dimanche 8 septembre 2024

Terminales 1 /4 / 5 - Suis-je ce que mon passé a fait de moi?


 

« La mémoire dans la peau «  est un film de Doug Liman sorti en 2002 avec Matt Damon dans le rôle de Jason Bourne. L’action commence avec la découverte d’un homme blessé et amnésique dans les eaux de la Méditerranée. La seule indication dont on dispose le concernant c’est une petite capsule implantée dans sa hanche et qui contient le numéro d’un compte en banque dans une banque de Zurich. Il se rend dans cette ville et à partir de là, nous allons suivre en même temps que lui un synopsis qui finalement consiste dans la reconquête d’une identité qui va de pair avec le souvenir retrouvé de son passé.

Au tout début du film, l’amnésie est totale et le personnage joué par Matt Damon n’a aucune idée de son nom, de son métier, de sa situation familiale. L’une des scènes essentielles  est celle qui le voit aisément venir à bout de deux policiers suisses qui essaient de l’arrêter parce qu’il a passé la nuit sur un banc public. Nous pourrions dire que le corps reprend « la main » et qu’il renoue avec des réflexes travaillés de close-combat à partir desquels son ancienne profession d’agent secret va peu à peu se révéler à lui. De fait il va manifester une incroyable aptitude au combat rapproché et au maniement des armes dans la totalité du film.

Il existe d’autres films qui suivent plus ou moins la direction empruntée par celui-ci. Il y a bien un progrès dans une action qui suit son cours mais en même temps ce progrès est aussi une forme de régression ou de retour vers le passé que le personnage découvre au fil de moments qui lui donnent de façon assez brutale et impromptu l’occasion de se connaître. 

                Mais précisément ces aléas sont parfaitement involontaires. C’est presque à son insu que les détours de l’action le confrontent à un passé qu’il est par ailleurs parfaitement désireux de connaître, mais ce n’est jamais vraiment conformément à sa volonté que son ancienne vie se révèle. Disons que cette plongée dans un passé dont il veut prendre conscience affleure de façon plus vive quand l’urgence d’une situation dangereuse le met en demeure de laisser affleurer à ses gestes le conditionnement qu’il a subi dans son passé. Le passé vient (on pourrait dire "sous-vient") à la surface du présent et, en même temps, le protagoniste assiste sans en être l’initiateur à la réalité physique, incarnée de son identité. C’est comme s’il se voyait surgir lui-même  de lui-même au fil de situations qu’il a certes « cherchées » mais pas avec la violence et les complications auxquelles elles sont liées. 



Cette nuance est vraiment cruciale dans ce type de films (la mémoire dans la peau - Total Recall, etc,) Pourquoi? Parce que cela fait apparaître crûment une réalité que l’on aurait du mal à admettre autrement: Nous ne décidons aucunement de la personne que nous sommes. Les amnésiques veulent probablement retrouver leur identité, mais celle-ci réapparait involontairement, au fil de ce que l’on pourrait appelle un choc mémoriel séparant le héros en deux parties: a)le moi passé qui revient activement au présent et b) le moi présent qui assiste passivement à ce retour brutal au foyer de ce moi qui s’est absenté. Il faut bien que je sois là pour me retrouver dans ce moi passé mais en même temps, je ne sais pas trop en tant que quoi je suis « là », puisque justement ce qui prend les rênes de mes gestes et de mon corps c’est celui que je fus et pas celui que je suis maintenant. 

Dans le film Total Recall inspiré de la nouvelle de Philippe K Dick « souvenirs à vendre », c’est encore plus net, car le héros va finir par réaliser à l’occasion de l’implantation de souvenirs inventés pour se divertir qu’en réalité un faux passé lui a été réellement imposé, inséré par un processus d'insémination neuronale. Ce qu’il va à avoir à redécouvrir c’est le vrai passé derrière le faux et tout cela à l’occasion de l’implantation ludique d’un passé scénarisé à des fins de loisir (comme un jeu vidéo).



Il n’est pas forcément nécessaire d’aller chercher des exemples aussi « fictifs » dans le cinéma ou dans la littérature de SF, car en fait, comme toujours, ces histoires ne font que nous mettre en face d’une possibilité bien réelle voire effective à chaque heure: dans la façon dont nous réagissons aux évènements du quotidien, ce sont quasiment toujours des réflexes acquis dans le passé qui nous animent et déterminent nos actions, lesquelles donc ne sont que des pseudo-actions puisque en fait nous ne faisons que suivre des conditionnements acquis dans le passé. C’est comme si mon « moi présent » n’était que le robot d’un « moi passé » tirant toutes les manettes. Quiconque contrôlerait donc les souvenirs d’une personne contrôlerait le moi de cette personne.

Mais alors si je ne suis que ce que mon passé a déjà fait de moi, qui suis-je? Que s’effectue-t-il maintenant? En quoi consiste, le « plus » de cet instant présent pendant lequel je suis bel et bien en train d’exister? Soyons plus clair: cet instant présent « est », sans quoi je ne  serais pas en train d’écrire ces lignes que vous lisez dans le présent de votre lecture. Quelque chose de « moi » se produit donc bel et bien « maintenant ». Si cela n’était que le produit de mon passé, alors il ne serait rien de mon moi présent qui n’ait été prévisible. Je serais le résultat entièrement programmable de mon passé. Pas une virgule, pas une proposition, pas une lettre écrite qui ne serait en droit que l’aboutissement « logique » de mon passé. 

MAIS justement ce n’est pas ce que je vis du tout. Le clavier s’ouvre à moi en cet instant avec toutes ces possibilités de mots et de phrases possibles. Je peux même me tromper, faire des fautes de frappe, causées par mon inattention ou ma fatigue. Ce que je vis donc, bien au contraire, c’est la contingence de l’action d’écrire, c'est-à-dire  le fait que je pourrais écrire autre chose (la contingence s’oppose à la nécessité). En fait je vis précisément le contraire de la nécessité, j’écris sur le fil de cette contingence (et c’est d’ailleurs pour cela que c’est un effort pas forcément évident, mais c'est aussi pour cela que j'en suis l'auteur). 

Allons plus loin: le « fond d’écran » à partir duquel j’écris, ce n’est pas du tout la continuité de mon passé. Je ne rédige pas ces phrases sous la dictée d’un passé qui me commanderait ces mots. J’écris plutôt dans la difficulté et l’indécision de l’éventualité des autres mots possibles. La version effective se constitue en ce moment sur le fond des versions potentielles que l’écriture présente finalement rejette.  Ce n’est pas mon passé qui décide, c’est bien mon présent et j’en suis certain parce que j’ai bien conscience que d’autres mots auraient été possibles mais de fait, ce que je fais advenir c’est la seule version réelle. Le réel présent ne s’effectue pas sur le fond d’un réel passé mais sur le fond d’autres versions de réalités « possibles » et finalement rejetées dans le néant. 





C’est finalement la question de la programmation, de l’anticipation qui pose vraiment problème à l’idée que je ne serai que ce que mon passé a fait de moi car en effet qu’y aurait-il à « faire » si je n’étais que la succession logique, évidente de ce que j’ai été? Le mouvement du temps serait nié. Le temps passe. Il y a donc un « ajout » du présent par rapport au passé. Mais quelle est la nature exacte de cet ajout? Qu’est-ce que le présent rajoute au passé?

