mercredi 19 mai 2021

Cours en distanciel du 20/05/2021 de 8h00 à 9h00 Terminale 2: Science et Vérité (suite)

 


3) La notion de « régimes de vérité » selon Michel Foucault
        Il est particulièrement intéressant ici d’explorer une autre possibilité explorée par le philosophe Michel Foucault, lequel a toujours situé cette partie de ses travaux concernant la vérité sous l’influence de Friedrich Nietzsche.
        Elle consiste finalement à poser que la vérité de la vérité ne peut résider que dans un travail de généalogie de la vérité. Plutôt que de s’épuiser sur la question métaphysique du « pourquoi la vérité? », question vaine en fait, parce que la vérité est comprise dans le droit que se donne l’orateur ou l’écrivain de parler ou d’écrire. Foucault propose de travailler plutôt la question: « comment la vérité? »
        Finalement, il s’agit pour Michel Foucault de diagnostiquer ce symptôme qu’est l’émergence de la vérité dans la société des humains, l’importance qu’ils lui donnent, et non plus de savoir si une vérité universelle est possible. Voici les objectifs décrits par Michel Foucault dans le cours qu’il consacre à cette question au Collège de France. Il s’agit de savoir:
« – si on peut, sous l’histoire des discours vrais, mettre à jour l’histoire d’une certaine volonté du vrai ou du faux, l’histoire d’une certaine volonté de poser le système solidaire du vrai et du faux ;
– si on peut, deuxièmement, découvrir que cette mise en jeu historique, singulière et toujours renouvelée du système du vrai ou faux forme l’épisode central d’une certaine volonté de savoir propre à notre civilisation ;
– si, enfin, on peut articuler cette volonté de savoir, qui a pris la forme d’une volonté de vérité, non point sur un sujet ou une force anonyme, mais sur les systèmes réels de domination. »

        C’est de la philosophie pure, c’est-à-dire de la pensée qui s’interroge toujours sur les présupposés à partir desquels elle pense plutôt que sur n’importe quel autre sujet, pensée qui donc n’obéit pas à son maître. La philosophie, en ce sens est de nature profondément spinoziste: elle est dans son mouvement et dans l’inspiration de son déploiement une émancipation. Finalement on pourrait résumer l’esprit de la recherche de Michel Foucault sur la notion de vérité en deux points:
Voir dans quelle mesure le savoir n’aurait pas été depuis toujours un instrument de pouvoir permettant de plébisciter un certain type de discours contre d’autres réputés « faux ». Il s’agirait alors pour des dominants de faire dire par les dominés la vérité qui leur convient à eux les dominants.
Etudier la parrêsia cynique dans l’antiquité et la pointer comme un moment où précisément les dominés construisent un dire-vrai courageux, à partir des bases d’une autre conception de l’éthique. La parrêsia, consiste à manifester dans l’attachement même à la vérité qu’on dit la vérité qu’on « est ». Greta Thunberg est probablement une figure de la parrêsia au 21e siècle précisément parce que la puissance de son discours ne vient pas tant de la validité scientifique de ce qu’elle énonce (qui consiste en fait toujours dans les conclusions du GIEC) mais dans l’implication physique, émotive, intuitive avec sa parole.
           

