lundi 8 mars 2021

Terminales 1/2/3: Comment se constitue un corps politique? (2)


                Cet extrait du film génial des Monty Python: « la Vie de Brian » (à voir au plus vite au cas où ce ne serait pas déjà fait) décrit exactement toutes les fonctions de l’Etat. Le "front de libération de la Judée" veut se débarrasser de l’occupation romaine mais cette présence de l’occupant n’a pas engendré que des désagréments car l’invasion a également installé des infrastructures que seul la puissance d'organisation d'un Etat peut imposer. Les revendications nationalistes du front de libération font ici l’expérience de leurs propres contradictions. On saisit d’ailleurs, au-delà de l’humour subtil de cette scène, pourquoi historiquement l’occupation romaine a pu durer aussi longtemps. Des peuples ont pu dépasser leur opposition au peuple conquérant dés lors que cette autre nation apportait également l’efficacité juridictionnelle et organisationnelle d'un Etat, institution dont le seul souci est de gérer le vivre-ensemble.
         En un sens, on pourrait dire que ce groupuscule essaie désespérément de se trouver une légitimité face à ce qui pourtant leur apporte la sécurité et le statut de sujet de droit. La fin de la scène est extrêmement drôle mais elle n'est d^role que dans la mesure où elle est incroyablement juste, comme le prouvent souvent certaines crises de rire. La paix est une situation qui nous semble tellement naturelle que nous ne nous rendons pas compte qu'elle constitue la première justification et le premier apport de l'Etat, lequel constitue finalement un tel fondement de notre normativité que nous n'apercevons pas son efficience. Rien n'est tant détesté dans un Etat que cet Etat lui-même, même si cette détestation ne peut se formuler qu'à partir d'une situation rendue possible par l'état.  Il est le fond structurel propre à tout corps politique, celui sans lequel rien de politique ne serait possible, fût ce sa propre contestation.
        L'Etat Romain apporte la paix, certes une paix d'envahisseur, mais aussi la paix sans laquelle rien de durable ne peut se constituer dans une nation.

2) La notion de communauté sociale (la force morale de la société - Durkheim)
                                 a) Des affects communs           

            Or de fait, la réponse à cette question (peut-on constituer l'humanité en tant que nation?) est négative, car si l’homme ne vit pas individuellement, il ne vit pas non plus collectivement à l’échelle de son genre, de son espèce. Il y a des totalités sociales qui de fait sont des « nations ». Et aucune réflexion sur la communauté humaine ne peut se concevoir à partir d’une autre base que celle-ci. Il y a des nations et même si nous voulons réfléchir au dépassement de cet état de fait, toute pensée sur des liens internationaux font signe dans leur appellation même de la nécessité de passer d’abord par la Nation.

        Comment penser cette mise en commun des hommes sans passer par tout ce que la nationalisme a de ruineux, d’irrationnel, de contre-productif pour la notion même de communauté? Au principe donné de la nation s’oppose le caractère construit de la notion d’association, parce que nous nous associons de bon gré, suite à des accords. Il y a quelque chose d’émancipateur dans l’association que l’on ne retrouve pas dans la nation, parce qu’en fait on ne choisit pas sa nation mais on se trouve guidé par elle de façon quasi pulsionnelle. Dans une association, on ne se met ensemble que parce qu’on l’a voulu. C’est bien cela que traduit ce que l’on appelle le contractualisme, c’est-à-dire l’idée selon laquelle on peut faire communauté à partir d’un principe de libre entente fondé sur le bon vouloir des associés entre eux.
        Mais la naissance même de la sociologie, c’est-à-dire la constitution de la science prenant pour objet la société et les principes rendant possible une mise en commun des hommes repose sur un constat: il y a plus dans la mise en communauté des hommes que l’effet de leur seule libre volonté. A l’échelle macroscopique, l’effet de consistance par le biais duquel une communauté large prend forme et structure dépasse totalement le cadre de la seule volonté libre des individus qui la composent.
        L’erreur du contractualisme, c’est-à-dire de la thèse selon laquelle les communautés se créent par l’accord libre des concitoyens repose  sur ce que l’on peut appeler un paralogisme scalaire, c’est-à-dire une erreur d’échelle. On fait comme si ce qui marchait à une petite échelle pouvait s’appliquer à une grande. Mais c’est faux. En fait, selon la sociologie, le social est distinct de l’association.  Il y a dans le social quelque chose qui dépasse complètement de la volonté libre des supposés contractants. Il y a « plus » dans la communauté que dans l’accord des individus qui la composent. Qu’il y ait de la sociologie suppose qu’il existe un type de comportement qui naît de la communauté des individus et qui n’existerait pas sans cela. En d’autres termes, nous pourrions dire que l’effet de cohésion des grands ensembles communautaires ne consiste pas dans le principe d’une addition: 1+1+1+1 des individus intégrant cette communauté.
        Le propre du social c’est donc ce « plus », ce qui ne se réduit pas à une simple addition, c’est une excédence. Dés lors se pose la question de savoir ce qui fait le principe même de cette excédence. Selon Emile Durkheim, cette excédence peut se définir comme « la force morale de la société ». Il y a donc un effet de transcendance de l’ensemble social par rapport à ses parties.  Mais s’agit-il tant d’un effet de dépassement ou de « commencement ». La grande difficulté que nous éprouvons à analyser ce qui fait communauté vient notamment du fait que la communauté finalement est toujours déjà là. Elle ne se définit et ne se comprend qu’a posteriori.  Comment réfléchir intelligemment sur cette question sans tomber dans une forme de tautologie, à savoir que c’est toujours à partir du fait qu’elle soit là qu’on essaie d’analyser le fait qu’elle soit là.
         