Il est absolument impossible de répondre « rien » à cette question. Il faut bien que la vie, le réel, le monde, l’être aient changé et moi aussi dans cette réalité. Mais à quoi pourrait-on voir que cela a changé?  Tout simplement parce que ce n’est pas la même chose, ce n’est pas le même moi. Il faut donc que ce soit un autre moi.  Or ce moi-autre ne peut se détacher de ce moi-même qu’à la condition de détruire toute continuation nécessaire d’un même moi. Je ne peux absolument pas me prolonger tel que j’étais dans ce présent que je suis en ce moment. 

Et même Jason Bourne dans la mémoire dans la peau agit d’une façon conforme à son passé mais aux yeux d’une part de lui qui n’est plus celle de son passé. S’il se surprend lui-même à posséder un entraînement de close combat c’est parce qu’il y a en lui, un moi présent qui ne le sait pas mais qui est quand même « lui » aussi. Si je me demande maintenant qui je suis au présent, c’est-à-dire qui je suis en train d’être, c’est que forcément je ne suis déjà plus celui que j’étais. Je suis ce que c’est que de n’être plus ce moi que mon passé a fait. C’est comme si la conjugaison des verbes à des temps différents démentait la possibilité d’un prolongement du même.




Une schizophrénie latente agit souterrainement dans ce sujet dans la mesure où il est présupposé que je vois ce que le passé a fait de moi pour m’interroger sur l’identification totale à ce moi, mais il faut bien que quelque chose le voit et d’où le pourrait-il si ce n’est d’un présent « AUTRE »? Sous cet angle, on pourrait presque dire que la question dans sa forme, dans le simple fait qu’elle soit posée induit la réponse négative. Je ne suis pas ce que mon passé a fait de moi parce que si je me pose la question, c’est que je me la pose à partir d’un autre temps que celui de mon passé.  Jason Bourne fait bien l’épreuve d’un incroyable conditionnement de son passé  dans sa façon d’aborder le présent mais il s’en rend compte d’ailleurs que de son passé. Il prend conscience d’un inconscient, et cet inconscient c’est que le passé détermine le présent, mais il en prend conscience au présent, donc en n'étant plus ce passé.




1) Que faire de cette entrée en matière cinématographique?

Même si nous avons abordé la question par des films, plusieurs points vraiment cruciaux ont été révélé:

  1. Ce qu’il peut exister de physique ou de purement sensible dans la détermination du présent par le passé. Si le passé n’était présent que par nos souvenirs mentaux, nous aurions toujours pu penser qu’il suffirait de se raisonner pour ne pas être ce que notre passé fait de nous. Ce qui est juste dans ces fictions et justement pas du tout fictif, c’est que nos capacités de réaction face aux situations présentes sont le plus souvent , pour ne pas dire toujours un héritage de notre passé.
  2. Il y a une forme de passivité du héros devant la résurrection d’un passé qui est bel et bien le sien et qui affleure à sa gestuelle présente. Cette passivité peut être considérée à la fois du côté du oui à la question posée et du côté du non: oui, parce que le moi ne peut rien contre la résurgence de son moi passé qui a donc clairement l’avantage, mais non parce que ce moi présent est bien « là »
  3. En fait si cette question peut être posée, il faut se demander d’où elle le peut. Si je peux m’interroger sur le rôle de mon passé, c’est bien que tout en moi n’est pas pris dans mon passé. C’est comme si cette interrogation pointait nécessairement vers une sorte de bordure temporelle qu’il faut bel et bien situer comme présente.  Peut-être ne pouvons nous pas dire grand chose de notre passé voire rien excepté qu’il est ce à partir de quoi je perçois clairement mon passé, en tant que ce qui vient de se passé, ce dont je prends conscience. Quelque chose naît ici, c’est le soupçon à la lumière duquel passé présent et futur sont finalement des dimensions qui n’existent que pour une conscience. Etre conscient: est-ice autre chose que cette mémoire d’un passé très récent? J’existe, je sais que j’existe mais plus précisément je sais que j’ai existé.
  4. Enfin il y a cette référence au possible et au réel. Si je n’étais que ce que mon passé a fait de moi, alors je ne serai aujourd’hui que la suite de mon passé, la version dernière de mon passé, étant entendu que ce présent ne pourrait être rien d’autre. Or il est vrai que nous faisons beaucoup d ‘analyse en ce sens. Si je regarde dans mon passé en essayant d’y trouver ce qui explique que je sois ici maintenant, il est vraiment évident que je vais la trouver. Mais si mon présent était autre si j’étais ailleurs à un autre moment, je la trouverai pareillement. Ce n’est pas que mon passé détermine mon présent, c’est plutôt qu’à partir du présent, on ne peut voir à l’œuvre que le passé de ce présent à partir de lui. C’est finalement plutôt mon présent qui détermine mon passé. Mon présent aurait pu être autre alors que si je crois à un passé déterminant, il ne l’aurait pas pu mais c’est une erreur de perspective comme le dit bien Henri Bergson  (1859 - 1941) avec ce qu’il appelle « l’illusion rétrospective du vrai. » dans son livre « la pensée et le mouvant ». Mon passé va se déployer comme une fatalité à partir de mon présent: là je suis en cours parce que juste avant j’ai marché dans le couloir et avant j’étais en Cours d’anglais et encore avant j’étais en première et avant j’étais à tel collège, etc. Tout s’enchaîne finalement de notre naissance à notre présent mais ce n’est pas du tout de la fatalité, c’est ce qui s‘est passé. Rien n’était écrit, c’est ce qui s‘est passé. Ce n’est pas le passé qui fait le présent c’est le présent qui fait le passé.




Ce dernier point est vraiment intéressant, il recèle largement à lui tout seul de quoi faire une introduction, parce que la possibilité du oui ET du non y apparaissent ensemble (même si sur le fond cela penche finalement en faveur du non). Pour faire une introduction il faut être certain.e que ‘son voit bien le problème que l’on a compris ce qui fait de cette question une interrogation vraiment difficile, peut-être insoluble. Quand on parvient à se situer dans un rapport très ambigu à la question de telle sorte que l’on ne sait plus quoi répondre, c’est bien! C’est exactement ce que nous venons de faire. Il ne fait aucun doute que je suis ce que mon passé a fait de moi, tout simplement parce que mon présent est le dernier moment de on passé, c’est presque une évidence chronologique. Si vous êtes là, c’est parce que votre passé vous a placé ici et c’est tout. Comment remettre ça en cause? En réalisant que ce présent en même temps aurait pu être autre et qu’alors je dirai de cet autre passé qu’il a déterminé mon (autre) présent. Je ne suis donc pas ce que mon passé a fait de moi, je suis ce que mon présent est en train de faire de moi sachant que du coup, à partir de ce présent, je m’estimerai tout autant déterminé par ce passé qu’un autre, par n’importe quel passé. Donc ce n’est pas déterminant du tout. Si je suis ce que mon présent est en train de faire de moi, cela signifie que rien n’est figé, tout est dynamique et qu’il y a donc de la place pour que j’agisse dans ce présent en train de se faire. 


