lundi 23 janvier 2023

Terminales 3/5/7 3e sujet du bac - Explication du texte de Jean Baudrillard (3): Désir, amour bonheur et consommation



 a 4) Récapitulation et application au texte de Jean Baudrillard - « la clé du bonheur »

Il s’agit maintenant de reprendre clairement la substance de tout ce qui vient d’être révélé et de l’appliquer au texte. Finalement tout ce qui vient d’être développé s’efforce de rendre compte du terme de « logique du désir » utilisé par l’auteur (ligne 6). A partir du moment où il est clair que ce n’est pas le besoin qui anime le mouvement de la consommation, il va de soi que c’est le désir avec tout ce que cette notion revêt de complexité et de paradoxe.

Nous n’achetons pas des produits parce que nous en avons besoin mais parce que nous éprouvons à leur égard du « désir ». Mais qu’est-ce que cela signifie? Qu’ils ne sont pour nous que l’occasion de les fantasmer, de rêver, de se faire des films, en l’occurrence des films où nous pouvons jouir d’une certaine représentation plutôt gratifiante de soi socialement. Aucun désir ne se satisfait. On pourrait dire qu’il n’est pas « là » pour ça. 

Mais alors pour quoi l’est-il ? Pour désirer. Le désir désire désirer. Il n’aspire qu’à se perpétuer contrairement à la volonté et au besoin qui ont tous deux un objectif. Le désir est l’exercice en nous d’une puissance sans finalité, ni but, ni mission, ni objet. Nous entendons parfois dire que l’être humain tend vers l’infini. En réalité, l’infini n’est pas ce vers quoi nous nous orientons (comme un idéal qui serait à l’’extérieur de nous) mais ce par quoi nous sommes, EN nous-mêmes poussés, animés et cette effectuation en nous d’une puissance infinie est ce que l’on appelle le désir.  C’est là du moins le coeur de l’opposition radicale entre la philosophie de Descartes et celle de Spinoza.  Autant pour le premier l’Infini est l’idée de Dieu qu’elle s’impose, en tant qu’idée à la pensée humaine mais de l’extérieur à cette pensée, autant l’infini est, pour Spinoza, ce désir de persévérer dans son être qui se manifeste EN l’homme comme DANS tout ce qui constitue l’univers. On ne peut pas mieux illustrer l’opposition entre une philosophie de la transcendance pour laquelle Dieu est une puissance infinie qui vient de l’extérieur, et plus encore "du dessus"  et une philosophie de l’immanence pour laquelle Dieu vient d’en bas et n’est finalement que l’autre nom de la capacité qu’a le monde, c’est-à-dire  la nature, la vie, l’Être de se susciter par soi-même ( de l’intérieur de soi). Ce que nous réalisons maintenant, c’est que la notion de désir est probablement l’une de celle qui agit le plus radicalement comme critère de distinction entre deux camps philosophiques (et aussi religieux d’ailleurs mais ici évidemment ce qui nous intéresse c’est la philosophie):  celui de l’immanence avec les Stoïciens, les Epicuriens, Spinoza, Schopenhauer, Nietzsche et celui de la transcendance avec Platon, Descartes, Kant. 


            Que le désir soit infini peut, en effet, s’interpréter de deux façons opposées: il est a) ce qui nous empêche de finir quoi que ce soit, c’est-à-dire de « réaliser » quoi que ce soit, b) ou bien, au contraire, cela même par quoi nous participons de l’effectuation de cette réalité par elle-même, étant entendu qu cette réalité est la Substance. La notion de « Désir » nous fait en quelque sorte « descendre » vers les profondeurs des questions métaphysiques les plus ardues et les plus prégnantes: pourquoi y-a-t-il de l’être? Si l’on est du côté des philosophies transcendantes, on répond: «   parce qu’UN être l’a voulu (ce qui veut dire que l’UN est plus que l’être, la vie, le réel) ». Si l’on est du côté des philosophies immanentes, on répond: « parce qu’être est une force qui se désire elle-même (ce qui veut dire que l’être est plus que l’UN) ». On pourrait dire cela autrement: quiconque se pose VRAIMENT la question du désir en arrive nécessairement à celle de DIEU.



                    Il y a donc quelque chose que personne ne remet en cause (et que l’on peut considérer comme une vérité), c’est que le désir est infini. Et dés lors, deux visions de ce que c’est que: « la » vie s’opposent selon que l’on prête attention à tout ce que cette infinité revêt de gênant, de handicapant, de non-satisfaction fondamentale, d’obstacle à l’exercice de MON pouvoir, ou bien à l’inverse, de source vraie, brute, inextinguible (qui ne peut se tarir), pure, à la libération d’une puissance dans laquelle incidemment je consiste (ce que veut dire le « incidemment », ici, est fondamental, cela veut dire qu’exister c’est être l’une des infinies expressions de la puissance de Dieu, ou si l’on préfère de ce que c’est qu’être).


