mardi 25 octobre 2011

Réalisation et enjeu du sujet: "La question:"de quel droit ?" a-t-elle un sens?"

L’enjeu de cette question est considérable parce que si la réponse est négative, alors tout ce que nous avons construit en terme de procédures, d’institutions, de professions, de règlement des litiges, mais aussi de façons de penser et d’être est vain, caduque, inopérant. Cela ne va « nulle part », et c’est bien ce qu’interroge le terme de « sens » puisque il désigne à la fois la cohérence et la direction. Or il nous semble bien qu’elle ait du sens, cette question, à cause de sa spontanéité, de son « naturel ». C’est justement cet automatisme de la réaction qu’il s’agit d’interroger. Quand on est victime d’un préjudice, on pose immédiatement l’accident en terme de droit : « De quel droit cette personne s’autorise-t-elle à contrarier mes droits ? » Le fait est d’emblée perçu comme une offense et seulement secondairement comme un fait. C’est comme si chacun de nous était un périmètre sacré que personne n’aurait le droit de franchir. Quelque chose fait de tout membre d’un état de droit une présence inviolable aux abords de laquelle l’autre se doit de rester « à distance ». L’autre, c’est la zone « tabou » ; sa personne est « sacrée », on n’y touche pas. Le droit s’est peut-être émancipé de la religion, il ne peut nier son origine religieuse parce que c’est le sentiment du sacré qui explique l’inviolabilité des droits de tout être humain.
Quand nous sommes volés, contraints ou meurtris par l’agression d’un autre, nous éprouvons bien le sentiment que l’on ne « peut » pas nous faire ça, parce que nous sommes autre chose qu’un mannequin de chair et d’os. On ne peut pas agir sur nous comme on le ferait sur une pierre ou un morceau de bois parce que ce sont des choses, des matières inertes alors que nous sommes un être humain sensible, doté de pensée, de conscience. On peut tourner autour du pot, c’est bien dans les abords immédiats de la notion « d’âme » que nous voisinons ici. Cette dignité propre à notre être humain, et, donc, doué d’un statut qui la retranche presque naturellement de ce que l’on pourrait appeler une façon d’être purement plastique, physique, explique le fait que la question : « de quel droit ? » vienne à notre esprit avant celle qui consiste à s’interroger sur la teneur exacte du fait. Si nous sommes physiquement et brutalement blessés, un moment de surprise « humaniste » (comment un homme a-t-il pu me faire ça à moi, un homme ?) précédera l’évaluation quantitative, corporelle des dommages. Cela veut bien dire qu’avant d’être agressés, nous vivions avec le présupposé d’une invulnérabilité « juridique ».
C’est l’origine, le bien-fondé du sentiment de cette invulnérabilité là qu’il s’agit d’interroger, de sonder : est-il si justifié que cela après tout ? Nous nous interrogeons d’emblée sur le rapport entre un acte et sa justification légale ou légitime antécédente avant même de réaliser l’acte en tant qu’acte. Cela nous fait-il avancer quelque part ? Cela donne-t-il de la pertinence à notre attitude ?
Cette question est d’autant plus troublante que l’intérêt que nous portons parfois aux faits divers sanglants ou bien à certains films « gore » semble marquer l’existence en nous d’une certaine curiosité à l’égard de « l’autre côté du mur » que représente cette question, c’est-à-dire de l’autre côté de la nature inviolable et sacrée de toute personne humaine. Comment expliquer l’ancrage en nous de deux inclinations aussi contradictoires : celle, indignée, du « de quel droit ? » et celle qui consiste à regarder aussi du côté de l’autre côté du droit, de ceux qui franchissent la zone « Tabou » et traite l’homme comme de la matière consommable (« cannibal holocaust ») ou divisible (« Massacre à la tronçonneuse ») mais en tout cas « transformable et corvéable à merci ».
Certains films, plus « travaillés » philosophiquement que les précédents explorent la ligne de partage entre ces deux sentiments. On peut ainsi penser à « Funny games » de Michaël Hanneke. On y voit deux adolescents séquestrer, torturer et tuer les trois membres d’une famille dans leur maison de campagne. Le film n’est pas « gore » mais son réalisme rend la projection difficile voire insupportable précisément parce que rien n’est théâtralisé, dramatisé. C’est juste « comme ça », dans tous les sens du terme. Ces adolescents font ce qu’ils font parce qu’ils le peuvent (physiquement) et parce que cela les amuse : « Funny games ».  Comment cette indifférence, cette réduction de la rencontre avec l’autre à l’amusement que l’on peut retirer de sa souffrance, sa terreur, sa destruction peut-elle être ainsi si froidement mise en images ? C’est une question que l’on se pose souvent lors de la projection et chacun de nous sent bien d’une manière ou d’une autre le « de quel droit ? » interpellé, indigné, laminé. C’est donc bien qu’il est là puisque il n’y a quasiment pas une seconde du film qui ne le fasse vibrer en le contrariant.
Indépendamment de la volonté même du réalisateur, ce film nous interroge sur un autre plan encore plus intéressant : celui de la notion d’amusement. Ces deux adolescents se comportent de façon totalement inhumaine, sadique, insensible mais d’où vient qu’ils s’amusent ou du moins prétendent s’amuser ? N’est-ce pas justement le sentiment de franchir une ligne, de violer un tabou qui les motive ? Dans la réalisation stricte, plate, « au cordeau », de Michaël Hanneke, on perçoit bien le peu d’attractivité susceptible d’être retiré d’un crime. « C’est juste ça ! » pourrait-on dire au sens de « ça revient seulement à faire ça ». La mort est très fréquemment filmée mais toujours de façon théâtralisée, héroïque, démonstrative, édifiante. Dans ce film, elle est filmée « caméra sur l’épaule », concrètement, sans fioritures et cela la rend insupportable. Or, on voit bien alors qu’il n’y a rien de vraiment amusant à en retirer, si les adolescents évoquent pourtant la distraction, le divertissement comme motivation de leurs actes, cela ne peut-être que parce qu’ils explorent de l’interdit. La question : « de quel droit ? » est ainsi stimulée tout au long du film mais sans jamais y trouver la moindre « résonance », le moindre « retour » car tout s’écoule au rythme inexorable de la destruction programmée, lente de la famille. On pourrait dire que la question n’a donc aucun sens puisque elle ne débouche sur rien dans le film comme si Hanneke avait voulu nous montrer que la réalité c’est justement le lieu où elle n’a aucun lieu d’être, aucune prise. Mais le point sur lequel « Funny games » prend un relief particulier est celui qui porte sur la question de savoir dans quelle mesure ce n’est pas justement « l’envers du décor » de la question du droit qui tient lieu de motivation aux deux adolescents. N’est-ce pas sur ce que rend possible l’indignation du droit en le dénonçant qu’ils délimitent « un terrain de jeu » ? La question : « de quel droit ? » aurait alors ce sens tragique de faire signe d’une zone tabou et de susciter ainsi la tentation de la franchir.
Peut-être les lieux ou les occasions dans lesquels les hommes ne se posent pas cette question sont-ils aussi ceux dans lesquels la tentation du mal n’apparaît pas. Dans la création, l’artiste fait ce qu’il peut faire au moment où il le fait sans s’interroger sur son droit ou sur la possibilité antérieure de la conception, il travaille des matériaux « maintenant », teste leur résistance, dans le rapport direct à leur plasticité. Il en va de même pour tout homme immergé dans un milieu naturel, non social.