Méthodologie:  Une introduction se construit autour de trois étapes:

  1. il faut partir d’une situation ou d’une remarque assez simple qui amorce le sujet à partir de la vie courante. L’essentiel est d’être sûr.e que cela va amener le problème et en même temps que nous ne sommes pas encore dans la philosophie proprement dite. Mais qu’est ce que ça veut dire? En philosophie on analyse de façon vraiment ciblée les termes, en montrant qu’il n’y a pas vraiment de synonyme, en utilisant des auteurs. Pour cette première étape, il faut se situer au niveau de ce que tout le monde vie éprouve ou constate mais en même temps, nous savons très bien que l’opinion courante ne se pose pas de question et vit dans le déni des vrais paradoxes. Toute notre introduction va consister à montrer qu’il y a en fait un très gros problème et que nous vivons à côté de paradoxes vraiment profonds et fascinants. Mais ce sera la 3e étape. Ce qu’il faut décrire ici, c’est juste l’amorce du problème, la face « dormante » de la question vive.
  2. Le travail philosophique commence vraiment ici: à partir de cette entrée en matière qui révèle de façon une sorte de « distorsion », de grain de sable dans la routine du quotidien, il va falloir très précisément et intensément manifester qu’il y a vraiment une contradiction, un paradoxe. L’intention problématique doit apparaître. Cela peut se traduire par des connecteurs logiques marquant une rupture avec le (a) comme (« Or » - « mais » - « Pourtant » - « Mais alors » - voire « ce qui pose problème, c’est que….. »
  3. Pratiquer la philosophie c’est être en proie à ce que le philosophe Sébastien charbonnier appelle « l’ érotisme du problème » avec une formulation un peu aguicheuse. Mais ce qu’il veut signifier, c’est qu’il y a en effet quelque chose d’attirant dans cette recherche précise, fine de la meilleure formulation possible de ce qui pose vraiment problème. Etre amoureux;se c’est ressentir un trouble, percevoir une personne comme différente, énigmatique, intrigante et se sentir embarqué par ce charme là. Cette vie que la plupart de mes contemporains s’épuise à normaliser, à banaliser, voilà que j’en perçois soudainement la problématique beauté, comme un visage séduisant parce que « pas courant », étrange, profond. Ce n’est pas normal que la plupart des gens passent à côté de cette énigme là. Je vais la formuler de la façon la plus intraitable, la moins évitable possible. Ici, les termes peuvent et doivent réfléchis, adéquats. Il y avait un sujet mais dans ce sujet il y a un problème et je l’ai trouvé. Ce moment est vraiment décisif. Le sujet utilise des termes clairs mais il y a ici un problème qui a à voir avec la conscience, le temps, l’identité, la liberté, la contingence, le hasard, la nécessité, le possible, l’actuel, etc. Il serait vraiment maladroit de vouloir caser tous ces termes là mais l’exerciez de l’introduction consiste à cibler le plus efficacement possible le fond du problème, avec des termes philosophiques (mais pas pour intimider).  A la fin de l’introduction il faudra formuler la problématique, c’est-à-dire le problème qui selon vous est présent dans le sujet.



2) "Le moi est un refus d'être moi" - Alain

(Tout ce que est développé dans cette partie pourra probablement vous aider dans la dissertation mais c’est aussi et surtout un travail de cours qui vise à éclairer des notions du programme de terminale)

Les notions qui sont présentes ici sont: la conscience, l’inconscient, le temps, la liberté, l’existence, la mort. Nous n’allons pas nécessairement les passer toutes en revue mais il faut les connaître, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas exclu qu’elle figure dans votre problématique. Concernant la conscience, ce qui est intéressant, c’est que sa présence est finalement présupposée. Comment pourrai-je en effet m’interroger sur la possibilité que je sois mon passé sans la faculté de discerner ce passé et finalement de le percevoir en tant que passé, donc par rapport à un présent? Ce que je suis, c’est justement un processus capable, parce qu’il vit le présent de fermer la porte de son passé. Ce que j’ai été, c’est ce dont je prends conscience en ne l’étant plus. L’extrait du texte que nous allons voir est du philosophe Alain (1858 - 1951) et in décrit précisément cette action de la conscience grâce à laquelle j’ai un passé mais je ne le suis plus (il est donc totalement du côté du « non »):


« Dans le sommeil, je suis tout ; mais je n’en sais rien. La conscience suppose réflexion, division. La conscience n’est pas immédiate. Je pense, et puis je pense que je pense, par quoi je distingue Sujet et Objet, Moi et le monde. Moi et ma sensation. Moi et mon sentiment. Moi et mon idée. C’est bien le pouvoir de douter qui est la vie du moi. Par ce mouvement, tous les instants tombent au passé. Si l’on se retrouvait tout entier, c’est alors qu’on ne se reconnaîtrait pas. Le passé est insuffisant, dépassé. Je ne suis plus cet enfant, cet ignorant, ce naïf. Ce moment-là même j’étais autre chose en espérance, en avenir. La conscience de soi est la conscience d’un devenir et d’une formation de soi irréversible, irréparable. Ce que je voulais, je le suis devenu. Voilà le lien entre le passé et le présent, pour le mal comme pour le bien.
Ainsi le moi est un refus d’être moi, qui en même temps conserve les moments dépassés. Se souvenir, c’est sauver ses souvenirs, c’est se témoigner qu’on les a dépassés. C’est les juger. Le passé, ce sont des expériences que je ne ferai plus. Un artiste reconnaît dans ses œuvres qu’il ne s’était pas encore trouvé lui-même, qu’il ne s’était pas encore délivré ; mais il y retrouve un pressentiment de ce qui a suivi. C’est cet élan qui ordonne les souvenirs selon le temps. »                                               ALAIN, Manuscrits inédits


Que signifie ce « je suis tout »? Je suis « tout d’une pièce », totalement embarqué dans le fait de dormir et comme il n’est pas ici question du sommeil paradoxal, du rêve (et que de toute façon même dans le rêve je suis inconscient) , cela ne change rien. On peut évoquer les cas de lucidité onirique mais ils sont quand même réservés à des personnes très particulières et rares). Pour l’écrasante majorité des personnes, nous ne savons pas que nous rêvons quand nous rêvons et encore moins quand nous dormons. Nous ne nous rendons compte de rien et, à cause de cela, nous sommes entièrement pris immergés dans le sommeil. Par conséquent nous sommes entiers. 




Mais dés que nous sommes éveillés ce n’est plus le cas. Je « réfléchis », dit Alain, la conscience suppose réflexion. Il existe en effet trois types de conscience:

  1. la conscience immédiate, par exemple: « il fait beau » (ce qui veut dire que je me rends compte qu’il fait beau). C’est la conscience du monde
  2. La conscience réfléchie: je réalise que je suis dans un lieu où il fait beau. La conscience réfléchie est toujours conscience de soi. C’est la conscience d’être soi dans le monde
  3. La conscience morale - je juge la portée morale de mes actions ou d’une autre personne. Avoir une conscience morale c’est s’interroger sur le bien ou le mal que l’on commet

Dans tous les cas de figure, il se produit ici une division: je ne suis plus tout d’une pièce: je me rends compte de ce qui est autour de moi et aussi de moi. Je ne suis plus seulement vivant j’existe, ce qui implique que je m’aperçoive en train de vivre. Tout change alors. L’écrivain argentin José Luis Borges dit: « il n’y a que les hommes et les miroirs qui réfléchissent ». Ce n’est pas vraiment un jeu de mot parce qu’en effet, être conscient c’est un peu comme se présupposer soi-même constamment dans ses perceptions. Quoi que je vive consciemment, je suis toujours dans mon viseur, dans l’objectif d’une sorte de caméra sensible intérieure par le bais de laquelle je suis étrangement le réalisateur d’un film dont je suis aussi l’acteur principal. Mais suis-je aussi l’auteur de ce film, le scénariste? Les actions filmées sont-elles celles que j’ai décidées? Cela, c’est la question de la liberté.

Mais cette image n’en est pas moins très éclairante pour notre question: si je réponds oui au sujet posé, je m’oublie en tant que réalisateur et ne me situe qu’en tant qu’acteur. C’est comme si la caméra entérinait le fait que ce qu’elle filme est filmé et se situe dont dans le passé. Ce fait rejoint une évidence de la physique et de la vitesse de la lumière. Le soleil que je vois est celui qui existait il y a environ 8 minutes, mais même dans ce que nous voyons il y a une infime fraction de temps entre le temps réel dans lequel vit ce que je vois et justement ce que j’en vois. Toutes nos visions sont décalées et ce que nous voyons, du fait même que nous le voyons est déjà du passé.




                    C'est une réalité physique assez sidérante dés lors que nous l'appliquons à la moindre de nos perceptions quotidiennes.  Nous sommes dans un espace que nous voyons grâce au mouvement de la lumière qui est de 300 000 k/s. Cela implique que je vois n'est jamais vraiment en train d'être vu, ou plus exactement qu'il n'est déjà plus tel que je le vois. Ce n'est pas la version présente. Si le soleil disparaissait, il nous faudrait 8 minutes pour nous en apercevoir. Nous savons cela mais évidemment nous ne l'appliquons pas à notre vie dans le cours de notre vie sans quoi, il faudrait nous interroger continuellement sur cette part invisible de l'objet ou du visage de la personne que je regarde actuellement. Nous sommes en contact visuel avec le sillage, avec la trace visible laissé par une réalité qui est déjà en train de muer. Ce que ce visage que je vois est en train de devenir, je n'en ai pas la moindre idée. C'est un peu comme si involontairement la personne ne faisait que m'envoyer la photo la plus récente de ce qu'elle vient juste cesser d'être parce que la nouvelle est, si l'on peut dire, "en cours de développement".
                        (Il y a là largement de quoi nous faire réfléchir sur certaines toiles notamment celle de Francis Bacon, peintre du 20e siècle qui représente des visages tordus que l'on croirait pétris dans une matière meuble comme de la terre humide ou de l'argile sur le tour du potier. Ces toiles qui nous fascinent par l'horreur qu'elles nous inspirent pourraient finalement faire signe de cet impossible présent comme si Bacon tentait de rendre la vérité du visage tel qu'il est pris par le devenir de sa mutation)
                            Ces observations que l'on pourraient considérer comme de la pure physique et de l'optique ont un certain impact sur le sujet. Je ne suis pas ce que le passé a fait de moi mais je n'ai pas vraiment d'autre possibilité, si je veux m'identifier, que de me rabattre sur ce portrait légèrement décalé et forcément dépassé de "moi". La distinction entre le je et le moi est extrêmement nette ici. Ce que le je est en train de devenir cela n'est déjà "plus moi".



                Alain, lui, se concentre sur la conscience. Je vis puis je me rends compte que je vis (par quoi en fait j'existe). Là où, inconscient,  je n'étais qu'un, me voilà deux: celui qui vit et celui qui se sait vivre et, qui dés lors, ne vit pas complètement, pas immédiatement en tout cas. la conscience nous fait vivre "médiatement" dans la médiation d'un rapport et cela dans les deux sens de ce terme:
1)  celui de la relation
2) celui du rapport que l'on fait d'un évènement à quelqu'un. Je me rapporte à moi-même que j'existe 
                        Je pense et puis je pense que je pense: je deviens l'objet d'une réflexion dont je suis aussi le sujet. Je me pense moi-même pensant. Par conséquent il n'est pas vraiment possible que ces deux moi soient en même temps. La conscience suppose de la non simultanéité, de la désynchronisation, de la différence, mais peut-être faudrait-il orthographier différemment ce terme parce que ce n'est pas seulement le fait d'être différent mais de différer. On pourrait parler de "différance". Être conscient, c'est avoir de soi une vision différée et vivre dans ce différé, faire de ce différé un mode d'existence qui nous est peut-être propre à nous humains (ce point est très problématique: nous ne savons pas ce qu'il en est des animaux- Pour Alain, il va de soi que les animaux ne sont pas comme nous de ce point de vue).

Etre conscient , c’est nécessairement avoir à exister dans ce différé, c’est-à-dire dans ce constant décalage entre ce que je vis et ce que je me sais vivre. Ce décalage entre l’acteur et le spectateur est ce qui nous permet de nous étonner comme le soulignait déjà à sa façon Aristote et aussi ce qui nous permet de douter. Suis je bien en train de vivre ce que je pense être en vivre? C’est une question humaine pour Alain, parce que c’est une question qui présuppose la puissance de distanciation de la conscience, de la pensée. Commet se fait-il que nous disposions de cette capacité à nous interroger y compris sur le plus évident, sur le plus proche, sur ce qui, en apparence est le plus irréfutable? C’es la conscience.

Mais ces deux sujets qu’en moi la conscience dissocie: l’acteur et le réalisateur (derrière la caméra) ne peuvent pas vivre dans le même temps. C’est ce qui apparaît dans le texte quand Alain fait référence au passé: « par ce mouvement tous les instants tombent au passé. » Toute prise de conscience est à la fois une « captation » et un « dépassement », une reconnaissance assumable, assumée et en même temps l’affirmation que cette reconnaissance est un peu falsifiée parce que je suis déjà en partance vers « autre chose ». C’est exactement comme ce que nous venons de rappeler concernant la vitesse de la lumière: ce que je vois, du fait même que je le vois n’est plus d’actualité. Je peux toujours me dire qu’il est certain que le soleil brille, le fait même que je le vois briller devrait en toute rigueur ranimer en moi la possibilité qu’il ne brille peut-être plus. Ce que je vois être en cet instant, c’est littéralement un « peut-être » parce que cela peut être un « peut-être plus » (puisque cette lumière est forcément vieille de 8 minutes). Nous  existons dans le « peut-être ».

Quelle est la conséquence la plus directe concernant le moi de ce peut-être? Qu’il est clair, figé, identifiable comme un portrait figuratif peint dans le passé, mais qu’en même temps, puisque il est passé, qu’il n’est pas «  ce que je suis », c’est-à-dire ce que je suis en train d’être et, pour reprendre la référence au portrait, nous nous trouverions ici plutôt face à un visage de Bacon, c’est-à-dire à un non portrait absolu, une face méconnaissable, plutôt horrible, exactement comme dans ces films fantastiques (Lost highway de David Lynch)  dans lesquels on voit parfois le visage d’un personnage se muer en un autre. Il y a une phase de transformation durant laquelle les lignes du visage sont brouillées. Ce qui est irréversible c’est cette phase là, ce devenir là. Nous qui sommes en train de vivre l’impossible reconnaissance, nous n’avons de cesse qu’à être identifié, donc dans le passé. 



Mais le moi présent est « un refus d’être moi »: ce que j’ai été », je ne le suis plus. Je suis en train d’être ce que c’est que de n’être plus ce passé dont je me souviens. Nous pouvons ici penser au sens du mot « expérience » dans l’expression « être une femme ou un homme d’expérience ». On entend que cette personne a vécu. Sa compétence lui vient d’avoir réellement vécu des évènements qui la prépareront très efficacement à se confronter à celle qu’elle va avoir à gérer. Cela ne veut pas dire du tout qu’elle va répéter ce qu’elle a fait avant mais au contraire que le fait d’avoir vécu des situations proches l’a formée, construite et de façon très efficace peut-être d’ailleurs encore plus si cela n’a pas été facile. Une personne d’expérience c’est quelqu’un qui s’est confrontée au fait que la vraie formation, c’est justement celle qui s’effectue dans le réel et pas dans les livres. On peut s’être préparé par les études à affronter n’importe quelle situation et puis on peut avoir fait l’expérience de ceci qu’une situation, c’est justement ce au fil de quoi on se forme, qu’on le veuille ou pas. Si je suis là, c’est que j’ai vécu et survécu à la mutation imposée par  cette expérience là, je l’ai traversée et je suis là. Je suis passée par là et nécessairement ce que j‘ai vécu a laissé en moi quelque chose de cette « traversée ». Une personne d’expérience est une personne qui sait qu’il y a toujours dans le présent d’une situation quelque chose de non prévisible, quelque chose que la meilleure préparation ne peut envisager, gérer convenablement. C’est cette part là de non programmable que son expérience va appréhender mieux que la personne savante qui a potassé tous les livres. Etre efficace, c’est justement consentir à cette dimension aléatoire du présent, à ce fond d’indétermination et de contingence de tout évènement présent. Rien ne remplace l’expérience parce que l’expérience est formatrice et elle ne saurait l’être qu’en tant qu’elle est dynamique, mobile, indiscernable, imprévisible.

Alain prend l’exemple de l’oeuvre d’art pour illustrer son propos. Pourquoi? Parce que toute oeuvre est à la fois achevée et inachevée. Elle est achevée parce qu’elle est exactement ce qu’elle doit être. Lorsqu’un artisan ou un technicien dit qu’il est dans la finition de son ouvrage, cela signifie qu’il apporte les derniers éléments grâce auquel l’objet sera exactement ce qu’il devait être sur le plan prévu. Mais dans une oeuvre, il n’y a pas de plan prévu, ou pas vraiment (même si l’écrivain a une idée préalable de la fin de son roman, il n’a pas exactement les dernières phrases avant de les avoir écrites). C’est un processus de création qui touche à sa fin avec le dernier mot. Si c’est bien une « oeuvre », cela veut dire que rien, mais vraiment rien ne pouvait laisser présager  que l’on pût écrire une telle phrase. Prenons par exemple ce Haïku de l’auteur japonais contemporain Maruyama Kaidô:


« Dans le volcan éteint

Au fond du lac

Le long baiser des truites »


Personne ne pouvait deviner, anticiper, l’ultime référence aux truites. Et pourtant elle est « juste » mais elle n’est pas juste en tant que « résultat ». Elle est juste parce qu’elle est juste là et que dans sa simplicité, elle ne prête finalement à aucun commentaire. Elle est ce qu’il fallait qu’il soit:juste, compacte; effective, ici maintenant.




2 ) Le souvenir involontaire

Tout ce que soutient Alain est indiscutablement fondé et argumenté. Il n’y a à cela aucun doute. Toutefois tout repose sur sur la faculté de l’être humain de prendre conscience de soi. Je réalise que je vis et dés lors se produit la dissociation entre ce que je viens juste de cesser d’être et ce que je suis en train d’être, le passé qui n’attend que d’être dépassé et le présent qui s’y emploie. Or ce moment durant lequel je me rends compte de mon existence n’est pas continuel. Je pense que je suis et dés lors je perçois que j’ai été j’entérine la rupture avec un passé que je ne serai jamais plus. Mais cette rupture revêt quelque chose d’illusoire, comme l’illustre bien les films dont il a été question. Ce dont Jason Bourne prend conscience, c’est qu’inconsciemment son corps présent est toujours imprégné du conditionnement de son moi passé. Si ma conscience rompt les ponts avec ce que j’ai été, c’est aussi pour réaliser à quel point cette rupture n’est justement pas opérationnelle, en tout cas, pas complètement. 

Essayons d’être clair: si ma conscience réalise l’action d’un inconscient, c’est bien parce que justement la ligne de frontière entre mon passé et mon présent est poreuse, trouée. Ce que Jason Bourne est physiquement, cela reste bel et bien tout ce que son passé a fait de lui: un maître des techniques du combat rapproché. 


Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint- Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse: ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie? Je sentais qu'elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait- elle? Que signifiait-elle? Où l'appréhender? (…)  Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C'est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l'esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. II est en face de quelque chose qui n'est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière. Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n'apportait aucune preuve logique, mais l'évidence, de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s'évanouissaient. Je veux essayer de le faire réapparaître. Je rétrograde par la pensée au moment où je pris la première cuillerée de thé. Je retrouve le même état, sans une clarté nouvelle.

Je demande à mon esprit un effort de plus, de ramener encore une fois la sensation qui s'enfuit. Et, pour que rien ne brise l'élan dont il va tâcher de la ressaisir, j'écarte tout obstacle, toute idée étrangère, j'abrite mes oreilles et mon attention contre les bruits de la chambre voisine. Mais sentant mon esprit qui se fatigue sans réussir, je le force au contraire à prendre cette distraction que je lui refusais, à penser à autre chose, à se refaire avant une tentative suprême. Puis une deuxième fois, je fais le vide devant lui, je remets en face de lui la saveur encore récente de cette première gorgée et je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s'élever, quelque chose qu'on aurait désancré, à une grande profondeur ; je ne sais ce que c'est, mais cela monte lentement ; j'éprouve la résistance et j'entends la rumeur des distances traversées. Certes, ce qui palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l'image, le souvenir visuel, qui, lié à cette saveur, tente de la suivre jusqu'à moi. Mais il se débat trop loin, trop confusément ; à peine si je perçois le reflet neutre où se confond l'insaisissable tourbillon des couleurs remuées ; mais je ne peux distinguer la forme, lui demander, comme au seul interprète possible, de me traduire le témoignage de sa contemporaine, de son inséparable compagne, la saveur, lui demander de m'apprendre de quelle circonstance particulière, de quelle époque du passé il s'agit. Arrivera-t-il jusqu'à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l'instant ancien que l'attraction d'un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ; qui sait s'il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute oeuvre importante, m'a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d'aujourd'hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine.

Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.

