mercredi 2 décembre 2020

CSD Tle 2 - Cours du 03/12

   


On mesure sans difficulté l’impact philosophique d’un tel texte sur ce que penser « est ». Définit-il l’acte par lequel on active sciemment un processus ou, au contraire « UNE » activité qui s’effectue en nous, par elle-même, et revêt des aspects tout à la fois conscients et inconscients? Freud et Nietzsche sur ce point sont parfaitement en accord. Penser se fait, ça pense en moi, plus encore: « que ça pense en moi, cela détermine le moi"; lequel n’est pas la cause mais l’effet de cette pensée « autre », « impersonnelle ». Une pensée sans sujet s’effectue dans le sujet et le transforme à son insu. « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison » L’erreur ici est d’accorder à la conscience une part trop forte, trop prééminente. Notre psychisme ne peut se constituer que d’éléments conscients. C’est exactement comme la matière noire: lorsque l’on fait le compte de toutes les particules décelables dans l’univers et qu’on la réfère à la masse de l’univers, on se rend compte que la matière visible constitue seulement 27% de la totalité de l’univers. Il est donc absolument impossible de rendre compte de l’existence du tout sans supposer une « énergie sombre », même si nous ne l’avons pas encore décelée.
        Cette comparaison convient parfaitement à l’inconscient, à son statut paradoxal, comme la matière noire, on pourrait dire qu’il est une hypothèse, mais en même temps, ce terme ne rend pas contre du fait que l’on est absolument certain qu’il existe. L’inconscient, il est absolument impossible que cela n’existe pas, mais en même temps si nous pouvions le toucher du doigt, le rencontrer, il cesserait d’être ce qu’il est, puisque nous en serions conscients.
        De l’inconscient, nous pourrions dire que c’est une réalité qui nous envoie exactement des signes de son existence et c’est le rôle de l’analyste, voire du patient (s’il le peut) d’interpréter ces signes. La matière noire, c’est une partie de l’univers qui échappe à la visibilité de l’univers par lui-même, exactement comme l’inconscient n’est pas décelable par le conscient, mais en même temps, c’est en nous, cela ne tient qu’à nous de partir en quête de cette énergie sombre qui s’active continument en nous-mêmes, et DE nous-mêmes. Ce n’est pas parce que l’inconscient   nous échappe qu’il n’est pas animé d’une spontanéité qui paradoxalement nous est propre. De mon propre mouvement  (ne jamais oublier que le sur-moi est une intériorisation de l’autorité parentale. Le sur-moi, c’est aussi « nous ») je soustrais à ma propre conscience des éléments déterminants.

  


       La comparaison avec le souverain est ici extrêmement éclairante et porteuse. Mais il faut vraiment se représenter un régime démocratique, à savoir que c’est le peuple qui place le souverain aux rênes du pays. Mais petit à petit, ce dernier s’isole, se coupe de sa base, comme on dit, va jusqu’à s’enfermer dans le mensonge d’une représentation du peuple fidèle à ce que lui disent ses conseillers, fidèle à ce que lui veut en voir, en penser. Le souverain se donne alors du peuple une fausse image qui correspond à ce qu’il voudrait s’il soit: un partisan d’accord avec sa politique à lui, exactement comme ces présidents qui nous disent constamment qu’ils ont été élus par le peuple pour promouvoir une certaine politique sans se rendre compte que ce peuple n’est plus du tout là, qu’il ne l’a jamais été peut-être.
        De la même façon, notre moi se raconte l’histoire de pulsions soumises, consentantes, claires, bien polissées et se dirige ainsi sans s’en rendre compte vers une révolution.  Il faut alors retisser les fils entre le peuple (le ça) et son souverain (le moi).  L’analyse procède ainsi à partir des troubles manifestes à reconstituer le portrait robot de la pulsion cachée, comme on essaie de se faire une idée du puzzle en entier à partir de quelques pièces. En même temps, il faudrait garder en tête deux éléments essentiels, applicables à toute analyse en général, et qui en sont comme des piliers inamovibles: la sexualité infantile et le complexe d’Oedipe. Quoi qu’il arrive, ce qui a été jugé comme incorrect par la censure, le sur-moi a rapport avec la sexualité. Celle-ci n’a pas cessé d’être présente dés la naissance du patient et orientée originellement vers le Père et la Mère comme objets originels et exclusifs de la pulsion sexuelle primaire. Fixer les troubles de comportement à partir de ces deux constantes livre nécessairement des clés absolument déterminantes dans la prise en compte finale par le patient de ce qu’il est et lui permet de se tenir à l’écoute de la parole du peuple, guéri, lucide et plus serein.

