondamental: il fait référence à la sensation. Dés la sensation, tout est joué puisque cette sensation va provoquer l’image de sa cause supposée, laquelle sera étiquetée par un mot. Nous retrouvons ici la double métaphorisation de la perception.
         Suivent alors les deux exemples illustrant le « travail » de la science. Comme nos perceptions sont toujours déjà structurées (et parasitées) par le langage, ce que nous éprouvons du contact avec le réel est « déjà » du concept et , par exemple, en affirmant qu’il y a UNE cire là où nos sens nous donnent à percevoir une mutation, une variation d’apparences, l’homme, a fortiori le scientifique apercevra le concept général de cire ou bien il percevra la molécule H2O dans la glace et dans la vapeur. Et ici chacun de nous doit bien comprendre que cette molécule est bien, en effet, dans la glace et dans la vapeur, mais qu’elle n’y est pas une réalité dernière et naturelle « donnée », elle y est comme une façon de voir « construite », c’est-à-dire qu’il y a en effet quelque chose de typiquement et universellement humain à percevoir de cette façon une réalité fluctuante. C’est humainement juste mais encore faut-il reconnaître que ce n’est qu’humainement, ou en d’autres termes linguistiquement juste. Quant à la vérité pure de la réalité en soi de cette cire ou de cette eau: il serait préférable de renoncer à affirmer que nous la connaissons. Nous « croyons » la connaître, mais nous la connaissons conceptuellement parce que nous l’avons déjà perçue comme telle. C’est donc exactement comme si je m’extasiais d’être capable de retrouver une chose que j’avais cachée. Je sais forcément où elle est puisque c’est moi qui l’ai dissimulée! De même je peux toujours dire qu’un chameau est un mammifère. Cela repose d’abord sur la croyance que cet animal existe en tant que chameau, ce qui pose la question de l’existence singulière de chaque animal de cette « espèce » (la notion d’espèce est dans l’esprit humain, pas dans la nature), ensuite qu’on puisse lui donner « ce nom », et enfin que l’on puisse encore catégoriser les espèces selon que les mères nourrissent leurs enfants avec du lait (définition des mammifères) et pourquoi ce critère de distinction serait-il plus juste qu’un autre? Quand nous disons qu’un chameau est un mammifère, c’est « vrai » mais à ‘intérieur d’un cadre humain et linguistique. C’est vrai à partir du moment où l’on a validé des critères de catégorisation qui en fait sont subjectifs et cela ne nous apprend rien sur la réalité de cet individu dont nous disons qu’il est un chameau et qu’il est mammifère.
           
           La portée de cette citation est donc à reformuler: « l’homme se prend pour la mesure de toutes choses » comme si ces choses étaient simplement posées distinctement devant lui. Nous en sommes restés à ce critère de la vérité que l’on trouve chez Descartes de « l’idée claire et distincte. »: « la connaissance sur laquelle on peut établir un jugement indubitable doit être non seulement claire, mais aussi distincte. J'appelle claire celle qui est présente et manifeste à un esprit attentif ; de même que nous disons voir assez fort, et que nos yeux sont disposés à les regarder ; et distincte, celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres, qu'elle ne comprend en soi que ce qui paraît manifestement à celui qui la considère comme il faut. »
        Mesurons à quel point cette définition de l’idée vraie selon René Descartes est anthropocentriste: Une connaissance est vraie quand nous pouvons la concevoir clairement et distinctement, c’est donc dans la clarté de la représentation de l’objet que l’homme peut concevoir que se situe l’effectivité de sa vérité. Cette « vérité » prête totalement le flanc à la critique de Nietzsche ici, dans la mesure où elle fait consister la vérité dans le rapport entre l’objet et l’esprit humain, procédé par lequel l’homme va chercher derrière le buisson le trésor qu’il y avait déposé.
            
