mercredi 15 avril 2020

Séance du 16/04/2020 CALM (Cours A La maison) 1ere 3: 1h

Bonjour à toutes et à tous,

Ça vous dit un p'tit cours de philo?
   
Si j'en fais trop, vous me dites!
Avant de reprendre l’explication du texte d’Aristote, texte fondateur dans la mesure où l’auteur jette les bases d’une réflexion sur le politique court-circuitant totalement le cadre utopique de la République chez Platon, peut-être convient-il de reprendre à très grands traits ce passage de LA politique au politique. Quelque chose de fondamental s’exprime dans le fait que ce mot va petit à petit passer du féminin au masculin. Dire qu’il existe quelque chose comme « le » politique, c’est suggérer qu’il caractérise un domaine particulier, spécifique et surtout dont il est légitime qu’il ait ses propres buts. Même si ce n’est pas avec lui que cet usage a commencé, nous comprenons très bien que c’est à la renaissance avec Machiavel que s’esquisse cette considération avec toutes ses conséquences. Mais quelles conséquences? Avant la Renaissance, il était impossible de concevoir la politique sans la soumettre à la morale. Avec Platon, nous mesurons tout ce que cette indexation de la politique à la morale induit, à savoir une réflexion sur la valeur pédagogique du bien de la cité à l’égard des citoyens. Réfléchissant sur ce que la cité « doit être » au regard de ce que les citoyens doivent être, nous nageons finalement en plein utopie.
     

        Avec Machiavel, nous avions déjà montré à quel point toutes les thèses qu’il avance sur le pouvoir sont une totale subversion de la politique selon Platon. Nous pourrions même dire que c’est exactement son reflet inversé: alors que pour Platon la politique est d’emblée soumise à la morale, pour Machiavel, la morale devient un instrument du politique et donnant des conseils à tous les souverains du monde, Machiavel leur suggère explicitement de ne pas avoir de vertus morales mais de paraître les avoir parce que cela importe aux yeux du peuple. Il importe de ruser avec la morale et c’est un peu cela la politique, un art du semblant voué à une seule finalité: maintenir la paix civile dans l’état.

  

 
(Juste une petite incise à ce propos, il m’est arrivé notamment dans mes réponses à certains travaux que vous m’avez envoyés de faire allusion à cette très bonne série de David Fincher « House of cards », précisément parce que l’on y voit un homme: Francis Underwood user de tous les moyens possibles (mais vraiment tous) sans aucune limitation morale pour parvenir et se maintenir au pouvoir. Les deux premières saisons de cette série sont vraiment intéressantes, mais il est totalement impossible de comparer Francis Underwood au Prince selon Machiavel, notamment parce qu’il va aller jusqu’à profiter du climat de terreur créé par le terrorisme et même le susciter pour rester au pouvoir malgré les nombreuses tentatives de ses ennemis politiques pour le destituer. Le Prince de Machiavel n’irait pas jusque là dans la mesure où précisément le souci politique de stabilité demeure finalement le seul qui puisse prévaloir sur tous les autres. Ce n’est pas la soif d’un pouvoir illimité qui anime le prince mais l’exercice d’un pouvoir tout court. Le devoir de ruser pour que le pouvoir soit assuré manifeste la volonté de Machiavel de destituer la morale mais certainement pas pour la soumettre aux caprices des appétits d’un homme. C’est une différence notable)
        Il est donc possible de considérer Machiavel comme l’inverse absolu de Platon en ceci qu’il prône l’existence DU politique, c’est-à-dire d’un domaine ayant ses finalités propres et justifiant à ce titre le mensonge, la violation des droits, l’usage de la force, etc. Mais où situer Aristote dans cette opposition? Il faut rappeler qu’Aristote fut le disciple de Platon, il a été élève de l’école de Platon: l’Académie.  Mais précisément il a totalement rompu avec son maître et cela se voit particulièrement dans ce texte, car il n’est rien ici qui puisse faire signe de la moindre réflexion utopique, bien au contraire. L’action citoyenne, la nécessité de créer des cités est d’emblée posée comme naturelle à l’être humain. C’est le propre de l’Homme d’être une créature politique, citoyenne. Aucun devoir être ne s’impose ici d’ailleurs que de la nature même de l’être humain.
           Pour autant cette émancipation à l’égard de la doctrine de Platon ne fait pas d’Aristote l’ancêtre de Machiavel car il n’est pas question pour lui de constituer la politique en finalité dernière justifiant tous les agissements. Comme nous le voyons dans ce passage, la politique est d’abord une association, la compréhension par un individu qu’il est non seulement de son intérêt mais de son essence même de s’unir avec d’autres hommes pour constituer une unité politique.
         