  Ici encore Emile Durkheim est très affirmatif: « Il n’y a pas un instant radical où la religion ait commencé d’exister et il n’existe pas de biais qui nous permettent de nous y transporter par la pensée. Comme toute institution humaine, la religion ne commence nulle part. » Pourquoi parler ici de la religion? Parce qu’il n’y a pas de société sans religion et qu’il est hors de doute que la religion est l’origine même de la société. Evidemment par « religion », ce qu’il faut entendre ici est moins telle ou telle confession religion que l’attitude même du religieux, du « religare » étymologique (relier). Des hommes se réunissent autour de croyances, de dogmes, de rites, de commandements (il convient de bien réfléchir historiquement à cette dernière référence: il ne pourrait pas exister de lois sans commandement et pas de commandement sans religion, cela ne veut pas dire du tout que les termes d’éthique et de religion soient identiques, bien au contraire, mais cela n’empêche pas qu’il existe un lien généalogique entre l’éthique et la religion).
        Où et comment l’idée de faire communauté s’est-elle présentée aux hommes? C’est là une question fondamentale, au sens propre parce qu’elle touche aux fondements mêmes de l’humanité, mais c’est aussi une question probablement insoluble parce que, comme le dit Durkheim, « l’institution humaine ne commence nulle part. » On peut établir un certain nombre de liens historiques qui quoi qu’on en dise nous conduise tous à la notion même de « religieux », mais une fois là, l’histoire ne nous est plus d’aucune aide et il faut avoir recours à une expérience de pensée comme les philosophes du contrat (Hobbes, Rousseau, etc.) l’ont fait avec l’Etat de nature, laquelle est, en réalité une fiction conceptuelle.
        Qu’est-ce qu’une fiction conceptuelle? C’est une « idée » qui n’a rien d’historique, à savoir, par exemple, qu’il n’a jamais existé « d’état de nature ». Les hommes ont finalement toujours existé dans le cadre de communautés. Il a donc toujours existé d’abord des « sociétés », même si différents types de liens pouvaient valoir au sein de ces sociétés. Ainsi ici: trouver l’origine historique de la force morale de la société est complètement illusoire, mais ce n’est pas pour autant que nous ne pourrions pas concevoir de « fiction », ou de « thèse », voire d’hypothèse.
        Envisageons donc la possibilité (postulat) selon laquelle la force morale de la société vienne de la puissance de la multitude, concept que nous retrouvons chez Spinoza (potentia multitudinis). En un sens, cela revient à poser que la société s’engendre d’elle-même, de façon purement immanente et c’est finalement cela le Spinozisme: c’est le postulat d’un immanentisme total. La puissance de la philosophie de Spinoza réside entièrement en cette donnée: refuser catégoriquement tout recours à une transcendance quelconque et miser sur la puissance de la vie à s’auto-générer. D’où vient de ce qu’il y ait des communautés humaines, donc? De cela même qu’il existe une puissance de la multitude des hommes qui s’y libère, qui s’y exprime, qui s’y donne une authentique consistance politique. Dans le chapitre VI, 1 du traité politique, Spinoza décrit très clairement l’origine même de l’état de société:
    « Les hommes étant conduits par la passion plus que par la raison, comme on l’a dit plus haut, il s’ensuit que si une multitude vient à s’assembler naturellement et à ne former qu’une seule âme, ce n’est point par l’inspiration de la raison, mais par l’effet de quelque affect commun, telle que l’espérance, la crainte ou le désir de se venger de quelque dommage (ainsi qu’il a été expliqué à l’article 9 du chapitre III). Or comme la crainte de la solitude est inhérente à tous les hommes, parce que nul, dans la solitude, n’a de forces suffisantes pour se défendre, ni pour se procurer les choses indispensables à la vie, c’est une conséquence nécessaire que les hommes désirent naturellement l’état de société, et il ne peut se faire qu’ils le brisent jamais entièrement. »
 
(Attention, sur le polycopié que je vous ai distribué, j'ai fait une faute de frappe. Ce texte, comme il est indiqué ici, se situe bien au chapitre VI et non IV comme il est écrit sur le polycopié - Merci de rectifier et merci à Quentin de l'avoir remarqué)

      b) Entropie / Néguentropie, Politique / Economie
                     

            Il importe de développer ici une parenthèse au sein de laquelle nous ferons valoir des considérations totalement étrangères à la philosophie de Spinoza, tout simplement parce qu’il était évidemment impossible de les envisager à son époque. Cette notion de communauté sociale n’est pas seulement incontournable à cause de son évidence, de sa factualité (de fait, il y en a) mais aussi d’un point de vue vital. Il convient aujourd’hui de relier cette notion de politique à celle de nécessité vitale et d’accorder à cette dernière expression trop souvent galvaudée une attention quasi-scientifique. Quel sens pouvons-nous donner aujourd’hui à l’idée de "nécessité vitale "?
            

