mercredi 20 janvier 2021

CSD Terminale HLP (groupe 2) - Cours du 21/01/2021

 


Il est bien des merveilles en ce monde mais il n’en est pas de plus grande que celle de l’Homme ( « Il est bien des êtres terribles en ce monde, mais il n’en est pas de plus terrible (deinos) que l’homme.) 

Il est l’être qui sait traverser la mer grise, à l’heure où souffle le vent du Sud et ses orages, et qui va son chemin au milieu des abîmes que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l’être qui tourmente la déesse auguste entre toutes, la Terre,

 

La Terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont chaque année la sillonnant sans répit, celui qui la fait labourer par les produits de ses cavales.

Les oiseaux étourdis, il les enserre et il les prend,

tout comme le gibier des champs et les poissons peuplant les mers, dans les mailles de ses filets,

L’homme à l’esprit ingénieux. Par ses engins il se rend maître

de l’animal sauvage qui va courant les monts, et, que le moment venu, il mettra sous le joug et le cheval à l’épaisse crinière et l’infatigable taureau des montagnes.

 

Parole, pensée vite comme le vent, aspirations d’où naissent les cités, tout cela il se l’est enseigné à lui-même, aussi bien qu’il a su, en se faisant un gîte,

se dérober aux traits du gel ou de la pluie, cruels à ceux qui n’ont d’autres toits que le ciel ?

Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien de ce que peut lui offrir l’avenir. Contre la mort seule,

il n’aura jamais de charme permettant de lui échapper, bien qu’il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres imaginer plus d’un remède.

 

Mais, ainsi maître d’un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance, il peut prendre ensuite la route du mal comme du bien.

Qu’il fasse donc dans ce savoir une part aux lois de son pays et à la justice des dieux, à laquelle il a juré foi !

Il montera alors très haut au-dessus de sa cité, tandis qu’il s’exclut de cette cité le jour où Il laisse le crime le contaminer par bravade.

Ah ! Qu’il n’ait plus de place alors à mon foyer ni parmi mes amis, si c’est là comme il se comporte ! »

                                         

SOPHOCLE (549-406 av.JC) dans « ANTIGONE » Trad Paul Mazon)

2) Rédiger un plan (minimal)

Vous ne disposez que de 2h donc il est hors de question de concevoir un plan aussi détaillé que pour un travail de philosophie (en 4 h). Un plan doit toujours être construit pour mener à bien deux tâches vraiment fondamentales, décisives: a) traiter la question et surtout ne pas faire de hors sujet b) progresser sans cesse en allant toujours du plus évident, simple au plus complexe, subtil. 

  Peut-on fixer des limites à l’être humain selon Sophocle? Si l’on ne se rend pas sensible à la notion de limite, de mesure et de démesure, on ne peut ni comprendre ni expliquer ce texte. De ce point de vue, la question posée se situe bien au coeur du texte, de son sens et de son ambiguïté: Eloge / Blâme (ou avertissement). Ce qui est le plus important dans la réponse à la question, c’est qu’on insiste bien sur la double nature de cette notion de limite: physique et morale. C’est justement parce que la réponse est « non » pour la première qu’il faut qu’elle soit: « oui » pour la seconde. Pourquoi l’homme est-il un être qui se pose la question du bien et du mal? Parce qu’il est en effet le seul qui soit susceptible de faire le mal, parce qu’il n’est doté d’aucun intuition naturelle, propre, « donnée » de ses limites.  Il n’est rien dont on puisse dire que c’est au-delà de ses capacités, excepté vaincre la mort, mais même sur ce point, l’éclosion de la médecine comme pratique et non plus comme art divinatoire (honorer le dieux de la guérison) donnait déjà à Sophocle l’intuition de ce qui allait se passer, à savoir l’accroissement de la durée de vie. La médecine nous permet de lutter contre la mort.

Puisque c’est cette notion de « limites » qui s’impose à nous comme l’axe problématique du sujet. Il FAUT absolument en faire le concept autour duquel les parties de notre plan peuvent s’articuler. Limiter, c’est imposer des seuils, des règles, des lois mais c’est aussi circonscrire, « définir » au sens littéral de « rendre fini ». On peut essayer de se servir de ces différents sens de la notion de limite pour poser trois parties susceptibles de rendre parfaitement cet effet de progression de la lecture du texte, par quoi la définition de "Deinos" appliquée à l’homme passe de « merveilleux » à « terrible », sans pour autant jamais sortir du sujet.