2 commentaires:

  1. J'ai une autre question à vous soummetre nous pouvons dire que de valoir des normes de droit dans une nature apparement régie par des rapports de force est vrai à notre époque mais si nous nous reportons à l'antiquite. Les désastres naturels etaient considére comme "la parole des dieux" et interpretait ces signes comme un droit qu'ils ont mal fais quelque chose qu'ils ont offenser les dieux.Pouvons nous dire que la question au debut du paragraphe depends de l'époque a laquelle nous vivons.

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  2. Bonjour Nicolas,
    Les devins ou les augures avaient l'habitude d'interpréter les catastrophes naturelles comme des messages des Dieux, vous avez raison. Mais c'est déjà une façon de recouvrir des faits purement naturels d'une valeur normative humaine. Aussi étrange que cela puisse sembler, il y a quelque chose de très rassurant dans le fait de donner une signification divine à des phénomènes naturels: une intelligence supérieure veille sur nous et nous exprime ses accords ou ses désaccords. L'homme n'est pas "pris" dans une tourmente de faits neutres, indifférents. il y a déjà quelque chose de cette façon de penser qui marque un enfermement humain dans les valeurs morales et juridiques du bien et du mal. Il semble bien que l'homme ait très tôt historiquement considéré la nature comme autre chose que de le "nature", ou bien, si vous préférez, comme objet de son jugement. Dire que les dieux expriment leur mécontentement par un tremblement de terre, c'est assigner un phénomène à une volonté supérieure. On est déjà loin de l'attention simple dépouillée à des "données" que nous pourrions considérer comme telles: "c'est ainsi" et "ce n'est ni bien ni mal". Dire que cela dépend de l'époque à laquelle nous vivons ne me semble donc pas une bonne idée. il faudrait trouver une époque pendant laquelle l'être humain aurait été dans la nature sans la juger ou se juger lui-même au travers de son interprétation d'une catastrophe, autant trouver un homme sans faculté de jugement, mais s'agirait-il d'un homme?
    La question du sujet doit je crois vous inviter à réaliser que le sens de cette question: "de quel droit," est exactement celui qui donne sens à l'évolution de l'espèce humaine parce qu'il n'y a d'homme qu'à partir de l'éveil de cette question. L'être humain c'est une créature qui se réveille dans une nature où il se passe quantité de choses et qui s'interroge: "de quel droit les raz de marée? De quel droit les inondations? De quel droit les volcans? etc. Ces questions témoignent de sa volonté d'instituer un ordre juste dans un désordre injuste. Il n'y a pas de société sans cela. Mais en même temps, ce sont des questions absurde en un sens puisque la vie, c'est justement l'absence de droit. Les être humains ont donc toujours voulu recouvrir de normes de droits le monde naturel, que ce soit pour le déformer par une certaine interprétation ou tout simplement pour le faire taire;
    Merci pour votre question.
    JB

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