jeudi 28 mai 2020

Séance du 28/05/2020 CALM (Cours A La Maison) TL2:2H


                                                                                               WAKE UP!
                                                  It is time to think
                                                    about the right !
 Nous en étions à l'exemple utilisé par Kant pour prouver que la loi morale existe en tout homme. On peut dissuader un homme de céder à son "vice" si on le menace de mort en installant une potence devant chez lui. Mais même si un prince m'ordonne de dire du mal d'un homme honnête j'hésiterai.
 


Prenons maintenant un autre exemple: si un homme de pouvoir me promettait la mort à moins que je cause publiquement du tort à un homme que je sais parfaitement honnête. Accéderai-je à sa demande? Peut-être mais pas tout de suite. Il est possible que par crainte de mourir, je porte un faux témoignage contre cette personne que je sais être une personne de bien, mais personne ne se résoudrait à une telle lâcheté, à un tel comportement abject sans au moins y réfléchir un petit peu et cette simple mage de réflexion marque quelque chose de fondamental, à savoir l’’existence en nous d’un libre arbitre. Aussi menacé que nous soyons, nous éprouverons ce vertige de la décision à prendre et nous envisagerons bien de ne pas répondre favorablement à cet homme de pouvoir. Nous émettrons cette possibilité d’une marge de décision pure, indépendante de la pression exercée sur moi et cela suffit à prouver l’existence en moi d’un sujet « je » capable de se représenter ce que la loi morale lui commande de faire moralement, c’est-à-dire librement.
           
En un sens, il n’est pas de fondement plus assuré au droit naturel que cette loi morale décrite ici par Kant, car si nous portons notre attention vers la dernière phrase des passage nous comprenons mieux le fond de cette motivation qui nous invite à agir moralement. Placé dans un tel dilemme, nous ne savons peut-être pas ce que nous allons faire, mourir ou se soumettre à un ordre abject, malveillant, mais nous nous représentons parfaitement ce que serait la décision juste, morale: risquer la mort plutôt que de faire un faux témoignage contre un honnête homme. C’est cela que nous avons le devoir moral de faire et nous en sommes certains, indépendamment de la question de savoir si nous allons effectivement le faire.
        La question qui se pose néanmoins aujourd’hui est celle de savoir si cette loi morale dont Emmanuel Kant dit qu’elle est en nous: « la loi morale en moi la voûte céleste au-dessus de moi. » est aussi claire qu’il l’affirme. La mondialisation, les connexions qui se sont petit à petit tissées entre des individus qui ne sont jamais en contact direct mais dont les choix notamment en matière de consommation créent des lignes de conséquence  tout à la fois effectives et quasiment indétectables ne rendent-elles pas extrêmement floues notre capacité à déceler la bonne action et plus encore la bonne volonté? Les relations humaines sont-elles aujourd’hui parfaitement compréhensibles, claires? Ne serions pas pris dans un réseau si dense, si enchevêtré, si indémaillable d’influences réciproques que discerner l’action juste serait aujourd’hui indéterminable, a fortiori du fait de l’importance prise par le numérique dans les échanges inter-humains?
      
   Pour Kant, en effet, une action morale ne peut se fonder que sur une intention pure, laquelle doit être dépouillée de tout motif pathologique. Une volonté pure est une volonté universelle qui peut vouloir que la maxime de notre action soit à même de valoir en tant que maxime universelle. Comme nous l’avions vu pour la dissertation sur l’amour: « Est-ce un devoir d’aimer autrui?», cette volonté pure suppose que nous puissions vouloir que notre intention soit universalisante, qu’elle construise une loi universelle. Or la pureté de cette intention n’est plus vraiment aussi distincte, aussi énonçable qu’elle l’était du temps de Kant du fait de cette interdépendance qui s’est créé à cause d’un régime d’échange qui nous relie aussi intensément qu’anonymement les uns aux autres (le libre échange)
        Et, d’autre part, la vitesse de suggestion à nos désirs et nos intentions de consultation, de documentation, de consommation atteint à cause du numérique des niveaux proprement hallucinants qui court-circuitent complètement notre libre détermination, laquelle est aujourd’hui une utopie. L’information par la fibre atteint en effet 200 millions de m/s alors que notre vitesse nerveuse fait circuler les informations de nos nerfs à notre cerveau à une vitesse de 2m/s. Qu’est-ce que « vouloir » dans ces nouvelles conditions? Soyons plus clair, et prenons les exemples des vidéos YouTube, lorsque nous choisissons d’en visionner une, nous pouvons toujours nous illusionner en pensant que nous l’avons choisie mais nous l’avons choisie parce que la plate forme a analysé nos lectures précédentes avec une vitesse de captation et de sélection proprement irreprésentable pour un entendement humain. Ce que je « veux » ou ce que je désire s’effectue sur le fond d’une analyse de données calculables impressionnante qui change absolument tout à ce que peut signifier « choisir », « vouloir » ou « être libre ». Dés lors, la source même du droit naturel et du droit tout court selon Kant, à savoir cette loi morale qui me permettrait de savoir ce qu’il faut faire en toute occasion n’est plus tout à fait aussi détectable, fiable, envisageable qu’à son époque. Quelque chose de notre utilisation du numérique et plus précisément de ce que l’on appelle les « Big Data » change du tout au tout notre relation fondamentale avec le droit.
 

