mardi 5 janvier 2021

CSD Terminale 1 - Cours du 06/01/2021 Le langage

Langage / Autrui / Nature / Culture

(Premier contact de Denis Villeneuve)



Introduction
                   
Avec « la guerre des étoiles », nous prenons beaucoup de plaisir à suivre une épopée grandiose servie par de nombreux effets spéciaux et spectaculaires, au gré de nombreux rebondissements, etc. Mais au final c’est un film d’aventure dont la situation temporelle  est quasi anecdotique et le contexte extra-terrestre totalement éludé. Les scénaristes et les concepteurs visuels s’en sont donnés à coeur joie dans les scènes se déroulant à l’intérieur du sénat galactique et nous savons que Georges Lucas s’est beaucoup inspiré de la politique dans la Rome antique pour concevoir les manipulations du sénateur Palpatine. Mais quiconque parvient à s’extraire de la féérie purement visuelle de ces créatures dissemblables venant des confins de la galaxie ne peut s’empêcher de poser deux questions très simples:
- Comment ces intelligences si distinctes peuvent-elles se comprendre? Que ces espèces puissent s’exprimer et plus encore s’échanger des idées, des arguments pour constituer UNE république suppose qu’au-delà de leur différences (qui ne sont même plus des différences de cultures mais bel et bien d’organismes) elles peuvent s’entendre, qu’elles aient des oreilles ou pas, des organes phoniques ou pas, des cerveaux ou pas, etc. C’est une question fascinante: la seule chose que ces êtres ont indiscutablement de commun est la vie, mais aussi différents que l’on soit génétiquement, on est un peu forcés de consentir à l’idée selon laquelle vivre dessine quelque chose comme un désir de persévérer dans son être commun. Ce que nous donne à voir le sénat intergalactique, ce sont les multiples différences génétiques créés par le creusement d’un sillon commun: vivre dans la même galaxie. Honnêtement, on perçoit bien ici à quel public Georges Lucas s’adresse ici: ce sillon, il ne nous est pas conseillé à nous de le creuser trop profond: on est là pour s’en prendre plein la vue par pour poser des questions philosophiques, et c’est un peu dommage (notons que chez Tolkien, les caractéristiques physiques des créatures: elfes, nains, orques, etc, sont toujours très intelligemment rapportées à leurs milieux et c’est phylogénétiquement cohérent.
- Comment ces Aliens peuvent-ils se comporter de façon aussi humaine, aussi typiquement  et piteusement humaine. Ici, c’est quand même une très grosse pilule à avaler. Les efforts des scénaristes ne sont pas allés jusqu’à se représenter des modalités de politiques desanthropocentrées alors même que c’est en cela que consiste le moteur même de toute littérature de Science Fiction, comme Dune l’a largement prouvé que de nous en apprendre sur l’homme en s’efforçant, le plus possible de le déterritorialiser, de l’excentrer. On peut bien se fatiguer à trouver des passages de philosophie profonde dans cette super-production, on n’en sera pas moins condamné à conclure sur ce constat: ce n’est pas vraiment de la SF, soit cette littérature dont la contextualisation est finalement toujours l’illustration de ce que l’on pourrait appeler au très bon sens du terme une « question limite ». Toute oeuvre authentique de SF littéraire ou cinématographique comme « 2001, Odyssée de l’espace » a quelque chose de « pur », en ce sens que le questionnement philosophique y est « à vif », sans avoir à composer avec des situations historiques qui peuvent parfois en ternir la vigueur. Enfin des questions concernant l’Homme dans la perspective de l’Univers peuvent se poser, expérimenter des hypothèses. C’est souvent raté comme dans Prometheus de Ridley Scott mais dans « Premier contact », c’est vraiment maîtrisé, profond, réussi. Pourquoi?
  


              Parce que le film explore de façon très rigoureuse et très juste les implications d’un postulat pourtant déjà largement utilisé dans le cinéma et la littérature: celui de la rencontre avec des Aliens, en mettant au premier plan ce que « la guerre des étoiles » n’évoque qu’épisodiquement et de façon indigente: la question de la langue. De ce fait le film nous place dans une position vraiment idéale pour aborder le langage: à quelles conditions une langue est-elle possible?
         

            Il est un autre point qui rend ce film incroyablement « actuel », c’est le fait qu’il envisage une langue dont les structures et les caractéristiques soient suffisamment extraterrestres, au sens littéral du terme pour nous mettre directement en perspective avec notre devenir cosmique.  Ce que nous avons bien du mal à faire avec la planète, pourrions nous l’envisager du point de vue du cosmos? Puisque nos intérêts de terriens ne semblent pas suffire à nous faire comprendre les enjeux et les implications de notre devenir terrestre, pourquoi ne pas dépasser cette perspective et nous mettre en présence d’une espèce qui, grâce à sa langue, se vit comme « cosmique » avant de se vivre spécifiquement? Se pourrait-il après tout qu’au-delà de nos intérêts nationaux, religieux, culturels, notre tragique inappétence à nous mettre d’accord sur des questions qui pourtant nous regardent tous viennent tout simplement de nos différences de langues? Et qu’en est-il exactement du rôle de la langue dans notre perception du monde? Se pourraient-ils qu’un chinois, un américain, un anglais, un français, ne puissent pas s’entendre parce qu’ils ne vivent pas dans le même monde? A fortiori, que se passerait-il si des extra-terrestres prenaient contact avec nous par le biais d’une langue dont les structures seraient  à même de nous installer dans une perception cosmique du temps au regard de laquelle notre existence même cesserait de nous apparaître chronologiquement d’un point de vue individuel? Imaginez un être venu d’ailleurs dont la langue et les modalités de décryptage que vous mettez en œuvre pour le comprendre s’insinuent peu à peu en vous jusqu’à vous faire saisir votre propre existence comme un Tout dont vous n’auriez plus qu’à suivre les évènements en les connaissant déjà? Ce ne serait aucunement là la preuve d’un destin  (et encore moins de l’existence de Dieu), mais simplement la coïncidence de deux plans: l’un individuel et terrien et l’autre cosmique et extraterrestre.
        Nous pouvons ainsi nous faire idée de l’importance et de la profondeur des questions concernant la langue traitées par ce film. Mais précisément, pour ne rien en perdre, il convient d’abord d’éclairer les notions principales et basiques à partir desquelles nous serons à même de nous rendre sensibles à tout ce que ce le film de Denis Villeneuve porte à son paroxysme problématique.
   


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