jeudi 7 mai 2020

Séance du 07/05/2020 CALM (Cours A La Maison) TES1: 2h

Bonjour à toutes et à tous,
Je sais bien qu'il fait beau aujourd'hui mais c'est l'heure du cours, en fait!

Nous poursuivons l’explication de cette vidéo dont la lecture et la compréhension présentent pour nous au moins 3 avantages:
- Bernard Stiegler donne aux notions de Nihilisme et de Surhumanité que nous avons approchées avec « vérité et mensonge au sens extra-moral) de Nietzsche, un sens non seulement très conforme à la pensée de l’auteur mais très actuel (susceptible de nous faire vraiment comprendre ce qui ne va pas dans notre « présent », à l’échelle humaine et (espérons-le!) Surhumaine.
- De plus Stiegler développe des articulations vraiment subtiles et précieuses par rapport à des notions qu’il nous reste à voir: l’art, le travail, le droit, la politique (la prochaine que nous étudierons la semaine prochaine est l’art
- Enfin, il s’agit pour moi de vous proposer des cours susceptibles de vous aider l’année prochaine, quelle que soit votre poursuite d’études et en y réfléchissant, je ne vois pas mieux que ce philosophe, l’un des seuls aujourd’hui dans le paysage des penseurs qui s’expriment dans les médias, à nous permettre de penser notre actualité.
             
Je sais que certains passages peuvent vous sembler difficiles mais c’est justement pour cela que j’essaie de l’expliquer aussi longuement. Il serait vraiment souhaitable que vous ne laissez rein passer, que vous ne décrochiez pas aux termes d’entropie, d’anthropocène, d’exosomatisation. Ce sont des termes qu’il faut comprendre, que l’on peut expliquer (ce que je m’efforce de faire) mais qui ne peuvent pas être remplacés par d’autres. Sur le fond ce qui est dit ici n’est pas si complexe, mais c’est un peu « terrifiant ». Cela appelle des transformations. Cela dit Bernard Stiegler s’est toujours référé à Nietzsche du point de vue de l’attitude qui est affirmative en un sens extrême fort. Il faut dire « oui » à la volonté de puissance, c’est le seul moyen d’exister dans une époque où l’on s’efforce de nous réduire à des consommateurs prévisibles (vivre et penser comme des porcs). Cette réforme de nos comportements ne suppose pas une révolution violente mais une subtile reprise en mains de notre rapport au monde, étant entendu que nous sommes aussi bien que tout système vivant d’opposer à l’entropie inévitable qui est une loi donnée du monde physique de la néguentropie qui consiste à retarder sans cesse cette chute programmée (en créant des bifurcations non programmable, des savoirs inédits, des rationalités nouvelles). Il nous faut INVENTER!


Reprenons l’explication de la vidéo. Pour suivre ce que nous analyserons aujourd’hui, il faut visionner  la vidéo de 6:30 à 25:00 à peu prés.


 

          Le problème, c’est que Ni Marx, ni Engels ne prenait en compte l’entropie. Il faut bien ici articuler les différentes perspectives et les différents auteurs. Tout dans l’univers est soumis à l’entropie, l’homme, en tant que créature exosomatique l’est aussi bien évidemment mais cette particularité qui fait sa force fait aussi sa faiblesse, dans la mesure où le contrôle par le savoir de ce corps externe (technologique) dans lequel il consiste devient l’enjeu d’un pouvoir. Si nous perdons le savoir de ce corps dans lequel pourtant l’humanité consiste, alors nous serons plus ou moins armés dans cette dynamique de perte qu’est l’entropie. Sachant qu’on va perdre ce combat, la vraie question c’est comme retarder, comment compliquer, procrastiner, contrarier l’entropie, la vitesse de notre destruction en tant que vivant ?
         
C’est à cet instant que Bernard Stiegler évoque la notion d’anthropocène (attention à l’orthographe). L’anthropocène, c’est tout simplement l’affirmation par les climatologues du fait qu’une nouvelle ère est apparue à partir du moment où, avec la révolution industrielle , l’utilisation des énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) a commencé à changer petit à petit l’écosystème.
        Or l’anthropocène implique une augmentation de l’entropie de trois points de vue:
- Physique: déperdition accélérée d’énergie
- Biologique disparition des espèces vivantes et destruction de la biosphère
- Informationnelle: nous sommes perdus dans l’information (une dispense d’énergie informationnelle qui conduit à la désinformation)
        
