lundi 1 mars 2021

Du mode d'existence des oeuvres d'art

    


                En 1958, le philosophe et ingénieur Georges Simondon publie « Du mode d’existence des objets techniques », livre dans lequel il tente de réhabiliter le lien entre l’Homme et l’ustensile technologique en pointant une méconnaissance fondamentale. L’homme du sens commun s’aliène lui-même en se détournant de ce qui pourtant constitue nécessairement une essence commune à lui et à l’objet technique. Nous nous sommes absurdement rendus l’objet technique obscur, opaque à nous-mêmes alors qu’il est évidement quelque chose de la présence humaine dans le monde qui s’effectue,  se clarifie, se prolonge et se caractérise dans l’objet technique. Que l’Humain soit humain, c’est justement ce que l’objet technique dit, fait, confirme et concrétise en creusant toujours davantage dans la chair de la terre quelque chose des contours de l’être qui l’utilise. Cette tautologie: « l’homme est Homme »  ne cesse de résonner dans les degrés de concrétisation de cette présence technologique de l’homme dans le monde, présence qu’il est possible de rendre moins agressive dés lors qu’une fois cette "toute transparence"  rétablie, les relations de l’homme à l’homme s’étant pacifiées, les rapports de l’homme à la nature ne peuvent eux aussi que se bonifier et s’harmoniser.
        Si donc par l’objet technique, l’être humain en apprend sans cesse davantage sur ce que c’est que sa propre présence AU monde, puisque l’être humain s’y reflète et s’y concrétise, ne pourrions nous pas envisager que, dans son rapport à l’oeuvre d’art, l’être humain fait une autre expérience celle de réaliser ce que c’est que la présence DU monde? Voire ce que c’est que la Présence tout court? Pourrions nous envisager qu’il existe un mode d’être propre aux oeuvres d’art et que ce mode d’être ce soit purement et simplement celui-ci: « Etre là, maintenant », et c’est tout?
            

                Cette hypothèse vaut vraiment la peine d’être envisagée, testée, ne serait-ce que parce qu’elle serait à même d’expliquer le rejet, voire l’hostilité de très nombreuses personnes à l’égard de plusieurs formes d’art. Mais pour mieux saisir cette idée, il faut d’abord revenir à Simondon et aux modes d’être des objets techniques car il est tout à fait exact qu’au-delà de leur éventuelle complexité, un objet technique représente toujours pour un être humain, une sorte de présence rassurante, "d’objet transitionnel" comme dirait Winnicott, quand il évoque l’importance des premiers objets sur lesquels les bébés opèrent une sorte de transfert affectif. C’est exactement ce que nous appelons parfois les doudous. Le bébé retrouvant cet objet, poupée, ourson, ou autre, se calme, reprend quelque chose que Gilles Deleuze appelle une ritournelle, empruntant cette référence à ces chansonnettes ou à ces airs que nous nous fredonnons à nous-mêmes lorsque immergés dans un milieu étranger nous avons besoin de nous réconforter au contact d’une présence rassurante. Nous installons alors comme une sorte de périmètre de sécurité affective, ce que l’on appelle aujourd’hui une zone de confort, un espace de familiarité où rien ne nous est étranger. On sifflote une ritournelle comme des murs sonores qui nous font croire que quelque chose nous protège de l’hostilité menaçante d’une extériorité inconnue de nous.
                Chaque jour nous nous levons et ouvrons notre ordinateur dit « personnel » à juste raison. Le clavier s’offre à nos doigts, les touches des lettres de notre mot de passe vont comme chaque jour être enfoncées pour que nous puissions lancer les protocoles identiques et bien connus à partir desquels nous nous mettons au travail. Quoi de plus rassurant, familier, humanisant? Il devient très risqué d’affirmer son âge adulte contre l’infantilisation des doudous et des nounours quand nous réalisons que nous ne faisons que tisser incessamment des liens au fil de notre journée en passant ainsi d’objets transitionnels à d’autres objets transitionnels. Mais pour faire transition avec quoi, avec qui? Avec des actions humaines, elles-mêmes ne pouvant revêtir de sens que dans des lignes de faits humains qui s’effectuent dans des univers humains. Un monde humain toujours se profile à l’horizon d’un objet technique: un monde où l’on peut rouler à l’horizon d’une voiture, un monde où l’on peut joindre et être joint à l’horizon d’un téléphone portable, un monde où l’on peut calculer et résoudre à l’horizon de tout opérateur de pensée computationnelle.