                    Par entropie, il faut entendre ce principe en fonction duquel se produit nécessairement une dégradation de l’énergie dans un système isolé. Cela signifie qu’il existe en tout ensemble un principe de perte. Lorsque l’on fait communiquer deux systèmes qui étaient d’abord fermés, étanches l’un à l’autre, on constate que l’énergie de chacun des deux va se confondre avec celle de l’autre mais toujours du haut vers le bas, c’est-à-dire au gré d’un principe de perte. Je sors une tarte du four et je la mets dehors, à l’air libre. Entre la température haute de la tarte et celle basse de l’extérieur, un équilibre va se produire, une méta-stabilisation mais sur le fond d’une flèche plutôt descendante. Petit-à-petit la chaleur de la tarte va diminuer. D’un point de vue thermodynamique, mais pas seulement, on progresse toujours de l’ordre vers le désordre. En un sens dont on pourrait dire qu’il est aussi bien physique que biologique, vivre c’est lutter contre l’entropie, créer à l’intérieur même d’un principe universel et irréversible qui tend vers le désordre de l’ordre, de l’organisation, du collectif.

           
            Le physicien Erwin Schrodinger est l’inventeur de la notion qui prend l’exact contrepied de l’entropie, à savoir la néguentropie. Ainsi toute cellule lutte contre l’entropie en s’efforçant de garder sa néguentropie par son organisation, sa structure, son fonctionnement, et son rapport à l’extérieur. Si la cellule parvient à organiser des échanges avec son milieu qui sont favorables aux conditions de sa vie, elle élabore, du même coup la possibilité concrète de sa néguentropie. Celle-ci réside donc dans l’aptitude d’un ensemble de se structurer contre ce qui en elle crée cette ligne tendancielle du chaos, de la mort lente, de la désorganisation. Nous croirions entendre exactement la définition de ce qui constitue un corps politique.
        Ce qui est, en effet, très commode et très éclairant dans ces deux concepts physiques qui ne sont scientifiquement pas du tout évidents, c’est que l’on peut en avoir des illustrations très courantes et très prosaïques. Quiconque travaille sur un bureau sait que la dynamique même de cette activité tend vers l’installation d’un désordre jusqu’à ce que nous décidions que « ce n’est plus possible ».
        La formulation du principe d’entropie par Sadi Carnot date de 1824, ce qui signifie que les physiques de Lavoisier, de Newton, de Laplace ne s’appliquent pas à des univers entropiques. Mais alors dans quel monde concevaient-elles leurs principes et leurs lois? Dans un Univers méta-stable à l’intérieur duquel, comme le disait Lavoisier: « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Ce que l’entropie apporte de nouveau dans ces représentassions là n’est rien moins qu’une forme de dynamitage intégral. « Tout se perd, au contraire » et tout en tant que tout, que totalité, qu’ensemble, que système ou que cellule ne fait que se perdre. L’univers « fuit » comme un peu crevé. L’énergie suit un régime de perte au gré duquel il est acté qu’elle ne reviendra pas. Tout ce que l’on peut faire dans une thermodynamique et une physique intégrant le principe d’entropie, c’est retarder cette fuite en créant de l’organisation par le biais d’une démarche  néguentropique.
         
La grande puissance de cette notion de néguentropie, c’est qu’elle redéfinit complètement le concept même de « nécessité vitale ». Vivre, c’est lutter contre un principe de dispersion. Se structurer en tant que corps, affermir en soi la capacité fédératrice de constituer toujours un ensemble, ce n’est pas un « idéal », ce n’est pas la vision bon chic bon genre d’une saine politique que l’on déciderait dans les salons cossus des hommes de pouvoir, c’est une nécessité organique plus primitive qu’aucune autre, à l’oeuvre dans tous les ensembles physiques,  organiques ou politiques de la planète.
        Il faut situer la politique dans ce panorama d’ensemble auquel finalement rien de terrien n’est vraiment étranger. Que dire de l’économie par rapport à l’émergence de cette notion d’entropie et à tout ce qu’elle bouleverse de la conception scientifique du monde et des ressources énergétiques?  Etrangement, elle constitue l’une des sciences humaines qui la refusent, voire qui ne la prend pas en considération. En 1971, seul, l’économiste et mathématicien Nicolas Georgescu-Roegen semble prendre acte de cette transformation: « La thermodynamique et la biologie sont les flambeaux indispensables pour éclairer le processus économique, la thermodynamique parce qu’elle nous démontre que les ressources naturelles s’épuisent irrévocablement et la biologie parce qu’elle nous révèle la vraie nature du processus économique. »
          

                Il n’a jamais été aussi important de revenir à la distinction fondamentale opérée par Hannah Arendt pour dissocier la sphère de la politique qui décrit le rapport de l’homme au monde à celles de l’économie qui concerne la relation de l’homme à la vie, voire à la survie, mais précisément Arendt catalogue le rapport de l’homme à la vie comme intérêt qu’il prend à « sa » vie, à sa survie, au bien-être de sa famille alors que la politique définit selon elle un domaine collectif au sein duquel les citoyens font groupe et décident de faire advenir une initiative humaine par la parole et par l’action. Autrement dit, si la pensée de Hannah Arendt est vraiment décisive notamment pour nous aider à saisir l’importance indépassable de la politique, il convient également que nous nous écartions de ses présupposés pour pointer une unification éventuelle entre la politique et la vie. Il y a d’autant moins lieu de les dissocier que le politique s’inscrit profondément et peut-être prioritairement dans le prolongement d’une efficience néguentropique biologique et physique fondamentale.
        Pourquoi faut-il faire de la politique? Pour créer des principes d’organisation néguentropique susceptible de lutter efficacement contre des dogmes économiques incapables de se renouveler et d’intégrer à leur corpus l’évidence scientifiquement avérée de l’entropie au sein de tous les ensembles et de tous les systèmes du monde physique. Hannah Arendt a raison de dénoncer l’emprise de l’économique sur le politique, emprise qui, a son époque, (les années 60, elle est décédée en 1975) s’exerçait déjà mais incroyablement moins qu’aujourd’hui, principalement parce que l’économie n’a pas intégré que l’idéal d’une croissance exponentielle de la production ne pouvait en aucune façon se concevoir dans un ensemble dont on réalise qu’il est animé par le principe entropique. Une économie fondée sur le credo de la croissance exponentielle du gain ne peut durer dans un monde qui perd, qui « fuit ». "Gagner" dans un monde fait pour "perdre", c'est accroître sa vitesse de perte. C'est un idéal aussi fructueux économiquement que destructeur écologiquement. Ces deux termes sont intéressants étymologiquement puisque ils sont tous les deux fondés sur la racine "Oïkos": maison. Nomos désigne le droit au sens de tradition imposée par la culture. Le logos signifie à la fois discours et rationnalité. Cela suggère trés clairement que la loi de la maison "humaine" (dans l'éclatement des cultures) va à l'encontre de la rationnalité (lois) de la maison "nature". Il convient donc de réfléchir à la possibilité d'instituer un nomos néguentropique, de telle sorte que construire une maison, c'est-à-dire un ensemble, une cité ou une nation ne soit plus incompatible avec cette rationnalité naturelle, organisé qu'est le vivant.
        Cette fonction néguentropique qui s’active en tout système physique et en tout organisme se complique néanmoins avec l’homme car il se trouve qu’il a intercalé entre lui et son milieu une interface, une habileté instrumentale que l’on peut considérer comme technologique. C’est ce que le statisticien Alfred Lotka exprime de la façon suivante:
 « Seul l'homme en est venu, au cours des temps, à utiliser une masse qui ne lui appartenait pas génétiquement, mais qui prolongea son bras endosomatique et accrut sa puissance. Alors seulement l'évolution humaine transcenda les limites biologiques pour inclure aussi (et même au premier chef) l'évolution d'instruments exosomatiques, c'est-à-dire produits par l'homme mais n'appartenant pas à son corps. C'est pourquoi l'homme peut maintenant voler dans le ciel ou nager sous l'eau bien que son corps n'ait ni ailes ni nageoires ni branchies. »
            

                    L’effort de l’être humain pour résister à l’entropie doit se manifester à un niveau technologique et économique parce qu’il est une créature exosomatique. C’est aussi la raison pour laquelle le « salut » ne peut se concevoir que politiquement. Le fait que l’homme crée ses propres instruments et conditions de production requiert des protocoles de néguentropie spécifiques. Le problème vient précisément du fait que les modalités économiques et technologiques de cette exosomatisation sont susceptibles d’accroître l’entropie plutôt que la néguentropie et c’est très exactement cela qui justifie le rapprochement entre l’anthropocène et l’entropocène. L’ethnologue Lévi-Strauss est le premier à avoir suggéré ce jeu homophonique:
      « la civilisation peut être décrite comme un mécanisme prodigieusement complexe où nous serions tentés de voir la chance qu’a notre univers de survivre, si sa fonction n’était pas de fabri­quer ce que les physiciens appellent entropie, c’est‑à‑dire de l’inertie. […] Plutôt qu’anthropologie, il faudrait écrire entropologie le nom d’une discipline vouée à étudier, dans ses manifestations les plus hautes, ce processus de désintégration »
                    L’anthropocène, c’est tout simplement l’affirmation par les climatologues du fait qu’une nouvelle ère est apparue à partir du moment où, avec la révolution industrielle , l’utilisation des énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) a commencé à changer petit à petit l’écosystème.
        Or l’anthropocène implique une augmentation de l’entropie de trois points de vue:
Physique: déperdition accélérée d’énergie
Biologique disparition des espèces vivantes et destruction de la biosphère
Informationnelle: nous sommes perdus dans l’information (une dispense d’énergie informationnelle qui conduit à la désinformation)
        Nous vivons la fin de l’anthropocène. C’est finalement exactement le fond du discours du GIEC, à savoir ce moment où des sociétés ayant adopté ou suivi un modèle de production exponentielle qui ne fait pas entrer dans ses calculs et ses prévisions sur l’utilisation des ressources  planétaires la notion d’entropie court vers une supposée « croissance » qui en réalité consiste dans une accélération  de l’entropie. Plus nous augmentons les chiffres de la croissance plus nous accélérons le mouvement de l’entropie, c’est-à-dire la désorganisation du vivant, aussi bien dans les espaces végétales, animales qu’en nous.
              
Le philosophe Bernard Stiegler décrit les deux effets de cette augmentation de l’entropie dans laquelle consiste l’anthropocène. En fait, nous pourrions donc aussi écrire l’entropocène, puisque les deux correspondent, mais ce n’est pas le même sens. Il faut savoir que ce glissement sémantique de l’anthropocène, c’est-à-dire de cette série climatique où l’homme dérègle le climat en l’imputant vers l’entropocène, à savoir ce moment où l’entropie est accélérée par ce dérèglement est finalement le fond du discours de Stiegler. Tout ce qu’il dit consiste dans la synonymie homophonique de ces deux notions. 

        L’homme est une créature politique parce que de biologique et naturelle la fonction néguentropique dans tout ce qu’elle revêt d’initialement vivant doit se structurer d’abord et seulement, de façon politique, c’est-à-dire nationale et étatique. Nous avons parfois du mal à concevoir la politique d’une autre façon qu’abstraite probablement parce que notre démocratie est représentative, qu’elle inclut de nombreuses lois, de nombreuses complexités administratives et des glissements symboliques. Mais nous ne devons pas perdre de vue cet enracinement biologique du vivant, physique de l’entropie et situer d’abord la fonction politique à ce niveau.

3) La notion d’ « impérium » dans le traité politique de Baruch Spinoza

Ce « détour » très en prise avec notre présent (pandémique) par la notion d’entropie et d’anthropocène nous permet de redonner à la politique son sens paradoxalement premier: celui de la polis grecque, comme nous y invite Hannah Arendt, c’est-à-dire d’un agir en commun dotant les hommes, par la parole et par l’action  d’une puissance de création libre dans un monde naturel et physique. Par la politique, l’être humain peut prendre des initiatives, faire advenir des commencements dans des processus. Cette efficience de détérioration et d’usure qu’Hannah Arendt baptise: « processus »  n’est pas sans avoir quelques résonances avec la notion d’entropie (bien qu’elle n’ait jamais utilisé ce terme).
          

Qu’est-ce qu’un corps? C’est finalement un ensemble animé par un principe d’unité, d’organisation. Un objet technique, une cellule, une « chose », un corps humain, un virus, un nuage, etc,  sont donc chacun à leur façon spécifique des « corps », donc des ensembles ou des systèmes sur lesquels s’exerce la force entropique et consécutivement susceptibles d’être impulsés par une fonction néguentropique leur permettant d’y résister puisque cette dernière désigne la capacité d’une puissance d’organisation de résister à cette puissance fondamentale et exhaustive de l’entropie.  C’est sous la perspective de cette conception des corps qu’il convient se situer la politique chez Spinoza et c’est bien ce qui rend également cohérent cette référence anachronique d’un point de vue littéral (jamais évidemment Spinoza n’évoque l’entropie: puisque c’est un concept qui date de 1824) mais très fructueuse d’un point de vue philosophique « pur ».
            
                    Evidemment cela réclame également de nous, « 21e siècle » que nous nous révélions capable de revenir au sens grec de la polis, de la cité, de la nation, de l’état, bref de la simple notion de « communauté politique ». Ce qui se manifeste dans la capacité de notre corps vivant à rester en bonne santé, à résister au principe de désorganisation de notre vieillesse et de notre mort inéluctable n’est pas très différent formellement de notre aptitude politique à faire corps au sein d’une communauté. Il y a sans contestation possible une fonction néguentropique du politique et une fonction d’accélération entropique de toute économie de type consumériste comme l’est le capitalisme actionnarial (c’est à la fin du 18e et au début du 19e siècle (1760 - 1840) que les sociétés européennes passant d’un modèle rural à un modèle industriel ont petit à petit avalisé cette inversion du produit et du besoin qui est à l’origine de toutes les crises actuelles. Ce ne sont plus les produits qui répondent aux besoins mais les besoins humains qui sont créés  par le marketing pour consommer une masse exponentielle de produits). Croire au politique aujourd’hui est un acte de résistance contre cette ligne tendancielle accélérant l’entropie qui implique que nous placions au centre de nos préoccupations non plus notre niveau de vie mais notre aptitude à contrer autant qu’on le peut l’accélération de l’entropie. C’est devenu le seul critère au crible duquel il importe de faire passer nos actions et nos préoccupations.
                