Nous en étions précisément à ce passage très important dans lequel Aristote comparait l’individu isolé qui refuserait de s’intégrer à l’Etat (dans ce texte il faut assimiler la notion de cité à celle d’Etat) à un pion solitaire, écarté d’un jeu de tric-trac. Si nous prenons l’exemple d’un jeu d’aujourd’hui, nous comprenons bien ce qu’Aristote veut dire: en-dehors de l’échiquier d’un jeu d’échecs une reine est juste une pièce de bois. Elle acquiert sa valeur et son pouvoir dans les règles d’un jeu, de la même façon qu’un citoyen jeté hors de la cité redevient simplement un corps animal, organique fait de chair et d’os. C’est comme si Aristote pointait ici un second niveau  plus approfondi de compréhension de l’adjectif « politique » dans l’expression « animal politique ». Que gagnons-nous à vivre dans une cité, dans un état? Une reconnaissance qui situe notre existence à un niveau autre que simplement physique, biologique. Nous ne sommes pas qu’un être vivant, nous avons, tout comme la reine d’un jeu d’échecs, une fonction, des pouvoirs, des contraintes mais globalement un statut symbolique.
        Avec cette compréhension, nous discernons la contradiction apparente que ce texte révèle et résout d’un seul et même mouvement. L’humain est une créature naturelle qui crée naturellement des modalités d’association culturelles, donc non naturelles, parce qu’il est de la nature même de cette créature de s’insérer dans le monde en adoptant un mode de vie spécifique, différent de celui des autres animaux. Mais pour autant cette modalité nouvelle de vie s’inscrit dans un projet de la nature qui, comme il est dit dans le texte, « ne fait rien en vain ».Il faut même aller ici jusqu’au bout du paradoxe: ce n’est pas parce que l’homme serait moins naturel que les autres créatures du règne animal qu’il crée la cité, mais justement parce qu’il l’est plus: « l’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire »
        Ici s’amorce un tournant dans le texte (ainsi que dans notre programme HLP : nous allons aborder la question des rapports entre l’homme et l’animal). J’espère que tout le monde a bien compris les 4 natures de causalités chez Aristote (c’est important). Si nous devions qualifier la causalité de la cité humaine jusqu’ici utilisée par l’auteur, nous dirions qu’il s’agit le la cause finale. Nous nous orientons à présent vers la cause matérielle et nous allons nous rendre compte que cette analyse va petit à petit nous amener « naturellement » vers la cause efficiente qui est le langage (nous voyons donc à quel point la nature politique de l’être humain s’appuie en toute dernière analyse sur le fait qu’il est un animal symbolique). La cause matérielle de la statue c’est le marbre. La cause matérielle de la cité, c’est l’Humain. Mais qu’est-ce qu’un homme? Un animal différent.
       
         Il existe des animaux que l’on dit parfois « sociaux » comme les termites, les fourmis, les abeilles. Constituent-ils des cités? Non répond Aristote (il faut savoir qu’Aristote est un grand observateur de la nature et des espèces animales) Pourquoi? Parce que les animaux n’ont pas de langage.    
                

Il n’est pas question ici pour Aristote de prétendre que les animaux n’ont pas d’impressions, ni qu’ils soient incapable d’exprimer, de communiquer un message à leurs semblables, mais rien du sentiment ou de la capacité de communication ne constituent pour autant un langage. Il est très intéressant à ce titre de visionner cette vidéo de Romain Fillstroff, étudiant en linguistique qui, avec l’aide de Castor Mother, traite en profondeur (et brio) cette question (à la fin de l'article), car finalement nous percevons que les propositions d’Aristote ne sont pas dépassées. Ce que cette vidéo nous fait d’ailleurs comprendre, c’est que l’impossibilité de conclure à l’existence d’un langage animal ne constitue en aucune façon un rabaissement arbitraire de considération du monde animal (et évidemment il y a là une différence avec Aristote). Peut-être les animaux n’en ont-ils pas besoin? Peut-être découvrirons-nous que leur modalités de communication sont infiniment plus subtiles que les nôtres. Ce n’est pas lutter contre l’anthropocentrisme des études humaines que de vouloir que les animaux bénéficient de toutes les qualités (ou supposées telles) dont nous disposons. C’est même le contraire de cela. Il nous faut envisager la communication avec d’autres moyens que celui de la langue pour comprendre certains mondes animaux.
                    

Cette vidéo évoque plusieurs linguistes dont Benveniste et Jakobson qui ont clairement dégagé des critères du langage  humain et parmi ceux-ci le métalangage qui nous permet de réfléchir sur la langue elle-même (le métalangage, c’est le fait de pouvoir parler de ce que c’est que parler). Le simple fait qu’il existe une philosophie du langage manifeste cette capacité métalinguistique de l’homme, capacité qui n’a pas été observée chez les animaux. Nous reviendrons sur ces critères après les vacances, mais il importe VRAIMENT que chacune et chacun de vous réalise cela avant que nous interrogions vraiment la possibilité pour l’homme d’évoquer les mondes animaux, à savoir que le réflexe qu’il va nous falloir écarter est l’anthropocentrisme et qu’il existe une façon typés maladroite de défendre les animaux en leur prêtant des qualités humaines. Ce qui est fascinant et justifie notre respect de la vie animale, c’est précisément qu’ils ne sont pas des hommes. Evitons cette défense mémorable des animaux de la part la princesse Stéphanie de Monaco: « Les animaux sont des êtres humains comme les autres »…..(Pas toujours gaie la vie de palais! Louée soit l’absence de particule!)
            Les cités sont constituées par des humains et les humains ont cette capacité à dépasser leur sensations vers des idéaux. Nous ne nous contentons pas de ressentir l’agréable, nous passons de l’agréable à la notion de « bien » et du sentiment de douleur à celui de « mal ». Bref l’humain a cette capacité que les animaux n’ont pas de conceptualiser à partir de leurs sensations les notions de justice et d’injustice, de beauté et de laideur, de Mal et de Bien. Pourquoi  Aristote insiste-t-il autant sur cette aptitude de l’homme à dépasser ces sensations pour adhérer à des idées générales? Parce qu’il est impossible sans cette faculté de pouvoir comprendre la notion de bien commun, d’intérêt collectif d’une communauté. Si l’homme crée des cités, c’est parce qu’il sait pourquoi parce qu’il a compris que son intérêt particulier, son appétit, son égoïsme est dépassé par les intérêt d’un état. Il se sait lui-même comme la partie d’un TOUT et cela serait incompréhensible sans cette capacité de langage qui lui permet de dépasser ses sensations. La causalité efficiente de la cité est donc le langage et le langage est ce qui fait la différence entre des modalités animales de communauté et des modalités humaines de citoyenneté.
          


          Le point sur lequel il est envisageable de discuter les thèses d’Aristote se situe bien évidemment dans la supériorité qu’il accorde aux deuxièmes par rapport aux premières. Des travaux récents en éthologie (étude des comportements animaux) révèlent des subtilités parfois sidérantes dans l’intelligence animale de la collectivité. Nous touchons ici les limites de l’analyse aristotélicienne qui décrit et définit les comportements animaux avec une intelligence linguistique et conceptuelle nécessairement connotée, subjective au niveau de l’espèce. Pour comprendre les modalités de vie collective des espèces dites sociales, peut-être faudrait-il travailler à court-circuiter en nous des conditionnements linguistiques arbitraires, mais ce déconditionnement est-il possible? N’est-ce pas justement cela qui nous définit est tant qu’humain?
           


Ce que l’analyse d’Aristote nous apporte d’indépassable par rapport à notre question initiale qui est celle de la représentation du politique, c’est que la politique est une préoccupation qui nous définit d’abord comme des animaux parlants, symboliques, linguistiques, mais on peut aller encore plus loin et situer dan le langage lui-même l’organe du problème inhérent à toute re-présentation. Si nous nous re-présentons la nature, la réalité, et nous-mêmes, c’est parce que la rapport que nous entretenons avec toutes ces réalités est d’abord un rapport linguistique. Grâce au langage nous pouvons nommer ce que nous vivons mais nommer, c’est aussi renoncer à le vivre pleinement.
          

Après les vacances nous traiterons la dernière partie du programme à savoir la  question de la représentation de l’animal par l’homme. Il n’y a pas de travail à faire pendant les vacances mais j’avais précisé que les questions du cours de la semaine dernière peuvent être rendues pendant cette période:

1) Distinguez les notions d’utopie et de fiction.
2) Inventez un scénario de politique-fiction qui, à partir d’un évènement vraiment incroyable (ne prenez pas la pandémie puisque on en a déjà parlé) révèle quelque chose de vrai de ce qu’est la politique, ou de ce qu'elle devrait être, selon vous.
N’hésitez pas à m’envoyer des demandes de clarification sur tel ou tel passage des cours écrits pendant le confinement.
Je vous souhaite d’excellentes vacances et espère vous retrouver, toutes et tous, en forme pour de nouvelles aventures au début du mois de mai.



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