mercredi 27 mai 2020

Séance du 27/05/2020 CALM (Cours A La Maison) TL2:1h30

Bonjour,


Évidemment vous pourriez faire ça!

Mais vous allez plutôt faire ça!

Si vous vous demandez pourquoi. La réponse est: "La philo: c'est trop cool!


 2) La liberté comme source de légitimité du droit (Emmanuel Kant)     

           On entend souvent dire qu’un citoyen vivant dans un état de droit (il faut absolument relier ces deux notions de droit et d’Etat) n’a de droits que pour autant qu’il respecte ses devoirs, laissant ainsi entendre que la citoyenneté est une condition « donnant/donnant ». C’est un contre-sens total car si je ne respecte mes devoirs que pour autant que je jouis de droit, on ne voit pas bien quel est le rapport avec la morale. Le citoyen ne serait animé que par l’intérêt. Il ne respecterait ses devoirs que pour autant qu’il y gagne. On retrouve un peu cette conception dans le pacte civil selon Thomas Hobbes mais on sait bien que Hobbes ici ne nous parle que de politique, de lien social et pas de morale.
         
Pour prendre un exemple récent, on voit assez mal comment nous pourrions expliquer cette implication récente des personnels soignants dans le traitement de la pandémie en l’expliquant par une forme d’intérêt ou de bénéfice. Ce n’était pas du donnant/donnant. Ricoeur nous donne des éléments rationnels de compréhension de ces attitudes profondément morales là où Hobbes peut sembler un peu « sec ».
        Il n’est pas possible de réduire le droit à la contrepartie du devoir. Si l’Homme se pose la question du droit et ne se satisfait pas du monde ni des rapports de force tels qu’ils sont, c’est bien parce que quelque chose dans le rapport qu’il entretient avec lui-même, avec ce qu’il faut bien appeler sa conscience induit une sorte d’assise, d’adéquation à soi et à ses actes, d’intégrité.  Sans aucun doute Freud invoquerait ici la notion de narcissisme primordial, et non sans raison. La honte, le remords, la culpabilité définissent sans aucun doute au fil de leurs contours quelque chose qui est de l’ordre de la plénitude, de l’amour de soi, de ce que l’on appelle en latin « dignitas », considération, estime, déférence, sentiment que l’on doit peut-être d’abord enraciner dans le sujet, exactement au sens que Descartes donne à la générosité: donner de soi pour se sentir exister pleinement et ne pas s’économiser.
        Ce qui s’articule dans cette source de légitimité par le biais de laquelle on se sent à la fois tenu d’agir de façon droite (c’est l’étymologie même de justice: jus juris) tout en étant convaincu que nous y gagnerions la jouissance d’une intégrité, d’une puissance d’assomption de nos actes, ce sont les notions de devoir et de liberté.
         
Nous ne nous sentons obligés d’agir de façon droite que par rapport à un devoir fondamental mais dans ce devoir s’effectue également une puissance, une capacité  de ralliement à soi-même, de consentement grâce à laquelle nous ne regrettons rien, nous n’émettons pas la moindre réserve à ce que nous faisons. Le devoir c’est finalement la force grâce à laquelle nous agissons librement sans nous soumettre à des pulsions ou à des appétits qui nous feraient dépendre d’un pouvoir hétérogène, extérieur. Dans le devoir, ce qui se manifeste c’est cette capacité du sujet à être un sujet raisonnable un sujet libre, et non un corps offert du fait de ses pulsions à des influences étrangères.
        Nous retrouvons ici la thèse essentielle développée par Emmanuel Kant dans la critique de la raison pratique:
          « Supposons que quelqu’un affirme, en parlant de son penchant au plaisir, qu’il lui est tout à fait impossible d’y résister quand se présentent l’objet aimé et l’occasion : si, devant la maison où il rencontre cette occasion, une potence était dressée pour l’y attacher aussitôt qu’il aurait satisfait sa passion, ne triompherait-il pas alors de son penchant ? On ne doit pas chercher longtemps ce qu’il répondrait. Mais demandez-lui si, dans le cas où son prince lui ordonnerait, en le menaçant d’une mort immédiate, de porter un faux témoignage contre un honnête homme qu’il voudrait perdre sous un prétexte plausible, il tiendrait comme possible de vaincre son amour pour la vie, si grand qu’il puisse être. Il n’osera peut-être assurer qu’il le ferait ou qu’il ne le ferait pas, mais il accordera sans hésiter que cela lui est possible. Il juge donc qu’il peut faire une chose, parce qu’il a conscience qu’il doit la faire et reconnaît ainsi en lui la liberté qui, sans la loi morale, lui serait restée inconnue. »
         
Quand agissons-nous librement? Quand notre volonté se détermine par elle-même indépendamment de toute motivation imposée ou addictive. Lorsque j’agis en suivant mon appétit, ce n’est pas de la liberté mais exactement le contraire: de la soumission à une pulsion qui me fait dépendre d’un être ou d’une substance extérieure. On est alors, pour reprendre les termes d’Emmanuel Kant « hétéronome »: on suit la loi d’un autre étymologiquement (nomos: loi - Hétéro: l’autre, ce qui n’ est pas moi). L’autonomie suppose que l’on ne se soumettre qu’à sa propre loi et chacun de nous possède en lui cette loi qui fait de lui un être autonome, donc libre. C’est ce que kant appelle la loi morale. Se sentir le devoir d’obéir à cette loi ne décrit absolument rien d’autre que le sentiment le plus pur, le plus juste et le plus inattaquable de la liberté. On est libre quand on obéît à la loi morale parce que la loi morale est la seule loi qui puisse me rendre autonome. Quand je suis mes pulsions ou mes instincts, je suis hétéronome et donc, pas libre.
       
  Mais qu’est-ce qui nous prouve que cette loi morale existe? Kant utilise ici un exemple très simple et très pertinent. Supposons que telle personne soit incapable de résister au plaisir. Si on installe une potence devant sa maison et qu’on la menace très sérieusement de la pendre si elle  cède à ses pulsions, il semble évident qu’elle résistera à  ses désirs. Est-ce la preuve de l’existence de la loi morale? Non pas du tout, c’est tout le contraire: une contrainte physique se révèle capable de maîtriser une pulsion physique. Il n’y a pas la moindre liberté dans cette situation: la contrainte répond à la contrainte. La personne est aliénée par son goût pour le plaisir et on peut lui faire passer cette aliénation par une autre aliénation, finalement quasiment de même nature. Rien ici qui soit autre qu’un pur rapport de force entre deux effets de contrainte. L’hétéronomie répond à l’hétéronomie et c’est la dépendance la plus menaçante qui l’emporte. C’est tout.

C'est tout pour aujourd'hui. 
A demain!




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