vendredi 18 décembre 2020

Ecriture libre - "Nouveau chapitre" de Lucie Beney

 


Ce matin je prends mon petit déjeuner, comme tous les autres matins je me dépêche d'aller dans la cuisine sauf qu’aujourd’hui je ralentis le pas, j'ai une forte impression d'avoir oublié quelque chose. J'essaye de ne pas y prêter attention tout en prenant mon petit déjeuner, je trempe mon croissant dans mon café, il n'est pas très sucré. Je me lève pour aller chercher de la confiture, abricot ou fraise, je reste une bonne minute à méditer sur la question avant de prendre les deux. J'ai du mal à faire des choix en général, même les plus simples sont pour moi un vrai calvaire. Ici j'ai pu trouver un compromis en prenant les deux mais parfois je me torture l'esprit pendant des heures. Surtout dans mon métier, je suis écrivaine, j’écris les aventures de mon personnage mais dans mes moments de doutes je n’arrive pas à me décider sur ce qui lui arrive. Comment s'appelle la boulangère ? Bethany ou Clarisse, je suis restée plusieurs jours à réfléchir à la meilleure solution alors que cela n’influençait absolument pas le cours de l'histoire. Mon personnage s'appelle Flavy, elle a 22 ans et étudie les langues étrangères, elle vit à Paris dans un appartement avec son fiancé et son petit chien blanc. Je m’inspire de mes journées pour écrire les siennes, je les embellis ou les rends plus intéressantes. 

        


Paul se lève, s'étire au-dessus des escaliers, descend en chantonnant, m'embrasse sur le front en guise de bonjour puis ouvre le frigo, c'est sa routine. Sa routine est très importante pour lui, il me dit que c'est parce qu'il est vierge, je ne crois pas beaucoup à l'astrologie mais il vrai que son signe lui correspond plutôt pas mal. Il est 9h13, j’attendrais qu'il soit 9h15 pour aller me laver, c'est carré comme ça, en tout cas c'est ce que Paul m'a mis dans la tête. Sûrement encore un truc de Vierge mais bon j’admets que cela me permet d’être organisée. 9H15, aller hop a la douche. L'eau coule sur mon visage, j’apprécie particulièrement ce moment, je suis toute seule, l'eau brûlante coule sur ma peau et je prends ce temps pour réfléchir à ma journée, à ce que je veux faire, inventer, essayer, construire ou arrêter. Je m'assois dans ma douche et l'eau me brouille la vue, aujourd’hui je vivrais ma vie et lorsque j’écrirai celle de Flavy, je ne réfléchirai pas. J’écrirai simplement ce qui me vient, sans effacer ma dernière phrase pour la réécrire, je laisserai mon cœur écrire pour aujourd’hui. J'ai hâte de voir ce que cela va donner. Je fais le bilan de ma journée : je dois passer chez la boulangère pour prendre du pain, ensuite je dois aller chez Caro pour l'aider avec ses colis vinted, je mange avec Paul chez mes parents et je ne sais pas encore pour la fin de journée.
        


Il est 10h, je pars pour aller à la boulangerie tout en écoutant « I Will Always love You » de Whitney Houston. J'arrive vers 10h10 et il commence à pleuvoir.

« - Bonjour Clémence, j'ai vu passer Paul hier soir, il venait acheter une tarte aux framboises, j'étais vraiment étonnée !

Elle me tend la baguette en même temps.
-Merci, oui il me la ramenée pour mon anniversaire, j'ai fêté mes 23 ans hier. -90 centimes s'il te plait, Oh bon anniversaire alors !
- Tenez, merci beaucoup, bonne journée à demain !

-A toi aussi, à demain ! »

Je ramène le pain à la maison, je décide de me poser quelques minutes pour écrire avant de partir chez Caroline.

Je me lève avec une faim terrible, je cours dans la cuisine et prends le pot de nutella ... après mon petit déjeuner je cours réveiller Émile qui dort encore puis saute dans la douche. Je prends mon pain chez Bethany et discute de tout et de rien. Je me sens un peu vaseuse donc je décide de rentrer prendre un bon bain chaud avec d'aller voir mon amie.


