lundi 9 janvier 2023

Terminale HLP: Méthodologie de l'épreuve de spécialité du baccalauréat

 


Soit le texte suivant:

"En agissant et en parlant les hommes font voir qui ils sont, révèlent activement leurs identités personnelles uniques et font ainsi leur apparition dans le monde humain, alors que leurs identités physiques apparaissent, sans la moindre activité, dans l'unicité de la forme du corps et du son de la voix. Cette révélation du « qui » par opposition au « ce que » – les qualités, les dons, les talents, les défauts de quelqu'un, qu'il peut étaler ou dissimuler – est implicite en tout ce que l'on fait et tout ce que l'on dit. Le « qui » ne peut se dissimuler que dans le silence total et la parfaite passivité, mais il est presque impossible de le révéler volontairement comme si l'on possédait ce « qui » et que l'on puisse en disposer de la même manière que l'on a des qualités et que l'on en dispose. Au contraire, il est probable que le « qui », qui apparaît si nettement, si clairement aux autres, demeure caché à la personne elle-même […].

  Cette qualité de révélation de la parole et de l'action est en évidence lorsque que l'on est avec autrui, ni pour ni contre – c'est-à-dire dans l'unité humaine pure et simple. Bien que personne ne sache qui il révèle lorsqu'il se dévoile dans l'acte ou le verbe, il lui faut être prêt à risquer la révélation, et cela, ni l'auteur de bonnes œuvres qui doit être dépourvu de moi et garder un complet anonymat ni le criminel qui doit se cacher à autrui ne peuvent se le permettre. Ce sont des solitaires, l'un étant pour l’autre contre tous les hommes; ils restent, par conséquent, en dehors des rapports humains et, politiquement, ce sont des figures marginales qui, d'ordinaire, montent sur la scène de l'Histoire aux époques de corruption, de désintégration et de banqueroute politique. En raison de sa tendance inhérente à dévoiler l'agent en même temps que l'acte, l'action veut la lumière éclatante que l'on nommait jadis la gloire, et qui n'est possible que dans le domaine public."

 

Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, 1961, Coll. « Pocket », Calmann-Lévy, 1961, p. 236-237.


Essai philosophique:  Puis-je savoir qui je suis sans agir ?


interprétation philosophique:  Pourquoi, selon Hannah Arendt, l’existence du moi est-elle d’ordre politique? 

  1. La lecture du texte

LIRE un texte philosophique ou littéraire, ce n’est vraiment pas quelque chose d’évident, de facile. C’est peut-être le moment le plus important de l’épreuve. Il faut profiter de l’énergie du « départ » pour s’y investir avec toute la concentration dont on est capable, avant même d’avoir lu les questions. Q’une élève réponde aux questions sans avoir lu le texte est vraiment absurde et suicidaire du point de vue de la notation.

Toute lecture suppose l’aptitude à saisir les moments cruciaux d’un texte. Par exemple sur celui-ci, Il faut saisir d’emblée qu’ Hannah Arendt distingue le « qui » et le « ce que ». Qu’est-ce que ça veut dire? Qu’exister, venir au monde implique d’emblée deux façons très différentes d’être perçu(e): on peut l’être en tant que l’on est soi-même (réponse à la question qui?) Ou en tant que l’on est blond ou châtain, petit ou grand, bavard ou taciturne, etc. (Réponse à la question ce que? Sous entendu: ce que l’on est). 

Arendt poursuit en pointant le fait que l’on a plus de pouvoir sur nos propres caractéristiques que sur notre moi, parce qu’on ne sait pas bien qui l’on est, qu’il y a là quelque chose de trouble, peut-être de plus insaisissable pour celle ou celui qui « est » que pour celles et ceux qui la voient ou la fréquentent.

Or ce QUI, c’est-à-dire ce moi que nous sommes sans savoir exactement en quoi il consiste s’effectue dans la sphère publique, c’est ça l’idée essentielle du texte en fait. Hannah Arendt essaie de nous dire que l’on ne peut exister en tant que personne, qu’individu, que moi que lorsque l’on agit et par action il faut entendre action « politique », non pas au sens où l’on va devenir un dirigeant politique mais au sens étymologique de « polis », la cité. Être moi, c’est exclusivement ce que peut valider, faire devenir réel, l’acte de sortir de chez soi et de parler ou d’agir au milieu  des autres humains de la cité, "pour" eux, en même temps qu’eux dans le cadre d’une prise de décision ou d’une action collective. 

Elle désigne ensuite exactement, comme on le fait d’un contre exemple qui valide a contrario la thèse défendue, deux profils qui justement renoncent à manifester et finalement à avoir un moi: la belle âme et le criminel. Finalement un moi se tisse dans une interaction AVEC les humains dans un ensemble: cité, nation, peuple, mais pas CONTRE eux ni POUR eux, AVEC eux. C’est ça la thèse: le moi c’est l’interaction d’un individu avec un peuple dans l’action et la parole publiques.




2) Essai et question d’interprétation 


La différence entre ces deux questions dont l’une sera littéraire et l’autre philosophique, ou inversement, c’est que l’essai implique que la question prime sur le texte (sans l’annuler toutefois) alors que, pour l’interprétation, il faut répondre à la question à partir du texte (et faire attention à ne pas partir dans des analyses qui s’en écarteraient). La façon dont les questions seront formulées prennent en compte cette différence. L’essai est une question que l’on peut se poser à partir du texte et il faudra bien marquer ce rapport entre le texte et la question mais il sera possible de dépasser la seule référence au texte, alors que, pour l’interprétation, c’est dans le texte qu’il faut situer l’intégralité de votre réponse, quelques références extérieures sont autorisées mais toujours dans l’esprit de CE TEXTE là.

Soyons direct: l’essai est plus exigeant que l’interprétation. Cela ne veut pas forcément dire qu’il faut y consacrer plus de temps. Vous êtes libres d’organiser les quatre heures comme vous le souhaitez et 2h pour chaque question, c’est suffisant. Toutefois il n’est pas sacrilège de dépasser et de ne pas être équitables. L’essai va impliquer un travail de réflexion, l’interprétation un effort d’analyse, et ce n’est pas la même chose. Quoi qu’il arrive, passer plus de 2h30 sur une question au détriment de l’autre et très risquée. Il faut bien avoir en tête que vous allez rédiger deux copies sur des feuilles séparées et qui seront lues par deux personnes différentes. Chacune lira votre travail comme une unité alors même que vous aurez produit vos travaux à la suite. Par conséquent, plus les candidat.e.s seront capables de s’impliquer rigoureusement dans DEUX exercices distincts, mieux ce sera.


3) Utilisation du brouillon

Forcément en aussi peu de temps, elle est minimale. Ce qu’il faut écrire au brouillon, c’est l’introduction et une ébauche plus ou moins précise de plan (vraiment nécessaire pour l’essai). Comme vous avez à traiter une question d’interprétation, il faut rédiger les phases de développement du texte, c’est-à-dire les moments au fil desquels la thèse défendue par l’auteur.e s’affirme, se justifie.

Ici, ce n’est pas trop compliqué. On peut rédiger cela rapidement:

  1. Qu’est-ce qu’apparaître dans un monde humain? a) Incarner l’unicité d’un moi qui nous est propre (qui?)  b) avoir un corps, des caractéristiques un peu comme une chose qu’on peut décrire (ce que). Finalement cette distinction rejoint celle d’être et d’avoir.
  2. Le moi qui se révèle n’est pas vraiment connue de la personne qui l’est, alors que les qualités, les caractéristiques sont en notre pouvoir, on peut les prouver ou pas, on peut jouer et tromper avec. Le qui est plus mystérieux que le « ce que ».
  3. Affirmation de la thèse et contre exemple. Le moi c’est ce qui se constitue dans l’interaction avec les autres humains. La belle âme ne se fait pas connaître par désintéressement, le criminel par intérêt, pour ne pas être repéré. 
  4. L’action politique est la condition nécessaire de la révélation de soi. 



On mesure bien ainsi le fond de la thèse défendue par Hannah Arendt. Si on se contente de rester dans l’espace privé de son foyer (oïkos), on se condamne à ne mettre en œuvre de soi qu’un portrait trompeur et superficiel fondé sur des pseudo qualités, sur des caractéristiques. Mais savoir vraiment qui l’on est, cela suppose le risque de l’exposition et de l’engagement dans des actions publiques qui concernent un collectif, celui de son peuple, de sa nation, de son humanité. La conquête du moi est une affaire politique. 


L’introduction doit également être rédigée au brouillon parce qu’elle est un peu comme une "rampe de lancement" qui vous lancera dans l’espace de la copie d’examen. 


4) Rédiger l’introduction

Ne partez pas du texte, cela veut dire que vous ne pouvez pas commencer en écrivant: « ce texte porte sur…. » ou « iI est question ici…. ». Nous avons lu les questions et nous avons commencé à réfléchir sur le texte puisque nous avons décrit sa structure. Ici, il FAUT absolument que vous réalisiez la convergence, l’adéquation entre les deux questions qu’on vous pose et le texte. Si ce n’est pas le cas, c’est vraiment très mal parti (VRAIMENT!).  Tout ceci pointe une seule et même idée. Si vous réunissez le texte et chacune des deux questions, a priori vous disposez forcément de ce que l’on pourrait appeler le champ problématique dans lequel l’épreuve vous oriente. La réalisation de ce champ problématique est fondamentale et c’est cela qu’il va falloir exprimer en introduction. Finalement cela revient à montrer que vous avez parfaitement saisi les limites dans lesquelles vous allez rédiger vos copies, un peu comme réaliser, en éclaireur, la reconnaissance d'un champ de bataille.

L’introduction se compose de trois moments:

  1. Amener simplement par une amorce pertinente la référence à ce champ problématique
  2. Exprimer très clairement en quoi il est problématique ET en quoi il est exactement ce dont traite le texte.
  3. Reprendre la question posée en l’expliquant, c’est-à-dire en la reformulant plus précisément 

Donc en résumé: 1) Amorce 2) problématisation et rapport au texte 3) formulation et reformulation de la question.

Voilà ce que cela peut donner pour ce texte:

Introduction: Exister, c’est venir au monde. Mais cette expression ne veut pas seulement dire « naître ». Chaque instant est pour nous l’occasion de venir au monde, c’est-à-dire d’apparaître dans un milieu qui sera celui de notre visibilité. Exister c’est apparaître dans une forme tangible, perceptible. (Amorce) Mais en tant que quoi apparaissons nous dans le monde et d’ailleurs de quel monde s’agit-il? Ici Hannah Arendt soutient que notre moi véritable ne se révèle qu’au fil de nos échanges et de nos interactions avec nos semblables, avec nos concitoyens. Nous avons pourtant le sentiment personnel, propre à nous d’exister en tant que moi. Que je suis moi, c’est bel et bien ce dont j’ai le ressenti exclusif en ce sens que ce n’est pas la même chose pour moi d’être moi et pour les autres de me considérer comme un moi à part entière?(Problématisation). (A partir de maintenant, évidemment la 3e partie diffère. Ici il faut bien réaliser que c’est une méthodologie pour la philosophie que l’on peut appliquer si la question d’interprétation ou l’essai est philosophique, mais dans ce qui va suivre, il va  donc falloir évidement dissocier)     a) Interprétation philosophique: Mais alors pourquoi Hannah Arendt affirme-t-elle ici que l’existence de soi est une réalité effective, active que l’on ne peut pas dissocier d’un  contexte politique? Pourquoi faut-il que l’expérience d’être soi soit ainsi attesté, prouvé, effectué dans une action ou dans un discours dont on prend le risque au sein d’une assemblée, d’une cité, d’une nation, d’un peuple? 

b) Essai philosophique: se pourrait-il que cette expérience du moi que nous avons tendance à définir comme une intériorisation soit en réalité une extériorisation, une effectuation impliquant une action dans un lieu politique, c’est-à-dire une communauté de concitoyens liée entre eux par le respect de lois communes? Puis-je savoir qui je suis sans agir? 



5) Rédiger le développement

La philosophie est devenue un style d’écriture (elle ne l’était pas originellement. C’est en tant que parole qu’elle a vue le jour). Cela signifie qu’il existe des conventions de style qui ne varient pas que l’on écrive une dissertation ou un travail type HLP. Si la méthodologie diffère, la façon d’écrire doit répondre à ces quelques exigence là:

  • Ne jamais  dire « je » en faisant référence à vous personnellement. Le je Universel, par contre est autorisé.
  • Ne jamais « affirmer » gratuitement sans argumentation ou illustration de la thèse défendue. Cela signifie qu’il ne faut jamais considérer qu’il est des propositions qui vont de soi. Rien jamais ne va de soi ou ne peut être considérer comme « normal ». Ce terme là est philosophiquement un Gros mot, vulgaire, et finalement monstrueux.
  • Eviter absolument le hors sujet
  • Suivre le trajet d’une progression, voire d’une dramatisation du propos de telle sorte que l’on s’oriente toujours vers plus de justesse, de précision, de subtilité.


A) L’interprétation

Pourquoi, selon Hannah Arendt l’existence du moi est-elle d’ordre politique ? On vous demande ici  finalement de montrer non seulement que vous avez compris le fond de ce qui est défendu par l’auteure mais aussi que vous avez vu comment elle s’y prend et ce n’est pas rien. Aucun effort de structuration d’un plan ne vous est demandé. Par contre, il faut savoir lire et être capable de lire le fil que l’auteure ne lâche jamais. Par exemple, il peut sembler surprenant qu’elle évoque comme ça les criminels et les bonnes oeuvres. Il faut comprendre 1) que c’est un contre exemple 2) que ce sont finalement deux façons de se priver de la jouissance d’un moi authentique puisque dans un cas comme dans l’autre, on refuse la parution de soi dans un espace public dont le sens est justement de nous en donner un. Il n’y a pas de moi hors de cet affleurement de chacun et chacun à la vie citoyenne. C’est cela le fond de l’affaire. 


(Une remarque FONDAMENTALE ici: la clé du succès est de saisir l’idée essentielle et de sentir se confirmer au fur et à mesure que l’on avance dans la copie, qu’en effet, tout va bien dans le même sens: cette idée essentielle. Du coup, on se permettra de le dire différemment de façon à ne pas répéter les mêmes termes. Si vous êtes incapable de faire varier les mots autour d’une seule et même idée, c’est que vous n’avez pas saisi l’idée. Ça: c’est un indice que votre correcteur ne négligera jamais: la répétition littérale soit du texte soit d’une seule même formulation qui revient sans cesse, c’est l’aveu d’un échec et « ça se paiera ». DONC, passez du temps à trouver l’idée essentielle à la formuler d’une certaine façon puis d’une autre et d’une autre, et d’une autre encore. Il n’est pas bien sûr qu’un travail de philosophie soit vraiment autre chose qu’une sorte d’exploration optimisée d’une seule et même donnée sémantique, d’un seul « vouloir dire » qui se dit différemment. RETENEZ bien ça!)

Comment Hannah Arendt articule-t-elle ses arguments pour affirmer la nature politique du moi?

  1. D’abord elle révèle un implicite: Venir au monde c’est apparaître et cette cristallisation de notre être dans un apparaître se divise entre ce que l’on est (qui) et ce que l’on a (ce que) .
  2. On peut peut-être dissimuler qui l’on est par une passivité complète mais se manifester tel qu’on est par contre est rigoureusement impossible, ne serait-ce que parce que nous n’en avons aucune idée (on peut se rappeler ici que c’est finalement ici que Pascal pointerait l’inexistence du moi: on ne sait pas qui on est parce qu’il n’y a rien à savoir, Pascal est une bonne contre-référence ici parce qu’Hannah Arendt le contredit: apparaître dans la rue n’est pas du hasard, c’est effectuer son moi)
  3. Risquer la révélation: expression cruciale. Il est risqué de prendre la parole en public, de s’exposer dans une assemblée quelconque mais ce qui se joue alors, c’est justement ça: moi, tel que je ne me savais pas exister avant. Poindre dans cet affleurement pur de sa parole, de sa participation à un "Nous".  Quiconque ne prend pas ce risque là, en s’interdisant de paraître, de revendiquer son appartenance à un Nous n'a pas de moi. C’est le cas du saint et du criminel. Finalement être soi, c’est se garder de la radicalité du bien et du mal. Du coup, nous possédons un indicateur de crises politiques: quand une société produit des représentations valorisant les dons anonymes ainsi qu’une fascination morbide pour les criminels en série, c’est qu’elle est de moins en moins politique et qu’elle ne permet plus à des "moi" de se mettre sur la voie de leur individuation.
  4. Pourquoi les héros grecs ne sont-ils animés que par le désir de se couvrir de gloire au combat? Parce que c’est finalement le seul moyen d’être soi, de savoir qui l’on est au fil d’une action dont on ne savait pas bien si l’on en était capable. Mais il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, c’est de le faire et de l’être. Parce qu’agir et exister en tant que soi sont un seul et même mouvement.


L’existence du moi est donc d’ordre politique parce que c’est le propre de l’homme que d’avoir su créer « une scène », un espace dont on peut dire que celles et ceux qui osent prendre le risque d’y apparaître, d’y pénétrer, rendent possible que l’humanité agisse dans un monde qui a priori est naturel (en tout cas qui l'était). L’homme est une créature dont l’acte de venir au monde ne peut se concevoir qu’en faisant advenir ce monde même, qu’en le modelant sur d’autres bases que celle du vital, de l’instinct, ou de quelque prédétermination. L’humain est la créature miraculeuse, par excellence, pour laquelle être soi et faire advenir un monde humain dans un milieu naturel est une seule même chose qui s’effectue dans un seul mouvement: agir. Ce verbe n’a pas d’autre sens que celui-ci: "être libre". Cette thèse est décrite et assumée par Hannah Arendt comme correspondant trait pour trait à la fameuse affirmation d‘Aristote selon laquelle « l’homme est un animal naturellement politique ».


B) L’essai

Comme il a été dit, l’essai se distingue de l’interprétation en ceci que le rapport au texte est beaucoup plus détaché. C’est le traitement de la question qui doit primer sur l’analyse et l’explication du texte, lequel finalement est davantage un « prétexte ». Toutefois, il serait tout de même aventureux de faire comme s’il n’existait pas, a fortiori quand il est aussi dense et éclairant que celui-ci. Néanmoins il est possible voire recommandé de le dépasser, de ne pas en rester à la thèse qu’il défend. De toute façon ce qui compte avant tout c’est que l’on ne fasse pas de hors sujet. Puis-je savoir qui je suis sans agir?

Le deuxième point qu’il faut également garder en tête, c’est que l’on attend des candidats qu’ils utilisent leur cours, ou, en d’autres termes, qu’ils utilisent d’autres auteurs défendant d’autres thèses sur cette même question. 

a- Problématisation

Finalement à bien des égards, l’essai philosophique ressemble à une mini dissertation sauf qu’il convient à un moment donné d’évoquer le texte, de s’appuyer sur lui, mais tout tourne autour du sujet. Or, l’un des défauts majeurs de beaucoup de dissertations du bac consiste à étouffer le sujet sous des références parce que les candidats croient à tort que l’exercice consiste à exposer ses connaissances. Les idées des auteurs sont donc mises bout à bout gratuitement, par simple souci "de montrer qu’on sait " , et sans aucun égard au traitement d’une question précise. C’est une erreur majeure qui revient finalement à un hors sujet. On est tellement soucieux de montrer qu’on a des références et qu’on se souvient du cours que l’on oublie qu’il y a une question. Avec un correcteur rigoureux, ce ratage peut être très durement sanctionné. Comment l’éviter?

En consacrant un paragraphe après l’introduction à un approfondissement de la problématique, c’est-à-dire à travailler la question de savoir ce que l’on vous demande « vraiment », et ainsi à manifester clairement que ce ne sont pas les références qui vont vous amener au sujet mais exactement l’inverse. 

Il a déjà été dit dans l’introduction un point problématique crucial, à savoir que lorsque l’on évoque le moi, le premier mouvement qui nous vient à l’esprit est celui de l’introspection ou de l’intériorisation. On se tourne vers « soi », partant du principe que c’est en moi, dans ce que l’on appelle un rapport réflexif, bien restitué par la forme réfléchie des verbes ou des pronoms. A l’inverse toute action suppose une sortie de soi, ce qu’Hannah Arendt appelle le risque de la révélation et que l’on pourrait appeler également le risque pris de « l’apparition », entendant par là, apparition sur une scène publique au sein de laquelle on s’engage politiquement par la parole et par l’action. Ce que nous dit l’auteure ici, c’est qu’il n’y a pas d’autre moyen de savoir qui l’on est (et pas ce que l’on est) que de « s’exposer », de se risquer à paraître dans un espace public et de s’engager, en tant que citoyen et en interaction avec les autres citoyens, dans des actions qui se situent à l’échelle d’un collectif. Il n’existe pas d’autres moyens de savoir ce qu’est le moi que de l’impliquer politiquement dans un « Nous ». C’est ça la thèse de Hannah Arendt, et par exemple, on mesure bien à quel point elle s’oppose à Descartes (Cogito), et également à ce que Ricoeur appelle « la mêmeté », c’est-à-dire l’idée d’une identité du moi qui existerait en soi, par elle-même.

Comme finalement il vous est demandé de vous questionner sur la thèse défendue par l’auteur (et c’est souvent le cas) et que vous disposez du texte. Ce paragraphe consiste à problématiser à partir du texte ce que dit le texte de façon à l’ouvrir à son éventuelle contradiction et de dégager ainsi la dynamique problématique qui alimentera la copie. Cela pourrait se concevoir comme suit:

Ici Hannah Arendt, exactement comme Pascal distingue le moi et les qualités. C’est ce qui pour elle correspond à la distinction entre le qui (moi) et le ce que (qualités), mais contrairement au philosophe français pour lequel finalement le premier s’annule dans les secondes et s’y réduit, elle maintient la distinction en pointant le rôle essentiel et dissimulateur de la volonté. Il est possible d‘étaler ou de dissimuler ses qualités de telle sorte que l’on paraisse ce qu’il nous semble profitable d’incarner suivant les circonstances. Mais le mode d’apparition politique n’est pas du tout de cette nature là dans la mesure où il implique l’action, c’est-à-dire la sortie de soi, la « réquisition » du moi par la chose politique qui induit comme condition sine qua non que l’on se « produise », que l’on s’effectue en tant que participant d’un « nous », sans forcément l'avoir prémédité dans "son for intérieur". L'action politique par l'exigence de son urgence nous "sommes" (du verbe sommer) de nous effectuer à l'occasion de telle ou telle situation tel que nous sommes (du verbe être, cette fois)


Je ne peux être moi qu’en sortant de mon moi et qu’en interagissant par la parole et par l’action avec le « nous » d’une cité ou d’un peuple. C’est toute la distinction entre l’apparence et l’apparition et finalement entre la persona et l’individuation. Notre moi social n’est pas notre moi mais ce qu’il nous arrange de paraître dans plusieurs contextes sociaux dont on espère pouvoir retirer un certain avantage, notamment celui d’être reconnu, intégré à un groupe. Pour ce faire, nous sommes prêts à certaines compromissions.  Mais précisément il n’en va pas de même de notre existence politique, parce qu’elle implique que nous risquions « l’apparition », et non que nous en restions au niveau des apparences. Toute action est en effet un « commencement », c’est-à-dire l’évènement dans l’instance duquel nous ne nous situons plus du tout dans l’estimation de nos qualités personnelles, ni même à la hauteur (basse) de notre intérêt propre, mais dans l’effectuation pure et brute d’une action collective, ce qui implique que le moi ne vaille plus que participant d’un nous, « nous »  au sein duquel il sera d’autant plus « lui-même », qu’il le sera dicté par l’urgence humaine d’une action effective à l’occasion de laquelle se rassemble tout un peuple.

Finalement quelque chose ici fait écho à l’individuation chez Gilbert Simondon: « L’individuation humaine est la formation, à la fois biologique, psychologique et sociale, de l’individu toujours inachevé. L’individuation humaine est triple, c’est une individuation à trois brins, car elle est toujours à la fois psychique (« je »), collective (« nous ») et technique (ce milieu qui relie le « je » au « nous », milieu concret et effectif, supporté par des mnémotechniques) ». On peut parfaitement saisir le fond de la thèse de Hannah Arendt en posant qu’elle accorde à l’individuation politique un sens à la fois politique et supérieur aux deux autres.

Ce qu’elle conteste le plus radicalement, c’est l’idée selon laquelle l’action nous contraindrait de faire des concessions par rapport à ce que nous sommes. Nous retrouvons là le fond d’excuses que l’on entend souvent dans la bouche de celles et ceux qui s’efforcent de faire croire que la valeur de leur moi se situe bien au-dessus de leurs actions. Ils invoquent alors les aléas des circonstances pour justifier qu’ils aient agi « à leur corps défendant », « dans l’urgence ». On peut également entendre dans leur bouche la formulation suivante: « j’ai fait ce que j’ai pu dans la situation qui était celle-là (mais j'aurais bien mieux fait dans l’absolu...sauf qu'évidemment on n'agit jamais dans l'absolu)


            Pour Hannah Arendt, comme pour Jean-Paul Sartre en l’occurrence (mais c'est juste ici une alliance provisoire car ils ne sont pas d'accord sur tout) , ce que l’on présente alors comme un « pis aller », comme une minoration de ce que l’on aurait pu faire en de meilleures circonstances désigne en réalité exactement « ce que l’on est ». Ce que l’on définit dans l’esprit d’un "moins", c’est, au contraire,la hauteur exacte et exclusive de soi. Ce qu’est le moi d’un homme, c’est dans la participation au fait politique d’être un homme qu’on la perçoit et pas dans l’introspection d’un "moi intime" qui en fait n’existe pas. La compromission d’un humain dans l’urgence des actions politiques requises par une situation politique donnée ne limite aucunement son moi mais elle la révèle. Hannah Arendt s’oppose donc à toute définition du moi qui le ferait consister dans une sorte de potentiel intérieur ou seulement « possible » ainsi qu’à toute conception morale d’un moi qui se conformerait à des valeurs ou un devoir être. Ce qu’est le moi se mesure dans son implication active, politique, et seulement là.

b- Plan possible

  1. Savoir qui l’on est, c’est se retenir d’agir politiquement

a) Epicure

b) La liberté intérieure (Stoïciens)

  1. La substance et l’occasion (le kaïros).

a) Descartes

b) Pascal

c) Machiavel: C'est dans le kaïros de l'action justifiée politiquement que le moi du Prince s'incarne

  1. La mêmeté et l’ipséïté

a) Etre soi ne va pas de soi (critique de la mêmeté) - Paul Ricoeur

b) Responsabilité et rapport à Autrui (Inter-esse) - Hannah Arendt

c) L’inachèvement du processus d’individuation (Simondon)


Conclusion: l’action et le miracle du commencement (Exister, c'est toujours commencer)


6) Rédiger la conclusion

Pour l’essai comme pour l’interprétation, votre conclusion doit accomplir deux « missions »:

  1. donner idée du « chemin parcouru », c’est-à-dire des moments « cruciaux » de votre cheminement de réflexion (essai) ou d’analyse (interprétation). Il s’agit simplement de « faire le bilan » en exprimant « les carrefours » par lesquels votre pensée est passée dans ces deux heures, et si possible en les articulant les un aux autres
  2. Répondre clairement à la question pour l’essai ou exprimer ce que la thèse défendue par l’auteur recèle de nouveauté  par rapport au problème qu’elle traite.


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