3) L’exercice du droit dans les sociétés dites « de contrôle » - Michel Foucault

        C’est à Michel Foucault que l’on doit cette perspective de l’évolution des sociétés depuis le moyen-âge en occident selon laquelle trois étapes se succèdent:L
- Les sociétés de souveraineté (globalement du moyen âge au 18e siècle)
- Les sociétés disciplinaires (du 19e au 20e)
- Les sociétés de contrôle (maintenant)
        Dans les sociétés de souveraineté, pour reprendre les termes mêmes de Foucault, la justice du roi fait mourir et laisse vivre, c’est-à-dire qu’il existe bien des lois mais qu’elles sont relativement lâches dans l’administration de la vie quotidienne et s’appliquent avec une violence inouïe, très démonstrative dans la punition. Les individus sont un peu laissés à eux-mêmes tant qu’ils ne commettent pas certains crimes jugés très graves et dans ce cas, la justice s’applique sans discernement avec une violence aveugle.
       
  Les sociétés disciplinaires aspirent à contrôler la population en la rassemblant sur les lieux de travail, dans les institutions d’éducation, de punition. La ville se voit quadrillée en espaces clos, chacun d’eux étant voué à une activité: « c’est là que l’on est éduqué, là que l’on est soigné, c’est là qu’on vieillit (hospice), etc.) A bien des titres, c’est l’inverse des sociétés  de souveraineté: faire vivre et laisser mourir. La justice cadre les habitudes de vie, les contraint et la justice est un peu moins expéditive, mais pas moins répressive. Napoléon peut se concevoir comme le champion des sociétés disciplinaires (rédaction du code civil).
          
Gilles Deleuze reprend l’analyse de Foucault en insistant particulièrement sur la 3e étape, notamment parce que c’est, selon lui, celle que nous sommes en train de vivre. C’est du moins cette thèse qu’il défend dans une intervention qui eut lieu en 1987 à la FEMIS. Il n’est plus nécessaire de rassembler les gens pour contrôler une population, mais simplement de mettre en place des processus de contrôle des voies et les moyens de circulation, d’information, de consommation de communication. Ce qui est fascinant dans ce ce type de société, c’est le fait que la population est d’autant plus contrôlée et manipulée qu’elle se croit libre. Quoi de plus « pratique » que les autoroutes, que de pouvoir payer par carte bleue, que de commander par internet, que de faire partie d’un appareillage de suggestion d’achat qui vous fait désirer des produits avant même que vous n’en preniez conscience? Les sociétés de contrôle sont d’autant plus efficaces qu’elle ne nous apparaissent pas le moins du monde contraignantes.
         
Aujourd’hui, Antoinette Rouvroy, docteur en sciences juridiques reprend ces concepts de Michel Foucault et les met en perspective avec la gestion des Big Data. De quoi s’agit-il? Les « Big Data » désigne ce que l’on appelle les « Méta-Données », c’est-à-dire l’ensemble des données numériques produites par les technologies informatiques à des fins personnelles ou professionnelles. Pour être plus précis encore, cela concerne:
- Toutes les données d’entreprise (courriels documents, base de données, historiques, processeurs, etc.)
- Tout ce qui est enregistré par des capteurs sur les contenus publiés dans le web
- Toutes les transactions via le commerce électronique
- Tous les échanges sur les réseaux sociaux
- Toutes les données transmises par les objets connectées
- Toutes les données géo-localisées
          
Si nous essayons de nous représenter les domaines de notre vie qui sont en lien avec ces données, chacune et chacun de nous perçoit rapidement qu’il n’est rien de l’existence d’un individu en Europe ainsi que dans la plus grande partie du monde qui échappe aux processus de collection et de capture de ces données, lesquelles font ainsi facilement des recoupements entre des domaines d’activité, d’échanges et de vie très variés et dresse ainsi des « profils » qui sont autant de « cibles » dans le domaine de la vente, de la recherche d’emploi, de l’industrie des loisirs, etc.
        Posons nous simplement la question de la traçabilité des individus que nous sommes. Elle est aujourd’hui quasiment totale. Il est vraiment révélateur de s’interroger sur cette notion de « trace ». Sur quel support, sur quel milieu, sur quel fond l’existence d’un humain, d’un citoyen s’inscrit-elle, dans l’histoire? Autant il était encore possible au début du 20e siècle d’envisager la possibilité que l’existence d’un citoyen contiennent des éléments, des domaines indétectables aux institutions, aux organismes, aux opérateurs,  autant cette perspective est aujourd’hui impossible. Mais qu’est-ce que cela veut dire, au juste? Que le milieu dans lequel s’effectuent nos actions, nos pensées, nos désirs, nos décisions n’est plus celui de la réalité physique de la nature mais celui de la réalité virtuelle de la calculabilité. Antoinette Rouvroy ne développe pas du tout une énième critique du modernisme, elle réfléchit aux conséquences des big data sur l’exercice du droit, de la justice et en premier lieu sur la distinction entre le fait et le droit.
 
C'est tout pour aujourd'hui
A demain!

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