                Que nous soyons parfois inclinés à croire qu’il n’y a rien à attendre des politiques doit se reconsidérer à la lumière de ces derniers développements et alors de deux choses l’une: soit nous changerons d’avis pour tel ou tel, soit nous nous sentons légitimés à conclure que certains des nos politiques manquent de culture ou de repères et ont perdu le sens de leurs fonctions en laissant primer dans l’exercice de leurs charges le rapport à une économie qui sous le prétexte qu’elle serait mondialisée serait nécessairement « bonne ». Cela signifierait alors que nous nous sentons en droit d’adresser à l’exercice de la politique des hommes politiques d’aujourd’hui ce reproche selon lequel il n’est justement pas assez politique, voire qu’il ne l’est plus du tout. Le seul mot d’ordre qu’il conviendrait d’en conclure est finalement très simple: ce que NOUS voulons, ce n’est pas la fin de la politique, mais son RETOUR, SA REHABILITATION

        Nous retrouverions ainsi le sens exact que les grecs lui ont donné et qu’Hannah Arendt ne cesse de rappeler à très juste raison. La bonne et finalement la seule question à poser à tout candidat à des postes de responsabilité au sein de l’Etat est donc la suivante: votre implication est-elle entièrement vouée à la création et au renforcement d’une unité politique authentique ou seulement à enregistrer passivement les aléas (et éventuellement les bénéfices) d’une économie consumériste dont vous ne maîtrisez rien et dont l’efficience réduit suffisamment votre champ d’action pour que vous ne fassiez qu’adapter l’Etat public à des impératifs d’ordre privé? La notion même d’espace, d’acte publics a-t-elle encore du sens?
        Considérer que cette position serait idéologique apparaît comme une erreur à la lumière de tout ce que les développements précédents sur l’entropie et la néguentropie ont mis en valeur. Toute activité, tout sentiment, toute implication capables d’activer et de produire en nous de l’unité, d’alimenter de désir de composer un collectif, une force concertée participe de la fonction néguentropique qui est à l’oeuvre dans le vivant mais aussi dans tout système ou dans tout ensemble organisé, qu’il soit composé de matière vivante ou inerte (Physique ET Biologie)
         Toute activité dés lors devient opportune et salvatrice quand une unité s’y compose  (principe d’individuation) et destructrice quand elle s’y décompose (désindividuation). Quiconque jugera nos façons de passer le temps aujourd’hui saura précisément où situer à l’aune de ce critère la politique, l’art, le sport, la culture d’un côté et toute incitation au consumérisme dans quelque domaine que ce soit dans l’autre.
       


           La compréhension des thèses de Spinoza nous donne des éléments concrets et utiles afin de réaliser les principes de constitution des corps politiques. Ceux-ci selon lui sont nécessairement de nature passionnelle. L’homme n’y est pas actif en ce sens que les mouvements qui animent la politique sont plutôt de l’ordre des sentiments, des affects que l’homme éprouve et « libère » (mais ce sens de la libération n’est pas du tout le même que celui de la liberté - C’est une distinction fondamentale: la liberté n’a rien à voir avec la libération)
             Quel est l’affect fondateur du politique? On a le plus souvent recours à la fiction de l’Etat de nature pour le définir, mais en réalité cette démarche ne prouve qu’une chose: si c’est fictif, c’est bien que le Social ne s’engendre que de lui-même. Si nous devons recourir à une espèce de « film », de scénario inventé pour trouver cet affect c’est bien qu’en réalité il n’y pas de commencement du politique, mais qu’il s’engendre en lui-même et de lui-même. Il n’y a jamais eu chez l’homme d’état de nature, d’état présocial ou asocial. Le politique suit un principe de constitution endogène.
        Qu’est ce que ça veut dire concrètement? Que cet affect par le biais duquel une multitude fait corps se compose par un jeu de composition mimétique d’affects individuels, c’est-à-dire par une logique d’imitation traversant les relations de personne à personne. Cela peut s’opérer de deux façons:
- Soit nous sommes spontanément portés à reproduire ou à stimuler en nous les affects de l’Autre mais ces rapports sont transformés par des relations d’affinités antérieurement constitués.
- Soit nous nous laissons influencés par les effets de nombre de groupes déjà formés. Si nous sommes a priori indifférents, nous aurons tendance à donner notre adhésion au groupe le plus important. Nous imitons ce qui a déjà été le plus imité.
               
En d’autres termes, la perspective n’est pas extrêmement réjouissante, ce que nous dit Spinoza ici, c’est que la loi de formation des affects communs à partir desquels s’auto-génère la communauté est gouverné par un principe fondé sur  le suivisme, la grégarité. Soit  tel ou tel groupe nous rappelle des affinités antérieures soit ce groupe nous attire parce qu’il a déjà été le plus choisi par le plus grand nombre. Plus un groupe est imposant, plus il a de chances d’attirer les individus, et cela jusqu’à ce que se constituent au fil de cette auto-génération ce que l’on pourrait appeler une certaine manière, un type d’attitude, un Ethos, une façon d’être. C’est bien là le creuset le plus profond de nos attitudes.

        Si ce principe est assez fondé, assez puissant pour susciter une forme de « rayonnement », de séduction, il se diffuse, sans être finalement voulu par personne mais en étant inconsciemment produit par tous. C’est de cette façon que se constitue des affects communs, des passions, à partir desquelles quelque chose comme une genèse de moeurs prend consistance et devient « potentia multitudinis ». Il ne faut pas sous-estimer cette genèse des moeurs car c’est à partir d’elle que s’édifient également une morale, un partage de ce qui est bien et de ce qui est mal, bref ce que nous pourrions appeler une « normativité » sociale. Il existerait donc une loi de composition des affects individuels à même de devenir un affect commun à partir duquel se fonde « une certaine manière » donnant matière à une normativité sociale.
        Tout se fige alors de telle sorte que quiconque se trouverait individuellement en opposition avec cet affect commun et ce qui en résulte à savoir ce partage du bien et du mal serait voué à être stigmatisé, voire mis en minorité par cette multitude animé par un affect commun. Comme le dit Frédéric Lordon,  « c’est faire contre soi l’expérience de la puissance de tous ».
             
Récapitulons: la force morale de la société est constituée par l’affect commun, donc passionnel. La capacité du social à nous faire quelque chose, à nous affecter, et par suite à nous faire faire quelque chose vient donc d’un affect commun. Le social est  une puissance: celle de la multitude. A ce pouvoir d’affecter qu’est le social, Spinoza donne le nom d’état ou pour reprendre la traduction de Daniel Pautrat d’ « Imperium ». Si ce spécialiste de Spinoza a choisi de ne pas traduire du latin le terme écrit par Spinoza, c’est qu’il revêt selon lui une complexité, une particularité que ne résout pas totalement la notion d’Etat. Voici le texte de Spinoza dans  le traité politique  chapitre 2, article 17, mais nous citons également les articles précédents dans un souci de clarification de la notion d’imperium:


« 14. Tant que les hommes sont en proie à la colère, à l’envie et aux passions haineuses, ils sont tiraillés en divers sens et contraires les uns aux autres, d’autant plus redoutables qu’ils ont plus de puissance, d’habileté et de ruse que le reste des animaux ; or les hommes dans la plupart de leurs actes étant sujets par leur nature aux passions (comme nous l’avons dit à l’article 3 du chapitre précédent), il s’ensuit que les hommes sont naturellement ennemis. Car mon plus grand ennemi, c’est celui que j’ai le plus à craindre et dont j’ai le plus à me garder.
15. Nous avons vu (à l’article 9 du présent chapitre) que chaque individu dans l’état de nature s’appartient à lui-même tant qu’il peut se mettre à l’abri de l’oppression d’autrui ; or, comme un seul homme est incapable de se garder contre tous, il s’ensuit que le droit naturel de l’homme, tant qu’il est déterminé par la puissance de chaque individu et ne dérive que de lui, est nul ; c’est un droit d’opinion plutôt qu’un droit réel, puisque rien n’assure qu’on en jouira avec sécurité. Et il est certain que chacun a d’autant moins de puissance, par conséquent d’autant moins de droit, qu’il a un plus grand sujet de crainte. Ajoutez à cela que les hommes sans un secours mutuel pourraient à peine sustenter leur vie et cultiver leur âme. D’où nous concluons que le droit naturel, qui est le propre du genre humain, ne peut guère se concevoir que là où les hommes ont des droits communs, possèdent ensemble des terres qu’ils peuvent habiter et cultiver, sont enfin capables de se défendre, de se fortifier, de repousser toute violence, et de vivre comme ils l’entendent d’un consentement commun, Or (par l’article 13 du présent chapitre), plus il y a d’hommes qui forment ainsi un seul corps, plus tous ensemble ont de droit, et si c’est pour ce motif, savoir, que les hommes dans l’état de nature peuvent à peine s’appartenir à eux-mêmes. Si c’est pour cela que les scolastiques ont dit que l’homme est un animal sociable, je n’ai pas à y contredire. »
    

        Il est absolument impossible de comprendre les articles 14 et 15 sans la référence à la philosophie politique de Hobbes, notamment à la conception de l’état de nature et à celle du droit naturel de cet auteur.
        Les hommes sont naturellement ennemis les uns des autres: voilà une proposition que l’on retrouve chez Hobbes et chez Spinoza. Par été de nature il faut entendre chez l’un et l’autre cette situation fictive qui précèderait le social, l’état civil.  Mais il y a cependant une différence car il existe pour Hobbes un naturel hostile, anti-social chez l’être humain alors que cette antériorité de l’adversité chez les hommes ne s’explique pour Spinoza que de l’affect de crainte. C’est justement cela: le jeu de composition mimétique d’affects: ayant le plus à craindre de l’autre l’individu suscite chez l’autre l’affect de crainte qu’il éprouve d’abord en lui, et ainsi de suite. On fait advenir en l’autre ce qu’ l’on craint le plus pour soi-même. En fait c’est plutôt parce qu’ils sont plusieurs qu’ils sont méchants et non parce qu’ils seraient naturellement méchants qu’ils le seraient à plusieurs. C’est très important car cela prouve que d’autres affects pourraient aussi en droit se répandre avec la vitesse de cette contagion là.
        Par droit naturel, il ne faut du tout entendre ici cette intuition universelle que tout homme aurait spontanément de ce qui est juste et injuste: c’est là une définition que l’on retrouve chez la plupart des autres auteurs (dont Aristote) mais pas du tout chez Spinoza ni chez Hobbes. Par droit naturel il faut entendre  la puissance dont dispose un individu de persévérer dans l’existence, et pas seulement physiquement, puisque qu’il s’agit de persévérer dans ce que l’on est et pas du tout de vivre à tout prix, de survivre (on ne saurait suffisamment insister sur cette distinction qui est de très, très grande conséquence).
          