  Le philosophe Frédéric Gros décrit ainsi la démarche Foucaldienne: « le problème n’est pas pour Foucault de comprendre ce qui fait qu’une théorie est vraie mais l’effet que peut avoir sur l’existence des individus  (leur existence personnelle, sociale, politique) la présence de formes plurielles de vérité incarnées dans des savoirs multiples, des obligations éthiques, des rituels politiques et sociaux. »
        En d’autres termes, des idées ou des thèses ne sont vraies que parce qu’on les crédite de ce statut là. La question n’est donc pas du tout de savoir si une thèse est vraie mais comment à un moment donné, des humains ont donné à cette thèse ce statut, ce crédit d’être vraie. Evidemment la démarche de Foucault ne peut pas être comprise indépendamment d’un processus de relativisation de la vérité, mais cela ne revient aucunement à discréditer cette notion ou à la minorer, bien au contraire. Puisque la vérité est un statut humain, il a une histoire, une évolution, il est un processus et nous devons suivre ce processus généalogiquement. En fait, on mesure bien ici le fond même de la démarche d’examen de la vérité à partir de Nietzsche, à savoir que ce que le philosophe allemand a vraiment amené à la philosophie de façon révolutionnaire, c’est qu’il n’existe pas de dimension absolue au regard de laquelle la vérité serait vraie.
            Du coup la logique elle-même est à relativiser au fil d’une généalogie. Il est impossible d’adhérer à un énoncé quelconque sans le référer à son époque, à ce que Foucault a appelé «  son epistémè ». De quoi s’agit-il? D’un ensemble de problématiques, d’hypothèses, de méthodes de recherche qui constitue pour cette époque « un invariant ». L’epistémè, c’est un champ de savoir dans lequel certaines vérités sont tenues et elles ne peuvent l’être que dans cette époque, autrement dit, l’epistémè est une façon pour Foucault d’affirmer qu’il est impossible de comprendre l’émergence d’une thèse reconnue comme vraie sans tout ce qui dans son époque l’a rendue « énonçable ».
        Par exemple, la question ne se pose pas vraiment de savoir si l’argumentation de Descartes aboutissant au « Je pense donc je suis » est « vraie » mais plutôt de saisir ce qui fait de cette thèse « une » vérité de son époque, de son epistémè. On peut ainsi faire une généalogie qui  consiste dans l’exploration des strates d’epistémè, de champs de savoir rendant possible telle ou telle « vérité » de l’époque à cette époque. Autrement dit, dés lors que l’on a abandonné complètement la possibilité qu’une vérité dépasse son époque et vaille en tout temps, on accède à une vision dynamique, intéressante pertinente et surtout mutante dans le mouvement de laquelle ce qui compte n’est plus du tout « LA » vérité mais les conditions relatives rendant possible à chaque epistémè l’éclosion d’ « UNE » vérité. Ce qui intéresse Foucault, c’est plutôt le souci de vérité, c’est-à-dire la nature de cet attachement des hommes d’une époque à certains régimes de vérité (qu’ils soient d’ordre politique, religieux, scientifique, philosophique, etc.):
        « Je crois, dit Michel Foucault  dans « du gouvernement des vivants », qu’il faut bien comprendre que la science n’est que l’un des régimes possibles de vérité et qu’il y en a bien d’autres. Il y a bien des façons de lier l’individu à la manifestation du vrai […]. Régimes très nombreux dont certains ont une proximité d’histoire et de domaine avec les régimes scientifiques proprement dits, par exemple la chimie et l’alchimie […]. Vous avez d’autres régimes de vérité qui sont très cohérents, très complexes, et qui sont forts éloignés du régime scientifique d’auto-indexation du vrai. »
        Il faut prêter une grande attention à cette citation: ce n’est pas du tout un hasard si Foucault prend l’exemple de la chimie et de l’alchimie. Quoi de commun à ces deux disciplines? Pas grand chose, a priori, puisque l’alchimie est une discipline ésotérique, quasiment mystique tenant davantage de la magie que de la recherche scientifique et pourtant la chimie est née de l’alchimie et la science a pris le relais de ce que l’on pourrait qualifier de « science occulte ». Il y a une vraie recherche de vérité mais celle-ci va passer d’un régime mystique à un régime scientifique.
        D’autre part le terme d’auto-indexation du vrai pour définir le régime scientifique de vérité est également important. Il pointe la capacité de la science à instaurer à l’égard de toute donnée une sorte de système la codifiant dans le registre qui lui est propre, à elle en tant que Science, de telle sorte que la vérité apparaîtra nécessairement comme ayant à se recommander d’un mode proprement scientifique de validation.
            
Quels sont les régimes de discours à l’intérieur desquels on considère comme vraie une proposition? C’est cela la question qui intéresse Foucault étant entendu qu’elle détrône complètement celle qui consisterait à se demander si la vérité existe en soi. Si nous reprenons donc, tout ce que nous avons posé jusqu’à maintenant, il apparaît que la vérité ne se conçoit qu’en s’imposant par le biais d’un effet de contrainte que celui consiste consiste dans l’enchaînement rigoureux de prémisses et de conclusions, ou bien par une intuition, par un sentiment, par une épreuve si puissante qu’elle est irrécusable, incontournable. Ce que Nietzsche ajoute ou bouleverse dans cette définition, c’est la notion de métaphorisation: nous disons toujours la vérité, ou croyons la dire, en indexant la réalité brute des faits observés à un système de symboles à l’intérieur duquel nous faisons valoir un effet d’analogie. Cela signifie que le contact avec la réalité  brute est d’emblée décalé, évité par un processus de détournement que l’on peut appeler langage, symbolisation. Michel Foucault prolonge la thèse de Nietzsche en suivant le fil de cette généalogie de la vérité. Puisque dire ou écrire le vrai n’est pas un contact pur avec une réalité extérieure pure, on doit pouvoir suivre l’évolution des différentes modalités de croyance ou d’adhésion au vrai selon les époques et surtout les Epistémè c‘est-à-dire les champs de savoir de chaque époque. Par epistémè, il ne faut pas seulement entendre la science mais aussi la religion, la foi, le rapport à soi, l’éthique, la morale, l’idéologie, la politique, bref tous les éléments qui déterminent à un moment donné ce qu’implique le fait de penser à ce moment donné. L’epistémè s’appuie finalement sur cette idée selon laquelle il est complètement absurde d’envisager que les hommes d’une époque puissent penser  « à partir de rien », de façon absolue. La pensée « pure » n’existe pas. On ne pense qu’à partir d’un socle de mentalités, d’idées, de technologies, de rapports de classes, d’opinions, etc. Il serait vraiment stupide de déduire de cette notion là et des idées de Michel Foucault que l’on pourrait se résoudre à penser que chacun construit sa vérité. Ce n’est pas du tout le cas. Il faut tenir bon sur cette idée selon laquelle il ne peut exister de vérité qu’à partir d’un effet de contrainte. La vérité, c’est ce que l’on ne peut pas ne pas reconnaître, avouer, sentir conclure, admettre. Mais cela n’empêche pas que les modalités de ces effets de contrainte puissent:
avoir été intégrés presque à leur insu dans une procédure dont on a cru qu’elle allait de soi comme la langue ou la symbolisation.
      
