lundi 9 mai 2022

Terminale HLP - La question des limites de l'homme: Preuve ontologique de l'existence de Dieu et Deinos

 


Proslogion, Chapitre 2 (1077) - Saint Anselme  : « Que Dieu est vraiment ».

« Donc, Seigneur, toi qui donnes intellect à la foi, donne-moi, autant que tu sais faire, de comprendre que tu es, comme nous croyons, et que tu es ce que nous croyons. Et certes, nous croyons que tu es quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand. N’y a-t-il pas une nature telle parce que l’insensé a dit dans son cœur : « Dieu n’est pas ». Mais il est bien certain que ce même insensé, quand il entend cela même que je dis: « quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand », comprend ce qu’il entend, et que ce qu’il comprend est dans son intellect, même s’il ne comprend pas que ce quelque chose est. Car c’est une chose que d’avoir quelque chose dans l’intellect, et autre chose que de comprendre que ce quelque chose est. En effet, quand le peintre prémédite ce qu’il va faire, il a certes dans l’intellect ce qu’il n’a pas encore fait, mais il comprend que cette chose n’est pas encore. Et une fois qu’il l’a peinte, d’une part il a dans l’intellect ce qu’il a fait, et d’autre part il comprend que ça est. Donc l’insensé aussi, il lui faut convenir qu’il y a bien dans l’intellect quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, puisqu’il comprend ce qu’il entend, et que tout ce qui est compris est dans l’intellect. Et il est bien certain que ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand ne peut être seulement dans l’intellect. Car si c’est seulement dans l’intellect, on peut penser que ce soit aussi dans la réalité, ce qui est plus grand. Si donc ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand est seulement dans l’ intellect, cela même qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand est tel qu’on peut penser quelque chose de plus grand; mais cela est à coup sûr impossible. Il est donc hors de doute qu’existe quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, et cela tant dans l’intellect que dans la réalité... » 


Il est extrêmement intéressant de mettre en perspective ce texte de Saint Anselme qui à plusieurs égards préfigure la preuve ontologique de l’existence de Dieu par Descartes dans les méditations avec le premier Stasimon d’Antigone de Sophocle. Le premier nous parle de Dieu et le deuxième de l’être humain mais nous pourrions dire que ces deux êtres se croisent dans le franchissement d’une ligne, d’une limite qu’ils traversent en sens inverse: Dieu passe du statut d’essence, d’idée à celui d’existence, et Saint Anselme ici essaie de prouver qu’il ne peut en être autrement, alors que le choeur d’Antigone exprime l’affranchissement, le dépassement des limites naturelles par la techné humaine qui, par la même, devient la seule créature capable de s’auto-créer, mais aussi la seule susceptible de tomber dans l’hybris, dans l’égarement. L’être humain est un être qui, n’ayant pas d’autre limite que celle de sa mort, accède à un statut à part. On pourrait dire qu’il n’est pas qu’une espèce, et qu’il est un « genre », qu’il détient le pouvoir de se placer au même rang que les éléments de la nature, puisque de fait, il n’est pas vraiment soumis à leur influence ou, en tout cas, matérialise la puissance de se défaire de leur dépendance. Il prend donc place dans la nature comme étant celui qui suit une autre évolution que celle, purement cyclique, de la mort et de la renaissance. En d’autres termes, autant Dieu passe du statut d’essence à celui d’existence pour Saint Anselme, autant l’homme passe du statut d’existence à celui d’essence pour Sophocle, ce qui fait de lui non seulement un Deinos mais aussi l’être tragique par excellence. 

Ce qui fait aussi de ce passage un moment vraiment crucial du théâtre Grec, c’est que la tragédie y révèle ses ressorts à nu. La cigale chante parce que c’est sa nature de chanter comme le chien aboie mais l’Humain lui fait des tragédies parce qu’il en est de cette expression comme de la seule plainte, du seul cri qui puisse convenir à ce brouillage des codes de la répartition naturelle et divine dans lequel être humain consiste.

Saint Anselme dans ce chapitre 2 du Proslogion, essaie de convaincre par A + B, c’est-à-dire par un raisonnement imparable que Dieu ne peut pas ne pas exister, c’st-à-dire que l’idée que l’on en a (et forcément nous en avons l’idée puisque nous l’évoquons) ne peut pas seulement être une idée mais qu’elle ne peut insister à notre pensée qu’en en sortant.  Dieu c’est une idée telle qu’elle ne peut se limiter à n’être que cela et puisque elle est « plus » que cela, il faut bien s’interroger sur la nature de ce « plus », lequel ne peut consister que dans le fait d’être en plus d’une idée, une réalité, donc dieu existe et il suit de la nécessité de son idée telle qu’elle s’impose à l’entendement de tout homme qu’elle soit autre chose qu’une idée.

Il est quelque chose que même un athée ne saurait nier, c’est que l’idée de Dieu « est ». Même s’il ne croit pas que Dieu existe, il ne peut remettre en question le fait que la question se pose (ne serait-ce que par sa situation d’athée le situe par rapport à cette question) et la question ne se poserait pas si Dieu ne venait à l’esprit des hommes comme « l’idée d’un être tel que rien de plus grand ne peut être conçu ». Tout le propos de Saint Anselme va donc consister à démontrer que Dieu ne pourrait pas venir à l’esprit des hommes si son concept ne sous-entendait pas qu’il excède déjà en soi cette possibilité de n’être qu’une idée. L’idée de Dieu est donc, dans sa nature même, paradoxale, parce qu’elle est bien dans notre pensée sans quoi nous ne l’évoquerions pas mais qu’en même temps, elle est impensable, non pas en ce sens que nous ne pouvons pas en être les auteurs (ce qui est d’autant plus évident qu’à cette époque et, à cause de Platon, les Idées ne sont pas considérés comme le produit des hommes mais de nature divine)  mais parce que nous ne pouvons pas nous la représenter.

Il y a dans ma pensée une idée dont il est pourtant évident que je n’ai pas dans ma pensée assez de pensée pour la concevoir comme étant seulement une pensée. 

L’insensé, c’est l’athée et il ne rend pas compte, selon saint Anselme qu’il se contredit parce qu’il comprend bien ce que signifie l’idée d’un être tel que rien ne peut se penser de plus grand, mais qu’il ne comprend pas que du coup nécessairement cette idée d’un être tel que rien ne peut être pensé de plus grand suppose nécessairement qu’elle n’est pas qu’une idée mais bel et bien une réalité. Autrement dit Dieu est un être défini par une qualité: celle d’une grandeur qui dépasse toutes les autres grandeurs. Quoi que je me représente, Dieu est « plus ». Dieu est donc une idée que j’ai mais que j’ai dans mon esprit comme ce qui dépasse ma puissance de me représenter une idée. Cet excès d’être dans lequel consiste l’idée de Dieu, on pourrait dire que c’est ce qui « crève la bulle » de la capacité finie que j’ai de me représenter des idées. Quand on dit que Dieu est l’idée d’un être infini, il est absolument impossible que l’on dise seulement que l’on se représente un être infini et idéal, parce qu’en réalité on ne le définit pas du tout, on est submergé par une idée indéfinissable, « illimitable ». On se représente une substance et un prédicat que l’on assigne à cette substance mais ce que le prédicat nous impose de penser quant à cette substance,  c’est que nous la pensons moins que nous ne sommes contraints de l’accueillir parce que penser brutalement n’est plus être actif mais passif accueillant, irradié, soufflé par l’onde de choc d’une idée qui représente plus que je ne suis capable de me représenter.


