dimanche 24 mai 2020

Séance du 25/05/2020 CALM (Cours A La Maison) TL2:1h

 Bonjour,



Le lundi c'est pas ravioli, mais c'est PHILOSOPHIE! C'est parti!


 On ne peut comprendre la notion de droit qu'en faisant valoir des distinctions: a) celle de la force et du droit, b) celle du droit et du fait et enfin c) celle du droit positif et du droit naturel

Aujourd'hui nous allons parler de la deuxième et commencer à aborder la troisième  (qui est la plus importante)


b) Le fait et le droit
            Finalement ce que nous allons tenter de mettre à jour, c’est que le droit repose fondamentalement sur trois contradictions. Par « contradiction », il ne s’agit pas du tout d’entendre « absurdité » mais plutôt d’effets de nuances, de distinction, d’insinuation. Le droit est ce qui s’insinue dans la densité compacte des faits, des actes, des interactions et y crée cet appel d’air qu’est la perspective d’un devoir être. Comprendre le droit c’est se défaire d’assimilations rapides, trompeuses, et par là même inadmissibles. C’est justement cette idée même de "non admissible" qui met au premier plan le droit. L’être humain est une créature qui s’interroge sur son « ethos », c’est-à-dire pour laquelle l’action, la prise de position, l’engagement dans un projet n’est jamais simplement donné par les circonstances ou par la nature. Le droit implique la certitude qu’il existe en toute occasion une attitude droite à adopter et que cette attitude toute aussi appelée à s’imposer qu’elle soit par les circonstances ne peut pas être dictée par ces circonstances.  Par conséquent le droit ne se soumet jamais simplement au fait, et cela nous fait donc comprendre la 3e contradiction qui finalement constitue la deuxième toile de fond du droit, « ce n’est pas parce que c’est  (comme ça) que cela doit être (comme ça). »
            Il faut prendre très au sérieux cette distinction qui nous permet de réaliser à quel point l’espace dans lequel nous évoluons au sein d’un état de droit est un espace symbolique, quelque chose qui finalement tiendrait dans une sorte de dimension parallèle, car enfin: voici, par exemple, une place dans laquelle il ne fait aucun doute que ma voiture peut se ranger mais ce « fait » est interdit par un panneau, par une indication qui découpe ainsi dans un espace donné des actes possibles et des actions impossibles.
           
  Une autre image peut ici parfaitement convenir à nous faire comprendre exactement la teneur de cet espace, c’est celui de l’échiquier d’un jeu d’échecs. Le droit c’est cet ensemble de règles assez comparables à celles qui font de chaque position de chaque pièce qu’elle menace ou pas telle autre pièce en fonction de ce qu’elle est, de là où elle se trouvée etc. Aucun jeu ne serait possible si l’échiquier n’était qu’un espace de « rassemblement ». C’est finalement exactement ce que veut dire Aristote lorsqu’il compare un homme détaché de sa cité à « un pion isolé sur un jeu de tric-trac ». Le jeu d’échecs ne se réalise pas du tout sur l’échiquier physique mais dans cet échiquier mental que chacun des deux joueurs construit au fil des coups, échiquier complexe, rhizomique, probabiliste dans lequel figurent selon la puissance mentale du jouer les possibilités de coups à effectuer à l’avance. De la même façon, la ville, ou le paysage concret de l’espace social n’est pas le lieu où se fait la société, la communauté mais c’est plutôt dans l’efficience mentale par le biais de laquelle chaque citoyen laisse agit dans ses gestes, dans ses pensées et dans ses désirs les interdits des lois que s’effectue l’état des droit. Cela signifie que le droit est un peu comme cette fiction sans laquelle la notion même de cité ou d’Etat n’aurait au sens propre pas de « lieu d’être ». C’est parce qu’il y a la fiction du droit et que cette fiction est efficiente que l’Etat n’est pas une utopie (étymologiquement : absence de lieu). Cet aspect est fondamental mais il suppose que nous comprenions bien en quoi peut consister une fonction efficiente, comment le droit peut-il réguler réellement les relations humaines au sein d’un état tout en étant finalement une Fiction.
         
« Nul n’est censé ignorer la loi »: cet adage sans lequel aucune procédure juridique ne pourrait jamais être entreprise (puisque il suffirait à la personne accusée de dire « qu’elle ne savait pas » pour qu’elle soit relaxée) est en même temps une fiction dans la mesure où nous savons très bien qu’il est impossible de posséder une connaissance totale, exhaustive du code pénal et de toutes ces subtilités casuistiques. Personne ne connaît vraiment TOUT le droit, TOUTES les lois mais il faut que nous partions du postulat de cette omniscience de tout citoyen pour que le droit soit et pour que l’Etat soit. Le droit est donc bel et bien cette fiction dont l’efficience s’insinue dans ce qui est pour marquer la différence avec ce qui doit être.  Il n’est pas de loi qui finalement s’appuie sur autre chose que cette différence par le biais de laquelle le fait ne suffit pas à valider la justification de ce qui est, encore faut-il que le droit impose le principe de ce qui doit être.
        c) La distinction entre le droit positif et le droit naturel
            Le Droit apparaît donc comme ce qui s’insinue dans la différence entre le réel et le devoir être. Mais d’où vient que le consentement à une réalité qui serait légitime du simple fait d’être ce qu’elle est nous semble aussi insupportable? Pourquoi n’acceptons-nous pas (ou faisons-nous mine de ne pas accepter) la réalité telle qu’elle est? Parce qu’il existe une norme au regard de laquelle certains réalités, certains faits nous semblent injustes et que nous nous disons que « les choses » ne devraient pas se produire comme ça. Cela revient à dire que si le droit nous apparaît de prime abord comme une instance absolument « non spontanée », construite de toutes pièces comme un. pacte, un artifice humain, il n’est pas exclu que ce soit finalement à partir d’une autre spontanéité, plus profonde, plus « viscérale » et c’est exactement dans la croyance en cette spontanéité que réside finalement la notion de « droit naturel ».

Qu’est-ce que le droit naturel? C’est la recherche de normes du droit valant indépendamment des conceptions différentes du droit qui existent déjà dans les Etats. C’est l’idée d’un droit qui existerait naturellement et pas du tout au terme d’un accord ou d’une convention. L’une des premières formulations du droit naturel se retrouve chez Aristote: « Il existe une justice et une injustice dont tous les hommes ont comme la divination et dont le sentiment leur est naturel et commun, même quand il n’existe entre eux aucune communauté ni contrat » Sans se consulter ni s’accorder entre eux par des paroles ou des écrits, tous les hommes ressentiraient en eux-mêmes, par eux-mêmes, individuellement et universellement le sentiment de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. L’exemple qui est le plus utilisé pour illustrer ce sentiment est celui d’Antigone, la fille d’Oedipe. Elle s’oppose à son oncle Créon, roi de Thèbes, en invoquant « les lois des Dieux » parce qu’il a interdit que l’on enterre Polynice, frère d’Antigone, dans la terre des ancêtres, sous le prétexte de sa haute trahison. Antigone accuse Créon d’imposer aux thébain des lois qui ne sont pas accord avec des lois plus anciennes, non écrites, immuables et inébranlables. Il faut faire très attention ici et comprendre que ce n’est pas en soi nom personnel qu’Antigone  s’oppose à Créon. Ce n’est pas parce que Polynice est son frère, mais plus universellement parce qu’elle éprouve en elle la certitude qu’il n’est pas juste de refuser à tout homme l’inhumation. La loi selon laquelle tout homme décédé a le droit à une sépulture est une loi sacrée, humaine, pure, intuitive qui ne dépend ni de son sexe ni de sa nationalité.
             
Il faut vraiment insister sur le fait que toute indignation contre la loi effective qui s’applique à tel moment en tel lieu et qui se voit imposée par une force publique n’est pas nécessairement issue du droit naturel. Quand nous nous estimons lésé par le jugement rendu par une cour de justice, ce n’est, la plupart du temps, pas du tout au nom du droit naturel mais plutôt parce que nous estimons que nous ne sommes pas vengés par cette décision, qu’elle n’impose pas assez à celui qui m’a fait du tort. Le droit naturel est un sentiment UNIVERSEL.  Finalement il se rapproche assez de la Justice, telle qu’elle est décrite dans notre introduction. Le droit naturel c’est la croyance selon laquelle tout homme est naturellement porté à percevoir ce qui est juste. Cette croyance dans le droit naturel s’appelle le « jusnaturalisme ». Nous pouvons être tentés d’y adhérer parce que le sentiment de révolte que nous éprouvons comme Antigone à l’égard de ce qui nous semble injuste est si violent, si viscéral que nous le vivons comme une évidence qui a toujours existé en nous, qui est ancrée dans notre condition naturelle humaine.

C'est tout pour aujourd'hui! A demain!

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