C’est précisément sur cette notion de distinction qu’une fois de plus il faut insister, car la nature ne se manifeste aucunement à nous comme un objet mais bien comme une réalité dans laquelle nous sommes confondus et immergés.  En 1835, Auguste Comte, dans son cours de philosophie, affirme: “nous ne saurons jamais étudier, par aucun moyen la composition chimique des étoiles”. Il se trouve que c’est à la même époque que l’astrophysique a pu pourtant établir clairement que le soleil et les étoiles étaient composés d’Hydrogène et d’Hélium.  Or il est très révélateur de situer Nietzsche par rapport à ce cruel démenti du philosophe français par l’astronomie, car il se situerait ni du côté de l’un ni du côté des autres. Auguste Compte a donné naissance au courant positiviste, courant selon lequel le travail de la science est de servir l’homme, de lui donner une emprise effective sur le monde et de favoriser ainsi les progrès de l’homme. On mesure, rien qu’en le formulant, l’amplitude du désaccord fondamentale entre le positivisme et les thèses Nietzschéenne. Elles se situent aux antipodes l’une de l’autre puisque le positivisme revendique un anthropocentrisme forcené. Pour autant la composition chimique des étoiles par l’astrophysique ne convainc que moyennement le philosophe allemand. Cette composition aussi éclairante soit-elle nous apporte des éléments sur ces étoiles mais aucunement leur vérité. Ce qui est plus intéressant encore consiste à pointer que l’hydrogène est également ce qui se retrouve dans le corps humain dans une proportion de 10%. L’univers le plus éloigné est ce « dans quoi » nous sommes constitués, et non un objet de science. Si extériorité il nous faut conquérir, c’est dans l’humilité de notre immersion au sein d’un univers qui nous dépasse, nous compose et suit son cours indépendamment de nous. Pour ce faire, les métaphores premières de la tragédie et de la mythologie nous sont aussi utiles que les métaphores secondes et conceptuelles de la science.

Seul l’oubli de ce monde métaphorique….légitimité exclusive de cette métaphore (§9):  Nous suivons les thèses Nietzschéennes jusqu’à leurs principes fondamentaux, car dans cette remise en cause des métaphores conceptuelles de la science, se profile une perspective bien plus radicale encore: l’affirmation de la nature esthétique entre l’excitation nerveuse et l’image que nous en concevons. En d’autres termes, le fait que nous passions immédiatement et comme automatiquement de la sensation de la piqure à l’image de l’aiguille est « accessoire », ou du moins gratuite, en tout cas absolument pas nécessaire. Il n’existe aucune relation de causalité entre l’aiguille et la piqure. Comment peut-on dire ça? Une telle affirmation ne peut que nous sembler profondément délirante, inexacte, incompréhensible, car nous n’éprouvons jamais de sensation sans immédiatement lui assigner la cause qui explique à nos yeux que nous la ressentions. C’est exactement la raison pour laquelle nous dissocions toujours le sujet affecté et l’objet qui l’affecte, en l’occurrence l’aiguille. Mais c’est justement en cela que nous nous trompons, et si jusqu’à maintenant l’insistance de Nietzsche à pointer le rapport fondamentalement métaphorique de l’homme à la réalité nous semblait envisageable voire cohérent, il nous convient de le suivre jusqu’à ses conséquences les plus dérangeantes pour notre santé mentale et nos conceptions habituelles.
            

                   Il s’est bel et bien passé quelque chose: la sensation de la piqure, mais que celle-ci ait été causée par l’image que je me représente de l’aiguille est une supposition, une représentation, une « illusion objective », entendons par là: l’illusion de poser comme cause de cette piqure un objet extérieur que l’on s’imagine de cette façon. Pourquoi semble-t-il impossible de comprendre l’œuvre de Nietzsche sans partir de cette constante qu’est le primat qu’il accorde au monde esthétique sur le monde scientifique? Tout simplement parce que c’est métaphoriquement que nous passons de la piqure à l’aiguille, et qu’en ce sens, nous sommes des artistes, des écrivains nés. Métaphoriser, c’est porter au-delà, précisément porter la piqure dans cet au-delà qu’est l’aiguille et créer ainsi de toute pièce un monde d’objets qui serait comme une sorte de prolongement, de conjecture idéale, d’extrapolation rêvée, d’utopie logique créé par notre désir de « monde » et probablement au-delà de lui, notre instinct de croître et de survivre. S’il y a une piqure, il doit bien y avoir une aiguille. « Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations »: cela veut dire aussi qu’il n’y a pas d’aiguille, en tout cas pas d’aiguille objective. Des faisceaux d’interprétation impressive qui foisonnent, s’entrecroisent et tissent continuellement cette sorte de maillage dans les fils desquels se tricotent nos existences: telle est la réalité.
        Il faut aller jusque là: le rapport au monde qui s’instaure dés la perception, dans son émergence la plus immédiate et la plus brute est « poétisée ». Toutes ces images auxquelles nous faisons crédit, que nous considérons comme « dignes de foi » sont des métaphores des sensations. Dans la hiérarchie des facultés de connaissance, telle qu’elle a été instaurée, Nietzsche appelle à une redistribution de la donne: ce que nous nous représentons réellement du monde n’est ni le pur produit de nos sens puisque nous les dépassons, mais ce n’est pas non plus le produit de l’entendement: le concept puisque celui-ci est une extrapolation des métaphores conceptuelles, c’est donc le fruit de notre imagination:
« Notre monde extérieur est un produit imaginaire où des imaginations antérieures ont de nouveau été utilisées, comme activités habituelles et rompues à l’exercice, pour le construire. Les sons, les couleurs sont des produits de l’imagination et ne correspondent pas du tout de manière exacte au processus mécanique effectif, mais à notre condition personnelle. »
          

                 Nous sommes pris dans les filets du langage, lequel consiste, comme nous l’avons vu, dans l’efficience constante d’un processus de métaphorisation du réel. Quelle que soit la réalité brute qui nous touche, nous la « portons au-delà », nous la transposons sous la forme d’une image  avec laquelle elle entretient des rapports indirects d’analogie, mais comprenons bien à quel point aucune perception dés lors n’échappe à cette transposition. Nous poétisons inconsciemment et continuellement notre rapport au monde. C’est en ce sens que nous sommes des rêveurs nés ou des artistes nés, comme on voudra. Dés lors toute définition de la vérité en tant que conformité s’écroule. Les métaphores les plus vraies sont les métaphores les plus vives, les plus fortes, les moins usées, les moins sclérosées dans l’habitude. Nous comprenons ainsi comment le vrai est ainsi en train de glisser vers un autre critère qui pourrait bien être celui de l’art. Tout comme un bon écrivain se distingue d’un mauvais en utilisant des métaphores inattendues, telles visions de mondes ne sont plus vraies que dans l’exacte mesure où elles sont plus intenses, plus originales, plus expressives. Nous sommes partie prenante de ces perceptions de la nature parce que la métaphorisation perceptive qui s’effectue à choc sensitif mobilise notre imagination, mais à cause de cela, nous sommes d’inlassables traducteurs du texte primitif du réel. Nous sommes les déchiffreurs d’une partition musicale dont l’interprétation correcte n’existe pas, comme c’est évidemment le cas pour toute composition.
          
La croyance en une vérité pure, objective et universelle de la nature est donc non seulement une erreur totale de perspective, mais plus encore un dogme étouffant, appauvrissant, stérilisant par le biais duquel nous nous imposons des oeillères à nous-mêmes, nous entretenons le mythe inhibant d’UNE perception correcte. L’erreur de perspective se révèle une incompréhension du foisonnement de perspectives dans lesquelles consiste le réel Il est impossible de comprendre autrement le début de ce §, notamment la référence à « ce » soleil, à « cette » fenêtre, etc. Nous nous ignorons créateurs, parce qu’il nous faudrait aussi composer avec les implications de cette fatale absence de « monde en soi », de vérité UNE, universelle. Il nous faudrait convenir que la conscience que nous avons de nous-même est fallacieuse. Ô combien trompeuse et rassurante est cette croyance dans un univers « UN », dans une réalité donnée, posée en dehors de nous comme un objet perceptible par un sujet libre, responsable et surtout conscient. « Un » soleil, « Une » chaise, « Une » fenêtre.
        L’idée que l’on puisse dire la vérité lorsqu’il y a adéquation entre la proposition et le fait, entre la chose et l’idée, entre le jugement portée sur une réalité et cette réalité même est « contradictoire », selon l’auteur puisque le rapport entre l’homme et le monde, entre le sujet et le supposé « objet » sont des rapports de métaphorisation. Personne n’attend de la dénomination: « « faucille d’or dans le champs des étoiles » qu’elle dise la vérité de la lune, qu’elle corresponde avec son objet puisque précisément le sens même dans lequel elle consiste réside dans la dimension autre dans laquelle elle nous fait passer et dans l’analogie de la forme. Toute la force de la position Nietzschéenne consiste à poser qu’il n’existe pas de description vraie, conforme de ce que la lune « est ». Même les analyses ou les clichés scientifiques les plus pointus de la lune constitueront dans des déplacements qui contiendront des éléments de comparaison intéressants mais certainement pas « vrais ».
         