Waouh j'ai réussi à écrire sans me reprendre et j'ai même choisi le nom de la boulangère sans y réfléchir, c'est incroyable, direction Caroline à présent. Je marche d'un pas très lent, je regarde chaque arbre en détails et analyse chaque branche. Je croise une petite fille et je la trouve très mignonne, je ne prête pas attention aux enfants habituellement, mais aujourd’hui je me sens d’humeur à profiter de la vie en appréciant chacun de ses instants. J'arrive devant l'appartement, monte ses quelques marches et sonne à la porte. Caroline m'ouvre la porte, toujours aussi pétillante, elle respire la bonne humeur et la positivité. Je crois que c'est ce que j’apprécie le plus en elle, elle est comme un bol de joie concentrée. Je l'aime de tout mon cœur, je sais qu'elle m'a appelé pour emballer des cartons mais je vais savourer chaque moment que je passerai ici. Elle me montre ce qu'elle a vendue sur Vinted et me montre les cartons, dans ma tête se fait alors ce schéma : objets vendus + carton = colis.

Je comprends rapidement comment aller vite et les treize colis sont vites terminés, cela nous laisse du temps pour discuter. Lorsqu'on discute toutes les deux on ne peut pas s’arrêter, c'est interminable, les sujets d’aujourd’hui sont l'avortement, la PMA, le discours de Christiane Taubira et le comté de la fromagerie de la rue. Pleine de joie je repars encore plus légère que j’étais venue. Je me dirige vers le métro pour aller chez ma mère, je retrouve Paul là-bas, j'ai hâte de voir ma famille. Le trajet en métro est long, je me tiens à la barre et observe les individus qui m’entourent, il y a un vieux monsieur avec un bouquet de fleurs à la main, un groupe d’adolescents qui rigole de leur professeur de mathématiques en se plaignant de la difficulté des équations. Puis il y a une femme enceinte probablement de 5 ou 6 mois, elle écoute de la musique et chuchote les paroles les yeux fermés, c’est agréable à voir. Le métro s’arrête à ma station, je descends et aperçois Paul au loin, je m'avance près de lui, il sourit.

-Tu as passé une bonne matinée ?

-Oui, j’ai pas mal discuté avec Caro, c’était super cool, et puis j’ai réussi à écrire un peu de mon livre sans me reprendre une seule fois. C’était super fluide, j’ai totalement laissé mon cerveau écrire ce qu’il voulait.

-Incroyable mon amour, et lui arrive-t-il des choses intéressantes en ce moment ?

-Pas trop, je verrai ce soir ce que mon imagination super fluide lui fera faire.”

  

Nous sommes devant ma maison d’enfance, celle où je suis née, ma mère n’avais pas eu le temps d’aller à l’hôpital, c’est mon père et mon frère ainé, Milo, qui m’ont fait venir au monde. Il avait 8 ans, il dit se souvenir de ma petite tête molle et pleine de sang, il tenait la main de ma mère et quand j’étais sur elle il tenait la mienne en plus de la sienne. Mon frère a toujours été protecteur avec moi, depuis les premières secondes de mon existence jusqu’à aujourd'hui. Le voilà d’ailleurs, ce petit garçon de 8 ans est devenu un bel homme, il est venu avec son compagnon George, cela fait presque 6 ans qu’ils sont ensemble. Je leur fais la bise puis me dirige vers la cuisine pour y trouver ma mère et mon père, sûrement en train de se chamailler sur la quantité de sel nécessaire dans le plat. Après avoir rapidement discuté avec eux je vois arriver ma cousine Julie, elle est plus jeune que moi et vient d’obtenir son bac mais nous avons toujours été très proche. Elle me tend une bouteille que j’amène au salon, nous nous asseyons à table alors que tout le monde est encore dans l’entrée. On est malpolies, tant pis, on rigole de notre bêtise qui est une faute grave dans notre société, on dirait deux enfants. Le reste de la famille arrive et ouvre la bouteille, mon frère me demande toujours si j’en veux avant de me servir, je ne sais pas pourquoi mais aujourd'hui je ne préfère pas boire. Mon frère est étonné mais n’y porte pas beaucoup d’attention. Le repas commence, comme une cérémonie chacun joue son rôle, cela m’a toujours fasciné, dans une famille on s’aime parce que justement c’est notre famille mais pas parce qu’on apprécie chacun de ses membres. Et pourtant on arrive à passer un repas entier à se parler malgré toutes nos différences. Avec Julie on appelait ça le diner des vieux cons à l’époque, on le dit plus maintenant mais je crois qu’on le pense toujours.


-Dis Clémence ça avance ton roman ?
-Euh ouais on peut dire ça
, j’ai du mal à lui faire vivre des choses intéressantes mais ça va venir je pense.

-Moi j’ai plein d’idées tu sais mais après tu serais obligés de me rémunérer pour toute l’aide que je t’aurai apporté !

-Visiblement tu as bien ta place à ce diner des vieux cons.

On rigole discrètement avant de passer au plat, toujours le même, toujours soit trop salé soit trop peu on fonction de celui qui a obtenu le dernier mot entre ma mère et mon père. On mange et on discute de tout et de rien, ici pas de discours de Christiane Taubira, de la politique oui, mais pas celle que j’aime. Ici c’est la politique qui gueule, détruire chaque politique un part un pour en défendre un autre juste après. Vient le moment du dessert, mon moment préféré, j’aime le sucré, je trouve cela plus léger, plus délicat. Après avoir repris deux fois du délicieux tiramisu je m’éclipse dans ma chambre d’enfant pour faire une sieste.

J’ouvre la porte et me voilà plonger dans mon vieil univers, celui de ma jeunesse et de mes premières fois. C’est ici que j’ai invité Caroline, elle venait d’arriver dans mon école et n’avait pas beaucoup d’amis. Je lui ai proposé de venir jouer avec moi une après-midi, depuis ce jour nous ne nous sommes jamais quittés. C’est aussi là que je faisais des concerts privés à mes posters d’enfance pendant de nombreuses années. Avec mon micro Hannah Montana je chantais les plus belles chansons de Dalida ou encore France Gall. Je me dirige directement vers ma boite à souvenirs, je l’avais fabriqué lors du neuvième anniversaire de Caroline. Avec des perles et de la peinture sans oublier des autocollants d'Hannah Montana. Dans cette boite se trouve des objets que j’aime par-dessus tout. D’abord toutes les cartes de voyages que m’ont envoyés mes amis, notamment celle de mon premier amour. Il y a aussi ma place de ma première comédie musicale, une petite tour Eiffel, souvenir d’une visite que j’avais faites avec ma tante. Je me décide à l’ouvrir, j’y trouve une pierre sculptée en forme de cœur, mais je ris en voyant cette boite à chewing-gum fermés avec du scotch, je l’avais gardé en me disant que si ma maison prenait feu et que je partais avec ma boite, je pourrais toujours l’ouvrir pour sentir cette délicieuse odeur de chewing-gum. Enfin parmi d’autre merveilles je vois le premier coquillage que m’avait offert ma grand-mère quand j’avais 4 ans. Je sens ce lieu propice pour l’écriture, je sors mon ordinateur, le pose sur mon vieux bureau et prends une grande inspiration.

J’arrive chez mon amie et commence à discuter avec elle en même temps que nous travaillons, on parle de tout et de rien, on rigole beaucoup, il est presque 12h et je ne suis toujours pas parti. Je me demande si cela est grave de louper un repas de famille. Si moi je suis consciente du fait que je le rate, je ne devrais pas m’en vouloir. Tant pis pour le repas chez mes parents, je passerai les voir demain. Elle me regarde et commence à fixer mon ventre, elle a tendance à essayer de nous faire comprendre ses pensées par des regards, des sourires, des ricanements. Je lui demande ce qu’il se passe et elle me retorque en rigolant “Je ne sais pas on dirait que tu as pris du poids”

Je n’ai pas d’inspiration, j'écris n'importe quoi, je suis trop fatiguée, je m'allonge sur le lit et ferme les yeux, il est 14H37, je me réveillerais pour 15H.

-Clémence, Clémence réveille toi.”

Paul me secoue doucement, je regarde le réveil, 18H39, comment ai-je pu dormir aussi longtemps, je me lève et quitte rapidement cette immense maison pleine de souvenirs. Sur le chemin du retour je discute avec Paul.

-C’est étrange je crois que j’ai faillis faire tomber Flavy enceinte tout a l’heure.
-Faillis faire tomber enceinte ? Genre comme quelqu'un qui a faillis tomber ?
-
Arrête de te moquer ! Je t’assure j’ai commencé à écrire une trame qui l’amenait dans cette direction.

-Tu pourrais essayer de recommencer et voir ou cela te mène, il faudrait savoir comment cela a pu arriver, ce qu’elle va faire et tout ça. Mais ne le fait pas maintenant ça risquerait de gâcher la spontanéité de ton écriture.

-Tu n’as pas tort, je le ferai ce soir, voyons voir jusqu’où mon imagination peut aller.”

 

Il est 19H05, j’ai décidé de manger dans mon lit ce soir, Paul n’aime pas ça mais il reconnait tout de même que ce n’est pas désagréable d’être au chaud en mangeant un plat délicieux. Je déguste mon pot de Ben et Jerry’s saveur Half Baked, mon préféré. Je vois l’heure défiler et je me décide à écrire cette folle histoire avec Flavy. L’ordinateur est en bas, je regarde Paul avec un air suppliant mignon, cela marche toujours en général. Il souffle et descend me le chercher, je l’aime de tout mon cœur, j'espère vraiment faire ma vie avec lui, je me sens bien à ses côtés et je crois que lui aussi. Il me le tend avec un sourire hypocrite et je le remercie en exagérant bien mon remerciement. J’ouvre l’ordi, ferme les yeux et laisse mes doigts taper sur le clavier.

Je suis un peu surprise par sa remarque et regarde mon ventre. C’est vrai que j’ai pris un peu de poids mais je ne m’étais pas fait cette hypothèse. Cela me fait rire qu’elle me fasse cette remarque car je sais qu’elle adorerait que ce soit le cas. Elle a toujours aimé les enfants mais n’a jamais trouvé quelqu’un pour franchir le pas. Elle avait envisagé d’adopter l’année dernière mais toute la procédure l’avait découragé. Mais pourquoi serais-je enceinte ? Je suis sous pilule et je la prends toujours chaque soir avant de me coucher. Je refais ces derniers jours dans ma tête et soudain je bloque sur mardi dernier, je n’ai aucun souvenir de l’avoir prise. J’attrape rapidement mon sac et sors ma plaquette pour vérifier cette information. Dimanche, lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, nous sommes samedi mais c’est celle de vendredi qui se présente à moi ce soir. Je regarde mon ami droit dans les yeux, elle comprend tout de suite ce qu'il se passe.

Un oubli de pilule, il faut vraiment ne pas avoir de chance, mais moi aussi je suis sous pilule. Et moi aussi je n’ai pas le souvenir de l’avoir prise lundi dernier ! Est-ce que mon inconscient aurait utilisé mon héroïne pour m’alerter sur ma situation.

“Paul passe ma boite de pilule s’il te plait !
-Tient, il y a un problème mon amour ?
-Peut-
être, compte avec moi pour vérifier que je n’ai pas oublié celle de lundi à la soirée du voisin !”

 

On se regarde dans les yeux, il y en a une en trop, le sentiment de ce matin au réveil était justifié. Paul met son manteau et pars à la pharmacie de nuit pour acheter un test de grossesse. Pendant ses 5 minutes d’absence j’ai eu le temps de faire tout un schéma dans ma tête. Je me sens prête à être maman, j’aime Paul et notre situation nous le permet. Mais je dois vraiment faire un travail sur moi pour plus m’écouter, j’aurais dû être alerter par mon pressentiment de ce matin. C’est incroyable que mon inconscient ait réussi à me faire passer un message par le biais de mon écriture. Paul revient il me tend le test, me regarde dans les yeux et me dit qu’il m'aime.

 


Il est 20H08 le résultat met 5 minutes à apparaitre, nous attendons, cette attente est interminable, je comprends dans les yeux de Paul que lui aussi se sent prêt si le test se révèle être positif.

20h13, je regarde le résultat. Quelque chose commence dans ma vie, mais aussi “de” ma vie, à partir d'elle, quelque chose qui ressemble à un jeu, "je”. 



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