lundi 11 mai 2020

Séance du 12/05/2020 CALM (Cours A La Maison) TS3: 1H

Bonjour à toutes et à tous,

Nous terminons aujourd'hui l'explication de la vidéo de Bernard Stiegler (de 36:00 à la fin)

On peut parfaitement comprendre l’urgence de cette transformation des réseaux sociaux en pensant à l’ascension de Donald Trump qui finalement est l’union de trois perspectives:
- Il est l’initiateur d’une politique sans équivalent d’exploitation des pauvres d’un point de vue immobilier
- Il a créé des émissions de télé-réalité
- Il est le président qui a le plus utilisé Twitter contre les médias de presse ou de télévision (du moins sur les chaînes qui lui sont défavorables comme CNN)
        
Si Trump est devenu président c’est du fait de la prolétarisation dont les réseaux sociaux sont des ressorts extrêmement actifs. Mais cela ne vient pas en soi de la technologique numérique, cela vient aussi des penseurs et des intellectuels de notre époque qui pour la plupart refusent de penser la révolution la révolution numérique ou la critique. Ce qui se produit aujourd’hui est sidérant: l’humanité accélère le mouvement de l’entropie de façon exponentielle. C’est un homme qui court vers la falaise. A la promesse du désordre, nous ajoutons une conception hallucinante de la crétinisation de masse et de la calculait des comportement qui décuple le mouvement, comme une voiture qui sans cesse accélérerait après une sortie de route.
        Bernard Stiegler situe ici un lien fondamental qui est celui du surhumain chez Nietzsche. On peut parfaitement interpréter les références de Nietzsche à l’humanité comme passage, comme étape vers quelque chose de surhumain comme étant ce qui, de fait aujourd’hui nous attend. Il faut un effort surhumain pour quitter l’anthropocène. Le surhomme, c’est finalement l’avènement du néguantropocène et nous pourrions aussi l’écrire comme cela: le néguentropocène. Parce que c’’est la même chose. Nietzsche qui pourtant n’a pas accordé d’importance à l’entropie, n’a pas perçu l’importance cruciale de cette nouvelle conception d’un univers qui fuit, perçoit quand même ou annonce (peut-être) cette nécessité pour l’homme de devenir autre chose que ce facteur incroyable d’accélération de l’entropie.
        Nietzsche a compris, en 1879, que certaines inventions comme la machine à vapeur, le télégraphe, la presse quotidienne allaient provoquer le nihilisme, une sorte de grégarisme créant des hommes derniers, des animaux repus dans le capitalisme, communicants, conformes et prévisibles (la file de voitures devant le premier Mac Do recouvrant après la crise sanitaire). Il va falloir un effort surhumain. C’est plus un effort surhumain qu’un être surhumain, une ouverture sur une nouvelle possibilité d’être homme créant du néguanthropocène, un homme néguentropique: c’est ça le surhomme. Pénélope tissant sa toile pourrait parfaitement désigner la figure même du Surhomme Nietzschéen.
         
Bernard Stiegler fait ici un rapprochement (osé mais intéressant) entre Nietzsche et Jean Jaurès qui, dans le premier exemplaire de l’Humanité affirme que l’humanité n’existe pas, c’est-à-dire qu’elle a constamment à s’inventer. L’homme c’est le devenir humain de cet inachèvement fondamental dans lequel nous consistons en tant qu’être exosomatique. Nous consistons dans l’efficience de cette conjonction avec les organes que nous nous nous donnons mais dont nous pouvons perdre le contrôle (ce qui arrive en ce moment). Il faut exosomatiser le « connais toi toi-même » de Socrate. Etre surhumain n’a jamais été plus efficient et plus impératif qu’aujourd’hui parce que nous sommes en train de devenir ces derniers des hommes auxquels Zarathoustra s’adresse en espérant qu’ils préfèrent le surhomme, mais dans son livre, ils ne le font pas.
        Il faut « réapprendre à vivre », c’est ça le surhumain, réapprendre à apprendre, à vivre le quotidien. Le marketing nous a fait désapprendre tout ce que nous savions. Il nous faut donc réapprendre à savoir en inventant de nouvelles rationalités. Nous nous déchargeons de tout, y compris du sacré sur des sociétés de service qui s’avèrent être des sociétés de prolétarisation.Nos instruments de travail sont du savoir objectivé, ce qui signifie que l’emploi est nécessairement mieux fait par les machines. La notion d’emploi est mathématisable, calculable. Mais il est possible de reprendre ces technologies pour réinventer la notion de travail. En fait le paradoxe est le suivant: nous travaillons nous humains mais nous rendons l’emploi calculable par le biais des algorithmes. 
     
Mais Marx dans les « Grundisse » lance cette perspective qui consiste à utiliser ces instruments, celui là même qu’il appelle les savoirs objectivés pour réinventer la notion de travail. Comment redistribuer les gains de productivité de façon à reprendre ces automatismes pour aller dans le sens de la néguentropie (ce n’est pas Marx mais qui affirme cela mais Stiegler à partir d’une relecture de Marx)? Stiegler défend l’idée selon laquelle il faut travailler avec des banques, avec des opérateurs qui sont des agents aggravants, tirant profit de l’économie entropique dans laquelle nous vivons mais en même temps conscients de la fragilité d’une telle configuration. Ces structures capitalistes sont incontournables donc il faut travailler avec elles pour faire advenir cette nouvelle ère. L’Europe est tellement en danger que ce mouvement, cette réaction est absolument nécessaire, urgente. Nous sommes aujourd’hui coincés entre deux géants le EU avec Donald Trump dans l’entourage duquel nous trouvons des personnes aussi dangereuses que Peter Thiel, fondateur de PayPal, et libertarien de la première heure et Selon Musk (PDG de Tesla qui évoque la possibilité de créer une colonie humaine sur Mars, possibilité absolument fantaisiste). On retrouve ici le délire évoqué dans le film de Stanley Kubrick: « Docteur Folamour », film qu’il est d’ailleurs vraiment intéressant de revoir aujourd’hui à la lumière de la catastrophe que nous vivons.
        
 
        En Chine, la situation est absolument différente, à savoir que les dirigeants investissent énormément dans les modes d’énergie alternative aux énergies fossiles. L’Europe doit donc négocier avec la Chine et avec les opposants au libertaires aux EU, de façon à réfléchir non seulement à « l’après » de la civilisation thermo-industrielle dans laquelle nous vivons, mais aussi pour travailler sur ces instruments numériques dans une perspective néguentropique.
        Bernard Stiegler termine cette interview à l’invitation d’Aude Lancelin en appelant à la constitution d’un « NOUS ». Evidemment par ce « nous », il s’agit d »’entendre toutes celles et ceux qui sont soucieux de casser cette dynamique de la calculabilité des comportements humains, celles et ceux qui souhaitent créer des bifurcations susceptibles d’assumer cette dynamique néguentropique dont on peut considérer qu’elle est une fonction même de tout système vivant. Sur quoi peut-on faire reposer ce nous? Sur la réalisation d’une efficience dénégatrice au coeur des sujets que nous sommes. Il reprend la notion de sujet clivé inventé par Jacques Lacan. Nous ne voulons pas reconnaître la réalité de l’entropocène. Pour enrayer ce processus psychanalytique Stiegler recourt à un autre terme de la psychologie l’insight, soit un éclair de pensée capable de solutionner sans raisonnement ni démonstration un problème. L’insight est un éclair de vérité, une fulgurance dont les enfants notamment sont capables selon Donald Winnicott. La mère est créative quand elle crée les conditions de création de l’accueil de son enfant dyslexique. Il s’agit donc d’en appeler à des insights, à des moments de fulgurance lucide. Il s’agit de produire des visions alternatives rouvrant des possibilités d’’espoirs: créer des communautés capables de prendre en main ces notions de néguentropie, de créer des savoirs ensemble. La notion de « compromis historique » permet de réfléchir à un projet européen (parce que l’Europe est en train de disparaître: elle est le continent le plus menacé par l’évolution de cette économie des Big Data.
        Ce qui importe c’est de créer une nouvelle rationalité dans trois domaines:
- L’économie (en finir avec la spéculation)
- La biologie  (revenir à une conception de la science dans laquelle la causalité efficiente n’écrase pas les trois autres, surtout la cause finale)
- La politique (revenir au sens de Hannah Arendt- il faut relire à ce sujet la fin de l’article « Qu’est-ce que la liberté? Dans la crise de la culture pour saisir la notion de processus: en fait il faut que de l’homme soit, créer ce miracle de l’existence humaine dans un monde où sévissent des processus
        
Ce projet d’un compromis historique apparaît comme une utopie, mais il faut bien réaliser que c’est nécessairement avec des modèles de représentation issus de l’ancien système que ce projet apparaît utopique. Le génie de l’insight terrifie toujours d’abord parce qu’il exprime une idée dans des cadres issus de l’ancienne façon de voir. Les réactions de nombreux intellectuels face à la déclaration de Greta Thunberg sont à réinterpréter totalement dans ce cadre.
        Il importe de dépasser l’anthropocène pour faire advenir l’ère du néguentropocène en étant bien conscient que la raison pour laquelle cette nouvelle façon de créer des savoirs inédits, de revisiter intégralement les fondements même de la culture et de la cité ne peut être pris en compte par une époque dont le but inconscient via les big data est de tout calculer. Il s’agit de créer de l’ordre dans la calculabilité du désordre entropique. Comme les collapsologues le font remarquer depuis plusieurs années, les courbes des chiffres démographiques, économiques, écologiques vont vers un effondrement mais c’est justement parce qu’effectivement la nature du changement à envisager consiste à faire advenir une improgrammable rationalité que cette solution est possible comme l’est l’insight dans la psychologie humaine. Il faut faire advenir de la bifurcation dans un système dont la calculabilité aplanit ou droitise la ligne de fuite entropique.



Pour la semaine prochaine, je vous demande de répondre à cette question:
Pourquoi la pratique d'un Art correspond -t-elle parfaitement à ce que l'on peut appeler selon Bernard Stiegler une activité néguentropique?

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