lundi 16 janvier 2023

Terminale 3/5/7: Méthodologie du troisième sujet du bac - Texte de Jean Baudrilard

 


 Vous expliquerez le texte suivant. La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise, il faut et il suffit que l’explication rende compte par la compréhension précise du texte du problème dont il est question. »


Ainsi la machine à laver sert comme ustensile et joue comme élément de confort, de prestige, etc. C'est proprement ce dernier champ qui est celui de la consommation. Ici, toutes sortes d'autres objets peuvent se substituer à la machine à laver comme élément significatif. Dans la logique des signes comme dans celle des symboles les objets ne sont plus du tout liés à une fonction ou à un besoin défini. Précisément parce qu'ils répondent à tout autre chose, qui est, soit la logique sociale, soit la logique du désir, auxquels ils servent de champ mouvant et inconscient de signification.
   Toutes proportions gardées, les objets et les besoins sont ici substituables comme les symptômes de la conversion hystérique ou psychosomatique. Ils obéissent à la même logique du glissement, du transfert de la convertibilité illimitée et apparemment arbitraire. Quand le mal est organique, il y a relation nécessaire du symptôme à l'organe (de même que dans sa qualité l'ustensile, il y a relation nécessaire entre l'objet et sa fonction). Dans la conversion hystérique ou psychosomatique, le symptôme, comme le signe, est arbitraire (relativement). Migraine, colite, lumbago, angine, fatigue généralisée : il y a une chaîne de signifiants somatiques au long de laquelle le symptôme « se ba­lade » – tout comme il y a enchaînement d'objets/signes ou d'objets/symboles, au long duquel se balade non plus le besoin (qui est toujours lié à la finalité ration­nelle de l'objet), mais le désir, et quelque autre déter­mination encore, qui est celle de la logique sociale inconsciente.
   Si on traque le besoin en un endroit, c'est-à-dire si on le satisfait en le prenant à la lettre, en le prenant pour ce qu'il se donne : le besoin de tel objet, on fait la même erreur qu'en appliquant une thérapeutique traditionnelle à l'organe où se localise le symptôme. Aussitôt guéri ici, il se localise ailleurs.
   Le monde des objets et des besoins serait ainsi celui d’une hystérie généralisée. De même que tous les organes et toutes les fonctions du corps deviennent dans la conversion un gigantesque paradigme que décline le symptôme, ainsi les objets deviennent dans la consom­mation un vaste paradigme où se décline un autre lan­gage, où quelque chose d'autre parle. Et on pourrait dire que cette évanescence, que cette mobilité conti­nuelle, telle qu'il devient impossible de définir une spé­cificité objective du besoin, tout comme il est impossible de définir dans l'hystérie une spécificité objective du mal, pour la bonne raison qu'elle n'existe pas - on pourrait dire que cette fuite d'un signifiant à l'autre n'est que la réalité superficielle d'un désir qui, lui, est insatiable parce qu'il se fonde sur le manque, et que c'est ce désir à jamais insoluble qui se signifie locale­ment dans les objets et les besoins successifs.

Jean Baudrillard - La société de consommation (1970)


  1. Apprendre à lire un texte philosophique 

La difficulté de ce type de sujet, c’est qu’il est fondé sur la lecture d’un texte qui va servir de cadre à notre réflexion pendant 4h. Or nous ne sommes pas habitués à ce genre d’attention soutenue. Mais les textes que l’on nous propose dans le cadre de cet exercice ont été choisis pour cela. Cela doit vraiment resté gravé dans notre esprit au moment du choix du sujet. Plus encore que la seule question de la compréhension, il faut miser sur une considération assez simple en fait qui est celle de la stimulation. Le texte proposé m’intrigue-t-il suffisamment pour que je choisisse d’y passer autant de temps, pour que je ne me lasse pas de le faire, pour que je me sente vraiment impliqué dans la tentative de son élucidation?

En l’occurrence ce passage de l’oeuvre de Jean Baudrillard intitulée « la société de consommation » peut vraiment répondre à ce critère, ne serait-ce que parce que nous nous y reconnaîtrons nécessairement. En tant que consommateurs, quelle que soit notre « profil » d’acheteur et d’usager, nous sommes forcément concernés par ce qui est dit ici et qui d’ailleurs a de quoi nous inquiéter puisque la référence à l’hystérie n’est pas du tout comparative ou métaphorique. Elle est à prendre littéralement, c’est-à-dire à la fois psychanalytiquement et sociologiquement (Bon! Ça s’appelle aussi philosophie, du coup!).

Soyons clair: il est assez douteux qu’un texte aussi difficile fasse l’objet d’un sujet de baccalauréat. Si c’était le cas, il serait criblé de notes en bas de page. Nous nous proposons plutôt de proposer une explication d’ensemble dont on pourrait dire qu’elle revêt quasiment une intention de « traduction »  tant il est vrai que certains passages peuvent sembler difficiles. Plusieurs termes pourraient se révéler assez dissuasifs pour une bonne part des élèves de terminales. Le but est donc à la fois de les clarifier et d’éveiller l’intérêt de toute lectrice ou de tout  lecteur de bonne foi qui a simplement envie de comprendre ce rapport étrange entre nos habitudes de consommateurs et notre constitution physique d’être humain, voire de mammifère socialisé.

Le point crucial de toute lecture philosophique est de se donner le temps et de ne jamais douter de la cohérence de ce qu’elle ou il lit.




Texte de Jean Baudrillard:

a) les valeurs de l’objet

Une machine à laver sert à laver des vêtements. Mais pensons à la réaction que la plupart des gens ont à l’égard de foyers qui n’auraient pas les moyens de s’en acheter une. Ces classes défavorisées socialement ne sont pas perçues seulement comme composées par des personnes qui ne peuvent pas laver leur linge mais comme des personnes qui sont a) soit susceptibles d’être plaintes, voire prises en pitié, b) soit dignes de mépris, mais en un sens a et b  reviennent au même parce que le point crucial ici, c’est qu’ « avoir une machine » apparaît clairement comme un « signe » extérieur du niveau social auquel on se situe. Nous parlons sans cesse de signes extérieurs de richesse mais prenons nous assez au sérieux ce terme de « signes » ? 

Quand nous achetons des objets, nous achetons aussi, voire peut-être surtout, avant toute autre chose, des « signes ». Nous voulons donc nous inscrire par nos achats dans un système de signifiants au sein duquel avoir une machine et plus encore une machine de très haute qualité comme en témoigne la réputation de la marque achetée veut dire quelque chose. Quoi? Que l’on fait partie d’un certain milieu social. « Elément de confort, de prestige, dit Jean Baudrillard, c’est proprement ce dernier champ qui est celui de la consommation. » Pour bien saisir cette phrase, il faut finalement la traduire de façon un peu brute comme ceci: nous n’achetons pas une machine à laver pour laver notre linge, mais parce que cela nous permet de nous inscrire, par comparaison, à un certain niveau social. Bien sûr la notion de confort joue. Nous n’avons pas à sortir de chez nous pour aller à la laverie automatique qui est à deux pas, mais ce confort est lui-même un signe. Il permet de faire signe de là où nous sommes dans la société: en situation de très grande pauvreté, de pauvreté, classe moyenne, supérieure, etc.  Ce que nous achetons ce ne sont pas des objets utiles, mais des « objets-signes », comme le dit l’auteur. 


On aurait pu croire naïvement qu’on achetait une machine à laver pour laver, mais pas du tout et ce n’est pas faire preuve d’intellectualisme outrancier que d’affirmer cela. Vive en société, assumer la persona, c’est s’inscrire dans un réseau complexe de significations au sein duquel tout achat prend sens dans la dynamique d’une logique, mais cette logique et celle du désir, ce qui va nécessairement nous amener à deux disciplines concomitantes: la psychiatrie et la linguistique puisque c’est dans un champ sémantique étrange que nos habitudes de consommation prennent sens. 

«  Toutes sortes d’objets peuvent se substituer à la machine à laver. » dit Jean Baudrillard et c’est une affirmation cruciale  facilement  compréhensible dés qu’on la situe par rapport à la notion de « valeur ». Déjà Aristote avait analysé le premier moment de ce glissement au fil duquel l’objet est destitué de sa fonction par le troc et sa valeur d’échange:

« Toute propriété a deux usages, qui tous deux lui appartiennent essentiellement, sans toutefois lui appartenir de la même façon : l'un est spécial à la chose, l'autre ne l'est pas. Une chaussure peut à la fois servir à chausser le pied ou à faire un échange. On peut du moins en tirer ce double usage. Celui qui, contre de l'argent ou contre des aliments, échange une chaussure dont un autre a besoin, emploie bien cette chaussure en tant que chaussure, maïs non pas cependant avec son utilité propre ; car elle n'avait point été faite pour l’échange. »

Une paire de chaussures sert à se chausser, c’est sa valeur d’usage mais on peut l’échanger contre autre chose, c’est sa valeur d’échange ou encore sa valeur marchande.  Grâce au Design, on ajoute un troisième type de valeur: la valeur d’estime qui désigne le prix affectif que nous donnons à certains objets auxquels nous nous sommes sentimentalement attachés. Mais ici, Jean Baudrillard évoque un quatrième genre de valeur que l’on pourrait dénommer la valeur de prestige (social). Quatre valeurs donc peuvent être attachées à l’objet, chacune de ses valeurs décrivant un champs de signification avec des relations qui lui sont propres et des liens soumis à une logique précise qu’il est impossible de faire valoir dans un autre champs de signes:

  1. valeur d’usage
  2. valeur marchande
  3. Valeur d’estime
  4. Valeur de prestige

Un point est essentiel ici: dans la perspective a, telles chaussures sont visées en tant qu’elles chaussent donc on peut les remplacer par d’autre chaussures qui satisfont le même usage. Pour la b, c’est le prix qui compte, donc ces chaussures là sont substituables, c’est même ce qui ici les définit, puisque on veut les échanger. Pour la c, par contre, ce sont ces chaussures là auxquelles on s’est spécifiquement attaché. Pour la d, c’est complètement indifférent, c’est probablement la valeur aux yeux de laquelle l’objet en soi, l’objet « pur » a le moins d’importance. Ce qui compte ici, c’est l’excès de considération que cet achat va nous donner dans la société, par rapport aux voisins ou à nous-mêmes, un peu comme si les objets se greffaient à notre persona. Ils sont investis d’une dimension spéculaire (du latin spéculum miroir: ils nous renvoient une image avantageuse de nous-mêmes dans notre positionnement social). « Logique sociale, logique de désir » dit Jean Baudrillard. 

Nous n’achetons pas des objets parce que nous en avons besoin mais parce que nous en éprouvons le désir: telle est la dynamique de la société de consommation. En soi, ce n’est pas une nouvelle renversante. Mais justement, Jean Baudrillard suit le fil de cette évidence jusqu’à ses implications psychanalytiques les plus rigoureuses et les plus renversantes. 



b) Achat et dénégation 

Si c’est du désir, cela signifie qu’il y a dans nos achats, à la base, des pulsions qui sont celles du ça et qui, comme Freud nous l’a bien fait réaliser, seront refoulées par le sur-moi, créant dés lors un inconscient. Il faut donc faire basculer la totalité de la sphère de la consommation dans un champ de signification inconscient. On parle parfois d’achats compulsifs, mais la portée de l’analyse de Baudrillard va bien au-delà de la seule considération d’un profil de consommateurs. La logique qui rentre en compte dans notre activité de « clients » est totalement inconsciente, ce qui implique que, comme toutes les analyses freudiennes le montrent bien, elle se manifestent au fil de la distinction entre ce qui est visible: le manifeste et un discours inconscient qui est caché, invisible latent.  

Pour le dire plus simplement, ce que nous achetons n’est pas ce que nous désirons, c’est le symptôme manifeste d’un discours de l’inconscient qui jamais ne se dévoile tel qu’il est.  Il nous revient donc de rabattre clairement le vocabulaire psychanalytique voire psychiatrique sur le domaine de la consommation et ainsi de réaliser à quel point, contrairement à ce que nous pensons, la consommation n’est, en aucun cas cette habitude sociale qui révèle notre façon normale de satisfaire des besoins normaux, en tant que nous sommes des êtres normaux, mais un champ expérimental de prédilection pour la psychiatrie dans lequel se monnaie des maladies du comportement corrélatives de notre économie et de l’évolution de notre société. Ce n’est pas que la société de consommation nous rendent hystériques, c’est plutôt que l’on ne peut rien comprendre à la société de consommation, aux professions qui s’y développent aux habitus (habitus est un terme utilisé par le sociologue Pierre Bourdieu pour désigner à la fois l’intériorisation par le sujet des habitudes de sa classe sociale lors de la socialisation primaire et secondaire et l’expression de ces « plis » par l’attitude qui lui correspond dans son existence adulte). qui s’y constituent et s’y renforcent sans y voir à l’oeuvre et ce depuis le départ, des flux de désir signifiants qui correspondent trait pour trait, à la paranoïa, à la névrose, à l’hystérie. Bref les grands magasins des enseignes de supermarchés sont des lieux d’observation psychiatrique, avec cette nuance fondamentale qui est que ce sont des gens dits « normaux » qui y font leurs courses.


C’est toutefois vers l’hystérie que se porte de façon privilégiée l’analyse de la société de consommation que fait ici Jean Baudrillard. Pourquoi? Il faut nous rappeler le rôle fondateur de l’hystérie dans les découvertes freudiennes. L’hystérique souffre de symptômes qui s’expriment physiquement tout en n’étant pas explicables physiquement. Les crises de cécité ou de paralysie ne suivent pas la logique des organes tout en les utilisant. Rappelons nous de l’opposition entre le professeur Meynert et Sigmund Freud au tout début du film de John Huston. C’est exactement comme si Meynert appliquait à l’hystérie, dans le rapport entre le symptôme et le trouble lui-même, le même rapport que celui qui relie dans la valeur d’usage l’objet et sa fonction. Comme les yeux servent à voir et que les yeux fonctionner, elle voit forcément, de la même façon que des chaussures servent à se chausser. 

La subtilité de Freud consiste au contraire à situer l’hystérie dans un rapport symptôme/trouble qui ressemble à la relation objet/image sociale, au sein de la valeur de prestige. Le parallèle fonctionne car il est beaucoup plus qu’un parallèle, en fait (il y a de l’hystérie dans l’achat dans une société de consommation). On s’en rend compte dans le caractère substituable de l’objet acheté. Comme le dit Jean Baudrillard, dans l’hystérie, le symptôme « se balade »: Cécily dans le film est parfois aveugle parfois paralysée. Elle éprouvées symptômes de grossesse hystérique à un autre moment du film (mais le film reprend le cas de Anna O, patiente de Breuer, en réalité). Il est absolument impossible de comprendre l’hystérie en suivant une logique purement organique, tout simplement parce que les organes ne sont pas touchés. Cela signifie donc aussi qu’une logique fonctionnelle est inopérante et c’est la même logique fonctionnelle qui prévaut dans la valeur d’usage. 

Par contre, il est vraiment signifiant que ce soit la vue, la locomotion, la reproduction (grossesse) qui soient « visitées », instrumentalisées par l’inconscient de l’hystérique. Mais ces organes sont substituables. Ils sont des maillons dans les déplacements d’un sens et ce sens est celui du discours de l’inconscient de l’hystérique.  Si nous voulons saisir la logique des achats d’une personne dans la société de consommation, c’est à ce déplacement là qu’il faut se rendre sensible plutôt qu’à une logique fonctionnelle. Nous n’achetons pas ce dont nous avons besoin pour ceci ou cela. Nos achats sont des symptômes hystériques visibles, substituables et déplaçables. Ils sont des flux dont le sens épouse le discours d’un inconscient refoulé. Que dit cet inconscient finalement? Que nous voulons paraître en société, ou plus précisément que nous sommes déterminés par des logiques de prestige social à acheter les objets dans l’aura desquels notre désir de paraître, loin de se satisfaire suit un cours dément, aussi pathologique que celui d’une femme se rendant aveugle sous l’influence d’une honte inconsciente (Cécily) 


Dans la société de consommation, il faut renoncer à l’idée d’un lien nécessaire entre ce que nous achetons et ce dont nous avons besoin. C’est hystériquement que nous achetons, pas nécessairement et encore moins raisonnablement, ou consciemment. 

« Dans la conversion hystérique ou psychosomatique, le symptôme, comme le signe, est arbitraire (relativement). Migraine, colite, lumbago, angine, fatigue généralisée : il y a une chaîne de signifiants somatiques au long de laquelle le symptôme « se ba­lade »: on peut expliquer terme à terme, cette phrase, compte tenu de la difficulté du vocabulaire utilisé. La conversion désigne ce changement, ce travestissement fondamental du discours inconscient qui dans l’hystérie peut se porter sur tel ou tel organe. Ce qui st psychosomatique, c’est cette affection du corps qui en réalité a son origine dans le mental, donc exactement ce qui caractérise l’hystérie. Lorsque Baudrillard affirme que le symptôme comme le signe est arbitraire, il reprend la thèse principale de Ferdinand de Saussure, le fondateur de la linguistique concernant le signe. Pour ce dernier, il n’y a aucun rapport naturel, physique, entre la montagne et le mot « montagne ». On aurait pu choisir n’importe quel autre (évidement une fois choisi, par contre, ce n’est plus négociable - C’est un peu comme l’étonnement de l’enfant qui s‘interroge sur sa langue et qui dit qu’on aurait pu appeler la chaise « table » et la table « chaise ». 


De la même façon, il y a un arbitraire dans le fait que l’hystérique va inconsciemment exprimer son trouble par le biais de tel ou tel organe affecté: la vue ou les jambes. Mais en même temps, un sens s’exprime dans ce choix, comme un sens va s’effectuer à partir du mot et di choix arbitraire du mot. Mais alors qu’est-ce que cela donne appliqué à la consommation ? Ceci: notre désir de prestige social, de gain social de considération de soi au travers de nos achats va se fixer sur des objets arbitraires, mais en même temps signifiants: la voiture, la maison, la machine à laver, l’écran plasma, etc. Nous faisons épouser à nos vies, par le truchement de nos achats, des objets au milieu desquels nous existons, le sens d’une dynamique inconsciente, entièrement dirigée par l’effet produit ou supposé sur le regard des autres, de nos amis, de nos voisins, de nos proches. Un désir circule ainsi d’achat en achat, tel qu’on le retrouve dans le personnage principal de Fight club de David Fincher lorsqu’il évoque ces achats en ligne qui finalement n’aspire qu’à se conformer en tous points au catalogue, indépendamment des besoins. Il les entasse dans son placard sans les utiliser.



 C’est exactement d’ailleurs dans ces moments qui parfois, (trop rarement) s’impose au consommateur qui déménage et réalise à quel point tout ce qu’il acheté n’a pas été utilisé, que se posent les bonnes questions: où suis-je dans cette étrange cartographie que dessine le tracé absurde de ces achats? Il ne fait aucun doute qu’il imprime la trace de quel’n qui e cherche mais aussi qui se loupe, qui se rate magnifiquement. Il n’y a que des ratages de soi dans les achats. C’est exactement comme si on se rendait compte que ce qu’il nous arrive de reprocher à nos proches quand ils nous font des cadeaux ratés, (bref des cadeaux quoi!) Se manifeste en fait aussi quand nous achetons des objets pour nous. Tout achat est fondamentalement comme un faux numéro, comme une lettre dont l’expéditeur se serait tromper dans le libellé de l'adresse du destinataire, ce qui n’empêche pas que quelque chose se dise dans ce ratage, non pas celui qu’on est, mais celui que des logiques de prestige nous font désirer paraître.




c) la compulsion pathogène

On parle d’hystérisation par exemple au sujet de certains thèmes ou débats qui ont lieu sur les réseaux sociaux, mais on désigne finalement seulement une sorte d’emportement, d’engrenage un peu dément au fil duquel on arrive à des propos irresponsables ou aliénés, c’est-à-dire au terme desquels certaines personnes deviennent violentes et incontrôlables. La démarche de Jean Baudrillard est toute autre puisque elle consiste à prendre ce terme au pied de la lettre. Quand l’hystérie a-t-elle vraiment commencé d’été traitée comme une maladie? Vers les années 1870, notamment grâce au professeur Jean-Martin Charcot mais aussi grâce à Freud. Or la considération de l’hystérie comme maladie sérieuse repose sur une relation au corps du patient ou de la patiente qui jusque là n’avait jamais été tentée, du moins jamais aussi approfondie. Elle s’appuie sur le rejet de la réduction mécaniste du corps, lequel n’est plus perçu comme un assemblage d’organes dont chacun assurerait une fonction. Le corps n’est pas une machine fonctionnelle, n’est pas un tout composé de parties dont chacune ferait son « travail » comme dans une chaîne de montage.

Dans une telle logique mécanique, le symptôme est à saisir comme l’effet de la défection de l’organe désignée par le symptôme. Si on a une douleur au bras, c’est qu’il y a un problème au bras. C’est simple! Prendre au sérieux le trouble hystérique, c’est faire intervenir un acteur très perturbant: l’inconscient, qui va totalement brouiller cette logique simple, « terme à terme » (douleur au bras = problème au bras). Que l’hystérique ne voit plus n’a pas de rapport avec un problème aux yeux, au nerf optique. D’ailleurs, en toute rigueur anatomique, l’hystérique devrait « voir ». Si ce n’est pas le cas, c’est parce que l’inconscient de la patiente a choisi le dysfonctionnement des yeux pour faire signe d’une pulsion, d’un affect ou d’un souvenir refoulé. En droit, il aurait pu choisir n’importe quel autre organe. Il est signifiant qu’il est choisi celui-là, mais il faut considérer ce choix néanmoins comme arbitraire. Ce choix fait sens et c’est à décrypter, mais on doit se détacher totalement de tout diagnostic qui poserait un rapport naturel et nécessaire entre le symptôme et la partie du corps affecté.  

