lundi 3 mai 2021

Terminale 1/2/3 - Aide pour le prochain DM: Le travail est-il un droit?

     


                Quel est le contraire d’un droit? Une interdiction. Le travail ne nous est pas interdit. Pour une bonne part des travailleurs, ils seraient plutôt enclins à affirmer qu’il leur est imposé, comme une punition, terme qui n’est pas très éloigné de l’interdiction. Nous sommes condamnés à travailler à cause d’une faute ou d’un manquement, d’un mauvais comportement. Cette damnation fait évidemment écho à la malédiction d’Adam et Ève par l’Eternel dans la Genèse. A bien y regarder cependant, le travail est moins une condamnation que la conséquence de leur choix. Ils ont décidé, en mangeant le fruit de s’émanciper de la tutelle de leur créateur, c’est-à-dire de ne pas jouir simplement du fruit de l’arbre de vie. Ils ont choisi un mode d’existence besogneux, laborieux, mortel mais, de ce fait, autonome et existentiel.  Ce qu’Adam et Eve ont préféré, c’est finalement un mode d’existence au sein duquel rien ne leur serait donné mais où tout sera acquis, travaillé,  réfléchi, pensé, revendicable. C’est bel et bien un mode d’inscription de soi reconnaissable par soi-même, de soi-même à l’égard des autres et d’eux-mêmes qu’ils ont fait primer sur une vie immortelle, aveugle et vide d’évènements. Ils ont choisi l’histoire, une modalité généalogique et constructive de reconnaissance de soi plutôt qu’une vie hébétée, mutique, éternelle intégralement vécue dans le giron de Dieu.  
           

C’est bien là le point le  plus crucial de cet épisode. Adam et Eve ont choisi de faire de leur existence même une dynamique de travail, de perfectibilité. L’être humain est ainsi fondamentalement  un « avoir à être humain » parce que ce n’est pas donné, ce n’est pas un fait accompli mais c’est « un être en demeure » toujours menacé par la faim, par la disette, par le manque, toujours déjà travaillé par la mort qu’est l’être humain. Le choix de manger ou pas le fruit de la conscience était donc clairement le suivant: soit tu manges le fruit et tu réalises clairement ce que tu es mais précisément dans l’inachèvement même de cet être, soit tu ne le manges pas et tu restes stupide, ignorant, dans une satisfaction d’autant plus béate et asservie que tu n’en auras pas la moindre idée. Nous avons décidé avec Adam et Eve de devenir plutôt des bêtes de somme conscientes de leur condition plutôt que des affranchis heureux mais hypnotisés et ignorants de leur sort. Nous avons choisi de nous reconnaître plutôt que de nous méconnaître et le travail prend corps et importance dans cette destinée là, d’autant plus qu’elle n’exprime rien de moins que le cours nécessaire ‘une liberté qui se choisit et se découvre dans l’acte même du travail. Aucun travail ne devrait, par conséquent être entendu, pratiqué indépendamment de cette interprétation de la genèse qui pose le rapport entre le travail que l’homme fait et celui-là même dans lequel sa condition consiste de travailler le fait d’être. Si l’homme travaille c’est parce qu’être homme n’est pas une condition achevée mais le fruit d’un travail qui finalement demeure incessamment en chantier.
        Evidemment on peut objecter qu’il n’est ici question que d’un mythe, que d’une histoire contenue dans les écritures, mais qu’on y réfléchisse un minimum et nous réaliserons la fécondité de cette lecture, la puissance du rapport entre le travail et la reconnaissance. Ce qui se joue dans le travail, c’est bel et bien l’affirmation d’un processus d’individuation par le biais duquel l’homme s’éprouve comme « une » personne », comme « un » corps doté d’une puissance et d’une aptitude à la libérer dans une activité.  Le fruit n’est ni plus ni moins que la signature d’une déclaration à Dieu au terme de laquelle Adam et Eve expriment clairement à leur créateur qu’ils ne sont pas lui, et que l’éternel les condamne au travail est moins la punition qu’ils méritent que la conséquence logique de leur désobéissance et de leur choix.  Adam et Eve n’ont pas tant choisi la mort et le malheur que l’émancipation de toute tutelle, laquelle passe par le travail et la reconnaissance de soi par le travail. Dieu propose finalement à Adam et Eve un être et un lieu, ils lui préfèrent une généalogie et un temps (une mortalité).