Le point le plus crucial se situe ici, dans ce qui va suivre et qui finalement n’est qu’une autre façon d’exprimer ce qui était dit avant: le sens de ce qu’exister veut dire réside-t-il dans le fait de mener SA vie, ou d’expérimenter dans le cours de SA vie, ce qu’est l’EXISTENCE en soi ? N’existons nous que pour conjuguer à la première personne de l’indicatif le verbe exister  (et dire, comme Descartes « j’existe! ») ou bien au contraire parce qu’exister, de fait existe? Si nous vivons pour mener NOTRE vie, atteindre NOS objectifs, bref réussir SA vie, alors évidemment le désir est tout sauf un gage de réussite puisque de fait il est en nous cette puissance qui ne s’alimente elle-même que d’être elle-même et de persévère dans cette existence d’elle-même, sans aucun souci de satisfaction personnelle du sujet qui vit. Si nous n’entendons par le terme BONHEUR que notre bien-être personnel, alors le désir est la source de notre inaptitude profonde, radicale au bonheur. Mais si, au contraire, en nous rapprochant de l’étymologie du terme de bonheur comme « bonne occurrence » « incidence adéquate », « ce qui tombe bien », Kaïros, nous interprétons le terme de Bonheur comme « le bon angle par lequel l’existence, en elle-même, se vit », alors le désir est la condition « sine qua non » (sans laquelle, non) du bonheur. Le désir est en nous l’exercice d’une puissance à laquelle il convient plus que toute autre, de faire droit, parce que c’est par elle et en elle, en désirant, que nous coïncidons le plus adéquatement avec la vérité inhérente à toute existence, à ce que c’est que c’est qu’être, à Dieu, à la nature, et aussi à nous-mêmes (car dés lors nous comprenons qui nous sommes en l’étant: c’est l’intuition la plus pure et la plus juste de ce que nous avons appelé dans le cours précédent « vérité de l’être »).


Ce qui se joue ici est crucial pas seulement pour la question de savoir lequel des deux camps a raison, mais aussi pour chacune et chacun parce que c’est de la question du bonheur dont il est question. Mais justement la réponse au premier enjeu (a) nous donnera la solution du second (b) (raison pour laquelle, ce qui suit encore est important):

  1. Il y a quand même un obstacle philosophique majeur à toute philosophie considérant qu’exister c’est être un « je » qui existe (rappelons nous que c’est forcément à de telles conceptions que la nature infinie du désir le discrédit, en tant que désir), c’est que l’on ne voit pas bien comment un sujet humain qui dit je, c’est-à-dire qui se pense doté de libre arbitre tout en étant mortel et limité dans son corps  pourrait être l’auteur de l’existence, (même de la sienne en fait). Aucune personne ne peut se concevoir ni se définir comme la cause efficiente de ceci qui fait que l’existence « est ». Qu’une autre « autorité » en soit cause implique quoi qu’on en dise une croyance, c’est-à-dire ni une intuition ni un savoir. Finalement, cela tient un peu à la même chose qu’à l’évidence géniale de Darwin qui réalise qu’en fait il n’y a pas vraiment à chercher ailleurs que dans l’évolution de la vie telle qu’elle est l’explication de la vie telle qu’elle se développe et inclue l’humain dans ce développement. Si l’on applique le critère de l’élégance et du dépouillement (rasoir d’Ockham) à cette opposition, il ne fait aucun doute qu’il est plus simple, plus convaincant et plus rationnel d’adhérer à cette thèse selon laquelle il n’est rien d’autre qui fasse exister l’existence que l’existence elle-même (Spinoza:1/ Descartes:0)
  2. Concernant l’enjeu plus personnel: il est une question simple à laquelle chacune et chacun devrait individuellement se soumettre un jour: est ce que l’acquisition d’un objet, d’un produit quelconque, fût-ce une voiture, une maison, ou un bien immobilier a jamais, en tant que telle, c’est-à-dire en tant que pure jouissance d’un bien matériel provoqué le bonheur du propriétaire? Le bonheur peut-il s’obtenir comme «  achat »? Est-ce une affaire de propriété? Est-ce une question d’ « avoir »? La réponse est « non ». Le bonheur concerne l’être pas l’avoir. Quiconque réfléchit vraiment à cette question ne peut pas arriver à une autre réponse et dés lors, nos agissements revêtent alors un «  trouble » parce que TOUT ce que nous faisons est contraire à cette réflexion. Nos actions ne sont pas conformes à l’évidence de droit de cette pensée là (nous vivons comme si la propreté était la clé du bonheur alors que nous savons bien que c’est faux). Le bonheur n’est pas une question d’objet, tout simplement parce qu’on ne peut pas  être heureux de faire semblant d’être heureux et que tout objet quel qu’il soit est finalement comme un prolongement de cette erreur qui consiste à croire que c’est en tant que sujet qu’on vit. Le désir est le point d’ancrage de l’infinité de la nature dans tous ses « modes », c’est-à-dire dans tous les êtres individuels qui existent, mais parmi ces êtres les humains sont ceux dans lesquelles s’est malheureusement entretenue le plus durablement et le plus fallacieusement l’idée fausse qu’il était possible à un individu d’exister « personnellement ». (Spinoza 2 / Descartes: 0)