Pour le dire simplement : quelque chose de mental a pris dans la psyché de la patiente la décision de ne pas voir. Nous n’avons pas à faire à un corps naturel ou fonctionnel au sein duquel chaque organe ferait son boulot ou ne le ferait pas à la suite d’un ratage, mais à un message crypté qu’il faut décoder. Le corps tout entier est signe mais signe « pas clair », codé. C’est comme si Charcot et Freud imposait à la médecine un rôle totalement nouveau dont elle ignore tout encore à cette époque (et cela d’ailleurs explique à rebours non seulement l’exclusion de patientes atteintes des hôpitaux, mais très probablement, en remontant plus loin, la condamnation et l’exécution des sorcières au moyen-âge. Finalement tout porte à croire que certaines femmes brûlées comme « servantes du démon » souffraient en réalité de symptômes hystériques). Mais de quel rôle s’agit-il? De celui de traducteur ou de décrypteur de signes.


Finalement nous croisons à nouveau le personnage d’Oedipe: ce que l’on demande à un médecin c’est d’être Oedipe devant la sphinge, à cette différence près que ce n’est pas l’énigme qu’elle pose qu’il s’agit de décrypter mais ce qu’elle est, l’énigme que représente le corps de la sphinge: Buste et tête de femme, corps de lion, ailes d’aigle, etc. L’hystérique, de la même façon, place le praticien devant l’énigme d’un corps recomposé, redistribué, dysfonctionnel, désordonné, chaotique. C’est finalement à une reconversion radicale de la profession de praticien que Freud invite la médecine avec les notables résistances que l’on sait et qui d’ailleurs ne sont aucunement résiliées. Envisagez la possibilité qu’un corps ne soit pas une machine naturelle organique et fonctionnelle mais un message dont le sens est à déchiffrer de telle sorte que le lieu du trouble ne soit pas celui qu’indique le symptôme; que la cécité n’indique pas le dysfonctionnement des yeux, mais manifeste un dégoût, une répulsion, un refoulement dont la patiente est à la fois la victime et l’ordonnatrice.

Quel rapport avec chacune et chacun d’entre nous quand nous faisons nos courses? Nous ne souffrons d’aucun symptôme hystérique, nous sommes des gens « normaux » qui allons « normalement » dans des magasins normaux plus ou moins achalandés pour satisfaire nos besoins ou nos envies. Notre corps est normal, il faut le nourrir, le couvrir, en prendre soin et c’est dans cet esprit là que nous faisons nos courses…Vraiment? Est-ce dans un esprit de subsistance que nous achetons de quoi nous nourrir? Nous vêtir? Nous meubler? Etc.

Si tel était le cas, la notion même de publicité serait absurde et privée de tout fondement. La satisfaction naturelle de nos besoins primaires est suffisamment impérative pour que l’idée même d’une stimulation soit absurde dans cette perspective dont on mesure bien qu’elle n’est aucunement la notre et c’est très exactement ce que signifie d’abord le terme de société de consommation, à savoir que notre façon de consommer définit et détermine notre statut social. 

Les personnes en situation de très grande précarité ne vont pas dans les grands magasins mais dans les associations comme les restos du coeur au sein desquelles la nourriture est gratuite. Acheter est donc une action qui n’entretient pas le moindre rapport avec un besoin organique. Ce n’est pas en tant que corps affamés ou corps assoiffés ou corps dénudés que nous faisons nos courses mais en tant que corps signifiants, mais signifiants par quoi? Par nos achats de produits, lesquels dés lors sont à interpréter comme des produits-signes. Finalement l’interprétation psychiatrique du corps de la patiente à laquelle son hystérie nous convoque peut être considérée de la même façon que le supermarché dans lequel les corps signifiants que nous sommes vont acheter leurs produits-signes. Dés lors que dans les deux cas, le rapport à la fonction (les yeux de l’hystérique ne sont plus là pour voir et de même le corps du client n’est plus là pour se nourrir), on passe à du corps naturel, fonctionnel, organique ayant des besoins à un corps culturel, construit, signifiant ayant du désir. Corps et supermarché deviennent des champs sémiotiques à décrypter.