Saint Anselme prend alors l’exemple de la peinture. Quand l’artiste a une idée de ce qu’il va peindre, il a bien quelque chose en tête mais il sait bien que ce motif dont il projette de faire le dessin n’est pas encore existant puisque il n’a pas encore fait le tableau. Une fois la toile exécutée, le motif est à la fois dans son esprit et dans la réalité. Il est l’auteur de la toile qu’il avait conçue dans sa pensée. Celle ci est donc en même temps réelle et pensée. Elle est à la fois effective, présente et conceptuelle, abstraite, « possible ». Chacun doit donc convenir qu’une idée peut être à la fois réelle et possible, présente et conceptuelle. L’exemple du tableau permet à Saint Anselme de prouver qu’une même entité peut être « là »  comme une idée et « là »  comme une « chose ». Donc quand on évoque « ce qui est tel que rien ne peut être pensé de plus grand », il comprend bien le sens de ce qui est ainsi évoqué, il le «  comprend », mais en même temps le sens de cette idée c’est dont il accueille l’idée dans son entendement comme dépassant les limites de cet entendement puisque si je disais que cette idée est limitée par mon entendement , ce n’est pas à cette idée là que je ferai référence, laquelle suppose que rien ne peut être pensé de plus grand. Que nous puissions accueillir le sens de cette idée là  comme celui d’une excédence dépassant tout ce que je peux me représenter en tant qu’idée manifeste que nous sommes ici plus affecté qu’affectant par une idée qui n’insisterait pas d’une telle manière à ma pensée si elle ne le faisait non pas à partir d’une nature pensive, conceptuelle mais bel et bien réel.  Dieu est donc l’idée d’un être possible tel que rien ne peut être pensé de plus grand, mais cette pensée d’un être consistant dans une telle excédence de grandeur suppose qu’il ne peut pas se limiter à n’être qu’une pensée, donc Dieu existe. Il est finalement un mot donc le « vouloir dire » dépasse le dire pour s’effectuer dans  l’acte même de dire, une sorte de performativité radicale, efficiente, fulgurante, dotée d’une puissance d’auto-effectuation sans équivalent.

 

Quel rapport avec le Deinos Humain de Sophocle? De la même façon que Dieu est « quelque chose de tel que rien ne peut se penser de plus grand », L’être humain est « quelque chose de tel que rien se réaliser de plus grand. » Autant avec Dieu, nous sommes confrontés à un possible dont l’idée impose qu’il soit plus qu’un possible, autant avec l’Humain, nous avons affaire à un réel dont les réalisations, les actes, les inventions  matérielles imposent qu’il soit plus qu’un réel, mais quoi? Un « genre », une idée, un destin, un symbole, un zôon politikon, une essence, un Dieu, mais un Dieu dont l’ethos tragique se joue à chaque moment de son Histoire.

C’est exactement comme si ces deux textes décrivaient finalement l’histoire d’une seule et même entité mais pas du même point de vue. Dieu est l’idée d’un être dont la pensée impose qu’il soit réel et l’Humain est la réalité dont les actes imposent qu’il soit divin. Mais de la même façon que cette divinité se joue à chaque instant et menace de tomber dans l’horreur, la réalité de Dieu ne cesse d’être sujette à caution en rendant la croyance incertaine.

Le retournement sidérant du Stasimon est d’ailleurs à ce titre fondamental. Le Choeur ne croit pas ses yeux de voir ainsi Antigone, fille insoutenable d’un père insoutenable , « mesure du savoir » prise en flagrant délit de désobéissance aux lois décrétées par l’archonte Créon. Mais en fait c’est bien parce que le fil auquel se joue cette divinité terrifiante du deinos humain n’est pas le pouvoir mais l’ethos, c’est-à-dire l’acte par lequel Antigone, et elle seule, assume le zôon politikon, c’est-à-dire ce statut symbolique  en vertu duquel  aucune dépouille humaine ne saurait être réduite à de la chair offerte à l’air libre de la décomposition organique.



                Le Deinos chez Sophocle est comme le reflet inversé de la preuve ontologique de l’existence de Dieu chez Saint Anselme et cette mise en perspective nous met réellement en face de ce que nous sommes ou plus exactement de ce que nous avons à être, de notre Ethos humain. Mais pour bien comprendre cette mise en perspective, il faut comprendre la différence entre « ce qu’est » un être une chose (son essence) et le fait réel, effectif que cet être ou cette chose « soit », « existe ».

Je peux dire d’une chose ce qu’elle est, sans que, pour autant, cette chose existe. En tant qu’essence, elle n’est que possible, conceptuelle, abstraite, définie mais pas existante, pas « là ». Le « Da sein », justement est « là », il existe, il est même jeté dans l’existence sans essence prédéfinie.  C’est l’existentialisme. Ce mouvement de pensée (Heidegger, Sartre, Camus, Merleau-Ponty avec de grandes différences entre ces auteurs) est né entre les années 1920 /1945 et dans l’après guerre, mais on peut en trouver des sortes de préfigurations chez Kierkegaard, chez Pascal, voire chez Montaigne.