          

                    Mais surgit devant nous une oeuvre d’art, prenons comme exemple « l’homme qui marche » de Giacommetti., exposé à la fondation Maegth de Saint Paul de Vence. L’oeuvre est indiscutablement « là » devant moi mais rien dans sa façon d’être là, seulement là, ne semble faire résonance avec mon humanité en ce sens qu’aucune activité humaine ne se profile plus à l’horizon de ses formes, de sa rigueur, de son volume, de sa plasticité. Quelque chose d’extrêmement pur, d’ascétique, voire de raréfié, s’effectue, s’impose. Voici que peu à peu grandit en moi l’évidence que je ne suis pas seulement ici pour « faire joujou avec mon doudou », faire vroum-vroum avec une voiture, ou « gazou gazou » avec un ordinateur. La statue est là, dans un aplomb qui n’attend rien de moi, qui ne me propose rien, qui m’ignore et en même temps éclaire ma présence de l’intuition renversante, accablante, d’une verticalité un peu flippante.
        « Qu’est-ce que tu fais là? Pourquoi tu es là? Qu’est-ce que tu veux me dire? De quoi essaies-tu de m’avertir? » Telles seraient les questions que j’aurais envie de lui poser si je me laissais aller à croire qu’elle pourrait me répondre.  Mais le silence de l’oeuvre d’art ne vient pas seulement de ceci qu’elle est un objet (le terme est d’ailleurs discutable), il participe plutôt du fait qu’elle est une oeuvre. La philosophe Elisabeth de Fontenay a écrit un livre intitulé « le silence des bêtes » mais me voici confronté au « silence des oeuvres », à cette réalisation au gré de laquelle je comprends qu’une oeuvre ne parle pas. C’est ça sa justesse, sa légitimité, sa justification, sa vérité d’oeuvre. Les artistes font des oeuvres qui ne nous disent rien parce que « tout y est dit ». La sculpture « est » et il est grand temps que je comprenne en effet que quelque chose du fait d’être ne s’offre pas au « qu’en pensez vous? » des commentaires et des « like » de Youtube.
             
  « Une oeuvre d’art n’est ni achevée, ni inachevée. Elle est. Ce qu’elle dit, c’est exclusivement cela, qu’elle est, et rien de plus. En dehors de cela, elle n’est rien. Qui veut lui faire exprimer davantage ne trouve rien, trouve qu’elle n’exprime rien. » Cette définition de l’oeuvre par Maurice Blanchot est fondamentale: en elle se résout la plupart des malentendus sur l’art, et notamment sur la philosophie de l’art. Elle formule une hypothèse encore plus radicale que celle de Henri Bergson: le propre d’une oeuvre d’art est d’ « être là », de revenir à la simplicité d’une présence effective, plastique, constatable. L’oeuvre d’art n’est que présente mais elle est « totalement » présente et que des objets soient présents, c’est ce que nous avons complètement oublier de prendre en considération parce que nous ne nous sommes entourés que d’ustensiles, exactement de la même façon qu’un bébé préfère s’entourer de doudous plutôt que d’objets hostiles et étrangers parce que ça lui permet de ne pas avoir peur du noir. Tous nos ustensiles sont des objets transitionnels, mais l’oeuvre d’art elle ne fait rien « transiter ». Elle ne sert aucunement de substituts affectifs à la « maman ». Elle est là, toute droite et menaçante comme un appel vibrant adressé au bébé humain afin qu’il parvienne à l’âge adulte: Si l’on veut absolument que l’œuvre d’art dise quelque chose à l’Homme, cela pourrait être ça: il est temps de sortir des jupes de  de ta langue maternelle pour affronter un univers qui n’a pas été fait pour te servir de divertissement. Il est temps que tu en rabattes un peu sur tes caprices de gamin gâté, pourri et que tu réalises l’efficience stricte, pure d’une réalité « nue ».
        Mesurons clairement et méthodiquement tous les implicites extrêmement actifs de la simple perception d’un ustensile: de voir un marteau que s’ensuit-il exactement ? Qu’il y a quelque part un clou à enfoncer, quelque chose à faire donc par quoi de l’activité humaine prend corps sur le fond d’un monde humain qui reste ainsi perpétuellement à construire. En tant qu’être humain, j’ai quelque chose à parfaire d’un monde humain qui reste encore à bâtir. Une temporalité, un espace, une finalité, un mode d’emploi. C’est l’idée même d’une temporalité organisée en fonction d’impératifs, de séquences, de rythmes, d’outils, de rapport aux autres humains qui finalement se profile à l’horizon de ce marteau. « A l’horizon de… »: ce terme est important. Pas d’ustensiles qui ne portent en soi la promesse calfeutrée d’un monde humain comme une huître dans la coquille de laquelle le mythe d’une espèce élue, d’un univers anthropocentré pourra se pérenniser. Nous en sommes même arrivés à cette absurdité sans nom qu’est la conception d’objets fragilisés, conçus pour s’user très vite et être achetés à nouveau de façon à ce que tous les intérêts des métiers qui se sont faits une profession de produire des ustensiles jetables et inutiles puissent ainsi proliférer, s’optimiser aux dépens du consommateur et de la nature. Avec l’obsolescence programmée, c’est comme si la logique de l’ustensile tournait à vide: il ne sert plus à rien de le faire servir « efficacement »  à quelque chose. Qu’il ne soit qu’un moyen, c’est ce qui impose qu’il ne marche pas bien. Tout objet qui n’est pas à lui-même sa propre finalité ne peut que se reconduire indéfiniment et se donner une pérennité dans une absurde auto-défection. Qu’il ne fasse que marcher, c’est ce qui rend nécessaire qu’il ne marche pas bien.
          