Le plan suivant simple mais clair peut alors s’énoncer:

  1. Ce que l’homme « peut »: dépasser les limites physiques par l’utilisation de son savoir faire technique
  2. Ce que l’homme « doit »: s’imposer à lui-même des limites légales, morales, religieuses
  3. Ce que l’homme « est »: un deinos terrible et merveilleux et précisément indéterminable (parce que ce que l’homme « est »: on en sait rien il est dans le suspens étonnant et terrible de cette ligne tendancielle dessinée par l’ambiguïté du « deinos »).

Dans chacune de ses parties, on traite un aspect différent de la notion de limite et de l’être humain sans qu’à aucun moment la question soit abandonnée. De plus on va du plus simple au plus complexe (ce qui est intéressant ici c’est que la notion de Deinos qui est au début sera plutôt envisagée à la fin).

  


3) Rédiger l’introduction

Toute introduction, que ce soit pour l’essai ou pour la question d’interprétation, consiste en trois étapes:

  • Amener la référence au texte en partant d’une situation, d’une observation, d’un constat plutôt simple et évident
  • Poser la question du sujet
  • L’analyser en précisant ses enjeux philosophiques

De tous les animaux de la Création, il semble bien que l’être humain soit le seul à être capable de concevoir et de formuler des « définitions » parce qu’il est doté du langage et que nous n’avons pas la preuve que les autres êtres vivants de notre planète dispose de cette faculté. Mais il est aussi, étrangement, le moins définissable puisque, comme le mythe de Prométhée tel qu’il est raconté par Platon dans le Protagoras le souligne, il ne dispose pas vraiment de qualités naturelles mais plutôt d’une certaine habileté, d’une ingéniosité grâce à laquelle il construit des artefacts, des objets techniques. Dans la tragédie « Antigone » de Sophocle, le Choeur exprime précisément cette ambiguïté dans laquelle l’être humain consiste: il dispose de pouvoirs techniques étendus, multiples, surdimensionnés, mais, par là même,  manifeste une nature inquiétante, susceptible de produire le pire comme le meilleur. Peut-on fixer des limites à l’être humain? Ce passage de l’oeuvre de Sophocle ne se contente pas de décrire le statut d’exception, d’anomalie qui caractérise l’être humain. Il en déduit la conséquence première: celle-là même qui donne à ce texte très ancien un sens assurément « actuel »: parce qu’il n’est pas définissable, l’homme est moins un être qu’un « devenir », de telle sorte qu’il court toujours le risque de se situer en-deçà de son humanité. 


4) Le développement

Il faut maintenant rédiger le développement en suivant le plan et en respectant quelques principes fondamentaux:

  • Ne rien affirmer qui ne fasse préalablement l’objet d’une argumentation (et pour cela utiliser des connecteurs logiques: car, néanmoins, donc, par conséquent, etc.)
  • Penser à citer le texte de temps à autre dans ses passages-clé
  • Rédiger des paragraphes et toujours penser à sauter une ligne quand on passe d’un sujet, d’une thèse ou d’un type d’argument à un autre
  • Affiner constamment le propos en suivant le plan et le principe de progression qui nous fait aller du plus simple, évident au plus subtil


(Nous reprenons ici les « titres » mais il va de soi qu’ils ne doivent pas apparaître sous cette forme dans la copie elle-même)


1) Ce que l’homme peut: le savoir faire technique dépasse les limites de la nature

D’Aristote à Darwin, nous ne sommes pas seulement passés d’une zoologie qui classifiait les animaux à une phylogénétique qui les situait dans une évolution commune des espèces, nous avons également changé notre modalité d’approche en nous intéressant moins à ce qu’un animal est qu’à ce qu’il peut. Dans son livre Dialogue, le philosophe Gilles Deleuze illustre parfaitement la supériorité de cette perspective en développant l’exemple des chevaux de course et de trait. Tous les deux sont des chevaux mais en réalité, il  y a plus de proximité entre le cheval de trait et le bœuf de labours puisque ils font la même chose et dispose de la musculature correspondante qu’entre le cheval de trait et le cheval de course qui bien qu’étant de la même espèce n’ont pas exactement la même morphologie musculaire. Posons nous donc la question de savoir ce que l’Homme « peut ».

En guise de muscles ou d’organes, force sera de constater qu’il dispose plutôt d’engins: « Par ses engins il se rend maître de l’animal sauvage qui va courant les monts… » Déjà dans les vers précédents, il était question implicitement ou explicitement de bateaux, de charrue, de filets, de jougs.  Le terme grec de Deinos (merveille) utilisé par le chœur dés le tout début revêt plusieurs sens et il n’est pas excessif d’affirmer que chacun des siècles qui se sont succédés après l’écriture de cette pièce a donné sa version de cette ambiguïté sémantique, plongeant les lecteurs dans une perplexité hautement édifiante. Deinos peut en effet signifier merveilleux, extraordinaire, puissant, habile, ingénieux que terrible, effrayant, étonnant, et par extension, funeste, malfaisant. L’homme est « Deinos » parce qu’il dispose donc de ces artefacts, de ces prolongements artificiels de ses organes que sont ces objets techniques, ces prothèses grâce auquel il jouit de tous les avantages de ce que l’on pourrait appeler un corps amélioré, augmenté.

            Ce n’est pas parce que l’homme ne dispose ni de nageoires ni de branchies qu’il lui est impossible de traverser les mers. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas de griffes ni de sabots qu’il ne peut pas labourer la terre pour l’ensemencer. Ce n’est pas parce qu’il ne dispose ni d’une très grande vitesse ni d’une mâchoire de prédateur qu’il ne peut pas chasser et capturer du gibier. Il a des « substituts » et ces instruments le rendent « opérationnel » sur des terrains qui, naturellement, ne sont pas les siens et lui permettent d’accomplir des fonctions qui ne semblent pas lui avoir été naturellement assignées. Il est donc bel et bien merveilleux au sens de remarquable, d’extraordinaire, mais en un sens qu’il convient de ramener à son acception littérale: l’être humain se singularise, voire s’exclut du cadre de certaines répartitions naturelles. Il n’y a pas de limites à ce qu’il peut faire parce qu’il ne semble naturellement, ontologiquement "fait pour rien", exactement comme l’oubli d’Epiméthée l’illustrait dans le mythe de Prométhée.

   

         Définir l’homme par ce qu’il peut est donc impossible. Il faudrait inventer un nouveau terme: « l’infinir » ou, de façon plus orthographiquement correcte: l’indéterminer. On ne peut qu’« indeterminer » l’homme, et cela se manifeste aussi dans son aptitude politique à construire des cités. Sophocle exprime d’ailleurs à ce propos une thèse contraire à celle d’Aristote selon laquelle « l’homme est un animal naturellement politique » (cette citation est postérieure d’un siècle à la pièce de Sophocle Politique a été écrit par Aristote en 330 avant JC, Antigone en 441 avant JC). Il est effectivement écrit: « tout cela il se l’est enseigné à lui-même ». Ce n’est donc pas la nature qui a permis à l’homme de concevoir l’idée même de cité, c’est lui qui se l’est donnée, et c’est en cela qu’il est aussi merveilleux qu’effrayant. L’homme est indéfinissable parce qu’il est autodidacte et cette auto-formation le gratifie d’un pouvoir sans limite: celui de dépasser les limites physiques de sa complexion organique, de créer des cités, mais pas de vaincre la mort.

L’être humain dépasse les limites de ce qu’il peut faire avec les seules capacités de son corps. Il ne s’en tient pas là puisque il a recours à ces artefacts, à ces objets techniques. Dés lors, nous comprenons bien qu’il transforme le cours de la création. Une autre temporalité s’instaure, temporalité (time) qui n’est plus soumise aux aléas du temps (weather, climat) et qui dés lors est plus prévisible, plus programmatique par et pour cet être fascinant qu’est l’homme: « il ne se voit désarmé par rien de ce que peut lui offrir l’avenir. » Et cela d’autant moins, devrions nous rajouter, qu’il crée de ses propres mains son avenir. Il se fait son propre futur « protégé ». L’être humain crée donc cette anomalie d’une temporalité propre: chronologique et linéaire, dans le mouvement cyclique des saisons et des orbites planétaires. 

Le choeur fait enfin référence à la médecine. L’Homme ne vainc pas la mort mais il la repousse, il la combat efficacement. Il déplace la limite sans l’annuler. Il cultive donc ce paradoxe d’être à la fois mortel, donc fini mais non « délimitable », indéfinissable. Fini dans son existence individuelle, l’être humain crée et s’ouvre « à la machette » du fait de son aptitude autodidacte un « chemin » dont on ne distingue pas les limites. L’être humain suit donc techniquement une « ligne tendancielle » dont on ne peut dessiner définitivement la courbe.


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