                



        Le droit au travail est ainsi comparable au droit à l’individuation, parce que l’individuation même est un travail, un processus. L’homme est un être qui a choisi de constituer son individualité dans son rapport avec son milieu, milieu qui dés lors ne peut être, ni faire autre chose que l’objet d’un travail. Notre être a droit au travail pour la bonne et simple raison qu’il n’a aucun autre lieu d’être que celui là même qu’il se donne dans l’acte de son travail.
        Aucun épisode de la bible ne porte ainsi mieux son nom que celui de la genèse, car c’est bel et bien de la genèse même de la notion d’individuation dont il est finalement question dans le fruit défendu. L’individuation est un processus et ce processus, c’est le travail. C’est là, toute la leçon de la notion d’individu telle qu’elle fut développée par le philosophe Gilbert Simondon: « L’individu n’est pas seulement un (unité, totalité), il est unique (unicité, singularité). Un individu est un verbe plutôt qu’un substantif, un devenir plutôt qu’un état, une relation plutôt qu’un terme et c’est pourquoi il convient de parler d’individuation plutôt que d’individu. Pour comprendre l’individu, il faut en décrire la genèse au lieu de le présupposer. Or cette genèse, soit l’individuation de l’individu, ne donne pas seulement naissance à un individu, mais aussi à son milieu associé. »
            

On mesure ainsi les dommages conséquents d’une lecture au premier degré de la genèse et on s’étonnera a fortiori de la disparition totale de référence à l’individuation dans la façon dont le travail salarié est aujourd’hui aussi bien proposé, que pratiqué et finalisé.  Exercer aujourd’hui un emploi, c’est oeuvrer en vue d’acquérir un certain niveau de vie, et aucunement travailler dans la dynamique de cette individuation.  La question de savoir si le travail est un droit doit donc se situer à la fois par rapport à cette source de légitimité aussi paradoxale qu’évidente et première qu’est l’individuation et par rapport à la place du travail dans la société actuelle. Quel est le droit du travailleur de la SNCF si ce n’est, à croire la publicité dont nous avons parlé récemment,  que de disparaître, de pousser le sens du service public jusqu’à déserter même l’acte de présence et ne plus exister du tout?
        La question posée est finalement celle qui consiste à interroger les fondements de la légitimité du travail, de l’acte même de travailler, ou de la dynamique d’une condition toujours en devenir qu’on ne peut acquérir qu’au prix d’un travail.
        Le droit, dans son sens premier est la faculté de réaliser une action, de jouir de quelque chose, d’y prétendre, de le revendiquer. J’affirme mon droit et je m’affirme en le revendiquant. Cela signifie qu’il existe nécessairement une part de libération dans la réclamation d’un droit. Tout droit affirmé libère une puissance. Considérer ainsi l’existence comme un droit naturel au sens spinoziste du terme, c’est donner à la libération de l’existence dans laquelle on consiste la jouissance d’une légitimité. Mon droit naturel c’est de libérer la puissance d’agir que je suis, et de jouir de la possibilité de le faire, ce qui pour Spinoza ne peut se faire que dans la cité et pas dans l’état de nature. On mesure bien ici à quel point le travail est un droit naturel dés lors que l’on accorde au terme de travail ce sens qui le relie au processus d’individuation.
        Le droit est donc la capacité à libérer une puissance dans un cadre qui reconnaît et qui garantit à cette puissance la possibilité de s’effectuer. Dans l’optique de ce sujet il est éclairant de distinguer le terme de droit de celui de contrainte et de devoir ou d’obligation. Pourquoi? Parce que l’idée selon laquelle le travail serait plutôt une contrainte ou un devoir ne peut pas ne pas croiser notre réflexion.
        Emmanuel Kant dans son livre « critique de la raison pratique » nous propose une illustration extrêmement pertinente de la différence entre la contrainte et l’obligation. « supposons que quelqu’un affirme, en parlant de son penchant au plaisir, qu’il lui est tout à fait impossible d’y résister quand se présente l’objet aimé et l’occasion : si, devant la maison où il rencontre cette occasion, une potence était dressée pour l’y attacher aussitôt qu’il aurait satisfait sa passion, ne triompherait-il pas de son penchant ? On ne doit pas chercher longtemps ce qu’il répondrait. »
        Arrêtons nous quelques instants ici pour bien comprendre: mettons que vous ayez une addiction à la crème glacée et qu’on vous menace de vous pendre la prochaine fois que vous ouvrirez un pot de crème à la vanille, si vous ne doutez pas de l’exécution de la menace, vous obéirez parce que vous êtes contraint(e). La contrainte, c’est la force qui de l’extérieur s’impose à vous physiquement sans alternative. Vous avez une addiction physique et vous êtes contraint(e) par une puissance physique.

