mardi 6 avril 2021

Cours en distanciel du 06/04/2021 de 15h30 à 17h50 - Tle 2: Comment se constitue un corps politique?

 Bonjour à Toutes et à Tous,

C'est parti pour un "super cours" sur le "super-pouvoir!" Youpeee!!!!!


Nous en étions au 3) la notion d’imperium dans le « traité politique » de Spinoza.   Nous avions expliqué les articles 14, 15, 16 et 17 du dit traité.

Nous sommes donc en mesure d’expliquer clairement ce qu’est l’impérium pour Spinoza. On peut rappeler que de nombreux traducteurs rendent compte de ce terme latin par la mot «  Etat », mais selon Daniel Pautrat, le mot est un peu défectueux par rapport à la richesse de sens du terme latin.  

Ayez bien en tête que le but du cours d’aujourd’hui est très simple en fait: qu’est ce que l’imperium dans le traité politique?  (je fais comme si c’était simple mais ça ne l’est pas du tout, vraiment pas du tout. C’est un cours difficile, mais euh…..C’est cool! J’ai aucun argument mais ça va être super!)

            



  
L’imperium, c’est le pouvoir dont dispose la multitude de s’auto-affecter. S’auto-affecter: ça veut dire susciter une passion dont on va être la première victime: quand vous lisez Phèdre de Racine, vous comprenez deux choses par rapport à tout affect à toute passion:

- Ce serait beaucoup mieux qu’elle ne soit pas amoureuse de son beau-fils mais elle l’est et elle se libère en ressentant cette passion.
 - On se libère en ressentant une passion mais on ne se libère pas du tout de la passion (jamais) , qu’elle soit triste ou joyeuse…

L’impérium  (que l’on pourrait désigner comme « affect de la multitude ») a donc deux effets:

- L’affect commun fait être le groupe comme groupe. Il est un opérateur de communauté. Il fait émerger le groupe à partit de la collection d’individus qui le composent. Il est ce par quoi une simple juxtaposition d’individus vont constituer un corps, et prendre ainsi une consistance.
- Du coup, s’effectue un mouvement par le biais duquel une puissance immanente (celle de l’affect commun) va générer une transcendance, une supériorité, celle par le biais de laquelle une certaine « manière" va devenir une normativité sociale et exclure ainsi tout effet de marginalisation. Le tout va créer par l’affect commun manifeste concrètement un effet de supériorité sur la partie, sur l’individu qui est moins que le groupe. L’affect commun est ainsi supérieur à chaque individuel sans lequel pourtant il ne serait jamais devenu l’affect commun. L’imperium devient le principe de la transcendance du social alors même qu’il est dans sa constitution le fruit de l’immanence de tous les affects individuels.
           
Le social est donc à la fois un « plus », au sens d’excédence, de supériorité. L’imperium c’est la transcendance immanente du social, ce qui partie du bas, c’est-à-dire des individus eux-mêmes exerce sur eux une supériorité. C’est ça finalement « le social », à savoir la combinaisons de deux faits:

- Qu’il y ait plus dans l’ensemble que la simple addition de ses parties
- Que ce « plus » exerce de fait une autorité sur chaque individu, vaut comme une transcendance.
        Le social c’est la capacité qu’a la multitude de s’auto-affecter sous l’effet d’une dynamique ascendante et descendante. C’est à partir de la multitude que se forme l’affect commun pour ensuite « du haut » affecter la multitude, comme en retour. S’il y a souveraineté du social, c’est à partir de cet agent qui s’ignore et que l’on peut désigner du terme de multitude.
        Mais comment et pourquoi la multitude s’ignore-t-elle à ce point, jusqu’à se dissimuler à elle-même qu’aucune souveraineté ne peut s’effectuer sans elle parce qu’en réalité elle en est la seule source?
        Le fait que le social se soit structuré par le religieux explique dans une mesure importante cette méconnaissance. Dieu, c’est finalement la figure même de cette transcendance méconnaissable du social, transcendance qui ne s’exerce qu’en se dissimulant. Le deuxième moment de ce malentendu consiste à poser que « la mort de Dieu » telle que Nietzsche l’avait énoncée suppose la fin de la verticalité du social. Que Dieu ne soit plus la figure de la transcendance du social n’implique aucunement que cette transcendance soit inopérante, précisément puisque Dieu n’en était que l’apparence.
           
L’efficience de cette transcendance n’est pas du tout facile à comprendre puisque elle est à la fois supérieure mais d’une supériorité qui vient du bas. L’imperium, c’est-à-dire la puissance de la multitude, c’est finalement ce qui va cristalliser l’affect religieux, sacré après ce que l’on pourrait appeler la mort de Dieu (la désaffection de la croyance et des églises en Europe). C’est ce que le sociologue Marcel Mauss formule de la façon suivante: « si les dieux sortent du temple et deviennent profanes, on verra des choses humaines mais sociales: la propriété, le travail, la personne humaine y entrer les unes après les autres. » Il n’y a que la terre et le ciel est vide, mais c’est nous qui, depuis la terre, ne cessons de peupler le ciel. Durkheim, pour sa part affirme que « la divinité c’est la société transfigurée et pensée symboliquement. » En d’autres termes, le religieux a été la première forme de l’autorité du social, mais il ne peut en revendiquer l’exclusivité. Finalement le religieux est la première capture de la puissance de la multitude, première forme d’auto-affection de la multitude, première manifestation de la capacité de la multitude à se dissimuler à elle-même l’exhaustivité de sa puissance. 
 


4)  Capture et complication de la potentia multitudinis par les institutions
            Évidemment, nous nous situons ici dans une perspective qui est exactement celle de Spinoza mais qui, en même temps, requiert de la part du lecteur un effort de réalisation conséquent, voire probablement plus que cela. La notion d’ « impérium », ou d’Etat politique revêt un sens que l’on ne peut absolument pas comprendre si l’on a du mal à saisir les deux notions de transcendance et d’immanence. Pour Spinoza, rien n’existe autrement que sur le fond d’une puissance immanente qui est « Dieu » ou la nature, ou la vie. Cette puissance est celle qui anime  tout ce qui est. On pourrait dire qu’elle vient toujours du bas et que rien, absolument rien n’est au-dessus d’elle. Ce qu’ « il y a » c’est ce désir de persévérer dans son être tel qu’il se manifeste en toute réalité, en tout être. En un sens, on pourrait dire que la philosophie de Spinoza consiste à situer Dieu dans la réalité davantage que dans la religion. Quels que soient l’institution, le culte, le rite,  la philosophie, le pouvoir qui développent l’idée que quelque chose soit fondamentalement au-dessus de nous, ils « mentent ». Ce qu’il y a toujours avant c’est le social. En un sens, Spinoza est réellement le fondateur de la sociologie, tout simplement parce que ce qu’il y a humainement avant toute autre chose, c’est du social. Le religieux est probablement l’une des premières formes revêtues par le social mais il y en aura d’autres.
            

                    L’imperium désigne cette capacité du social de s’élever au-dessus de chaque individu en exerçant ainsi une autorité. C’est donc le mouvement même du social que d’être  une puissance immanente qui va se donner plusieurs formes d’autorités transcendantes et parmi elles,  figure en très bonne place (puisque il s’agit de la première chronologiquement)  le religieux. L’imperium est donc finalement une puissance dotée de cette capacité de faire advenir des pouvoirs. C’est ainsi qu’elle ne peut manquer de susciter des tentations de pouvoir pour toutes celles et ceux qui veulent satisfaire un appétit de domination. Dés lors, il devient impératif de capter la puissance de la multitude pour s’en servir et « la retourner » sur elle, pour se donner toute légitimité à exercer un pouvoir à partir de la puissance de la multitude et surtout sur elle. 

            

Quiconque se révèle capable de mener à bien un tel détournement acquiert un pouvoir quasiment surhumain. Finalement tout exercice du pouvoir est en un sens une usurpation de la puissance puisque en fait la seule origine de ce pouvoir est la puissance de celles et ceux sur qui elle s’exerce mais en même temps elle profite d’une capacité d’auto-affection qui se trouve bel et bien dans l’imperium lui-même. Il est difficile de rendre compte de cet étrange processus sans évoquer une auto-aliénation. Quelque chose de la puissance de la multitude semble avoir besoin de s’auto-aliéner, donc de s’ignorer  pour s’exercer, pour s’effectuer. Il s’agit de se rendre sensible à cette efficience là sans la critiquer ni vouloir la refréner absurdement parce que c’est probablement impossible. Le social c’est ce dont la puissance ne peut se libérer qu’en s’aliénant. Il faut regarder cette vérité en face si l’on veut avancer sur cette question. Les hommes ont besoin d’être gouvernés mais ils refuseraient l’autorité d’un pouvoir qui viendrait d’eux parce que nous n’acceptons une autorité que si elle se justifie par une forme de supériorité.
             
Ce que Spinoza nous permet de penser ainsi, c’est une théorie politique de l’immanence qui nous fait réaliser que finalement l’exercice du pouvoir est toujours d’emprunt. Les hommes de pouvoir détournent une puissance qui ne vient aucunement d’eux mais de la multitude.  On sait que déjà La Boétie dans son discours sur la servitude volontaire avait « détricoté » cette étrange filiation en rétablissant très exactement cette relation gouvernant / gouvernés dans son rapport originel, premier: « Comment a-t-il  (le gouvernant) tant de mains pour vous frapper s’il ne les prend de vous?  Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous si ce n’est pas vous ?» Finalement dans une manifestation réprimée par l’autorité de la force publique, les mains qui nous frappent, ce sont les nôtres, et ce n’est pas là une remarque symbolique, c’est une simple remise à l’endroit d’un processus que nous avons coutume de prendre toujours à rebrousse poil: ce n’est jamais à partir d’une transcendance effective posée comme valant de droit (divin ou pas) que s’exerce un pouvoir sur les hommes, c’est parce qu’il y a d’abord des hommes dotés en eux-mêmes par eux mêmes d’une puissance (l’imperium) qu’il y a le pouvoir de quelques-uns sur tous les autres.

            
La multitude est donc dotée du pouvoir de s’auto-affecter, c’est-à-dire de susciter des passions dont elle est à la fois celle qui les reçoit et celle qui les provoque. Elle est touchée par des affects dont elle est également celle qui les suscite. Mais évidemment cette puissance va se voir l’enjeu de plusieurs captures (par capture il faut entendre l’action de neutraliser et de  détourner, de travestir, de déguiser, de tromper) par des pouvoirs de type religieux, institutionnel, politique en un certain sens (il y a une distinction entre pouvoir et puissance d’un point de vue politique aussi), économique, etc. Or, une fois capturée, cette puissance d’auto-affection que l’on peut appeler « l’imperium » va changer de forme, elle va passer d’une puissance d’affection immédiate à une puissance médiate (c’est-à-dire médiatisée, intermédiaire), et c’est ainsi que naît finalement le pouvoir. C’est toujours sur le fond d’une puissance que naît l’illusion d’un pouvoir. Un intermédiaire va confisquer à son profit cette puissance d’auto-affection et la retourner vers celles et ceux qui, conséquemment vont s’ignorer comme source même de cette puissance d’auto-affection. C’est ainsi ce que l’on peut appeler l’entrée de la multitude dans l’ordre institutionnel. Qu’est-ce qu’une institution? C’est une capture de la puissance  de la multitude.        

        Ainsi commence une sorte de cycle: l’affect commun théologico-superstitieux  s’offre à la capture qui  donnera naissance à l’institution de l’Eglise et à son pouvoir spécifique: le pouvoir des prêtres. Passant du statut d’immédiateté à celui de médiateté, l’imperium qui était la souveraineté du social devient l’exercice d’une souveraineté qui sera celle de l’institution, souveraineté politique. Ainsi l’imperium est d’abord cette « force morale de la société » comme l’avait définie Durkheim, puis cette puissance va s’offrir à la capture institutionnelle de plusieurs pouvoirs. Tout part donc fondamentalement d’une capacité d’auto-affection que l’on pourrait qualifier de socio-anthropologique, c’est-à-dire qu’elle fait signe de la façon propre à l’homme de faire groupe société).
          

Le premier pas de la capture inaugure un processus au fil duquel les institutions vont s’enchaîner les unes aux autres en s’appuyant les unes sur les autres. C’est ce que dit Alexandre Matheron: de l’affect théologico religieux découle le pouvoir de l’Eglise, lequel engendre le pouvoir politique (de droit divin). Du pouvoir politique vient le pouvoir monétaire. Parce que je crois à la divinité (affect commun) j’adhère à son église, je reconnais le pouvoir politique du Roi qui l’est « de droit divin » et j’accepte le signe monétaire. Plus les intermédiaires se succèdent, plus la puissance d’auto-affection de la multitude est déguisée, dissimulée, plus la multitude s’ignore elle-même. C’est ce qui explique que si nous analysons les sociétés aujourd’hui, nous avons d’autant plus de difficultés à revenir à l’imperium parce qu’il est recouvert de toutes les couches institutionnelles dont l’effet est de cacher à la multitude qu’elle est la source même de tous les pouvoirs, ce dont ils ne sont que des effets de capture. L’ordre institutionnel est devenu tellement compliqué qu’il est difficile voire impossible de remonter à la source. On ne peut le faire qu’en recourant à la fiction d’une scène primitive (mythologie)
            La société est toujours déjà institutionnalisée, structurée, prise dans ces effets successifs de capture qui en dissimule la nature authentique qui est de s’auto-affecter. C’est aussi par ce processus que la société se trouve fracturée, divisée, morcelée en classes sociales avec des pouvoirs différents, lesquels donnent plus ou moins de pouvoir à tel ou tel au sein même de cette société. L’auto-affection devient par la même un processus d’auto-aliénation.
           
Mais alors comment définir cette multitude qui finalement est l’origine de tout pouvoir sans le savoir? Elle n’est pas une catégorie sociologique, ni définissable ou détectable concrètement, réellement. La multitude n’a pas de réalité paradoxalement puisque elle est en même temps l’origine même de l’état actuel de la société. Elle est la puissance génératrice et invisible du social, ce sans quoi rien de la société ne serait mais en même temps ce qui ne se donne à voir que défiguré, méconnaissable. La multitude n’est pas la masse, la foule, « les gens » ou quelque représentation du grand nombre, et surtout pas la majorité. Ce qu’est la multitude, c’est peut-être ce que l’on perçoit quand on pointe l’indétermination ou l’instrumentalisation réitéré du vocable de « peuple ». Tous les hommes politiques prétendent représenter le « peuple » sans jamais y parvenir et surtout sans être jamais capable d’identifier réellement ce concept toujours revendiqué mais jamais défini. C’est qui le peuple? Ce qui fait l’unité du peuple en réalité c’est cette puissance d’auto génération d’affects mais celle-ci jamais ne se donne à voir ni à expérimenter, en tant que telle. Elle est toujours cachée: elle se dissimule à elle-même et ne donne jamais à voir telle qu’elle est.

        On peut donc résumer toutes les thèses de Spinoza concernant l’imperium de la façon suivante:
- Il existe une souveraineté du social
- Celle-ci se forme nécessairement
- Elle excède l’intention de toutes celles et de tous ceux qui pourtant l’ont produite
- Toute institution en dérive par capture
      


              L’imperium, c’est finalement « l’État général », c’est-à-dire la matrice d’où est issue toute forme d’ État. Poser ceci, c’est s’opposer à plusieurs théories historiques faisant remarquer avec raison qu’il y a une histoire de l’Etat (même s’il est très difficile de situer cette notion que l’on peut faire remonter à la cité grecque, la polis, etc.). En même temps, il est impératif ici de dépasser cette seule perspective historique en désignant par État ce qui reste quand on débarrasse toute communauté politique de ses particularités ethniques, géographiques, etc. L’État général c’est l’État ramené à son principe fondamental. Il y a donc un sens à parler de l’état tribu, de l’état Polis, de l’état empire, de l’état absolutiste, de l’état bourgeois. L’état général, c’est l’imperium, c’est la puissance d’auto-affection de la multitude, c’est ce qui fait faire consistance au groupe et ce qui s’offre à la capture. On peut donc parler d’une « structure élémentaire de la politique », celle de la capacité de la multitude à s’auto-affecter et celle de donner lieu à des captures par des institutions.
              
Il convient alors de répondre à l’objection des société sans état de Pierre Clastres (ce sociologue et anthropologue a travaillé sur des sociétés d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud dans lesquelles il n’y a jamais eu d’Etats). Ces sociétés existent: elles se caractérisent par l’absence d’un organe de commandement et de pouvoir distinct de la masse des commandés. Les chefs n’ont pas le pouvoir de donner des ordres et de se faire obéir mais néanmoins il y a bel et bien des « chefs ». Les. Chefs exercent bien une forme d’autorité mais elle n’est pas politique, elle est symbolique et morale. Dans les sociétés sans état il y a bien aussi « impérium", c’est-à-dire état général. L’erreur anarchiste consiste à définir l’Etat comme un pouvoir politique séparé, alors que ce terme désigne au contraire la puissance de faire consistance donnée au groupe par le groupe même. Il ne peut y avoir communauté sans état du fait même qu’il y a communauté, groupe, « consistance » et cela serait impossible sans Etat. Aucune société ne pourrait se constituer selon un principe exclusivement horizontal. A partir du moment où on fait remonter cette notion d’état par le biais de la notion d’impérium au concept d’affect commun, il est évident qu’aucune société ne peut se constituer sans Etat (mais honnêtement c’est un concept particulier d’Etat - En fait ce que tente Spinoza c’est de faire entendre qu’avant d’être religieux, le premier affect de groupe est le groupe lui-même et c’est à cela qu’il donne le nom d’impérium. L’affect religieux c’est le premier effet de capture sur l’imperium du religieux qui finalement d’affect premier se retrouve affect second, capture).


Questions facultatives (envoyer les réponses à mon adresse mail perso):

 
1) Qu’est-ce que l’impérium selon Spinoza?


2) Expliquez le phénomène de capture qui va donner naissance aux institutions. Pourquoi peut-on dire qu’une puissance s’y trouve capturée par des pouvoirs?


Bonne continuation à vous toutes et tous!



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