Récapitulons: le bonheur est une question d’être, pas d’avoir, ce qui veut dire que le bonheur n’est pas affaire d’objets, parce que rien n’est plus authentique que cet élan par lequel un être est stimulé par le bonheur. Cette stimulation est authentique et ne peut pas se satisfaire d’artifices, de semblants. Or tout objet est en soi artificiel, faux, inexistant, et cela ne vise pas seulement ces « temples » (un peu comme ces lieux faussement sacrés dans lesquelles des gourous trompent leurs adeptes) que sont les lieux d’hyper-consommation, mais aussi plus fondamentalement notre rapport au monde, à une nature dans laquelle aucun objet n’existe.

Ce que la nature « est », c’est la composition effective d’une multitude de forces qui conspirent toutes ensemble à faire en sorte qu’une minute de monde « soit », et quiconque peut ramener sa perception de la quête fallacieuse de biens ou de profits à la simplicité brute de cette donnée pure et instante (celle d’une minute de monde qui « est ») est par là même « heureux » parce que sa perception « tombe bien » dans un monde qui « tombe bien ».

Pour illustrer parfaitement cette opposition selon laquelle le désir est un malheur pour tout sujet qui cherche un objet et l’autre au regard de laquelle il est la clé du bonheur parce qu’il n’existe réellement pas davantage de sujet que d’objet, nous pouvons la situer par rapport à l’exemple du dignitaire chinois, ce qui nous permettra également de situer le plaisir dans cette opposition. 

Le dignitaire est attiré par la courtisane, laquelle lui adresse une forme d’épreuve, de concours dont elle serait la récompense, donc « l’objet ». Se faisant, c’est elle-même qui se définit comme objet du désir d’un sujet (le dignitaire), objet dont l’acquisition est évidemment censé procurer un plaisir, sexuel, en l’occurrence. Mais voilà que ce moment de l’acquisition de l’objet et du plaisir qui lui est attaché est refusé, exclu du « jeu » par le dignitaire. Mais alors pourquoi est-il resté 99 nuits si c’est pour partir à la 100e supposée être celle de l’accomplissement et du plaisir?

Evidemment on peut répondre hâtivement parce que ce plaisir ne sera pas à la hauteur de ce qu’il s’est imaginé pendant ces nuits d’attente, mais ce n’est pas la bonne explication, tout simplement parce qu’il ne s‘est rien imaginé du tout, mais qu’il s’est au contraire tenu au plus prés possible de ce qu’un homme est susceptible de saisir de la réalité, à savoir qu’elle se fait exister par elle-même. La courtisane s’est totalement trompée: le dignitaire ne la désire pas « elle ». Elle n’est pas l’objet de son désir. En fait elle a simplement été l’une des composantes d’un instant de grâce au cours duquel le dignitaire a perçu la réalité telle qu’elle est à savoir comme ce que Gilles Deleuze appelle un flux d’héccéïtés, c’est-à-dire un agencement unique de poussières d’évènements, de tonalités infimes, bref de variables lumineuses, thermiques, gustatives, atmosphériques, gravitationnelles, tout ce qui a conspiré, convergé vers le fait que tel instant à ce moment a vu le jour, finalement il ne s’agit de rien de moins que de tout ce qui fait qu’une réalité prend corps maintenant (et jamais, JAMAIS de la même façon). 

Sous cet angle le défi lancé est une aubaine c’est vrai mais tout simplement parce que cela prolonge le charme de la perception réelle d’un instant vrai. Le dignitaire est bien sous le charme mais sous celui de la révélation de quelque chose d’assez miraculeux et d’insoupçonnable, soit la manifestation de ce travail sous-jacent par lequel la nature est naturante, ou en d’autres termes par lequel Dieu, c’est-à-dire « ce que c’est qu’être » se fait être. Il n’est vraiment rien de tout ce que la courtisane aurait pu lui donner comme plaisir qui puisse être à la hauteur de celui-cI. Mais pourquoi? Parce que finalement, il s’agit moins d’un plaisir que de ce que Spinoza appelle la joie, ou parfois la béatitude, c’est-à-dire du sentiment de gagner en puissance, de vivre « en direct » l’accouchement de la nature naturée (de la fille) par la nature naturante (la mère), c’est-à-dire d’être dans le kaïros de la venue à l’existence de ce que c’est qu’exister.


Ce n’est pas du tout que le dignitaire ait renoncé à tout plaisir, bien au contraire, mais deux conceptions de l’ « extase » s’opposent ici. Il a renoncé à l’extase du plaisir physique au bénéfice de l’extase d’une réalisation présente d’une toute autre ampleur, extase que l’on pourrait concevoir comme Kaïros, comme attention miraculeuse et soudaine que l’on porte à l’oeuvre d’effectuation de l’instant. Ici encore l’étymologie donner raison à cette interprétation en opposant l’extase (ex/sto: se tenir hors de…) d’une jouissance qui sort de soi en se tournant vers un objet « illusoire)  à l’instance d’une joie qui ne regarde que dans l’en soi de la vie (in/sto: se tenir dedans, à l’intérieur de…). C’est cette instance là que l’on peut appeler joie ou bonheur ou intuition  de l’être « sub specie aeternitatis » (sous l’espèce de l’éternité, éternité instantanée).

Nous pouvons maintenant nous faire une idée complète de l’opposition essentielle qui s‘articule autour de cette vérité suivant laquelle le désir est infini.  Elle ne peut être interprétée que comme une catastrophe si l’on croit à la propriété (qui évidemment est un concept social, économique humain), c’est-à-dire si l’on croit à l’objet, si l’on pense que le bonheur réside dans l’acquisition ou l’accumulation des biens, tout simplement parce que le désir c’est ce qui rend impossible cette acquisition, ou ce qui la maintient en haleine, en suspension, en utilisant les objets comme des relais qui relancent incessamment le mirage de la jouissance par de petites jouissances, mais de fait jamais aucun objet n’a épuisé un désir ce qui signifie qu’il n’est au pouvoir d ‘aucun objet de satisfaire un désir.

Par contre, l’infini du désir est vraiment une grâce, une bénédiction (le mot n’est pas trop fort) aux yeux de celles et ceux qui situent leur existence à la hauteur littérale de ce qu’exister est (et non à celle, personnelle, de leur vie désignée, de leur vécu en tant que tel ou tel), tout simplement parce que dans le cycle infini du désir qui ne désire que lui-même ils perçoivent l’éternel retour de l’existence, sa capacité à s’auto-produire dans ce travail de fourmis qu’est la composition d‘héccéïtés instantes, de tous ces petits riens par quoi finalement ne cesse de s’auto créer à la chaîne « des grands tout ». Par ce terme de « grand Tout », c’est la réalité instante de ce moment présent qu’il s’agit d’entendre, c’est l’intuition la plus pure de l’immanence, des théories immanentes du réel. Si Dieu n’est pas ce superviseur qui du haut du ciel ferait advenir la réalité, alors il faut bien que la réalité se secrète, s’auto-génère et c’est ce qu’elle fait dans cet agencement inédit, incroyable, infini de « Et »:  tel sourire que je vois à telle heure, sur le visage de telle femme dans le voisinage de tel bâtiment au contact de tel ami, etc. Cela donne un sourire ET une heure ET une lumière ET une température ET tel nuage qui passe ET tel visage ET tel ami ET ainsi de suite. C'est cette incroyable mixité de ET, ce mélange, cette confusion qui fait que la vie EST. 




Parvenu à ce degré de lucidité, le désir devient amour. Il suffit que chacune et chacun s’interroge un petit peu et nous réaliserons que nous aimons toujours des personnes qui nous touchent ce que nous appelons des petits riens, telle façon singulière de faire ou de ne pas faire ceci, telle expression fugace mais récurrente du regard, telle « manière », telle façon, bref des variables. Nous n’aimons que des variables, des styles, mais il faut maintenant aller plus loin encore et oser envisager la possibilité qu’en fait ce que nous aimons n’est pas vraiment cette collection de petits riens à quoi telle personne se reconnaît mais bel et bien cette collection de petits riens au regard desquels finalement elle n’est personne, c’est-à-dire sur le fond desquels certes elle se détache mais moins qu’elle ne s’y noie. Nous n’aimons pas davantage quelqu’un que nous ne désirons quelque chose ou quelqu’un. Nous désirons désirer et nous aimons l’amour, ce qui signifie clairement que cette attention aux petits riens ou, en termes plus philosophiques, à ces flux d’héccéïtés qui relient entre elles ces infinies variables au travers desquelles se tisse la matière même des instants est l’effectuation la plus pure et la plus vraie de l’amour, zone fragile, ténue d’où tout amour naît et à laquelle il retourne, terre toute à la fois promise et natale. Nous ne sommes jamais aimés pour nous-même, mais seulement en tant que nous sommes pris dans tel ou tel flux d’héccéïtés dans la libération duquel c’est la nature elle-même, ou Dieu qui se fait naître. La conscience de cette auto-naissance est l’amour (qui donc est finalement toujours l’amour de l’être) et la jouissance de cette conscience désigne la joie, au sens spinoziste, ou le bonheur. L’attention que nous portons à ces petits riens est fondamentalement et génialement amoureuse parce que c’est dans ces petits riens que se forge le grand Tout. Plutôt que de tendre désespérément nos regards vers un lointain, vers un idéal, ou vers une transcendance quelconque, aiguisons les toujours pour scruter le très proche.


Quelque chose de la nature même du désir, de sa vérité s’exprime dans la philosophie de Spinoza, et c’est grâce à elle que nous mesurons vraiment, dans son aveuglante absence de sens, la consommation, puisque elle se caractérise comme le délire hyperbolique auquel peut conduire la croyance erronée dans « l’objet ». Il n’y est finalement question que d’exploiter autant qu’on le peut le caractère infini du désir tout en tirant le plus grand bénéfice comptable de l’illusion du produit, c’est-à-dire de cette illusion selon laquelle l’acquisition d’un produit, c’est-à-dire d’un objet, autrement dit d’un « fantasme » pourrait procurer une satisfaction aux clients. 

Le fond structurel de cette escroquerie qu’est la consommation  est le manque, ou plutôt la croyance que nous sommes en état de manque de « produits » et tout le propos de Jean Baudrillard est finalement de mettre sur le même plan cette vérité selon laquelle le désir n’est manque de rien avec la vérité de l’hystérique qui est qu’elle ne souffre de rien. Ne subissant en réalité aucune pathologie réelle elle peut fantasmer sur le fait qu’elle les a toutes et ainsi se rendre aveugle, paralysée, boulimique, etc. De la même façon, nous investissons les zones commerciales en nous inventant tous les fantasmes de représentation imaginables. Mais cela se fera au détriment de la vérité pure du désir, de l’amour et du bonheur. 

L’enjeu de cette question est tellement crucial qu’il n’est pas inutile ici d’enfoncer le clou. Le pouvoir terrible et dommageable de la société de consommation repose finalement sur une seule erreur: celle qui consiste à croire que les « produits » sont concrets, réels. Évidemment ils sont bien là: rangés le long de ces travées entre lesquelles nous circulons pour remplir nos chariots. Au regard de cette matérialité exhibée, de cette accumulation de produits qui semble trait pour trait conforme à nos désirs de consommation, on ne voit pas trop comment l’incitation à la sobriété, à une forme de retenue, de pudeur, de réserve pourrait triompher. Les produits sont « là », à portée de mains et nos désirs sont là aussi qui nous poussent vers eux, vers l’achat, vers l’échange d’abord (passer à la caisse)  la propriété ensuite (c’est à moi, je l’emmène chez moi) et la jouissance  enfin (le « nirvana »). Comment et où trouver les arguments imparables susceptibles de prouver que celui qui rêve, ou qui fantasme, qui délire est celui qui achète et pas du tout celui qui se retient d’acheter, ou qui se méfie de cette notion de l’achat? 

Dans l’artificialité de l’idée de propriété. Le fantasme n’est pas dans le désir d’absolu, mais dans l’idée que l’on puisse avoir, posséder quelque chose ou quelqu’un. Ce n’est pas que ce soit mal, c’est plutôt que ça n’existe pas, en tout cas pas comme ça, comme une chose ou comme un objet. Tout ce qui existe est, si l’on peut dire, « donné en vrac », ou plus rigoureusement libéré dans la continuité de flux, de courants, de variables. L’idée que l’on puisse connaître, puis séparer puis recombiner pour transformer ces variables de forces en produits dont on peut jouir en se les appropriant est une idée humaine reposant sur le présupposé arbitraire  et anthropocentrique selon lequel nous serions légitimés à le faire parce que nous serions différents de la nature, laquelle dés lors se verrait réduite à la fonction de distributrice de « ressources ». 


Il semble difficile ici de ne pas faire le rapprochement avec ce passage du discours de la méthode de Descartes dans lequel s’exprime précisément quelque chose d’un rapport à la nature dont notre société de consommation actuelle apparaît à plus d’un titre comme l’aboutissement logique:

« Mais, sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusques à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu'il est en nous le bien général de tous les hommes : car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie ; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »

Pourtant il n‘est question dans ce passage que d’aider les hommes, que de leur fournir, grâce aux avancées de la science, ce bien-être dont nous aurions à nous faire une loi de le leur donner autant que nous le puissions. Mais en même temps ce rôle de ressource allouée, imposée à la nature est néanmoins prégnant et « menaçant ». Il est vrai que l’homme peut connaître (en les distinguant) les actions de toutes les forces et de tous les corps qui l’environne, mais ces connaissances sont immédiatement orientées vers une finalité qui, bien que formulée dans les termes d’une comparaison (comme maîtres et possesseurs) évoque un fantasme, celui d’une acquisition, d’une propriété, d’une mise à la disposition de la nature en tant que jouissance de ce qui est perçu comme un bien. On mesure assez calmement tout ce que le terme de nature peut revêtir de différent selon qu’on le trouve écrit sous la plume de Descartes ou sous celle de Spinoza.

Dans l’horizon fantasmatique de cette comparaison se profile ni plus ni moins qu’un hypermarché ouvert à la consommation de masse. Le terme le plus important de ce texte est probablement celui de « distinctement »: aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans. Une fois admis, en effet, que c’est le menuisier qui a la connaissance de l’arbre, ou l’ingénieur en hydro-électricité qui a la connaissance de l’eau, où le foreur de puits qui a la connaissance du pétrole il semble assez clair que ni l’eau, ni l’arbre, ni le vent, ni le charbon, ni le gaz, ni le pétrole, ne soient abordables autrement que dans les termes d’une exploitation et qu’ils soient dés lors réduits à une existence de ressources ou de produits offerts à la consommation des humains. 

Mais que ces forces et ces éléments soient distincts des flux naturels dans la pure émergence desquels ils sont « donnés », efficients au sein même de la nature, cela n’est pas du tout fondé. Le « comme »  de Descartes entoure d’un halo fantasmatique ce monde dont, sans le savoir, il se fait le promoteur tout autant que le visionnaire, le prophète. Et c’est bien là l’une des causes essentielles de cette dommageable croyance à l’objet, au produit, aux ressources, au progrès dont nous vivons aujourd’hui avec les hypermarchés et le transhumanisme les conséquences les plus catastrophiques.



Il est une autre notion dont l’auteur de ce texte considère que la connaissance est acquise par le le lecteur, c’est la notion de signe et de langue. Elle fera donc , au même titre que le désir, l’objet d’un développement conséquent (d’un cours). 


b) Le langage


b1) Langage, langue, parole (Ferdinand de Saussure)


"En séparant la langue de la parole, on sépare du même coup : 1° ce qui est social de ce qui est individuel ; 2° ce qui est essentiel de ce qui est accessoire et plus ou moins accidentel.

 La langue n'est pas une fonction du sujet parlant, elle est le produit que l'individu enregistre passivement ; elle ne suppose jamais de préméditation, et la réflexion n'y intervient que par l'activité de classement dont il sera question plus loin.

 La parole est au contraire un acte individuel de volonté et d'intelligence, dans lequel il convient de distinguer : 1° les combinaisons par lesquelles le sujet parlant utilise le code de la langue en vue d'exprimer sa pensée personnelle ; 2° le mécanisme psycho-physique qui lui permet d'extérioriser ces combinaisons.

 Récapitulons les caractères de la langue :

 1° Elle est un objet bien défini dans l'ensemble hétéroclite des faits de langage. On peut la localiser dans la portion déterminée du circuit où une image auditive vient s'associer à un concept. Elle est la partie sociale du langage, extérieure à l'individu, qui à lui seul ne peut ni la créer ni la modifier ; elle n'existe qu'en vertu d'une sorte de contrat passé entre les membres de la communauté. D'autre part, l'individu a besoin d'un apprentissage pour en connaître le jeu ; l'enfant ne se l'assimile que peu à peu. Elle est si bien une chose distincte qu'un homme privé de l'usage de la parole conserve la langue, pourvu qu'il comprenne les signes vocaux qu'il entend.

 2° La langue, distincte de la parole, est un objet qu'on peut étudier séparément. Nous ne parlons plus les langues mortes, mais nous pouvons fort bien nous assimiler leur organisme linguistique. Non seulement la science de la langue peut se passer des autres éléments du langage, mais elle n'est possible que si ces autres éléments n'y sont pas mêlés.   

 3° Tandis que le langage est hétérogène, la langue ainsi délimitée est de nature homogène : c'est un système de signes où il n'y a d'essentiel que l'union du sens et de l'image acoustique, et où les deux parties du signe sont également psychiques.

 4° La langue n'est pas moins que la parole un objet de nature concrète, et c'est un grand avantage pour l'étude. Les signes linguistiques, pour être essentiellement psychiques, ne sont pas des abstractions ; les associations ratifiées par le consentement collectif, et dont l'ensemble constitue la langue, sont des réalités qui ont leur siège dans le cerveau. En outre, les signes de la langue sont pour ainsi dire tangibles; l'écriture peut les fixer dans des images conventionnelles, tandis qu'il serait impossible de photographier dans tous leurs détails les actes de la parole ; la phonation d'un mot, si petit soit-il, représente une infinité de mouvements musculaires, extrêmement difficiles à connaître et à figurer. Dans la langue, au contraire, il n'y a plus que l'image acoustique, et celle-ci peut se traduire en une image visuelle constante. Car si l'on fait abstraction de cette multitude de mouvements nécessaires pour la réaliser dans la parole, chaque image acoustique n'est, comme nous le verrons, que la somme d'un nombre limité d'éléments ou phonèmes, susceptibles à leur tour d'être évoqués par un nombre correspondant de signes dans l'écriture. C'est cette possibilité de fixer les choses relatives à la langue qui fait qu'un dictionnaire et une grammaire peuvent en être une représentation fidèle, la langue étant le dépôt des images acoustiques, et l'écriture la forme tangible de ces images."

 

Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale (1906-1911), Payot, 1969, p. 30-32.




Dans l’analyse de ce texte, il faut garder en tête que Ferdinand De Saussure est le fondateur de la linguistique. Son but est de fonder une science dont l’objet est la langue. On peut d’emblée affirmer que ce projet fut vraiment décisif dans l’histoire même de la pensée tout simplement parce qu’à partir des travaux de Saussure, plusieurs savants et philosophes se sont aperçus que la structure même de la langue se retrouve dans d’autres domaines comme l’ethnologie, la psychologie, la psychanalyse, l’Histoire mais finalement il serait vraiment possible de dire qu’absolument toutes manifestations de pensée humaine quelle qu’elle soit sont structurées par la langue, ce que Claude Lévi-Strauss a clairement formulé de la façon suivante: « On peut aussi traiter le langage comme condition de la culture, et à un double titre : diachronique (du point de vue de l’évolution dans le temps)  puisque c'est surtout au moyen du langage que l'individu acquiert la culture de son groupe ; on instruit, on éduque l'enfant par la parole ; on le gronde, on le flatte avec des mots. En se plaçant à un point de vue plus théorique, le langage apparaît aussi comme condition de la culture, dans la mesure où cette dernière possède une architecture similaire à celle du langage. Une et l'autre s'édifient au moyen d'oppositions et de corrélations, autrement dit, de relations logiques. Si bien qu'on peut considérer le langage comme une fondation, destinée à recevoir les structures plus complexes parfois, mais du même type que les siennes, qui correspondent à la culture envisagée sous différents aspects. »

Le langage est le fait culturel par excellence: il est ce par quoi une présence humaine se particularise et se signe. On mesure ainsi l’importance du travail de Saussure. Avant d’expliquer le texte qui ne réside que dans un travail très éclairant de distinction, on peut rappeler que Saussure caractérise le langage comme une faculté, la langue comme un outil et la parole comme un acte

La langue s’applique à une communauté, elle est donc sociale alors que la parole est un acte réalisé par une personne qui peut ou pas parler. La parole est donc contingente, accessoire alors que la langue est absolument nécessaire: il n’est pas possible de se soustraire à la langue de son pays natal. On peut décider de parler une autre langue mais la langue maternelle s’impose au sujet qui dont est passif et ne décide rien à son égard.

Dans la parole, il faut distinguer les structures d’association de signes qui permettent de communiquer (et qui sont donc toujours « déjà là ») et ce que l’on appelle la phonation, c’est-à-dire la capacité physique à produire du son articulé avec sa voix.

La récapitulation que fait Saussure par la suite franchit un seuil dans l’utilisation d‘un vocabulaire propre à la linguistique. Il y a une multiplicité de langages (langage des couleurs, du corps, des expressions du visage, etc. On parle de langage dés qu’il y a du symbole, c’est-à-dire dés que l’on fait signifier à une chose autre chose que ce qu’elle est. La fumée est signe du feu, le lion symbole de courage, etc.  La langue est donc dans ce grand ensemble du langage une partie précise qui se définit par l’association d’un concept, c’est-à-dire d’un genre, d’une catégorie (comme chien ou fleur): c’est ce que Saussure appelle "le signifié » avec une image auditive, c’est-à-dire une trace ou un son qu’il appelle le signifiant, par exemple ch/at ou F/l/eu/r.  La loi qui régit ces associations entre le signifié et le signifiant est absolument arbitraire et autoritaire. On peut toujours se dire que le signifiant chaise aurait pu signifier l’idée de chat, c’est vrai sauf que NON, c’est pas comme ça. Ce rapport n’est imposé par rien d’autre que la convention d’une communauté linguistique. Ce n’est pas la nature qui relie l’idée de chat à la syllabe « cha », mais c’est comme ça.



                 Dans « Roméo et Juliette », Shakespeare place dans la bouche de Juliette une interrogation qui exprime exactement cet étonnement tout à la fois enfantin et pertinent quand à l’association des noms et de choses: « Qu’y-a-t-il dans un nom, demande-t-elle, ce qu’on appelle rose sentirait tout aussi bon sous un autre nom. » 

Juliette réalise qu’il y a quelque chose des noms qui n’a aucun rapport avec la réalité et cela provoque en elle de l’étonnement comme chez tous les enfants parce que paradoxalement sans le nom, nous n’avons pas vraiment accès à la chose en un sens. Le nom donne la possibilité d’évoquer la chose même quand elle n’est pas là. Elle vaut pour….Elle en est le substitut et cette fonction est incroyablement précieuse, porteuse (imaginez avec quel gros sac il faudrait que nous nous déplacions s’il nous fallait « porter » tout ce dont on parle). La puissance communautaire du mot est hallucinante: nous disposons du pouvoir d’évoquer tout ce que nous voulons en n’importe quel point du globe: je peux parler de la neige en plein Sahara et des cactus en Alaska) mais elle n’est que communautaire. L’action des choses, des éléments naturels, le fait de sentir bon pour une rose s’effectue indépendamment du nom. 


Cette contradiction est d’une très grande importance. Nous nous ouvrons vers chaque chose une voie d’accès et, à bien des titres, cette voie est fondamentale, décisive. C’est même la clé de notre présence au monde de pouvoir ainsi y distinguer des éléments au fil d’un crible, d’un modèle de découpe qui est celui de nos langues, mais en même temps, ce rapport n’a aucun lien naturel avec ce qu’il nomme. C’est comme si l’homme construisait de toutes pièces un système de relations et de découpe sur le fond d’une réalité confuse et radicalement Autre. Nous faisons notre « milieu » culturel sur le dos d’une réalité naturelle brute qui n’est pas vraiment concernée ni touchée ni exprimée par ce milieu. L’action de sentir bon s’effectuerait tout aussi bien sous un autre nom mais aucun anglais ne pourrait en restituer l’odeur avec d’autres termes. Ce que l’énoncé « the rose smells good » fait avant même de faire signe de la bonne odeur d’une fleur c’est la cohésion de la communauté britannique, et ce point est vraiment central. En échangeant des mots, les humains se structurent en groupes, en nations avant de se dire quoi que ce soit du monde tel qu’il est.

« la langue est la partie sociale du langage »: cela signifie que parmi toutes les possibilités que les humains ont de faire signe de quelque chose, la langue représente vraiment celle qui n’est en aucune façon naturelle, innée, instinctive. On peut empêcher une personne d’utiliser la parole mais il est impossible de lui interdire de penser dans sa langue. C’est là aussi un point central. Nous ne décidons rien de la langue que nous parlons puisque elle nous est imposée par notre naissance, par la communauté dans laquelle nous venons au monde mais en même temps, cet apprentissage nous permet de jouir d’une faculté qui semble faire partie intégrante de notre pensée. La réforme de la langue telle qu’elle est décrite dans 1984 de Georges Orwell illustre précisément la tentative de manipuler les individus à la racine même du pensable (on ne peut pas se révolter si l’on n’a pas les mots pour penser qu’on le peut).

De ce fait la langue est un tout, un ensemble  parfaitement distinct de la parole, et l’on peut étudier la structure d’une langue qui n’est plus parlée depuis plusieurs siècles. Saussure insiste énormément sur ce point tout simplement parce qu’il est le fondateur de la linguistique. Même quand celle-ci étudie une langue parlée, ce n’est pas en tant qu’elle est parlée qu’il l’étudie, autrement dit, langue et parole sont à ce point étrangers l’un à l’autre que l’on peut mener l’étude de la première indépendamment de la seconde. Il n’est pas du tout évident que l’on puisse construire une science de la parole, précisément parce qu’elle est un acte, susceptible de s’échapper de tout ce qui voudrait la systématiser.

  3e point: la langue désigne un ensemble, un paradigme. Il y a unité de ce qui la constitue en tant que langue alors que la terminologie de « langage » peut être assignée à à peu prés n’importe quoi. Il n’est pas vraiment nécessaire qu’un langage fasse système, et d’ailleurs s’il le fait, ça devient une langue. Quand on parle de langage des couleurs, on signifie seulement que quelque chose d’un vouloir dire s’insinue peu à peu dans une gamme chromatique. Une langue est tout à fait autre chose, elle est un système unissant entre eux des éléments selon des rapports déterminés. Rien n’est laissé au hasard dans une langue. Il n’y a pas de fluctuations ni de vide ni de flou. 

4) Dans le dernier point, s’exprime très nettement le souci de Saussure de focaliser l’attention de son lecteur sur la langue au détriment de la parole. Mais il lui faut alors argumenter contre une évidence qui est la nature concrète de la parole par opposition à la langue qui est intellectuelle, abstraite, du côté de la pensée plus que de celui du son, de l’action physique. C’est la auront pour laquelle il va s’aider du concept d’écriture. Mais dans un premier temps, il décrit à très juste raison la neurobiologie. La langue dans laquelle nous avons été baignée depuis notre enfance crée évidemment dans notre cerveau, lequel est déjà en tant que tel un organe de connections des combinaisons entre des sons ou des traces et des idées. Ces combinaisons conditionnent notre façon de percevoir et de penser. Quiconque veut « voir » la représentation la plus concrète d’une langue peut observer les zones sollicitées dans notre cerveau par rapport à un stimuli. C’est de la langue en temps réel et en acte.


D’autre part la phonation qui est à l’oeuvre dans la parole est beaucoup plus difficile à fixer, à relever, notamment dans la complexité de toutes les composantes physiques qui sont mobilisés (larynx, cordes vocales, palais, etc.) que le caractère écrit utilisé par et dans la langue. L’écriture rend compte des nuances phoniques d’une parole mieux que cette parole elle-même. Ainsi la distinction des phonèmes (plus petites unités de son) est par écrit la plus à même de faire comprendre comment un mot se prononce: ch/e/v/a/l (5 phonèmes) p/o/mme (3)/. Il est donc clair une fois encore que la langue est beaucoup plus et mieux que la parole susceptible de faire l’objet d’une science.


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