La perspective existentialiste s’oppose philosophiquement à l’ontologie, parce que cette dernière discipline désigne l’étude de l’essence. Mais précisément avec Saint Anselme on suit un raisonnement qui tente de forcer le passage de l’ontologie à l’existence. De ce que Dieu soit l’idée d’un concept ontologique exorbitant toute limitation, il s’ensuit qu’il faut bien qu’il existe. En d’autres termes,  de cette façon exorbitante qu’a Dieu de venir à l’Idée, il s’ensuit que Dieu ne peut pas ne pas exister.

 

La démonstration de Saint Anselme est rigoureuse et finalement elle s’adresse aux athées, d’abord aux athées, c’est-à-dire à celles et ceux qui ne croient pas en Dieu, mais qui ne sont accessibles qu’à des arguments de raison. Or quand on évoque « l’idée d’un être tel que rien ne se peut penser de plus grand », même l’athée comprend cette idée. Il en assimile l’essence, laquelle est bel et bien dans son entendement puisque il comprend ce que ce que cela « veut dire ». Mais qu’est-ce qu’il ne comprend pas, en tant qu’athée? Que cette idée à cause de ce qu’elle est (essence) ne peut pas ne pas exister (existence). Puisqu il la comprend et qu’il la comprend pour ce qu’elle est, il a nécessairement assimilé dans sa pensée l’idée d’un être tel que précisément il ne peut pas simplement consister dans le fait d’être assimilé « là dedans ». Pourquoi? Parce que Dieu c’est l’idée de « plus », c’es-à-dire que quoi que je me représente de fini, de limité, Dieu c’est le concept « d’effraction », de dépassement des limites. Dieu c’est le notion même de « non-finitude ». Or je comprends cette notion et si je la comprends cela veut dire que je la comprends comme ne pouvant consister dans une idée qui serait limitée à n’être qu’une pensée, tissée dans de la texture mentale. Il faut donc qu’elle soit autrement que « mentale», qu’elle soit tout court, en fait, c ‘est-à-dire qu’elle existe.  L’idée de Dieu est l’idée d’un être exorbitant à son statut de pensée et, conséquemment, existant.

Peut-être pourrions nous aussi concevoir que Dieu est un mot dont le vouloir-dire dépasse le dire pour être. De cela seul que Dieu soit évoqué par le mot « Dieu », il s’ensuit évidemment qu’il est un signe. Cela veut dire que Dieu est un signifiant dont le signifié excède le statut symbolique du signifiant. Dans le mot « Dieu », le symbolisé écrase le symbolisant de telle sorte que celui-ci, le mot, ne peut pas n’être qu’un mot. Je peux parfaitement dire le mot « chat » sans qu’un chat soit « là », je peux parfaitement donner lieu à la pure évocation mentale de l’idée de chat en disant chat. C’est bien ce que nous faisons tout le temps quand nous parlons. Mais quand je dis « Dieu »,  ce que je dis sort nécessairement du contexte d’être seulement « dit » pour « être ». De cela même que Dieu puisse être pensé, ou dit, il s’ensuit nécessairement qu’il est, parce que je ne peux pas comprendre l’idée de Dieu, ni la dire, sans que l’idée ou le signifié de ce signe ne sorte de cette dimension pensive ou nominative pour, de fait, insister de tout son insoutenable poids sur le réel.

 

Le Deinos tel qu’il est développé par Sophocle dans le premier Stasimon d’Antigone est le reflet inversé de cette « démonstration ». Il est la preuve existentielle du statut ontologique de l’être humain. L’humain est la réalité exorbitante à la réalité même de tell sorte qu’il faut lui faire une place parmi les Essences. Il y a une essence Humaine, puisque de fait il est plus qui tout ce qui peut être réalisé. Quelle que soit la teneur de la réalisation s’effectuant dans la nature, l’humain est « plus », il réalise « plus ». L’homme est un être vivant, sujet à toutes les limitations en terme de besoins, de nécessités, de finitude (mort) de tout ce qui n’est « que vivant » MAIS il est « politikon » et finalement quand nous lisons le premier Stasimon, nous y lisons la préfiguration de tout ce qu’Aristote décrira un siècle plus tard comme constituant la spécificité du zôon politikon: « il s’est enseigné la parole », et « il n’est jamais à court de ressources pour rien ». Dieu, c’est donc l’être infini dont le concept, en tant que concept, dépasse le statut conceptuel d’Idée pour nécessairement être réel et l’Humain c’est la créature finie dont l’aptitude réalisatrice, l’ingéniosité exosomatique, en tant qu’incessamment réalisatrice dépasse le statut réel de créature pour s’essentialiser, se conceptualiser et assumer une valeur ontologique. Autant Dieu est l’idée dont l’idée est exorbitante à l’idée, autant l’Homme est la réalité dont la réalisation excède le cadre du réel. 

Ce qui importe au plus haut point dans cette mise en perspective, c’est de saisir exactement l’amplitude de l’onde de choc créée par cette dignité ontologique de l’être humain. Il a forcé le passage grâce auquel il revêt un statut divin. Contrairement à ce que dira Lamartine, il n’est pas « un Dieu tombé qui se souvient des cieux », mais un Dieu advenu, transfuge, qui envahit les cieux, à la seule force de son inventivité, de son ingéniosité, de cette parole dont il s’est lui-même gratifiée et qu’il a cultivée en autodidacte.  L’homme s’est assuré les moyens d’être un Dieu et se retrouve désormais en charge d’adopter un Ethos conforme à un statut exorbitant. Quel Ethos pour un vivant parvenu à crever le ciel des Idées?


La réponse à cette question est « l’Histoire ». Il va falloir que l’homme assume ce statut d’être historique, légendaire au sens littéral, symbolique. Notre histoire décrit les conquêtes et les errances du zôon politikon, cette incroyable destinée écrite par un être qui est à la fois hors des lois de la nature et impliqué dans les lois de la cité qu’il se donne à lui-même. A-t-on idée de l’anomalie dans laquelle consisterait celle ou celui qui viole les lois de la cité? Elle serait sans aucun doute moins qu’un animal puisque dotée en tant qu’humaine de cette miraculeuse et terrifiante dimension deinique, mais encore faut-il que les lois de la cité soient elles-mêmes empreintes de cette insoutenable teneur de la seule éthique qui puisse se situer à la hauteur de notre statut Essentiel. Comment l’homme peut-il venir à bout de cette tâche là, de ce chantier qui consiste finalement à faire advenir de nulle part une réalité qui n’a jamais été conçue, ni préconçue, planifiée ailleurs que là, en se faisant, dans cette venue au jour du réel d’une idée neuve: être Humain? 

 

C’est Antigone qui décrit le cap à suivre et sa condamnation à mort augure de ce que sera l’histoire de l’Homme, y compris de ce que nous vivons, nous, maintenant au 21e siècle. Cela ne signifie pas du tout que cette tâche est vouée à l’échec puisque de fait Antigone n’a pas échoué: nous connaissons sa tragédie, nous saisissons parfaitement les enjeux du dialogue qu’elle noue avec Créon, nous percevons, à mesure qu’elle se rapproche de la tombe et de la sentence de mort, les éclairs de justice et de raison contre lesquels les défenses et les saillies autoritaires de l’archonte sont sans effet. Entre les nécessités purement naturelles de la vie et les décrets autoritaires d’un pouvoir patriarcal aveugle, insensible (préfiguration du piège biopolitique) il y a un espace, une ligne très épurée et c’est celle de la politique, celle qui consiste à inscrire son action dans un monde qui, lui-même se tisse et se fait advenir au fil de ces actions. Antigone est celle qui va à l’encontre de l’action d’engendrer dans la vie pour faire advenir dans le monde l’espace de la cité et cet espace, de fait, ne peut consentir à ce que le cadavre d’un homme, quel qu’il fut,  pourrisse à l’air libre et soit réduit au statut de matière. Pour reprendre les termes de Lamartine, l’Humain est un Dieu vivant qui s’ouvre, par sa techné et par l'articulation de la phonè et du logos, le chemin des cieux. Le seul ethos qui puisse convenir à cette nature exorbitante à la nature même, c’est la citoyenneté politique, c’est aussi l’ethos d’une existence humaine célébrée, reconnue, honorée dans et par  le rite funéraire.



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