Très bien! Tout ceci est bien compris mais nous ne saisissons toujours pas ce qui justifie à l’égard du consommateur le terme d’hystérie, c’est-à-dire de maladie. Que la société de consommation impose un rapport maladif aux produits achetés n’est pas encore clair pour nous. Cela le devient dés que l’on comprend où veut en venir Jean Baudrillard et c’est ce qu’éclaire la fin du texte: « on pourrait dire que cette fuite d'un signifiant à l'autre n'est que la réalité superficielle d'un désir qui, lui, est insatiable parce qu'il se fonde sur le manque » 

Le caractère pathologique de la consommation réside dans la fuite en avant d’une impossible satisfaction. De la même façon que les symptômes hystériques ne sont pas fixes mais peuvent se balader et se cristalliser sur plusieurs dysfonctionnements sans finalement pouvoir réellement se guérir (mais ils peuvent se traiter), les achats du consommateur se concentrent sur des produits signes qui ne font finalement jamais l'objet d’une focalisation effective, assumée. Les produits que nous achetons ne sont jamais achetés pour ce qu’ils sont vraiment. Ils ne sont pas visés en eux-mêmes mais dans la perspective d’une mise en situation sociale de soi qui finalement n’a aucun réalité et ne donne aucune satisfaction authentique.

Il n’existe pas davantage de spécificité objective du mal dans l’hystérie que de d’image sociale de soi accomplie dans la consommation.  Plus nous achetons des produits pour conforter l’image correspondant au statut social que nous entendons revendiquer, plus en réalité, nous multiplions les obstacles à cette réalisation, ne serait-ce que parce que cette réussite est exclusivement celle d’une image. 

Il est très difficile voire impossible de guérir une personne qui se ment à elle-même en se faisant réellement croire qu’elle est aveugle alors qu’elle ne l’est pas, de la même façon qu’il est pathogène de se convaincre que l’on a besoin d’un écran plat pour incarner aux yeux des autres mais aussi aux nôtres l’image même de la réussite, image qui exigera par la suite d’autres produits en guise d’attestation  de cette supposée réussite au grand bénéfice des publicitaires, des agences de marketing et de toutes les industries dont le chiffre d’affaire est basée sur ces produits-signes, synonymes d’accomplissement social.

Il existe donc quatre points communs sur la base desquels le rapprochement de l’hystérie et de la consommation est parfaitement viable.

  1. L’abandon d’un corps organique au profit d’un corps signifiant
  2. Le déni 
  3. Le rôle de l’inconscient
  4. L’aliénation et la perte de contrôle


2) Rédiger une introduction

Une introduction pour une explication de texte type baccalauréat se compose de quatre étapes:

  1. Thème
  2. Thèse
  3. Problématique
  4. Enjeu


On ne peut pas commencer son introduction par « ce texte porte sur » ou « il est question dans ce texte.. » L’introduction consiste finalement à prouver qu’on a compris pourquoi l’auteur l’a écrit. Cela veut dire qu’il faut aller chercher « en amont » d’où vient que l’idée d’écrire ce texte puisse ainsi germer dans l’esprit d’une personne. Par conséquent, il n’y pas de texte, à ce moment là. Il faut amener HABILEMENT la référence à ce dont il est question. Du coup, on peut procéder par rapport aux deux premières étapes le thèse et la thèse « à l’envers », c’est-à-dir qu’au brouillon, on peut réfléchir d’abord à la formulation de la thèse et ensuite au thème.

Quelle est la thèse d’un texte? Son idée essentielle rédigée clairement, précisément de telle sorte que l’on puisse vraiment considérer que ce que l’auteur veut vraiment nous dire finalement c’est ça. On peut commencer par « ici », tout simplement parce qu’en fait dans l’introduction finale, la thèse apparaîtra après le thème et que le thème est plus « global », plus large. L’idée essentielle c’est exactement comme le rétrécissement de la focale d’un objectif pour un appareil photo. Le thème, c’est le plan large, la thèse c’est le plan resserré.