PROUST Marcel, Du côté de chez Swann, GF Flammarion, Paris, 1987, p. 140-145



Le passage dans son entier tient dans la description d’une sensation gustative. Le narrateur vit ce que l’on pourrait appeler une réminiscence sensitive. Le simple fait d’avoir porté le morceau de madeleine dans sa bouche procure un plaisir qui précisément ne peut pas être exclusivement qualifié de « physique ».  « Sans la notion de cause »: cette mention est vraiment essentielle. La révélation a bien un certain rapport avec le gâteau, mais en même temps, la satisfaction que la bouchée procure n’est pas objectivement en elle. C’est une jouissance qui ne tient pas à la composition d’ingrédients de la madeleine. Il n’est pas en train de se réjouir qu’elle soit sucrée, qu’elle soit moelleuse, qu’elle soit savoureuse. Il se satisfait d’être lui, d’être lui-même, à l’occasion d’une espèce de fulgurance que la madeleine a provoqué, mais presque « accidentellement ».  Il y a dans ce goût une raison de se satisfaire d’être soi, mais ce n’est pas du tout une raison objective, c’est plutôt une coïncidence, sauf que dans cette coïncidence, une révélation extrêmement puissante et déterminante se manifeste.

« J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. » Il n’est vraiment rien (mais vraiment rien) de cet extrait dont on puisse sous-estimer la portée philosophique en se disant que Marcel Proust « fait du style ». Indépendamment du fait qu’une telle expression est vraiment stupide, ce passage est célèbre parce qu’il est décisif dans l’oeuvre mais aussi parce que  L’écrivain s’y implique de façon vraiment détaillée, juste, précise et pas pour faire joli mais parce que ce sont les mots et les images qui conviennent.  Il y a quelque chose d’éternel dans cette sensation. 

C’est exactement la même chose que lorsque l’on est amoureuse.x et qu’on ne saurait dire pourquoi. En fait, évidemment il n’y a pas de pourquoi, ou plutôt si l’on en trouve un , c’est que ce n’est pas de l’amour. L’amour est sans cause identifiable. Ce n’est pas un état provoqué, et pourtant il y a un début et éventuellement une fin. Mais l’amour est indissociable du fait que l’on soit cette personne et que ‘l’autre soit cette autre personne. Aucune raison ne saurait se détacher en particulier. Si vous vous rendez compte que votre amour est motivé par une raison, alors cela signifie que vous êtes est train d’utiliser la personne dite aimé.e (mais c’est un mensonge). C’est la même chose ici, ce qui est en train de se passer n’a rien à voir avec une cause, avec la vie présente dans laquelle le narrateur est fatigué, un peu déprimé, offert à la possibilité de sa mort (comme à chaque instant de notre vie effective). Mais ici justement ce n’est pas de la vie « effective ». Le narrateur fait l’expérience d’un incroyable retranchement, d’une sorte de rétractation par rapport à la vie brute. Il se sent éternel, il perçoit que quelque chose en lui qui a rapport à cette saveur fait de lui ce qu’il est. 

C’est très important: si l’on nous demandait de nous définir, nous reprendrions par une liste de qualités et de défauts plus ou moins justes, objectifs (mais plutôt moins que plus). Ici ce qui est sidérant c’est que c’est juste le goût d’une madeleine, mais qu’elle porte en elle la capacité à procurer le sentiment que quelque chose d’éternel est en nous, est « nous ».

Le narrateur perçoit donc qu’il y a quelque chose dans cette saveur qui est autre chose que de la farine, du beurre, des oeufs, etc; mis dans un four. Il faut que nous nous détachions d’une dimension prosaïque. Vous pouvez passer votre vie à croire que la réalité est strictement du déterminisme physique, ici il faut vous arrêter: cette madeleine n’est pas qu’une madeleine. Elle revêt une dimension mentale, imaginative. Elle charrie avec elle ce qu’il faut bel et bien appeler de la pensée. C’est la raison pour laquelle le narrateur parle d’un effort de pensée plus que d’une obstination gustative. Il ne sert à rien de goûter et regoûter. Il faut faire le vide. A cet instant l’écriture de Marcel Proust franchit le cap d’une dimension supplémentaire, et dans la justesse quasi miraculeuse des termes choisis, nous reconnaissons des expériences que nous avons faites: celle de la puissance d’un parfum, d’une saveur, d’une chanson bref d’un affect sensoriel de nous faire réellement et irrésistiblement revenir au souvenir d’un moment vécu, sans qu’on l’ait voulu. Le terme irrésistiblement est à relativiser: ce souvenir est en nous sans aucun doute. Il a été touché par ce rappel parfaitement hasardeux, comme si à l’occasion d’une sensation contingente, quelque chose de pas contingent du tout s’imposait à vous et vous mettait en face de celle ou celui que vous êtes, d’un moi.

ici encore il faut insister: nous vivons constamment dans le souci de savoir ou de dire qui nous sommes. Nous cherchons sans cesse dans nos relations à savoir ce qu’elles pensent de nous, comment elles nous voient, si elles nous acceptent et jusqu’à quel point. Nous voulons renvoyer aux autres l’image la plus gratifiante de nous mêmes. Mais tout cela reste évidemment sujet à caution et sur le fond excessivement dangereux (manipulation, dépendance, harcèlement, etc.). Nous vivons dans l’esclavage de l’image du moi. Mais ici justement ce n’est pas du tout de cela dont il est question: ce « moi » est vrai, il est pur, et d’ailleurs il apparaît sans avoir été invité. Des morceaux de mon passé jonchent le fond marin de ma mémoire et voilà qu’accidentellement une sorte de grappin les déplacent, les allègent, les libèrent des algues qui les maintenaient prisonniers de la profondeur et qu’on perçoit qu’ils n’aspirent qu’à se laisser porter par l’eau pour revenir à la surface. Mais il faut encore sonder un peu, déplacer le grappin: « Arrivera-t-il jusqu'à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l'instant ancien que l'attraction d'un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ; qui sait s'il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute oeuvre importante, m'a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d'aujourd'hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine. »




Nous ne cessons de dire que nous voulons savoir qui nous sommes et voilà que lorsque enfin, un élément ne demande qu’à répondre posément, indiscutablement à la question, nous nous détournerions pour revenir aux affaires courantes de notre présent d’aujourd’hui ? Le narrateur s’y refuse avec calme, sans entêtement car ce serait anti-productif mais il faut persévérer.  Il sait que c’est un souvenir ressurgi d’un passé oublié. Dans le travail difficile qui consiste à faire remonter lentement et volontairement un souvenir involontaire, à rendre conscient ce que st inconscient, il faut beaucoup de délicatesse, de finesse parce que justement vouloir ne suffit pas. Le fameux leitmotiv : « Si tu veux tu peux » ne marche pas du tout (marche-t-il jamais vraiment d’ailleurs?). Cela fait complètement obstacle à Alain (qui est un philosophe de la volonté). En un sens, justement, il ne faut trop le vouloir, il faut ruser, comme le fait le narrateur, laisser le souvenir revenir de lui-même. C’est très paradoxal mais finalement tout aussi indiscutable, en même temps: pour que ce souvenir revienne il faut qu’il sous-vienne. La force de mon « je » ici est impuissante. Il faut même qu’il s’efface. Il convient que le moi présent se taise pour que le moi passé revienne mais c’est plus que cela encore car le moi qui revient ici est un moi authentique qui ne réapparaît pas parce que ça m’arrange mais parce que c’est bel et bien quelque chose que j'ai vécu.

Le souvenir apparaît enfin et le narrateur réalise que ce goût est celui de la madeleine trempée dans une infusion que sa grand tante Léonie lui donnait quand il était enfant. Avec ce rappel ce sont des blocs d’enfance qui vont se désancrer de la mémoire involontaire et finalement constituer la matière même de l’oeuvre de Marcel Proust. Il y a comme un constat d’humilité qui est indissociable de toute cette expérience, c’est que l’on est « ça », en deçà de tous les qualificatifs que nous souhaiterions donner à notre être, les plus vrais, les plus justes sont aussi les plus bruts, ce sont ces morceaux de passé qui reviennent avec des sensations, sans prévenir, sans avoir été vraiment souhaités.  Mon moi est tissé dans la matière sensitive de ces affects, ce qui signifie que mon moi n’est pas fait de grandes qualités, de qualificatifs mais de sensations. 

Il est impossible de distinguer ce passage et les multiples références qui y sont présentes à une forme de joie, à cette volupté impliquée dans la résurgence de la question du moi passé puisque de fait c’est ça qui se produit, à savoir du pur souvenir. Nous qui sommes fondamentalement offert à l’indétermination active du présent, à la contingence d’un instant où tout peut arriver, y compris la mort, éprouvons en un instant le sentiment de jouir d’une éternité, tout simplement parce que ce souvenir est celui d’un moi passé bouclé. Je ne suis pas ce que je pense être je suis ce dont mes souvenirs se rappellent. Je ne suis pas ce dont je veux me souvenir mais ce qui du passé souvient dans le présent. C’est une pensée qui vient elle veut et pas quand je veux, donc elle est vraie, et d’ailleurs c n’est pas qu’une pensée, c’est surtout la pensée d’un affect, d’une sensation. Il y a là un rapport au corps. Ce point est vraiment fondamental en ceci qu’il prouve à quel point ma pensée est liée à mon corps. Je fais certes l’expérience qu’une saveur de madeleine charrie avec elle de la pensée mais aussi de ceci que cette pensée est entièrement prise dans une sensation.  Dans une saveur de madeleine se trouve contenue des blocs de passé purs bruts, des pensées. On peut juger l’écriture de Proust, abstraite, difficile, compliquée, stylisée (et cela en effet elle l'est) mais ce n’est pas du tout abstrait. Nous avons toutes et tous vécu ce qu’il décrit ici magnifiquement avec un sens travaillé de l’expression juste.  Il y a une éternité sensitive du souvenir et c’est en ce sens que nous avons un moi, c’est en ce sens que nous pouvons nous identifier avec un moi, mais seulement ce moi là, ce moi tissé dans nos affects. 

Cela signifie que la dissociation entre le moi passé et le moi présent  orchestré par la conscience ici n’a plus cours parce que le fond de la démarche  est corrélé à de l’inconscient et c’est exactement la raison pour laquelle ce passage est aussi long: il décrit bien un effort mais ce n’est pas un effort de conscience, c’est plutôt un processus extrêmement difficile d’oubli, de mise sous l’éteignoir de sa conscience. 




3) La question du moi

Quelque chose ici doit retenir notre attention, c’est que pour Jason Bourne comme pour le narrateur de la recherche il y a une forme d’amnésie qui semble précisément rendre possible l’émergence pure , brute du souvenir. Il y a bien un moi passé qui se manifeste dans la prise de conscience mais c’est juste ce moi d’un passé récent. Pour que le moi d’un passé plus profond surgisse, il faut qu’il y ait de l’oubli, soit celui de l’amnésie de Jason Bourne soit celui de la pure chronologie pour le narrateur de Marcel Proust. C’est exactement comme si notre passé avait  semé exprès des affects au long d’un certain chemin, comme des bombes à effet rétroactif et qu’il revenait aux hasards de notre vie effective présente de nous mettre en face de ces pièges. La plupart du temps, nous cheminons dans l’ignorance de ces niches mémorielles cachées dans des saveurs, des objets, des paysages, des odeurs, etc. Nous sommes ce que le passé a fait de nous mais nous vivons le plus clair de notre temps dans l’ignorance de ces moments du passé qui nous ont fait. Nous vivons dans le déni de cette formation de notre moi par le passé. Le narrateur peut bien faire le décompte de son existence en nombres d’années, la vérité c’est que sont les affects vécus durant ces années qui l’ont fait, qui ont tissé son moi et s’il veut se connaître, il lui faut descendre dans ces souterrains que sont les affects ressentis, autant de sensations non voulues, liées le plus souvent à notre enfance. 

Dans l’intitulé du sujet, il convient d’accorder une grande importance à l’expression «  a fait de moi » parce que justement la détermination passive du sujet y est littérale. Notre être est-il le produit de notre volonté, ou bien au contraire le résultat de cette machine à imprimer des affects dans une ligne d’existence donnée? Peut-on se construire soi-même? Ou bien sommes nous entièrement déterminés par un passé que nous n’avons pas voulu? Le moi est il un produit du passé?

Peut-être atteignons ici le paroxysme même du « oui »: si c’est bien s’identifier que nous voulons, on ne voit pas bien où ni comment nous pourrions trouver en nous un moi ailleurs que dans le passé. Le narrateur de la recherche va plonger dans le passé à partir de cette madeleine de telle sorte que toute lectrice.teur doit bien comprendre que c’est cela qu’il lit, ce désancrage par le biais duquel, à partir de cette simple saveur, de véritables blocs de passé vont peu à peu se laisser porter par l’élément liquide la mémoire pour venir à la surface de la page d’écriture. Toute la recherche est un peu comme une étrange  (et longue) carte d’identité sensitive où l’écriture se met au service de cette pure remontée d’affects dans laquelle un moi se dit, se présente, revient à la surface de soi. 

Dans la perspective de la recherche, il n’y a rien de douloureux ni de problématique dans cet ancrage du présent au passé et de d’ancrage par le biais duquel le passé revient à la surface du passé. Mais ce n’est pas forcément toujours le cas. Nous sommes sujets à un fort désir d’identification et tant qu’il sera volontaire, il sera falsifié, voire manipulé. Mais dans ce déni de notre passé par notre présent, il est peut-être autre chose qui oeuvre souterrainement. 

Nous vivons dans le déni de notre passé parce qu’il est infâme, inavouable, indicible, honteux. C’est finalement un peu ce que Sigmund Freud soutient grâce à tout ce qu’il a mis à jour concernant l’existence d’un inconscient très différent de tout ce que Marcel Proust a révélé même s’il s’agit aussi de souvenirs involontaires, mais ce sont plutôt des souvenirs « interdits », « dissimulés ». L’existence humaine, en tant qu’elle est socialisée, organisée, « légalisée » est une existence sommée, contrainte de se mentir à elle-même, de se refuser elle-même. Le « moi » au sens freudien du terme naît de cette dissimulation de soi à soi.




Toutes les thèses freudiennes sont nées de ces premières observations sur l’hystérie. Ce trouble de comportement se manifeste par des symptômes ambigus comme la paralysie ou la cécité (devenir aveugle) sauf que ces pathologies sont « jouées ». Les analyses  anatomiques ne révèlent aucune lésion. En toute rigueur, le corps des hystériques paralysé.e.s ou aveugles se porte très bien, de telle sorte que les médecins n’y prêtaient aucune attention, pensant avoir à faire à des simulatrices (ou à des sorcières). 

Freud (1856 - 1939) est l’un des premiers médecins avec Charcot à ne pas adhérer à cette analyse. Que l’hystérique « ment », c’est en un sens indiscutable mais ce n’est pas pour autant qu’elle peut marcher ou qu’elle peut voir. Elle se ment à elle-même mais elle ne ment pas quand elle dit qu’elle ne voit pas. Quelque chose en elle de son passé qui n’a pas été accepté utilise des troubles, des pathologies pour se faire signe étrangement à elle-même. En fait pour Freud, les symptômes hystériques sont les manifestations de ceci qu’il y a des dysfonctionnements qui sont une façon pour notre pensée d’instrumentaliser notre corps et de dire quelque chose de soi par le problème en question. Le passé torture le corps pour être accepté ou au moins formulé dans le présent.  C’est cela l’inconscient, ou plutôt l’inconscient est constitué par tous les éléments refusés par une censure inconsciente grâce à laquelle notre conscient n’accepte pas ce qui lui semble dégoûtant, honteux, inavouable parce que sexuellement repoussant.

Nous sommes toutes et tous des sexualités refoulées tout simplement parce que le mode de vie réglé des humains ne peut pas faire droit aux exigences des pulsions. Nous le voyons bien chez les enfants qui ne sont justement que ça, des appétits s’exprimant violemment, sans contrôle, sans retenue et sans modération. Notre « éducation » consiste justement à réprimer la plupart de nos pulsions sexuelles, à les canaliser, à les entourer d’usages et de formalités. 

Pour cela il a fallu prouver qu’il existait une sexualité infantile (ce qui est aujourd’hui parfaitement admis mais ce n’était pas le cas à l’époque). Ce que cela signifie, pour Freud, entre aitres choses, c’est que l’on ne peut jamais totalement dissocier un plaisir quelqu’un soit d’une charge érotique, sexuelle plus ou moins forte. La sexualité n’est pas une pulsion comme les autres, elle est celle qui alimentent souterrainement toutes les autres: plaisir gustatif, satisfaction narcissique, etc.

C’est cela qui a donné naissance à la théorie dite des trois instances: ça, moi et sur-moi. 

  1. Le « ça » c’est cette antériorité des pulsions dans la généalogie de tout être humain qui après tout est un être vivant. Nous sommes porté.e.s à désirer d’abord et sans modération ni raison ni mesure. Nous exigeons la satisfaction de nos pulsions et c’est ce que fait le nouveau-né.
  2. Au fil de notre éducation qui sera donc assimilable à un dressage du ça, une instance va se constituer en nous qui est le produit de l’intériorisation de l’autorité de la société par l’intermédiaire de l’autorité parentale et plutôt paternelle (si elle est là, mais cela se déportera vers celle ou celui qui porte en soi la tache éducative de dressage). Cette instance c’est le sur-moi. Nous créons en nous une partie de nous qui est la voix du « tu dois ou du tu ne dois pas ». C’est la voix de la répression des pulsions. 
  3. Ce qui va naître au fil de cette opposition constante entre le ça et le sur-moi, c’est le « moi » qui est coincé entre les deux et qui va faire ce qu’il peut pour tenir à bout de bras ce constant écartèlement. 

On pourrait dire que personne ne sort indemne de cette configuration mais c’est bien ça qu’il faut saisir c’est qu’ « indemne » ici n’a pas grand sens: on ne peut pas dire qu’on serait mieux en n’étant que le « ça » (parce qu’on serait une espèce de brute) et qu’on ne peut pas dire que le sur moi est la perfection, parce que se réduire à son sur-moi, c’est consister à se dire tout le temps « non ». 


Questions pour l'oral Terminale 4 (16/09):

1) Que veut dire Heidegger quand il parle de l'être-pour-la-mort (dés qu'un enfant naît il est assez vieux pour mourir)

2) Quel est le sens de l'épisode de la madeleine dans le livre de Marcel Proust: "Du côté de chez Swann"?

3) Pourquoi suis-je nécessairement ce que le passé a fait de moi?

4) Quel est l'argument le plus puissant qui prouve exactement le contraire? 

5) A ce moment du traitement de la question, êtes vous plutôt dans le oui ou dans le non? pourquoi?

 Questions pour l'oral Terminale 5 (11/09)

1) Qu'est ce que la skholé? Est-ce envisageable aujourd'hui? Pourquoi?

2) Comment pouvons expliquer le complotisme ? Pourquoi l'être humain est-il tenté de s'identifier à un moi abouti et constitué?

3) Quelles sont les racines grecques des notions de politique et d'économie? Qu'est-ce que cela nous fait comprendre par rapport au constat effectué par Karl Polanyi selon lequel l'économie a totalement battu en brèche la politique dans la gestion des états?

4) Pourquoi la peinture de Michel Ange "la sainte famille" nous fait elle comprendre quelque chose d'essentiel par rapport à la famille?

 Questions pour l'oral -  terminale 1 (12/09):

1) Quelle est la thèse défendue par Karl Polanyi

2) Pourquoi la toile de Michel Ange représentant Marie, Joseph et l'enfant jésus est-elle à même de représenter la famille?

3) Pourquoi les films dans lesquels le héros est amnésique sont-ils intéressants pour le sujet: "suis je ce que mon passé a fait de moi?"

4) Donnez un argument pour le oui, un autre pour le non et précisez pour quel camp vous pencheriez en ce moment.

Questions pour l'oral terminale 5 ( 17/09)

1)  Pourquoi la préméditation d'un crime est-elle une circonstance aggravante pour un accusé? Qu'est ce que cela nous fait comprendre sur la conscience?

2) Pensez vous que nous soyons ce que notre passé a fait de nous? pourquoi?

3)  Pourquoi une simple perception consciente constitue-t-elle un élément de réponse à la question?

4) Qu'est ce que cela veut dire du visage que vous voyez en face de vous? Situez certaines peintures de Francis Bacon par rapport à ça.


Questions pour l 'oral - Terminale 1 (18/09)

1) Pourquoi le fait d'exister au présent met-il au premier plan la notion de choix? 

2) En reprenant l'exemple de Total recall ou de "la mémoire dans la peau", montrez pourquoi ces films sont à la fois dans le oui et dans le non.

3) Pourquoi va-t-on voir un psychanalyste? Quelle est la thése essentielle de Sigmund Freud?

4)  Qu'est ce que l'écriture automatique?

Questions pour l'oral - terminale 4 (17/09)

1) Que désigne la notion d' "illusion rétrospective du vrai"  selon Henri Bergson

2 Pourquoi peut-on parler d'une schizophrénie pathologique et d'une schizophrénie "courante" ou "sociale" (normative) - on peut évoquer Fight Club 

3) Pourquoi la question de la conscience d'une personne accusée au moment de son  méfait est-elle fondamentale en vue du verdict?

4) Combien existe-t-il de formes de conscience différentes pour la philosophie?  Lesquelles?

Questions pour l'oral - Terminale 4 (23/09)

1) Pourquoi la moindre perception visuelle donne-t-elle raison à Alain?

2) Que dire des choses et des êtres que nous voyons au présent? Les voyons-nous telles qu'elles sont? 

3) Définissez ce que c'est qu'être conscient.e

4) Pourquoi l'exemple de la madeleine de Marcel Proust contredit-il les thèses d'Alain?

5) Dans le livre Dune, expliquez comment et pourquoi Paul peut supporter la douleur infligée à sa main.

 

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