Or, le chapitre 15 affirme l’impossibilité absolue de l’individu de disposer de son droit naturel dans l’état dit de nature puisque il lui est impossible de s’y maintenir à l’écart de l’oppression d’autrui. Le droit naturel est virtuel dans l’état de nature et réel dans l’état civil. Nous avons autant de droit que de puissance. Or puisque notre puissance est sans cesse menacée dans l’état de nature, nous n’y exerçons aucun droit. La puissance naturelle ne s’exerce donc naturellement que dans un état de droit, lequel suppose des droits communs. La notion de communauté est là: à la fois justifiée par le droit et la nécessité d’exercer ma puissance naturelle. C’est ça le corps politique, le point de croisement de l’exercice de ma puissance naturelle et l’exercice de mon droit, lequel ne fait qu’un avec cette puissance.
        L’individu n’a de puissance naturelle et conséquemment de droit naturel que collectivement. Il n’en a pas par lui-même isolément. La notion même de puissance individuelle passe par le collectif de cette puissance. Une fois compris qu’il n’existe de puissance individuelle que collectivement et naturellement, il n’existe plus de conflit entre l’individu et le collectif. Il n’y pas lieu d’en avoir parce que l’isolement c’était la situation que connaissait (ou connaîtrait) l’homme fictivement dans l’état de nature, celui où son droit naturel était réduit à 0. Le droit naturel de chaque individu se fonde politiquement et nulle part ailleurs, autant dire qu’il se fonde collectivement (mais ce « collectivement » ne détruit pas l’individu, il le fonde au contraire):
« 16. Partout où les hommes ont des droits communs et sont pour ainsi dire conduits par une seule âme, il est certain (par l’article 13 du présent chapitre) que chacun d’eux a d’autant moins de droits que les autres ensemble sont plus puissants que lui, en d’autres termes, il n’a d’autre droit que celui qui lui est accordé par le droit commun. Du reste, tout ce qui lui est commandé par la volonté générale, il est tenu d’y obéir, et (par l’article 4 du présent chapitre) on a le droit de l’y forcer.
17. Ce droit, qui est défini par la puissance de la multitude ; on a coutume de l’appeler l’État ou « imperium » . Et celui-là est en pleine possession de ce droit qui, du consentement commun, prend soin de la chose publique, c’est-à-dire établit les lois, les interprète et les abolit, fortifie les villes, décide de la guerre et de la paix, etc. Que si tout cela se fait par une assemblée sortie de la masse du peuple, l’État s’appelle démocratie ; si c’est par quelques hommes choisis, l’État s’appelle aristocratie ; par un seul enfin, monarchie. »
                    

                L’imperium, c’est le pouvoir dont dispose la multitude de s’auto-affecter. Il a deux effets:
L’affect commun fait être le groupe comme groupe. Il est un opérateur de communauté. Il fait émerger le groupe à partit de la collection d’individus qui le composent. Il est ce par quoi une simple juxtaposition d’individus vont constituer un corps, et prendre ainsi une consistance.
Du coup, s’effectue un mouvement par le biais duquel une puissance immanente (celle de l’affect commun) va générer une transcendance, une supériorité, celle par le biais de laquelle une certaine « manière" va devenir une normativité sociale et exclure ainsi tout effet de marginalisation. Le tout va créer par l’affect commun manifeste concrètement un effet de supériorité sur la partie, sur l’individu qui est moins que le groupe. L’affect commun est ainsi supérieur à chaque individuel sans lequel pourtant il ne serait jamais devenu l’affect commun. L’imperium devient le principe de la transcendance du social alors même qu’il est dans sa constitution le fruit de l’immanence de tous les affects individuels.
        Le social est donc à la fois un « plus », au sens d’excédence et une élévation, une supériorité.  L’imperium c’est la transcendance immanente du social, ce qui partie du bas, c’est-à-dire des individus eux-mêmes exerce sur eux une supériorité. C’est ça finalement « le social », à savoir la combinaisons de deux faits:
Qu’il y ait plus dans l’ensemble que la simple addition de ses parties
Que ce « plus » exerce de fait une autorité sur chaque individu, vaut comme une transcendance.
        Le social c’est la capacité qu’a la multitude de s’auto-affecter sous l’effet d’une dynamique ascendante et descendante. C’est à partir de la multitude que se forme l’affect commun pour ensuite « du haut » affecter la multitude, comme en retour. S’il y a souveraineté du social, c’est à partir de cet agent qui s’ignore et que l’on peut désigner du terme de multitude.
        Mais comment et pourquoi la multitude s’ignore-t-elle à ce point, jusqu’à se dissimuler à elle-même qu’aucune souveraineté ne peut s’effectuer sans elle parce qu’en réalité elle en est la seule source?



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