Se concevoir au fil d’une évolution au gré de laquelle on se rend compte que les hommes dans une civilisation donnée ne se rendent pas sensibles aux mêmes effets de contrainte. On peut ici penser au geste plein d’audace de Galilée consistant à tourner sa lunette vers les planètes pourtant réputées pour Aristote faire partie du supra-terrestre, donc du non-corruptible, du non-changeant, du stable et de l’immuable. On peut, bien sûr, qualifier Galilée de génie, de savant révolutionnaire mais en même temps, on devrait probablement être attentif à tous les signes, à toutes les données plus ou moins importantes qui ont probablement dû rendre dans l’esprit de Galilée ce geste possible. Il convient de se retenir de trop personnaliser, essentialiser les avancées scientifiques. Elles se constituent toutes sur un terreau préalable et c’est ce terreau que Foucault appelle « Epistémè ».
        Déjà donc on pourrait dire que Nietzsche et Foucault contribuent à déplacer le curseur de la question de la vérité, laquelle ne réside pas dans le problème consistant à savoir ce qui est vrai par opposition à ce qui est faux mais plutôt à s’interroger sur les critères changeants au gré duquel des propositions sont admises comme « vraies ». Il existe ainsi des « régimes de vérité », selon l’expression de Foucault.
        Dans « Dits et écrits 2 », nous pouvons lire une analyse très claire et très synthétique sur les régimes de vérité fonctionnant à notre époque, disons à la fin du 20e siècle:      

            « Dans les sociétés comme les nôtres, l’« économie politique » de la vérité est caractérisée par cinq traits historiquement importants :
- la « vérité » est centrée sur la forme du discours scientifique et sur les institutions qui le produisent
- elle est soumise à une constante incitation économique et politique (besoin de vérité tant pour la production économique que pour le pouvoir politique)
- elle est l’objet, sous des formes diverses, d’une immense diffusion et consommation (elle circule dans des appareils d’éducation ou d’informations dont l’étendue est relativement large dans le corps social, malgré certaines limitations strictes)
- elle est produite et transmise sous le contrôle non pas exclusif mais dominant de quelques grands appareils politiques ou économiques (Université, armée, écriture, médias)
- enfin, elle est l’enjeu de tout un débat politique et de tout un affrontement social (luttes « idéologiques »). »

 

         Il convient de reprendre chacun de ces traits précisément. Foucault souligne cinq caractéristiques modernes définissant la puissance et l’effet des régimes de vérité fonctionnant à son époque:
1) Le régime scientifique de vérité est dominant
2) Les orientations et les débats politiques, économiques sont fondés sur le critère de vérité (vérité des chiffres et de la parole politique)
3) La vérité est banalisée, soumise à ce que l’on pourrait appeler une « consommation  et diffusion de  masse » du fait de l’augmentation considérable des moyens de communication
4) Elle est confisquée par des appareils d’autorité politique, militaire, éducatif, culturel
5) Elle est disputée. Les luttes sociales et politiques s’effectuent sur ce terrain là.



Questions (facultatives à envoyer à mon adresse mail perso):

1) Pourquoi peut-on dire que Foucault approfondit une perspective de Nietzsche sur la notion de vérité?

2) Foucault détruit-il complètement la notion de vérité?

3) Que faut-il entendre par les expressions suivantes: "Epistémè", "régime de vérité"?

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