            Une oeuvre d’art n’est pas davantage obsolescente que programmable. Ce qui est vraiment étonnant et atteste de ce milieu étrange que nous appelons société humaine, c’est que nous étonnions de « l’homme qui marche » de Giacometti ou de Fontaine de Duchamp. Dans notre champ d’observation et d’action voilà qu’apparaissent des objets qui sont à eux-mêmes leur propre finalité, qui se résolvent entièrement dans le fait d’être là, qui ne manifestent rien, qui n’aspirent à rien d’autre qu’à s’incarner dans cette densité, dans ce volume, dans cette couleur, dans ce contours, etc. L’oeuvre d’art ne s’impose pas à moi comme une incitation quelconque. Il y a bel et bien un sens que je pressens dans sa façon d’être au monde mais ce sens n’est réductible à aucune action humaine et aucun monde humain ne s’y profile. Ce sens défie mes capacités habituelles de décryptage. Elle n’est pas inachevée parce que l’on ne voit pas bien vers quelle autre finalité qu’elle même on pourrait la « terminer ». Elle n’est pas achevée non plus parce qu’elle n’a rien d’un produit « fini ». C’est à peine si cette suffisance à soi est celle d’un objet. Elle correspond davantage à un mode d’être. C’est bien cela que veut dire Maurice Blanchot.
        Le mode d’être des oeuvres d’art, c’est de consister précisément davantage dans un mode d’être que dans un objet bien qu’elles soient aussi cela. Quel est ce mode d’être?  On le comprend beaucoup mieux lorsque l’on met en opposition le mode d’être de l’ustensile qui m’appelle à l’action et me rassure ainsi en me garantissant la promesse d’une chose à faire et le mode d’être de l’oeuvre qui m’appelle à la contemplation gratuite, vide de précipitation, d’urgence, de planning.
        En tant qu’êtres de langage, nés dans la logique de ses constants déplacements de signes dans lesquels toute langue consiste, nous sommes entraînés sans même nous en rendre compte pour situer en toute chose une insuffisance ontologique viscérale: il est impossible que l’existence de cette chose se résolve dans cette existence même. Nous ne pouvons pas prendre acte littéralement de "l’existence de l’existence". Par conséquent, il faut qu’un éclair signifie autre chose: Dieu ou le phénomène électro-statique, que la pluie annonce quelque chose, ou fasse signe d’autre chose et ainsi de suite. Nous sommes presque malgré nous dressés à ne jamais prendre pour argent comptant la seule présence d’un monde effectivement, soudainement et pleinement « là ». Si la langue est fasciste, c’est par le langage en tant que prédisposition à ne jamais se satisfaire de la présence d’un « monde là » est caractéristique d’un mode d’être humain dont les modalités remontent à très loin. L’art est la seule activité qui consiste à revenir de ce conditionnement là pour nous faire expérimenter  de la simple présence, pour nous permettre de jouir de cette plénitude étant entendu qu’il n’en existe pas d’autre.

           
  Toutes les récriminations que nous pouvons formuler contre les « ready made » de Duchamp sont des réactions quasi ancestrales dont l’origine est à chercher dans le langage, dans cette inclination à toujours chercher ailleurs que dans la présence même le sens d’une présence. Pour un humain qui a bien appris sa leçon d’humain, qui obéit à "sa maman": la langue, il faut que les choses, les êtres, les éléments, les forces servent à quelque chose, d’où la technologie, une certaine science (la techno-science), d’où l’économie, le consumérisme effréné, la croyance au progrès moral ou technique, etc. Se pourrait-il que le sens soit un phénomène plus vertical qu’horizontal?  Se pourrait-il qu’une oeuvre ne nous dise effectivement que ça: être présent, ça suffit! Et c’est tout ce en quoi peut consister une existence digne de ce nom.
        Une oeuvre est une présence dont l’impact ne fait écho avec aucune dynamique de socialisation, avec aucune donnée fondamentale visant à instaurer un ordre social humain qu’il soit politique, économique ou historique. L’art est une praxis, au sens le plus puissant que l’on puisse donner à ce terme, c’est-à-dire qu’il est une activité qui est à elle-même sa propre finalité de telle sorte que tout être humain qui fait ou qui contemple une oeuvre se soustrait à la routine archétypale de ce que tout homme désigne sous le nom d’agir en vue de….Pénélope attendant Ulysse tisse une toile pour tisser une toile. Elle donne à son attente une dimension existentielle  gratuite, pure, désintéressée. C’est comme une leçon très profonde adressée par une femme à des hommes aveuglés par leur désir de gloire et par  leur volonté de toujours soumettre à cette fin des actes dont ils n’investissent la pratique que pour la subjuguer à cette postérité (le terme de postérité portant ici bien son nom: "après"). Toute oeuvre d’art en ce sens est une profonde leçon de sagesse.
        Mais il est possible de donner à l’oeuvre un statut encore plus ambitieux, statut qui correspond à des thèses qui affleurent au texte de Bergson sans y être explicitement  développées, à savoir que l’œuvre d’art n’est pas une création mais la révélation de ceci qu’il est un monde qui ne cesse de se recréer à chaque instant et que c’est bien cela la vérité de chaque instant. L’artiste prend la réalité en flagrant délit de s’auto-générer à chaque instant. Pour bien en saisir la force, peut-être convient-il d’abord de revenir à Spinoza et à la distinction des concepts de nature naturée et de nature naturante.
            

                Que la nature ait été créée d’un seul coup, c’est ce qui suit de toute religion dite créationniste et nous savons quel coup le darwinisme a porté à ces religions du point de vue de l’existence de l’être humain, mais nous n’avons ps nécessairement retiré toutes les conséquences de cette remise en cause concernant le monde même car si les religions créationnistes sont décrédibilisées, elles doivent l’être tout autant pour l’être humain que pour la nature.
           Mais alors si l’on remet en cause le fait que la nature et l’univers ait été créés d’un seul coup, comme le prouve le Big bang (car le big bang prouve finalement moins le départ que le processus, le fait que l’univers soir en lui-même un processus de refroidissement et de dilatation), alors il faut envisager la thèse de Spinoza de façon plus favorable: la nature est naturante. Chaque instant est celui d’une auto-genèse, d’une effectuation de soi par soi à partir de soi de la nature, de l’univers. Mais nous ne le voyons pas. Bergson ici dirait peut-être que nous le percevons sans l’apercevoir. Ce qui fascinent Cézanne, Monet, Turner, Van Gogh et tous les peintres, c’est leur intuition qu’un nouveau monde continûment se donne à voir dans les nuances, dans la mutation des ces gammes chromatiques d’une maturation de pomme ou d’une lumière différente. 
                Leurs toiles ne nous fascinent pas seulement parce qu'elles nous permettent de saisir ce qu'il y a de "premier" dans nos impressions, de pur, de "non encore parasité" par le découpage de la langue maternelle, mais surtout parce que ce qui s'y livre de plus sidérant, c'est ce très long et patient ouvrage au fil duquel la nature, sous nos yeux, se fait "naturante". Qu'est-ce que l'art en réalité? "Un immanentisme radical". Par ce terme, il faut entendre l'idée selon laquelle la réalité, la vie, la nature ou Dieu sont des absolus qui ont en eux-mêmes le principe de leur être, de leur existence. Elles n'existent pas sous l'effet du mouvement d'une cause extérieure mais elles sont à elles-mêmes la cause, le principe directeur, émanant,cipateur de leur propre existence. Cela signifie que lorsque nous sommes devant la Sainte Victoire de Cézanne ou la cathédrale de Rouen, nous sommes directement en phase avec ce processus par le biais duquel la nature toujours se fait naître et se donne à voir. La vérité d'une présence mondaine, effective n'est pas du tout ailleurs mais "là" complètementTout, absolument « tout » est là sous nos yeux. Le langage nous conditionne à aborder et à vivre comme une énigme ce qui en réalité ne s’effectue qu’en pleine lumière au même titre qu’une évidence. Nous serions alors aveuglés par la toute présence d’un monde qui sans cesse est « là », « totalement là » mais que « là »  Toute émotion esthétique tiendrait dés lors dans cette puissance que libère l’artiste à nous faire pressentir cette évidence. Il n’y rien à croire, rien à espérer, rien à pressentir d’un monde qui à chaque instant est exactement tout ce qu’il peut être sous nos yeux. L’artiste est celui qui parvient à capturer l’effet d’auto-genèse de création de soi par par la nature naturante. Et c’est un véritable scandale, c’est comme si Dieu était pris sur le fait, capturé par une photo, par une caméra de vidéo-surveillance, par l’effort d’extrême attention d’une vigie. C’est bien cela que serait alors l’artiste: une vigie, une attention si affûtée que rien ne lui échappe pas même cet effort du monde à accoucher de lui-même.

    



          
            Peu de toiles sont à même de pouvoir illustrer cette conception de l’oeuvre que celle de Holbein le jeune intitulée le christ mort (1522). Face à cette toile, on peut faire se succéder différentes modalités d’apparition. Qu’est-ce qui explique qu’une chose ou qu’un corps soit là? 
- On peut les situer à un certain moment de leur existence. On parle alors d’explication chronologique ou historique. Elle sont là parce qu’elles sont là à ce moment là. 
- On peut également évoquer leur mode de fabrication ou leur origine génétique: elles sont là parce qu’on leur a donné naissance ou parce qu’on a suivi un schéma technique: ici Le christ est le fils de Dieu. 
- Et puis il y a une autre modalité de justification de la présence des choses et des êtres, c’est qu’ils sont là parce qu’ils ne sont pas que des idées, que des concepts ou des légendes. Ils sont là en ce sens qu’ils se matérialisent, qu’ils s’incarnent dans l’effectivité de certaines forces physiques comme la lumière, la gravitation, la pesanteur, l’atmosphère, la vitesse, la chaleur, l’entropie. Même le corps du Christ s’offre à l’entropie, mais, en même temps, l’entropie fait partie de toutes ces forces naturelles qui conspirent à faire naître ce nouveau monde qui s’incarne dans ce temps et cet espace là. Aucun instant ne se produit autrement que sous cet effet de conspiration de toutes les forces physiques. Cette auto-genèse de soi est une autre façon de concevoir la naissance la mort et la renaissance du christ non plus au travers du filtre d’une religion transcendante mais au gré d’une pratique artistique immédiate et immanente. C’est peut-être le secret « bien gardé » de cette toile en même temps que celui de toute oeuvre d’art: celui d'un immanentisme radical. Le Christ serait-il moins le fils d'un Père transcendant que l'objet d'un principe immanent que son corps, fût-ce dans la putréfaction, ne serait pas moins sacré. 


 


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