4) « L’inconscient est structuré comme un langage » - Jacques Lacan

            Finalement Freud décrit ici un processus de dénégation qui est à l’oeuvre dans ce qu’il appelle ailleurs « la résistance », c’est-à-dire la force qui s’oppose à la révélation du souvenir, ou de la scène initiale qui est à l’origine du rêve, du trouble ou du symptôme. Le souverain qu’est le moi se sentirait « mieux » s’il pouvait supprimer ces éléments perturbateurs qui contestent son autorité. Il n’est pas évident pour le moi de reconnaître qu’il ne maîtrise pas l’intégralité de ses pensées. Loin s’en faut. Si « le moi n’est pas maître dans sa propre maison », alors cela signifie que penser est une action dont le « je » n’est pas le sujet, comme déjà Nietzsche l’affirmait.  Nous sommes le décor, le théâtre de pensées qui nous traversent et qui nous font agir d’une certaine façon. Quand nous rêvons, nous sommes les spectateurs de ce qu’un acte de penser dont nous ne sommes pas les sujets fait advenir comme images mais aussi comme sentiments comme manifestations de désir. Si nous nous souvenons de ces rêves et sommes capables de comprendre ce que les éléments manifestes désignés en termes de pulsions cachées, alors nous réalisons en nous l’activité de désirs étranges, surprenants, assez monstrueux et cette pilule est suffisamment dure à avaler en terme d’aveu de perte totale de maîtrise, de découverte de soi pour qu’inconsciemment encore nous résistions.
         L’idée de Freud est que le souci des convenances et l’impact de « la tenue correcte exigée » par le Sur-moi impose des déguisements à l’expression des tendances ou des traumatismes  pulsionnels. Nous avons honte de la violence de nos désirs, de leur crudité, de leur impudeur et de leur incorrection à l’égard des règles qui nous ont été imposées par nos parents et à travers eux par la société elle-même.
        Pour bien se représenter cette honte, il suffit finalement de penser d’abord à ces mécanismes très conscients par le biais desquels nous nous interdisons parfois de nous laisser aller à des épanchements, à des déclarations, à des aveux de sentiments qui sont pourtant très puissants en nous mais dont l’expression nous placeraient socialement en fâcheuse posture. Nous formatons notre vie affective et la dynamique de nos attirances de façon parfois drastique jusqu’à n’aimer ou ne faire sembler d’aimer que les personnes qui nous sont autorisées.
        C’est un peu le même processus qui est à l’oeuvre dans la résistance mais inconscient. Cela signifie finalement que la résistance de la censure est telle que l’inconscient ne peut s’avancer que masqué, que la pulsion ou le souvenir refoulé doivent user de tous les stratagèmes possibles pour se manifester à nous. La pulsion du ça repoussée par le gardien ne peut pas envisager de forcer ce passage sans se grimer, sans se donner une autre apparence, et c’est sur ce point particulier que le travail de l’analyste est herméneutique c’est-à-dire qu’il consiste à interpréter les éléments manifestes du rêve, du lapsus ou du symptômes pour en deviner les significations cachées. Que Cecily ne puisse plus boire signifie qu’elle a vu le chien de sa gouvernante boire dans la timbale de son père, père avec lequel elle entretient une relation suffisamment trouble (comme toutes les filles selon Freud) pour qu’elle refuse de donner à ce souvenir un accès libre à sa conscience, que le président Schreiber soit paranoïaque « signifie" qu’il est homosexuel.
        Un vrai problème de « crédibilité » se pose ici: puisque il ne peut être conscient que d’interpréter et surement pas d’expliquer, comment être sûr que nos interprétations sont justes? Comment saisir le principe et les modalités de ce travestissement de notre inconscient? Pourquoi tel élément refoulé va surgir sous telle apparence dans tel rêve, dans tel symptôme, dans tel lapsus. Parfois les symptômes ou les signes manifestes sont relativement explicites, mais pas toujours et dans le cas des troubles de comportement grave, c’est rarement le cas.
        L’hypnose révèle clairement le souvenir refoulé mais cette méthode ne convient pas à tous les patients et elles suscitaient beaucoup de méfiance de la part des médecins viennois. En fait il suffit de réfléchir pour réaliser qu’il existe dans la pensée une structure susceptible non seulement de valoir dans la conscience  et dans l’inconscient mais aussi de créer un passage de l’un à l’autre par le biais de différentes figures ou opérations. Cette structure est évidemment celle de la langue. Quoi de commun aux rêves, au lapsus, aux pensées qui se manifestent à nous? La langue. Il existe en effet dans nos rêves des opérations de déplacements qui suivent la logique de figures rhétoriques comme la métaphore, la métonymie, ou le symbolisme.      

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire