dimanche 25 avril 2021

Cours en distanciel du 26/04/2021 de 16h00 à 17h50 - Terminale 3: Vérité et Science


1) L’effet de contrainte (Vérité formelle/ Vérité matérielle/ Vérité intuitive)        

           Quand disons-nous la vérité? Quand l’énoncé de notre affirmation correspond à son contenu réel, c’est-à-dire quand je dis effectivement « ce qui est », quand mon propos ou mon discours est quasiment dicté par une pesanteur effective que l’on pourrait qualifier de « poids du réel ». On dit la vérité quand on ne dit pas n’importe quoi mais qu’il existe un effet de contrainte soit du réel soit du raisonnement. On peut ainsi distinguer la vérité formelle et la vérité matérielle.
- La vérité formelle réside dans la validité purement logique d’un raisonnement: si a est en relation avec b et si b est en relation avec c, alors a est en relation avec c. La validité de la vérité formelle vient précisément de ceci qu’elle ne concerne pas des éléments soumis aux aléas du monde ou des circonstances.
- La vérité matérielle est, elle, au contraire, relative à des contenus, à des situations. La vérité formelle consiste donc dans une forme de cohérence propre à un type de raisonnement logique ou mathématique et dans lequel on constate sans aucun doute possible que les conclusions sont conformes aux prémices, c’est-à-dire aux principes d’une démonstration. La vérité matérielle est celle que l’on peut assigner à une proposition qui est conforme à un état de fait. Dans les deux cas on vise une transparence mais ce n’est pas la même: autant dans la première c'est la transparence d’un raisonnement à lui-même, un principe de cohérence propre à une modalité de raisonnement pure, autant dans la seconde (matérielle) c’est la transparence d’un discours par rapport à un fait.
    La théorie de la relativité linguistique (Sapir et Whorf)  s’insinue dans chacune de ces deux définitions: la vérité logique ne serait-elle pas en fait l’effet de cohérence à soi de la langue? N’existe-t-il pas un lien profond entre mathématique et langage, de telle sorte qu’il serait envisageable que la logique ne soit en réalité, comme le suggère Sapir et Whorf, que la consécution de l’effet de sens des structures linguistiques. Evidemment cela revient à une opposition déjà évoquée entre la thèse qui pose le primat de la langue sur la rationalité et sur son exact inverse: la rationalité primant alors sur la langue. Existe-t-il  une sorte d’innéité de l’esprit logique, ou bien faut-il concevoir que rien ne précède la culture et qu’à ce titre la langue comme fait culturel premier, principiel est la matrice de tout esprit logique?



    Concernant la vérité matérielle, la théorie de la relativité linguistique joue également « les trouble-fête » car la question se pose de savoir dans quelle mesure une personne peut s’extraire des catégories de classement imposées par sa langue maternelle pour saisir les données brutes d’une perception « réelle ».
    Nous voilà avertis, dés l’abord, de l’extrême complexité de cette question: il existe un rapport premier et fondamental entre toute proposition prétendant ou aspirant à la vérité et une « extériorité », un effet de contrainte produit par la pesanteur d’un « fait », ou d’un raisonnement indubitable, évident, posé ou imposé. En un sens, jamais nous ne sommes davantage convaincus de dire la vérité que lorsque nous ne faisons qu’exprimer une évidence, une réalité pure ou une conclusion irrécusable parce que rigoureusement déduite de principes avérés. Nous ne disons jamais ce que « nous pensons », au sens de « pensée d’opinion », d’avis personnel quand nous disons la vérité. Toute personne commençant son discours par « voilà mon opinion » ou « voilà ce que je pense » se situe d’emblée ailleurs que sur le terrain du vrai. Y-a-t-il une légitimité à donner son opinion du point de vue de la vérité? Aucune.
       

Ce point est essentiel: toute pensée entreprenant de chercher la vérité quitte le giron maternel et douillet du « personnel », de « l’affaire privée ». Si j’émets une pensée que je qualifie de « ma vérité », je ne dis rien qui présente la moindre importance, je dis « des trucs », je « blablate » et cela ne présente pas le moindre intérêt. Aucune prétention à la vérité ne peut se concevoir sans l’effet de contrainte d’une extériorité, d’un Dehors radical, pur, même s’il n’est pas du tout évidement que nous puissions jamais atteindre cette pureté.
        On pourrait résumer cette première approche en affirmant qu’on ne dit jamais la vérité quand on dit ce que l’on pense mais au contraire quand on dit « ce que l’on ne peut pas ne pas penser ». Par conséquent, jamais nous ne sommes davantage susceptibles de dire quelque chose de faux que lorsque nous cessons de nous rendre attentifs à cette « extériorité ».  On dit la vérité quand on dit ce qui s’impose de soi-même, ce qui manifeste une forme d’auto-suffisance devant laquelle nos sens ou notre faculté de raisonnement « s’inclinent ».
        Mais on parle également d’amitié « vraie » ou de sentiments « vrais » désignant alors des attitudes, des ressentis non joués, non simulés, authentiques. On mesure bien tout ce que cette conception de la vérité implique par rapport à la première. Le critère du vrai n’est plus celui de l’objectivité d’un témoignage ou d’un raisonnement, on « est » vrai quand d on est intègre, quand on ne triche pas et qu’on manifeste une intégrité, une entièreté dans nos actes, nos attitudes. On est alors « tout d’une pièce ». Il existe donc bel et bien ici aussi une sorte d’évidence, d’ « effet de contrainte » même s’il porte sur une spontanéité d’attitude et non sur le ralliement de nos sens ou de notre jugement à des faits ou à une proposition. Ce n’est plus de la vérité qu’on dit mais de la vérité qu’on est dont il est ici question. On ne se sent pas pouvoir ni même devoir être autrement.
        Le terme de vérité n’est pas sans revêtir ici une dimension éthique qui peut d’ailleurs s’opposer à la morale. Emmanuel Kant insiste à juste raison sur le devoir moral de dire la vérité en toute circonstance parce que l’on ne peut faire du mensonge une loi morale valant universellement dans un monde qui accepterait cette maxime de la volonté (aucun monde, aucune société humaine ne peut se fonder sur le mensonge), mais nous savons bien qu’il existe des situations dans lesquelles nous pouvons « mentir honnêtement » c’est-à-dire proférer un mensonge dans l’énonciation duquel nous sommes « Un », entier, « tout d’une pièce ». Je peux être authentique dans l’acte de mentir sur la présence dans ma maison d’un immigré clandestin que la police recherche pour l’expulser. Je le peux parce que je sais que c’est LA bonne attitude à adopter. L’effet d’évidence n’est pas nécessairement moins fort que dans la défense de l’affirmation de 4 comme résultat de l’opération: 2+2, mais il n’est pas le même. Je « suis » alors la vérité d’un mensonge objectif. Je suis la vérité quand j’agis conformément à moi-même alors que ce que je dis est faux par rapport à la situation factuelle. On peut alors être la figure vraie d’un discours faux.
        Il convient de ne pas confondre cette vérité comme justesse, attitude, «  ipséïté » avec le « à chacun sa vérité » qu’on entend trop souvent et qui sonne comme une pseudo légitimité de la bêtise, du droit à proférer n’importe quoi, d’une sorte de justification à dire et à défendre n’importe quelle position. Peut-être pourrions-nous dire: « à chaque instant la vérité de cet instant! » Mais il n’est alors aucune raison de personnifier cette vérité, de l’assigner à une personne qui, de sa seule subjectivité, pourrait déduire la vérité de ce qu’elle dit ou fait de ceci que ce soit elle qui le dit ou qui le fait. Ce n’est pas du tout le fait que l’on soit cette subjectivité là qui ferait la vérité de notre acte, mais plutôt le fait que nous l’accomplirions entièrement, justement, intégralement. Peut-être pourrions nous ici évoquer une vérité de pure « intuition », une sorte d’évidence totale révélant la seule chose à faire, à dire ou plus encore « la seule personne à être » dans cette situation là « maintenant », une vérité d’accord, d’entente, d’adéquation avec ce que le monde attend que je fasse ou que je sois, dans cet instant là. L’effet de contrainte de la vérité se définirait dés lors comme cette évidence d’un moment présent vécu au présent comme requérant de moi « ça! », et rien d’autre.

 
        Résumons: nous avons retenu trois définitions de la vérité (en fait il en est d’autres mais on peut considérer ces trois là comme une base suffisante à l’élaboration de notre problématique quitte à spécifier et compliquer progressivement  le sens du mot vérité au fin du cours), chacune d’elle ayant avec les autres un seul point commun que l’on peut qualifier d’effet de contrainte même si cet effet ne s’effectue pas de la même façon ni par rapport aux mêmes éléments:
- La vérité formelle que l’on utilise en mathématiques et en logique est une vérité résidant dans l’effet de contrainte d’un raisonnement pur, rigoureux, procédant par des déductions irrécusables que tout un chacun peut faire et constater dés lors qu’il ne se fie qu’à un esprit pur et universel de démonstration.
- La vérité matérielle qui réside davantage dans la conformité entre un témoignage et un état de fait. C’est celle-là même que Saint Thomas désigne par le terme de « adequatio rei et intellectus » c’est-à-dire adéquation entre la chose (la réalité) et ce qu’en dit l’esprit humain. Je dis alors la vérité quand ce que je dis est conforme à ce qui est.
- La vérité intuitive qui contrairement aux deux autres s’applique non pas à ce que l’on dit ou à ce que l’on pense mais à ce que l’on est, à ce que l’on se sent devoir être au coeur de ce qu’une situation exige, étant entendu que l’on sera alors « UN », c’est-à-dire dans la verticalité d’un aplomb pur, débarrassé de toute aspiration à une quelconque « fierté » ou bien à la culpabilisation d’un remords. On est alors « VRAIMENT » parce qu’à aucun moment on a pris prétexte d’une quelconque prédisposition ou d’une attente pour se défiler à ce qu’exige la situation, le monde, l’instant même.
          

                Que toute vérité implique un rapport d’une certaine pureté avec une extériorité, un « Dehors » exerçant un effet de contrainte suffisant pour que le sujet humain se doive de la « reconnaître », cela donc ne fait aucun doute et constitue en soi « une première vérité sur la vérité » dont il ne faudra jamais négliger l’apport. Toutefois, l’interrogation demeure de savoir de quel type d’extériorité il est ici question et jusqu’où il convient de porter cette exigence de « reconnaissance », d’objectivité, de dépouillement assumé devant une vérité pure, nue, crue s’imposant en elle-même et par elle-même sans effet de complaisance. Si nous suivons jusqu’au bout cette conception de la vérité, il s’en suit effectivement que moins nous nous donnons de cadres, de principes, de bases ou de modalités qui nous seraient propres, plus nous nous approchons des conditions de réalisation d’une vérité pure qui le serait en soi. C’est bien là le sens profond des trois blessures narcissiques de Sigmund Freud. C’est précisément le propre de la science que d’avoir progressivement lutté contre les présupposés de l’anthropocentrisme jusqu’à infliger à l’être humain ces trois blessures lui imposant de reconnaître la vérité dans un mouvement de désanthropocentrisme radical:
- Qu’à l’homme le centre même de l’univers ne soit pas la planète qu’il habite, cela ne peut sembler que « déplacé » et c’est pourtant la vérité
- Qu’à l’homme la notion même d’espèce humaine ne définisse pas une espèce « pure », radicalement et structurellement distincte de toutes les autres espèces animales, c’est ce qui ne peut manquer de lui apparaître impossible et c’est pourtant la vérité
- Qu’à l’homme la pensée même se caractérise comme une activité échappant totalement à la maîtrise du sujet et à sa connaissance, c’est ce qu’il nous semble inconcevable de reconnaître et c’est pourtant la vérité

        


Toute vérité se définit donc comme un effet de contrainte au fil duquel il n’est pas jusqu’aux présupposés les plus enracinés de notre amour-propre mais aussi de nos aptitudes à nous « auto-portraitiser » qui ne soient mises en échec, comme si finalement les progrès de la recherche scientifique (évidemment pour admettre ce que dit Freud il faut accepter de donner à ses travaux sur l’inconscient un statut scientifique) allaient de pair avec l’acceptation par l’homme de l’indétermination de soi, en tant que genre humain, comme si l’être humain se devait de consentir à l’impossibilité de se doter de quelque primat, privilège voire caractérisation affirmée de soi pour parvenir à poser sur soi et sur le monde des « vérités ». N’existerait-il pas au sein même du souci le plus exacerbé de vérité une puissance de détachement, de découverte, de révélation de l’imposture de certaines vérités supposées qui s’établissent arbitrairement et qui trompent l’homme? Ne faudrait-il pas finalement se résoudre à concevoir la vérité comme l’instrument même grâce auquel sont inlassablement démasquées des vérités illusoires, réconfortantes humainement mais fausses radicalement?  La science est-elle la pratique poussant l’exigence de vérité jusqu’à ses conséquences les plus rigoureuses, les plus ultimes, les plus conformes à cela même qu’induit la vérité, celles d’une objectivité tellement pure que toute velléité d’anthropocentrisme s’y voit définitivement démentie, congédiée et rejetée? Si par « vérité » nous entendons cette épreuve objective et pure d’un authentique « dehors » (ce que l’on appelle à bon droit « épreuve de vérité »), la science est-elle la pratique la plus à même de nous faire atteindre la vérité?


Questions (facultatives):

1) Pourquoi le fait de "dire son opinion" ne peut jamais correspondre avec le fait de dire la vérité?

2) Que peut-on déduire des trois blessures narcissiques formulées par Freud concernant la vérité?

3) Qu'est- ce qui distingue vérité formelle, vérité matérielle et vérité intuitive? Donnez un exemple de chacune d'elles.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire