jeudi 10 décembre 2020

CSD Terminale HLP (Groupe 1): cours du 11/12/2020

 

En d’autres termes, il est impossible de dire « je » sans que cette prise de parole pronominale ne fasse référence à une expérience qui est celle de la centralisation psycho-motrice de mes gestes, sans que quelque chose comme une maîtrise du corps ne soit possible, effectif, et cette maîtrise, selon Jacques Lacan, se situe dans le stade du miroir, c’est-à-dire dans l’assimilation à soi d’une image projetée hors de soi. Cela signifie que c’est exactement en tant que je m’identifie à « de l’autre » que je me perçois comme un « moi » et que j’acquiers ainsi une maîtrise dans ma gestuelle, dans la relation à un corps que je vis comme « mien ». Si donc je ne deviens « moi » qu’en m’identifiant à l’autre, à l’image extérieure de ce corps vu, alors s’identifier sera toujours s’identifier à de l’autre, et de là vient notre aptitude à nous construire au fil d’identifications imaginaires. Nous sommes ici beaucoup plus loin que Sartre, ce n’est même pas que je sois « comme autrui me voit », c’est que je ne suis moi qu’en m’identifiant à cet autre qu’est « moi », image de soi projetée dans le miroir.
        Ce n’est pas seulement un moi senti qui deviendrait un corps vu, c’est un corps senti qui devient par l’intermédiaire du corps visible un moi senti, comme si j’avais besoin de ce reflet pour réaliser en moi que je suis moi. C’est là du moins la thèse de Lacan, thèse qui insiste finalement sur le fait qu’avant le stade du miroir, le corps senti ne jouissait d’aucune puissance de synthèse, d’unité. Du corps senti au corps vu dans le miroir, on passe du corps morcelé au moi revendiqué, ce qui explique les progrès du bébé humain par rapport au bébé chimpanzé.
        Il est très intéressant de mettre le stade du miroir en perspective avec le texte de Michel Tournier car il semble assez évident qu’en fait Robinson vit le retour du corps vu au corps senti, une sorte de « régression » donc du moi à un corps morcelé si l’on en croit Lacan. Il est tout à fait logique de mettre en rapport ces deux textes puisque ils nous décrivent tous les deux ce que Deleuze appelle "autrui comme structure". Si je présuppose la présence d’autrui dans ma perception de cette chaise, en y adjoignant synthétiquement tous les angles de vue qui en font une chaise visible, c’est effectivement aussi parce que j’ai saisi mon corps comme corps « autre », vu dans le miroir. Le stade du miroir nous propose finalement, une sorte de scène initiale, primitive, à partir de laquelle la présupposition d’Autrui en toute expérience perceptive est effectivement systématique. Si je ne m’identifie comme moi qu’imaginairement en assimilant ce corps autre comme mien, il est évident que cette structure autrui s’effectuera également dans toute perception, laquelle à cet instant pourra bel et bien se dire « extérieure ».
        Soyons plus clair: notre aptitude à projeter dans l’espace des sensations que nous avons ressenti dans la durée et à constituer inlassablement ces tableaux où les objets sont distincts, distants, identifiés, classés et bien rangés vient du stade du miroir. L’espace et l’objet sont des fantasmes nés de notre identification à ce jumeau spéculaire qu’à parler en toute rigueur nous ne « sommes » pas. Si nous devions revenir au réel, ce qui, pour Lacan est absolument impossible (le réel, selon lui, c’est l’instance de l’impossible), il nous faudrait revenir de cette aliénation primitive qu’est le stade du miroir, cesser de croire aux objets, à l’espace et au     corps vu. Que serions dés lors? Une pure immersion dans la durée, une longue séquence sans pause d’aucune sorte de sensations qu’il nous serait impossible de référer à un « moi », puisque ce moi ne peut se constituer que par le stade du miroir.
        Imaginons juste un instant les détails de cette régression: bouger serait dangereux parce qu’aucun objet ne serait plus identifiable, tout pourrait arriver à la limite du non perçu. « ce que je ne vois pas est dans une nuit insondable ». Quand nous sommes prés d’un feu, nous visualisons notre corps prés du foyer, mais là il n’y aurait pas de corps, de feu, il n’aurait que chaleur, éblouissement, écoute du craquement des bûches, autrement dit, une pure durée évoluant sans cesse vers un peu plus de ceci, moins de cela, mais jamais de changement de situations, toujours une continuité de sensations. Exister ne serait plus une expérience lisible, décryptable en termes de succession d’épisodes, encore moins de périodes, mais seulement en variables sensitives. De l’identité à un moi vu nous passerions à la continuité d’un tout senti, en ce sens qu’il ne nous serait plus possible de nous distinguer de ce tout. C’est sans aucun doute ce que certains témoignages nous dépeignent comme une « expérience mystique ». C’est aussi exactement ce que Bergson appelle « faire un saut dans la durée » ou ce que Jean-Paul SARTRE appelle « la nausée ». Que le corps pris dans cette expérience soit morcelé est à la fois « vrai et faux ». C’est vrai si l’on part du principe que j’ai à être « mon corps », même si ce corps est finalement celui que l’expérience du miroir m’assigne, mais c’est faux si l’on remet en cause l’affirmation selon laquelle mon existence commence là, au stade du miroir, ne s’y perdrait-elle pas au contraire?
          

Nous avions déjà envisagé la possibilité que Robinson devienne en réalité plus lucide que fou en éprouvant en « lui » (mais est-ce encore « lui »?) la dégénérescence progressive de la structure autrui et qu’il réalise en fait l’inauthenticité profonde, radicale à laquelle nous condamne cette présupposition constante d’autrui dans notre perception du monde. Nous touchons ici aux limites du « monde connu », nous arrivons à ce seuil dont on nous a dit qu’au-delà tout n’était que chaos, confusion, folie et à bien es titres, c’est parfaitement vrai: comment se retrouver sans passer par le stade du miroir, sans s’identifier à cette image, sans accepter de passer par ce « je » qui pour autant n’est jamais exactement « moi »? Mais d’un autre côté, comment ne pas réaliser à quel point, comme le dit Jacques Lacan lui-même (alors qu’il ne conseillerait vraiment pas de passer cette frontière) tout ceci est frappé à jamais du sceau de l’inauthenticité. Comment ne pas voir à quel point être moi, c’est se condamner pour toujours à être inauthentique et à passer sa vie entière à faire semblant?
 

3) Le moi est un rapport à l’existence comme simulation

        Le stade du miroir de Jacques Lacan définit une perspective grâce à laquelle de nombreux textes deviennent très facilement décryptables, compréhensibles, presque évidents. C’est notamment le cas pour cet extrait des pensées de Pascal dans lequel l’auteur qui fait s’abord semblant de chercher le moi en tant que substance au-delà des qualités empruntées comme la beauté, lea mémoire, l’intelligence, le jugement finit par se rallier à la thèse selon laquelle le « moi » se réduit finalement à des qualités visibles, évaluables et entérinées par les autres. Vouloir se faire aimer pour « soi-même », c’est-à-dire pour son « moi  authentique », c’est aussi absurde que de vouloir être aperçu dans la rue par une personne qui se mettrait simplement à sa fenêtre comme si c’était nous qu’elle souhaitait apercevoir. Il n’y a aucune chance que ce soit le cas.
"Qu'est-ce que le moi ?
Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier. Mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non; car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus.
Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on, moi ? Non ; car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? Et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées. »

        Il convient de lire ce texte à partir de Jacques Lacan parce qu’au final, les qualités ne sont que des qualités de reflet, spéculaire, on est « beau » parce qu’on est visible et identifiable comme beau, ou plaisant, comme on peut l’être parce que l’on a fait preuve de sa mémoire, de son intelligence en passant des épreuves, en occupant des charges, en se faisant reconnaître comme étant ceci ou cela. Mais il importe aussi de le lire en misant (sans jamais se tromper) sur « l’ironie méchante » de Pascal qui ici fustige la naïveté d’une attitude amoureuse qui prétendrait aimer quelqu’un pour ce qu’il ou elle est en soi. « On n’aime personne que pour des qualités empruntées » dit Pascal, mais empruntées à qui et comment? Jacques Lacan nous répond très exactement: « empruntées à ce reflet du moi dans le miroir par des qualités dont je ferai tout pour qu’on me les attribue parce que j’ai intériorisé cet extérieur, parce que j’ai fait mienne cette idée que je serai toujours aux yeux des autres ce pantin qui me fait face dans la glace et que j’ai tout intérêt à le faire beau, intelligent, présentable comme une petite fille qui s’efforce de faire belle sa poupée.
          

        Pascal, à sa façon, suit à contre-courant  le fil de l’identification du corps vu au corps senti, jusqu’à cette frontière dont il était précédemment question mais n’envisage à aucun moment de la franchir: que l’on puisse aimer une continuité de sensations dans la durée, que cette continuité puisse être tout ce qui d’une personne ou de « cet avant » de la personne soit vrai, authentique et finalement « aimable », c’est ce dont l’éventualité ne lui semble viable à aucun moment et personne de son époque hormis peut-être Montaigne avant lui n’aurait pu seulement l’envisager. Ce qu’il nous donne donc à voir est une sorte de raisonnement par l’absurde dont la finalité est de répudier ensemble comme nulle et non avenue l’idée d’un moi constitué d’autres choses que de qualités empruntées et conséquemment celle de l’amour.
        A quoi se réduit ce dernier sentiment, selon lui? A apprécier chez quelqu’un des qualités que l’on aimerait tout aussi bien chez les autres. N’envisagez pas d’être aimé pour d’autres raisons que celles que vous vous êtes provisoirement et fallacieusement attribuées à « vous-mêmes » ou plus exactement à cette parodie de moi dont vous avez décidé de jouer la partition. On ne fait jamais que jouer à être soi et vous avez simplement intérêt à peaufiner votre rôle car rien de l’amour ni d’autre sentiment n’est jamais adressé sur le fond à quiconque. Des gens se croisent et se font apprécier pour des qualités qu’ils n’ont pas ou plus exactement qu’ils ne « sont » pas, parce qu’ils ne sont rien, parce qu’ils n’ont pas d’être et que rien en moi n’est à aimer que des masques que j’ai revêtus pour rigoler, le temps d’une petite vie fausse et passée à faire semblant.
        
        Bien que l’approche soit différente et beaucoup plus centrée sur ce mode d’être inauthentique qui définit finalement toute existence humaine socialisée, Sartre développe la même thèse que Pascal:
        "Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu'il rétablit perpétuellement d'un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s'applique à enchaîner ses mouvements comme s'ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes; il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s'amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à être garçon de café. Il n'y a rien là qui puisse nous surprendre : le jeu est une sorte de repérage et d'investigation. L'enfant joue avec son corps pour l'explorer, pour en dresser l'inventaire ; le garçon de café joue avec sa condition pour la réaliser.
  Cette obligation ne diffère pas de celle qui s'impose à tous les commerçants : leur condition est toute de cérémonie, le public réclame d'eux qu'ils la réalisent comme une cérémonie, il y a la danse de l'épicier, du tailleur, du commissaire priseur, par quoi ils s'efforcent de persuader à leur clientèle qu'ils ne sont rien d'autre qu'un épicier, qu'un commissaire priseur, qu'un tailleur. Un épicier qui rêve est offensant pour l'acheteur, parce qu'il n'est plus tout à fait un épicier. La politesse exige qu'il se contienne dans sa fonction d'épicier, comme le soldat au garde-à-vous se fait chose-soldat avec un regard direct mais qui ne voit point, qui n'est plus fait pour voir, puisque c'est le règlement et non l'intérêt du moment qui détermine le point qu'il doit fixer (le regard « fixé à dix pas »).
  Voilà bien des précautions pour emprisonner l'homme dans ce qu'il est. Comme si nous vivions dans la crainte perpétuelle qu'il n'y échappe, qu'il ne déborde et n'élude tout à coup sa condition. Mais c'est que, parallèlement, du dedans le garçon de café ne peut être immédiatement garçon de café, au sens où cet encrier est encrier, où le, verre est verre. Ce n'est point qu'il ne puisse former des jugements réflexifs ou des concepts sur sa condition. Il sait bien ce qu'elle « signifie » : l'obligation de se lever à cinq heures, de balayer le sol du débit, avant l'ouverture des salles, de mettre le percolateur en train, etc.
  Il connaît les droits qu'elle comporte : le droit au pourboire, les droits syndicaux, etc. Mais tous ces concepts, tous ces jugements renvoient au transcendant. Il s'agit de possibilités abstraites, de droits et de devoirs conférés à un "sujet de droit". Et c'est précisément ce sujet que j'ai à être et que je ne suis point. Ce n'est pas que je ne veuille pas l'être ni qu'il soit un autre. Mais plutôt il n'y a pas de commune mesure entre son être et le mien. Il est une "représentation" pour les autres et pour moi-même, cela signifie que je ne puis l'être qu'en représentation.
  Mais précisément si je me le représente, je ne le suis point, j'en suis séparé, comme l'objet du sujet, séparé par rien, mais ce rien m'isole de lui, je ne puis l'être, je ne puis que jouer à l'être, c'est-à-dire m'imaginer que je le suis. Et, par là même, je l'affecte de néant. J'ai beau accomplir les fonctions de garçon de café, je ne puis l'être que sur le mode neutralisé, comme l'acteur est Hamlet, en faisant mécaniquement les gestes typiques de mon état et en me visant comme garçon de café imaginaire à travers ces gestes... Ce que je tente de réaliser c'est un être-en-soi du garçon de café, comme s'il n'était pas justement en mon pouvoir de conférer leur valeur et leur urgence à mes devoirs d'état, comme s'il n'était pas de mon libre choix de me lever chaque matin à cinq heures ou de rester au lit quitte à me faire renvoyer. »

Sartre, L'Être et le Néant, 1943, éd. Gallimard, coll. Tel, 2003, p. 93-95.
   

        Ce qui intéresse Sartre n’est pas tant les qualités comme Pascal que les fonctions. Pour mesurer la profondeur de cette simulation sous l’effet de laquelle nous nous prêtons sans cesse à une comédie sociale et nous inventons de toute pièce le personnage du « moi », il nous propose de remarquer cette sorte d’énergie du désespoir qui nous pousse à coller le plus qu’on peut à des métiers, à des types, à des codes dictées par les usages, les habitus, comme dirait Bourdieu et à y jouir d’une satisfaction d’autant plus absurde qu’elle ne nous crédite authentiquement d’aucun avantage « vécu ». Qu’aurais-je fait en réalité toute ma vie? Rien de plus que de la figuration, donner à du néant toute la fausse apparence de l’être.
        Ce garçon de café est bien « garçon de café »: il est payé en tant que tel et il fait bien son métier. Pourquoi? Parce qu’il applique à la lettre, et sans même s’en rendre compte, les directives de ce qu’il faut qu’un garçon de café « soit », c’est-à-dire de tout ce qu’il faut que lui en tant qu’être "ne soit pas" pour coller à l’image imposée par le rôle. Nous percevons toutes et tous, mais probablement à partir d’une dimension dont nous n’aimons pas trop avouer l’existence (celle d’une lucidité tranchante, dangereuse, pure, au regard de laquelle nous n’agissons pas différemment de lui et c’est pour cela que ces pensées bien réelles sont inavouées, la plupart du temps), le processus de dénégation qui s’effectue chez le garçon de café. C’est exactement ce que pointe l’utilisation par Jean Paul Sartre des « trop ». Il s’agit de donner l’impression qu’il est totalement garçon de café, qu’il en a intégré toutes les ficelles, tous les jeux, tous les codes. On peut être cela, totalement cela et surtout rien que cela. Rien ne déborde: je suis tout entier dans cette démarche automatique, dans ce « ballet » autour des tables, dans cette posture toute à la fois guindée et nonchalante style: « on ne me la fait pas à moi, je ne sus pas tombé de la dernière pluie, je suis parfaitement intégré à la fonction, je ne suis qu’elle. »
          
Il n’existe aucune profession qui puisse se définir autrement que par le jeu de ces simulations excepté celle d’artiste (mais est-ce une profession?). On entre dans une carrière en intégrant d’abord ces « codes de corps reflété » par le miroir du regard d’autrui, pour le garçon de café, cela passe par son habillement bien sûr, mais aussi par son port de tête altier, par son regard panoramique sur la terrasse, par son empressement à prendre les commandes, à les amener, style « j’ai à faire, j’ai du travail moi! ». Il est trés important ici que la nécessité reconnue de gagner sa vie joue comme un ligne de fuite  toute à la fois imaginaire et impérative le rôle de « leitmotiv », de puissance motrice de cette comédie. Il n’est pas du tout ignominieux ici d’envisager que le chômage soit une situation difficilement supportable en ceci qu’avant tout, elle nous prive fondamentalement d’un rôle à jouer,  d’une danse à pratiquer, d’une partition écrite à réciter, d’un personnage à figurer. C’est exactement comme l’enfant dans les cours d’école qui ne trouve personne avec qui jouer.
        Précisément Sartre reprend cette comparaison en lui donnant toute sa puissance: « repérage et investigation ». Comme Freud l’a également posé avec l’observation de l’enfant à la bobine, le jeu est ce qui permet à l’enfant de sonder son pouvoir et posant des situations fictives et en y manifestant des qualités de symbolisation, de substitution, d’extrapolation: « faisons comme si… On dirait que » Il n’est absolument rien de ces rôles professionnels ni de ces fonctions sociales, voire familiales qui puissent s’approcher et finalement se pratiquer autrement que de façon imaginaire, héritées donc des stades du miroir. C’est ce que Lacan appelle « ce bric-à-brac de fonctions imaginaires »: soldat, médecin, paysan, père, fils, épouse: tout ceci n’est que jeu d’identités parce que l’identité même est une fiction. Dans ce sens, nous ne sommes ni plus ni moins que des Narcisse procrastinant notre suicide, testant l’élasticité de ce temps de captation de notre reconnaissance dans le miroir qui est aussi et surtout celui de notre aliénation, de notre mode d’être inauthentique, lequel n’est qu’un autre nom pour « se prendre pour soi ».


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