        Nous vivons la fin de l’anthropocène. C’est finalement exactement le fond du discours de Greta Thunberg, à savoir ce moment où des sociétés ayant adopté ou suivi un modèle capitaliste qui ne fait pas entrer dans ses calculs et ses prévisions sur l’utilisation des ressources  planétaires la notion d’entropie court vers une supposée « croissance » qui en réalité consiste dans une accélération exponentielle de l’entropie. Plus nous augmentons les chiffres de la croissance plus nous accélérons le mouvement de l’entropie, c’est-à-dire la désorganisation du vivant, aussi bien dans les espaces végétales, animales qu’en nous.
        Bernard Stiegler décrit les deux effets de cette augmentation de l’entropie dans laquelle consiste l’anthropocène. En fait, nous pourrions donc aussi écrire l’entropocène, puisque les deux correspondent, mais ce n’est pas le même sens. Il faut savoir que ce glissement sémantique de l’anthropocène, c’est-à-dire de cette série climatique où l’homme dérègle le climat en l’imputant vers l’entropocène, à savoir ce moment où l’entropie est accélérée par ce dérèglement est finalement le fond du discours de Stiegler. Tout ce qu’il dit consiste dans la synonymie homophonique de ces deux notions. C’est capital. Quels sont les deux effets de cette accélération de l’entropie dans les sociétés humaines:
- La prolétarisation: travailler sans savoir ce qu’on fait. Cela pourrait se rapprocher exactement de ce que Hannah Arendt appelle le travail, ou de la polies d’Aristote. L’ouvrier ne sait pas ce qu’il fait quand il travaille à la chaîne mais l’outil informatique notamment accélère ce processus et les cadres sont eux aussi touchés par ce phénomène qui fait que l’exosomatisation avec cette perte de connaissance de nos organes extérieurs nous conduit de plus en plus à ne pas savoir ce que nous faisons. Nous faisons accomplir des fonctions économiques, industrielles, sociales, juridiques,  par des outils capables de collecter ce que l’on appelle les big data et de créer des algorithmes par le biais desquels rendre la justice par exemple devient « autre chose ».
 
- La calculabilité généralisée, autrement dit la certitude que tout est calculable dans le vivant. C’est cette proposition qui pose problème, notamment si on la met en regard avec les travaux de Ludwig Von Bertalanffy biologiste autrichien ayant prouvé que tout système vivant (qu’est-ce qu’un système vivant? Cela va de tout organisme cellulaire à la société humaine) auto-calculable s’auto-détruit parc qu’il n’oppose plus aucune bifurcation à la flèche entropique du temps. La calculabilité va fondamentalement dans le sens de l’entropie. Plus on peut prévoir les actes d’une système plus il va en ligne directe vers le mouvement même de sa perte.
            
On peut se représenter l’entropie comme un escalier mécanique qui descend. Le seul moyen de se maintenir à niveau dans cette escalier est de créer de l’entropie négative, de la néguentropie, c’est-à-dire de marcher à contre courant de cet escalier mécanique, de monter sur ce qui de son propre mouvement descend. Cela suppose que nous puissions créer le la complexité non calculable et que nous puissions en avoir le savoir. Par quoi nous voyons bien que l’évolution actuelle du travail correspond à descendre encore plus vite cet escalier qui descend déjà. Nous rajoutons à ce qui nous perd (entropie) le mouvement accéléré  de la descente (anthropocène), c’est là l’effet de sens de l’homophonie entre anthropocène et entropocène. En termes plus « savants » cela signifie que les systèmes dynamiques vivants doivent rester ouverts et pouvoir supporter les accidents de la flèche du temps d’Eddignton et compenser l’entropie par des « savoirs », même si par ce terme de savoirs, Bernard Stiegler entend quelque chose de particulier (la mère a un savoir, ce n’est pas la savoir disciplinaire du savant, ou en tout pas seulement ça).
        Nous nous situons à la limite eschatologique (en grec: dernier) de l’anthropocène ou de l’entropocène. Nous sommes une société, donc un système dynamique vivant et à ce titre, nous devons compenser les effets lents de destruction de l’entropie en créant des savoirs qui sont finalement autant de bifurcations dans le mouvement de perte qui est celui de la désorganisation, du chaos et de la mort de notre unité systémique. Créer des savoirs nouveaux c’est ralentir l’inéluctabilité du chaos. Plutôt que se connaître soi-même comme système vivant, ralentis le mouvement de ta mort certaine par des connaissances nouvelles par des savoirs inédits! C’est ça la maxime de la philosophie du 21 siècle! Ici nous avons encore un effet d’homophonie assez génial qui d’ailleurs répond à une question encore plus ancienne que la philosophie: pourquoi la connaissance? A quoi ça rime? Réfléchissez à cette question parce qu’il est possible que nous soyons aujourd’hui confrontés à une population mondiale à deux doigts de basculer dans le trumpisme. Qu’est-ce que le trumpisme? C’est l’abdication de tout effort de connaissance, la crétinisation des masses à outrance, c’est un président qui tranche des questions qu’il ne connaît pas et qui se fait une gloire, une marque de fabrique, un « point d’honneur » finalement, de ne pas posséder de connaissances.

        Penser c’est finalement compenser les effets de l’entropie. Il nous faut rétablir le savoir dans une fonction du vivant comme fonction du vivant. Mais de quel savoir s’agit-il? Bernard Stiegler à ce moment utilise une référence inattendue: le savoir de la mère, savoir tenant de l’improvisation puisque il consiste à accueillir l’enfant dans sa spécificité idiosyncrasique la plus radicale. Savoir, c’est justement s’écarter de tout savoir normé pour s’adapter à tout ce qu’un enfant va avoir de singulier, de différent, de particulier. On comprend alors tout ce que la définition de « savoir » au sens entendu par Bernard Stiegler ici a de génial, de motivant. La référence aux génies dyslexiques: Léonard de Vinci Edison, etc est ici fondamentale. Comment compenser les effets de la dyslexie pour que cela crée des penseurs de la nouveauté, de l’inédit?
         
         Malheureusement ce que nous pourrions appeler l’utilisation actuelle de la technologie ne rend plus possible la création de ces savoirs là. Nous ne savons plus ce que nous faisons. Le taxi Parisien ne connaît pas paris mais il a un GPS qui lui permet de faire plus vite et « mieux » son travail si par travail on entend juste l’exécution d’une tâche « poiesis ». Il faut réinventer la notion même de savoir en intégrant le fait qu’un savoir c’est justement ce qui exclue la calculabilité. Il y a dans le savoir une fonction propre du vivant qui est celle de la néguentropie.  
     
          
Ce point est fondamentale et change totalement la donne de ce qu’est la pédagogie: il n’est pas question de transmettre d’anciens savoirs mais d’en créer d’autres, comme celui de la mère qui va accueillir son enfant quelque il soit. C’est la raison pour laquelle Stiegler prend cet exemple là. Une mère doit recréer ce qu’est l’éducation dés lors que l’enfant manifeste des particularités et qu’il n’est plus question de lui imposer des apprentissages normatifs. Ce que cette mère a à faire c’est de créer une nouvelle conception de ce que savoir « est ». Par créer de  nouveaux savoirs, il faut donc entendre la capacité de quelques hommes à remettre en question tous les savoirs constitués: c’est ça la « bifurcation » susceptible de retarder l’entropie. C’est donc à une mutation des savoirs constitués qu’il s’agit de s’appliquer aujourd’hui (et par aujourd’hui entendons VRAIMENT tout de suite).
        La transmission des anciens savoirs est inopérante, parce que le droit, la biologie, la physique, la philosophie, etc ne peuvent plus vraiment toucher un public, trouver des auditeurs du fait qu’il y a un malentendu profond sur la science. La conception aristotélicienne de la science qui remontait à Aristote distinguait 4 type de causalité sachant que l’on pouvait prétendre à la connaissance d’un phénomène quand on pouvait rendre compte de sa causalité. Selon Aristote on pouvait distinguer la cause:
- Matérielle
- Efficiente
- Formelle
- Finale
         
La cause matérielle de la statue est le marbre: il faut du marbre pour faire une statue. La cause efficiente est le sculpteur. La cause formelle de la statue est son modèle (de quoi est-elle statue? La cause finale répond à la question en vue de quoi elle a été créée. La pseudo science d’aujourd’hui ne prend a subordonné toutes les causalités à une seule: la cause efficiente parce que la science s’est laissée parasiter par l’économie, ou la production. La causalité efficiente est par conséquent soumise à des questions de production qui impose une gestion et donc une « calculabilité ». La science n’assure donc plus sa fonction de savoir néguentropique; elle accélère au contraire l’entropie. Stiegler parle d’une mise en oeuvre techno-scientifique qui finalement détruit les savoirs, détruit « la Noèse », c’est-à-dire l’acte de penser. On mesure l’urgence de la situation quand on réalise que la population ne cesse d’augmenter et qu’en même temps nous ne sommes plus en mesure de penser ces conditions de vie qui tendent vers l’accélération de l’entropie (parce que plus de population suppose plus d’énergie libérée, dispensée et perdue. Penser c’est fondamentalement compenser l’entropie, ça a toujours été ça et cela a d’ailleurs des implications insoupçonnées. Lorsque l’on met à jour des processus d’intelligence organiques  capables de retarder la mort programmée (apoptose) par des signaux intercellulaires, nous avons bel et bien affaire à cette fonction vitale de la néguentropie et l’homme qui pense ne fait pas autre chose que cela, mais la situation humaine est à ce point grave qu’il n’a plus les moyens de penser, d’activer cette fonction du vivant à cause de la prolétarisation et de la calculabilité.
         
           Suit alors l’un des passages les plus importants de cette interview, c’est une nouvelle définition de la philosophie. Il ne s’agit pas de reprendre ce que Heidegger, Nietzsche, Kant ont dit. Il faut les critiquer, en un sens qui n’est pas du tout polémique, mais en un sens Kantien. Emmanuel Kant a écrit les trois critiques pour définir des limites à l’exercice des facultés. Stiegler se propose de voir les limites des grands philosophes afin de les rendre utiles et capables de nous aider à penser aujourd’hui. Soyons plus clairs et reprenons les 3 philosophes auxquels pense particulièrement Stiegler: Marx, Nietzsche et Heidegger. Ces trois philosophes nous sont déjà en eux-mêmes extrêmement utiles pour penser ce qui nous arrive, mais ils ne prenaient pas en compte l’entropie, ni suffisamment selon Stiegler la notion d’inconscient freudien. C’est leur limite. Affranchissez les de ces deux limites et nous pourrons rendre plus efficientes encore les théories de ces penseurs.
         
       Chacun voit bien en effet en quoi la reconnaissance de l’entropie change totalement notre vision de l’univers. Nietzsche reconnaît bien l’importance d l’inconscient, mais probablement Stiegler considère-t-il que Freud s’est penché de façon plus impliquée sur tout ce que cela changeait précisément dans notre conception des sociétés, des religions, etc. Nietzsche s’intéresse à l’inconscient de la volonté de puissance alors que Freud s’intéresse vraiment à l’inconscient tel qu’il transfigure la conception du sujet, et du sujet dans une société donnée avec le sur-moi, le ça, etc. Or Le petit neveu de Freud , Edward Bernays a utilisé la notion d’inconscient de son grand oncle pour inventer le marketing, c’est-à-dire transformer les individus en consommateurs, malgré eux. On pourrait encore creuser cette ligne de parenté et nous découvrirons que le petit fils d’Edward Bernays est Marc Randolph, le fondateur de Netflix.
           Il ne s’agit pas toutefois seulement de critiquer ces auteurs en les débarrassant de ces limites qu’ils se sont imposées à eux-même et qui les a empêché de penser certaines choses que nous vivons aujourd’hui (même si le génie de Nietzsche consiste à les avoir quand même conçues comme nous le verrons plus tard) mais aussi de comprendre précisément ce qui s’est passé avec le numérique. Il s’agit sans conteste de l’un des instruments les plus à même de créer de nouveaux savoirs et pourtant il s’avère en réalité participer de cette calculabilité des activités humaines et de cette crétinisation des masses dont les réseaux sociaux nous offre le spectacle permanent. Comment rendre compte de ce détournement affligeant?
        Pour Stiegler, cette mutation est récente: elle date de 10 ans à peu prés, de la diffusion de l’usage du smartphone et de FaceBook. Il faut distinguer Internet et le world Wide Web. Ce dernier est un système permettant de consulter des sites et fut mis au point au CERN dans un but qui est d’abord celui d’une communication et d’une lecture de textes en vue de la recherche scientifique. Le Web est donc un système éditorial qui permet de créer une agora nouvelle au sein de laquelle des questions fondamentales comme celle du Nucléaire serait l’enjeu de communications et de dialogues avec des non spécialistes. Il s’agissait donc bel et bien de créer une nouvelle conception de savoirs, une nouvelle construction des savoirs avec des facilités  et des rapidités de parution inconnues jusqu’alors. C’était ça le Web à l’origine.
          
Mais dans les années 2000, s’est mise en place une politique de captation des données à visée commerciale par quoi ce qui était né dans la perspective de créer du savoir est devenu la possibilité de déterminer des profils de consommateurs. C’est comme si l’entropie s’effaçait avec succès de reprendre ces droits en rendant calculable donc prévisible une nouveauté. Finalement c’est bine à ce jeu d’opposition entre de l’imprévisible et du calculable que nous assistons sachant que l’enjeu de cette lutte continuelle est le retardement du chaos. Le web a été criblé d’algorithmes de captation des données permettant de contrôler et d’orienter son flux.

C'est tout pour aujourd'hui.Pour lundi prochain, je vous demande de définir à votre façon:
- L’entropie
- L’anthropocène
- La néguentropie
- Le néguanthropocène

Prenez soin de vous!

Où en étais-je? Ha oui!

        

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