Nous avons suffisamment travaillé sur le texte pour pouvoir formuler l’idée essentielle:

« Ici, Jean Baudrillard explore très précisément le rapprochement entre l’hystérie et la consommation en expliquant le caractère versatile, fluctuant et fantasmatique de nos habitudes de consommation par cette même dimension symbolique qui conduit la personne hystérique à utiliser ses organes comme des signes arbitraires d’un trouble purement psychique. Il existe donc, selon lui, dans toute société de consommation une logique aussi absurde et suicidaire qui oeuvre au sein de nos réflexes d’acheteur que celle qui opère dans le trouble hystérique par lequel inconsciemment on travaille (où l’on est travaillé par l’action de) à faire dysfonctionner son propre corps. »




Faisons maintenant l’inverse du mouvement du photographe et élargissons la focale, pour pouvoir vraiment commencer notre introduction. Le thème de ce texte, c’est la consommation. 

Nous vivons toutes et tous dans ce qui est appelée « une société de consommation ».  Mais que signifie vraiment ce terme? Que l’économie des pays, aussi bien dans leurs frontières que dans leurs échanges avec les autres états est conditionnée à la consommation. C’est finalement ce même modèle économique qui s’est aujourd’hui élargi, après l’effondrement de l’union soviétique à la quasi totalité de la population mondiale. Il semble aller de soi que l’économie se définit par une gestion des biens et des ressources susceptibles de donner à la population des Etats les moyens de satisfaire ses besoins vitaux. Mais sommes-nous sûrs que notre rapport à la consommation soit effectivement celui qui relie la stimulation d’un besoin vital à sa réponse? 


Nous avons répondu (à l’envers mais il n’y a plus qu’à les remettre en ordre: Thème / Thèse) aux 1 et 2. Il s’agit maintenant de trouver la problématique de ce texte (3). Il faut encore gagner en précision, manifester une compréhension fine du passage à expliquer. Toute écriture philosophique est travaillée en profondeur par un problème.  

Un produit est bel un bien un objet doté d’une épaisseur physique, plastique. Les objets de consommation sont bien « là », déposés dans les rayons des grands magasins. Mais comment expliquer alors ce que l’on appelle les fluctuations du marché de l’offre et de la demande? Comment rendre compte de l’être en mutation incessante de l’économie si les choses étaient aussi simples que ça: nous achetons des objets physiquement là pour répondre à des besoins physiquement là ?  Tout le texte est travaillé par le souci de l’auteur d’aller jusqu’au bout de la déréalisation du produit de sa dimension fantasmatique, et ce, jusqu’à poser le diagnostic de l’hystérie sur toute société de consommation.


L’enjeu (4e étape) consiste à formuler ce qui se joue philosophiquement dans ce texte, ou en d’autres termes, l’impact, « l’onde de choc » quasi-révolutionnaire de ce texte. Il y a forcément une dimension révélatrice à la lumière de laquelle le texte crée un avant et un après. Peut-être êtes vous sceptique par rapport à cette dimension mais, si on prend suffisamment de distance à l’égard de tous les textes proposés on réalise que c’est bien le propre de la philosophie que de casser des opinions communes, partagées par l’écrasante majorité des hommes. La philosophie est une façon de penser qui met en question toutes les évidences du sens commun. Elle est donc constamment travaillée par cet enjeu qui consiste à réveiller le lecteur de son endormissement. Qu’est-ce qui se joue de la compréhension de ce texte? (Qu’est-ce qui fait qu’après l’avoir compris, on n’entrera plus jamais avec le même état d’esprit dans un supermarché?)

L’enjeu de la pensée de Jean Baudrillard dans ce passage consiste à nous faire réaliser la dynamique de motivation à l’oeuvre dans tous nos achats et ainsi de mesurer l’impasse à laquelle elle nous conduit puisque loin de nous satisfaire, c’est dans la reconduction incessante de produit à produit qu’elle nous enferme, rendant par là  même rigoureusement impossible le bonheur humain.



Nous venons de rédiger l’introduction. Dans un souci de clarté, nous pouvons donc reprendre et qualifier les quatre phases qui la constituent par rapport au texte de Baudrillard, mais ce qu’il faut faire, évidemment c’est rédiger intégralement l’introduction (de 15 à 40 l) 

  1. Thème: la société de consommation et l’économie mondialisée
  2. Thèse: le rapprochement entre la consommation et l’hystérie
  3. Problématique: Pourquoi la dynamique consommatrice est-elle fantasmatique?
  4. Enjeu: l’incompatibilité entre la société de consommation et le Bonheur

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