Dans son commentaire de l’œuvre , Marx de Launay propose un exemple très intéressant: connaîtrons-nous jamais la vérité d’un phénomène aussi simple que la réfraction? On sait que Descartes nous en propose une version géométrique, à savoir le rapport constant entre les sinus de l’angle des rayons incident et celui du rayon réfléchi mais cette « explication » nous donne une interprétation du comment et pas du pourquoi, c’est-à-dire de la raison pour laquelle nous voyons le bâton droit tordu dans l’eau. Deux siècles plus tard, on interrogera, dans une perspective plus physique que mathématique la plus forte densité de l’eau par rapport à l’air ralentissant la course des photons dans un liquide et causant la distorsion visuelle du bâton. C’est « scientifique » et pour autant, n’est-ce pas exactement à une succession d’interprétations du réel, que nous avons affaire? Autant dire qu’aussi bien dans la perspective de Descartes que pour celle, physicienne, de Huygens, nous prenons connaissance de deux métaphores du phénomène qui la transposent dans deux domaines « autres », « humains », différents de lui, celui de la géométrie et celui de la physique. Ce n’est même pas que nous ne puissions pas connaître la vérité de la réfraction, c’est tout simplement que celle-ci n’existe pas. Nietzsche n’est pas tant sceptique que profondément empiriste, « empiriste esthétique" en ce sens que nos sensations ne nous révèlent rien mais stimulent exclusivement notre instinct créateur de métaphores, notre puissance poétique, et cela aussi bien quand nous faisons de la géométrie que de la littérature.
        Une fois révoquée l’idée même qu’il y ait un lien de nécessité, de causalité entre la piqure et l’aiguille, entre la stimulation nerveuse et l’objet qui est supposé « la causer », le rapport de l’homme au monde n’est plus de connaissance, ni même de compréhension mais de création. Nous n’avons plus qu’à concevoir des images figurant un rapport d’analogie, comme « l’aurore aux doigts de rose », pour reprendre l’exemple de Homére cité par Marc De Launay, décrit l’aube.
         
Il n’y a pas d’essence des choses, de nature unique et profonde des choses. Nietzsche ne croit pas au monde la caverne de Platon. Par conséquent, le peintre manchot qui chanterait son tableau plutôt que de le peindre révèlerait plus son motif par cette transposition que  ne le ferait la réalité sensible d’une supposée vérité intelligible dont elle serait l’apparence.
        Mais alors pourquoi cette obstination à désigner l’aiguille comme cause de la piqure? Pourquoi cette certitude que se profile un monde de choses, de substances objectives dans le prolongement de nos sensations subjectives? Tout simplement à cause de l’habitude, répond Nietzsche, dans une perspective qui rappelle celle du philosophe écossais Hume. Nous déduisons la causalité de la répétition. Ce n’est pas parce que je vois toujours l’eau bouillir à 100° que ce sont les 100° degrés qui font bouillir l’eau, et même si je crée moi-même l’ébullition en atteignant les 100° je n’aurai prouvé que la corrélation, pas la causalité, j’aurai joué sur le « ET »: l’eau est à 100° degrés ET elle bout mais je n’aurai pas fondé le PARCE QUE. En un sens Emmanuel Kant n’est pas totalement opposé à cette conception puisque il affirme que c’est à partir des catégories de notre entendement parmi lesquelles il faut compte la causalité que nous constituons les phénomènes, que nous posons des rapports entre eux, mais il n’en considère pas moins que cette causalité est effective parmi les phénomènes. Sur ce point, Marc De Launay insiste sur la lecture rapide, superficielle, et peut-être inexistante par rapport à tout ce qui d’elle concerne la connaissance de l’oeuvre de Kant Par Nietzsche. De fait, ce passage est étonnant: « Le mot « phénomène » contient des séductions nombreuses, et c’est pourquoi je l’évite autant que possible: car il n’est pas vrai que l’essence des choses apparaisse dans le monde empirique. »   
                           
C’est précisément ce que suppose le terme même de phénomènes et sa distinction Kantienne avec le noumène (la chose en soi). La différence entre Kant et Nietzsche se situe plutôt dans la considération de la chose en soi: elle n’existe pas selon Nietzsche, un peu comme l’interprétation « correcte » d’une symphonie de Beethoven n’existe pas mais s’effectue dans toutes ses interprétations, dans et par la multiplicité. Kant distingue ce que nous percevons de la réalité: le phénomène, et ce que nous ne pouvons pas en percevoir: le noumène. Il pose des limites à la connaissance humaine, alors que Nietzsche déplace radicalement la question: ce que nous appelons connaissance est , plus encore que cette construction du phénomène qui pour Kant se fait par le biais de « catégories » et accède ainsi à une forme d’universalité « objective », une métaphorisation de la réalité du fait de l’influence déterminante du langage sur nos jugements, nos pensées, nos perceptions et finalement notre existence en général. Autrement dit avec Nietzsche, il n’existe pas de « face-à-face », de « vis-à-vis » de l’homme avec le monde. Ce « qu’il y a » c’est simplement cette multiplicité de forces données, naturelles (la volonté de puissance) dans lesquelles nous sommes purement et simplement animés du désir de nous conserver, mais en empruntant pour ce faire toutes les ressources possibles, parmi lesquelles se situe cet intellect qui nous trompe et qui se trompe lui-même.


C’est tout pour aujourd’hui. Je ne vous pose qu’une petite question à laquelle vous pouvez répondre en quelques lignes:

Pourquoi peut-on dire que, pour Nietzsche, nous sommes naturellement voués à être des artistes « avant » d’être des scientifiques?

Je vous souhaite un bon week-end.

A lundi et prenez soin de vous!

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