Mais demandez-lui si, dans le cas où son prince lui ordonnerait, en le menaçant d’une mort immédiate, de porter un faux témoignage contre un honnête homme qu’il voudrait perdre sous un prétexte plausible, il tiendrait comme possible de vaincre son amour pour la vie, si grand qu’il puisse être. Il n’osera peut-être pas assurer qu’il le ferait ou qu’il ne le ferait pas, mais il accordera sans hésiter que cela lui est possible. Il juge donc qu’il peut faire une chose parce qu’il a conscience qu’il doit la faire et il reconnaît ainsi en lui la liberté qui, sans la loi morale, lui serait restée inconnue. »

           


                Mais voici une autre forme d’interdiction: un gouvernant vous ordonne de produire un faux témoignage contre un homme honnête que vous ne connaissez pas sous peine de vous tuer. Etrangement votre soumission n’est pas aussi immédiate ou évidente que pour la crème glacée. Pourquoi? Parce que vous vous sentez, ne serait-ce qu’un tout petit peu, obligé(e) à l’agréé de cette personne. Autant l’idée de vous soumettre à l’interdiction de manger de la crème glacée ne se heurtait à aucune autre résistance que celle de votre gourmandise, autant ici, vous percevez bien que la soumission à l’ordre entraîne quelque chose qui vous engage autrement et ailleurs. Où? Dans le rapport à ce que Kant appelle la loi morale eu égard à laquelle vous vous sentez obligé(e). Cela ne veut pas nécessairement dire que vous allez choisir courageusement de désobéir en refusant de discréditer un inconnu, et donc de mourir, mais le simple fait que vous allez vous accorder le temps de la réflexion atteste de l’existence en nous de la loi morale et du sentiment d’une obligation à l’égard de l’humanité en général. Il existe bien une légitimité profonde et irrécusable à refuser d’obéir à un prince injuste en causant un préjudice à un homme de bien. Il n’y en a aucune à manger quitte à en mourir de la crème glacée. L’exemple de Kant est très habile parce qu’il veut montrer que ce sentiment d’obligation nous donne de la liberté. C’est un devoir que ne pas porter un faux témoignage et ce devoir me rend libre parce que je peux, grâce à lui, me déterminer en conscience, grâce à ma raison et quel que soit les menaces.  On peut être lâche et céder mais le simple fait que l’on ne se soumettra pas aussi vite que pour l’addiction prouve l’existence de la loi morale et le bien fondé de l’obligation, c’est-à-dire du devoir.
                Pouvons-nous situer le travail au même niveau? Le travail est-il une exigence qui se justifie de la loi morale? Si l’on se situe du point de vue du travail salarié, cela reviendrait à considérer les chômeurs comme des contrevenants à la loi morale, des contrevenants au devoir d’être moralement humains, et c’est indéfendable. Par contre si l’on donne au travail le sens déjà envisagé de processus d’individuation. Ne pas travailler, c’est laisser l’ouvrage de son individuation en jachère, se satisfaire de sa dividuation, se complaire dans l’homo consumericus, et cela prend sens.
                    Nous comprenons ainsi plus précisément ce qu’est un droit par rapport à la contrainte, à l’obligation et au devoir moral.  Avoir un droit c’est libérer une puissance dans un cadre qui en reconnaît la légitimité et qui en garantit l’exécution. Etre soumis à une contrainte c’est être vaincu dans un rapport de forces de telle sorte qu’aucun recours n’est possible. On est alors l’agent d’une force extérieure qui n’a besoin d’aucun consentement de notre part. C’est être réifié, chosifié, réduit à l’état de corps sans puissance. Faire l’objet d’un pouvoir de contrainte c’est être nié en tant que puissance, donc finalement en tant qu’existence (l’employé de la SNCF dans la publicité).  L’obligation désigne le fait d’être obligé par une autorité dotée d’une justification légale. On n’est jamais obligé par la force parce qu’il y a toujours une raison qui justifie l’obligation si on ne la voit pas, on peut être obligé par l’usage d’une force publique légale, si on la voit, c’est une obligation intérieure qui nous anime et l’on se sent mu par un devoir moral d’agir de telle ou telle façon. C’est exactement là l’exemple utilisé par Kant, on se sent obligé à l’égard de l’humanité de ne pas porter un faux témoignage contre un homme de bien, quitte à en mourir (mais même si l’on cède, par lâcheté, on aura quand même senti le poids de cette loi morale d’obligation).
           

            Ici, si tout se passe bien, nous disposons de tous les éléments pour voir le problème qui est à l’oeuvre dans ce sujet: même s’il n’est qu’illustré et pas démontré (mais le peut-il?) il y a dans la genèse un rapport de l’homme à son existence marqué par le devenir, par la mortalité, par la contingence. Etre est humainement une réalité que nous abordons comme un travail, comme un ouvrage: sans fois sur le métier nous remettons l’ouvrage d’exister (et pas de vivre). Du coup, dans la Genèse de la Bible, nous réalisons que s’affirme, en fait, un mode d’existence humaine comme genèse, généalogie de soi, c’est ce qu’en tout autre termes, Gilbert Simondon appelle « individuation ». Ce terme désigne d’une part le fait qu’être soi est un processus qui finalement n’arrive jamais à terme mais s’effectue dans une dynamique, dans une asymptote, et d’autre part que ce processus consiste dans un rapport de réciprocité avec un milieu que nous transformons et qui nous transforme en le transformant. Si nous y réfléchissons, ces deux caractéristiques sont celles-là mêmes qui définissent le mieux la réalité du travail (processus et transformation) . Adam et Eve ont choisi de se faire exister laborieusement, pas d’un coup (arbre de vie) mais petit à petit, difficilement, existentiellement, âprement, consciemment (Arbre de la connaissance du bien et du mal). C’est comme si la notion de travail gagnait ainsi son titre de noblesse, sa plus haute vérité: il est le mode d’individuation humain.
        Empêcher une personne de travailler dans ce sens là du mot travail, c’est donc l’une des pires choses que l’on puisse faire contre elle, puisque cela revient à l’empêcher de mener à bien ce processus d’individuation. Quoi de plus légitime, quoi de plus évident, nécessaire que d’oeuvrer à son individuation? C’est plus encore qu’un droit, qu’un devoir, c’est une absolue nécessité. Mais il n’est pas du tout incohérent de parler ici d’un droit naturel au sens de spontané, qui vient de soi-même, en ce sens que rien ne saurait s’imposer à nous avec davantage de justesse, de légitimité et de sens que d’être soi, c’est-à-dire d’exister.

                    
        Dés lors, on ne peut qu’être légitimement effaré, voire un peu terrorisé de la situation du travail telle qu’elle est abordée et pratiquée aujourd’hui dans une optique salariale: comment le droit naturel d’exister tel qu’il s’effectue dans et par le travail a-t-il pu être détourné de son essence jusqu’à devenir une contrainte pour la majorité des « employés »?
        Ici plusieurs possibilités s’offrent à nous. Une fois parvenu à cette vision panoramique du sujet, on peut décider de ce qui est stratégiquement le plus habile pour affirmer le caractère naturel du droit de travailler puisque travailler est la définition du mode d’individuation de soi.

           

        1) On peut ainsi s’appuyer, dans un premier temps, sur la distinction entre le droit positif et le droit naturel (faire la distinction). Le travail est il un droit positif? Oui, en un sens, mais précisément le droit au travail est d’emblée considéré comme un droit social qui finalement définit juridiquement le cadre des rapports entre l’employeur et le salarié. Cela revient à poser que le droit  positif du travail part d’un présupposé qui n’est pas interrogé, comme tout présupposé, c’est qu’il est juste qu’il y ait des employeurs et des employés, des producteurs et des propriétaires des biens de production (évidemment ici, on peut évoquer les thèses de Engels et de Marx). Le point sur lequel Marx est le plus convainquant est celui de la force de travail: à partir du moment où le travailleur vend sa force de travail, c’est son mode d’individuation qu’il vend, c’est son "devenir soi ». D’où peut venir une telle aliénation?
        Du primat qui s’est petit à petit installé de la valeur d’échange sur ce que Smith appelle « la valeur travail » (et ce primat n’est pas du tout contesté par Adam Smith, bien au contraire). D’autres éléments du cours ici sont mobilisables. Ce qu’il faut faire apparaître ici, c’est que le droit positif du travail, comme l’implique la notion même de droit positif repose sur un postulat contestable, lequel revient finalement à la notion même « d’emploi ». Il faut ici creuser ce terme jusqu’à ce sens qu’il revêt évidemment mais étrangement souterrainement: être employé, c’est être « utilisé ». Se mettre sur le marché de l’emploi, c’est s’offrir à un mode « d’utilisation », mais d’où vient que « choisir son travail » revient à choisir parmi les mille et une façons d’être utilisé, « instrumentalisé », manipulé?

              


On peut ici pointer les efforts surhumains et parfaitement vains, sur le fond, de certaines entreprises comme Amazon pour créer finalement de fausses obligations afin d’entretenir l’illusion que la construction de soi du travailleur peut et doit passer par une progression dans les échelons de l’entreprise (on passe de la manutention à la commercialisation, etc..).
        Ici nous retrouvons les trois termes clé de cette réflexion, de nombreuses entreprises s’efforcent de cacher le fait qu’elles détruisent le sens et font finalement de ce qui est un droit naturel une contrainte en inventant de fausses obligations, le but étant finalement de dissimuler qu’il y a dans le travail considéré dans sa définition la plus juste et la plus authentique, celle de l’individuation, l’expression absolue nécessaire d’un devoir naturel qui est celui du processus de son individuation.
        2) On peut ainsi dans un second temps se poser la question du travail comme droit naturel. Or autant la définition philosophique usuelle du droit naturel telle qu’on la retrouve chez Aristote: le sentiment de divination ou d’intuition commun à tous les hommes du juste et de l’injuste ne nous est pas vraiment de grand secours, autant celle de Spinoza est beaucoup plus utile: « le droit naturel de l’homme, tant qu’il est déterminé par la puissance de chaque individu ». Le droit naturel n’est en effet pas compris autrement « qu’en tant que puissance d’agir de l’individu ». Autant le droit positif tel qu’il est appliqué au droit du travail ne nous aide aucunement à rendre compte de la place authentique le travail doit occuper dans nos vies, autant le droit naturel de Spinoza s’impose puisque n’est finalement rien d’autre qui puisse se libérer dans une action que cette puissance d’agir. La question qui se pose est donc celle de savoir pourquoi autant de travailleurs ne libèrent aucunement cette puissance d’agir dans leur activité. Cela montre bien que le travail désigne autre chose que l’emploi : le processus de transformation de son milieu et la reconnaissance de soi dans ce processus (c’est finalement celle que l’on retrouve dans la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel).
        3) Il est enfin possible, une fois approfondie cette perspective du droit naturel, d’envisager la possibilité d’un « devoir naturel ». Cette puissance d’agir, ne serait-ce pas finalement un devoir de la libérer plus encore qu’un droit? C’est ici que la référence à la loi morale de Kant peut être utilisée. Cette loi morale dont l’observation en moi ne fait plus le moindre doute dés lors que j’éprouve en effet cette retenue à discréditer malhonnêtement un Homme de bien n’est elle pas aussi ce qui oeuvre dans le travail? Le problème ici c’est que la loi morale est universelle dans sa forme, alors que le travail, si nous demeurons dans la perspective de Simondon est individuelle. A qui dois-je de travailler? Aux autres, à la Société, à ma famille, à ma survie? La bonne réponse est « à mon existence » et plus encore à mon style d’existence au style ‘existence dans lequel je consiste, c’est exactement ce que veut dire Michel Foucault quand il affirme en se référant aux philosophes de l’antiquité que le souci de soi est un « Ethos », une attitude. Travailler n’est pas un devoir moral, ce serait plus un devoir naturel, mais en approfondissant encore cette légitimité du travail se révèle telle qu’elle est dans un fait donné, irrécusable qui est celui de ma présence au monde comme style d’existence unique que je cultive au fil d’une oeuvre que l’on peut appeler « travail ». Devenir soi-même est un processus inachevé, inachevable qui s’effectue au fil d’une pratique de soi. Nous atteignons alors le fond de légitimité le plus pur et le plus inattaquable du sens même du mot travail, du travail qui fait sens.

    

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire