mardi 12 janvier 2021

CSD Terminale 3 - Cours du 13/01/2021

 Il faut déterminer précisément ce qu’est le langage. Le premier philosophe connu à s’être posé la question du langage est Aristote. Il convient d’ailleurs d’insister énormément sur le fait que c’est le même terme: « logos » qui désigne à la fois le langage et la raison. Pour Aristote le langage c’est l’articulation de la voix par la langue. A l’exception des oiseux, les animaux étant incapables d’articuler leur voix, ils ne sont pas des êtres de langage selon Aristote. Il convient ici aussi de se rappeler que dans le texte extrait de "politique", Aristote soutient que c’est finalement grâce au langage naturel à l’homme que ce dernier est un être naturellement politique, c’est-à-dire capable de vivre en cité.

         

            Castor Mother poursuit l’exploration du langage par les philosophes en citant Descartes. Le philosophe français, en effet, a créé le concept d’animal-machine, à savoir que, selon lui, si nous construisions  des robots à l’image des animaux, ils ne se distingueraient en rien des animaux eux-mêmes. Par rapport au langage, cette observation illustre parfaitement les thèses de Descartes pour qui, finalement, les animaux sont dépourvus de pensée. On peut concevoir des machines qui émettent des sons articulés, ce n’est pas pour autant qu’elles parlent parce qu’elles n’ont pas l’intention de dire quelque chose, de signifier quoi que ce soit. On peut imaginer des machines qui répondent à des stimulations mais aucune qui prendrait par elle-même l’initiative de dire ce qu’elle pense. Par conséquent, les machines, pas davantage que  les animaux n’utilisent le langage.

        Mais c’est dans les années 50 que de véritables études philosophiques sont publiées sur cette question. Emile Benveniste travailla alors à partir des observations de Karl Von Frisch. Il convient de prendre en compte le fait que Benveniste est extrêmement soucieux de définir les spécificités du langage humain par OPPOSITION aux modes de communication animales, ce qui falsifie peut-être un peu son analyse. Il relève 7 critères de distinction:
1) Selon lui le message du langage doit être vocal (et ce n’est pas le cas pour les abeilles puisque la communication des abeilles est gestuelle (danse)
2) Le message doit pouvoir être transmis dans le noir, or les abeilles ne communiquent que dans et grâce à la lumière)
3) Dans tout lagune il y a du dialogue (et les abeilles ne dialoguent pas: un signal crée chez les abeilles qui reçoivent une attitude mais pas un autre message)
4) Le message doit être reproductible, c’est-à-dire que dans le langage on peut faire un message à partir d’un autre message (alors que les abeilles n’évoquent que les situations qu’elles ont vécues. Aucun message ne se constitue à partir d’un autre message)
5) Pour le langage, on doit pouvoir évoquer toute situation. Toute langue est composé d’unités que l’on peut combiner pour créer des énoncés nouveaux correspondant à d’éventuelles situations nouvelles (les abeilles ne peuvent exprimer qu’un nombre limité de situations: lieu et nourriture)
6) Le langage humain ne peut être dépendant d’une référence extérieure (alors qu’au contraire chez les abeilles le contenu du message est étroitement dépendant du « comment » lequel dépend de la situation exprimée: la distance s’exprime par la vitesse de la danse. Il y a une plus grande liberté et indépendance dans le langage humain.
7) Enfin le message d’un langage doit pouvoir être analysé, c’est-à-dire décomposé en unités de sens. Le message des abeilles est un signal qui exprime une fois pour toute une donnée et une seule.
            On peut remarquer la faiblesse des deux premiers critères puisque si nous les suivions, la langue des sourds-muets ne serait pas un langage alors qu’il en est nécessairement un. D’autre part, si cette distinction a le mérite de pointer effectivement certaines spécificité du langage humain, il s’effectue sur une seule modalité de communication animale et ne peut valoir pour les autres.
        C’est la raison pour laquelle il faut aller interroger un autre linguiste: Roman Jakobson qui a relevé six fonctions propres au langage. Avec ces 6 fonctions, nous pourrons légitimement interroger les modes de communication animales. Que faut-il qu’il se manifeste pour que l’on puisse parler de langage?
 - D’abord un message (c’est la fonction poétique: il faut qu’un message dise quelque chose, qu’il ait un contenu)
- Ensuite il faut un émetteur qui affirme ou exprime cette chose (c’est la fonction expressive)
- Il convient également que ce message soit adressé à un destinataire (c’est la fonction conative)
- Le message a également besoin d’un contexte (telle chose serait incompréhensible sans le contexte, c’est la fonction référentielle - Autrement dit, ce que l’on dit fait toujours référence au contexte dans lequel on le dit: notre milieu)
- Il faut également que l’émetteur interpelle le récepteur et soit sûr de lui parler (c’est la fonction phatique: tout ce que nous faisons pour être sûrs que notre interlocuteur est bien là à nous écouter)
- Enfin pour qu’il y ait langage il faut qu’il y ait métalangage, c’est-à-dire que l’on puisse évoquer par la langue des éléments de cette langue.
        Il ne fait aucun doute que certaines espèces animales communiquent en utilisant certaines de ces fonctions: poétique, conative, référentielle, phatique notamment mais aucune modalité de communication animale  ne semble faire usage de métalangage. Romain Fillstrof évoque également la négation dont on n’a observé la présence dans aucune communication animale. Les animaux ne parlent pas de ce qui n’est pas: c’est extrêmement intéressant parce que cela signifie que leur mode de  communication n’est que positif, ils ne perdent pas leur temps à envisager ce qui n’est pas ni ce quoi pourrait être mais ils sont dans ce qui est. « Ce n’est pas en cherchant le langage humain chez les animaux que l’on pourra savoir si les animaux ont un langage »: cette affirmation de Linguistique est très bien vue et très profonde. Les remarques de Baptiste Morizot nous montre bien à quel point les animaux sont capables de faire de toute trace un signal, une information, mais cela n’est pas un langage. Il y a quelque chose de fermé, de clans sur soi dans une langue humaine qui fait système et que l’on ne retrouve pas dans les modes de communication animaux. 
        Il convient également de pointer le rapport entre le langage ou la communication et la plasticité neuronale. L’être humain n’est pas supérieur aux espèces animales mais il est doté d’une plasticité neuronale complexe qui correspond à son système de communication (et cela pour la raison très simple qu’il existe entre un mode de communication et le cerveau des rapports très étroits et fondés sur une interaction permanente). Les animaux n’ont pas forcément besoin du langage parce que ce mode de communication n’est pas induit par leur plasticité neuronale).
        Nous mesurons bien à l’occasion de cette question: « les animaux ont-ils un langage? » l’extrême difficulté qui se pose à toute réflexion humaine entreprenant de se donner comme objet d’étude le langage, tout simplement parce qu’il y a dans la texture même de c cette réflexion, de cette étude quelque chose qui « toujours déjà » est du langage. Jusqu’à quel point puis-je m’extérioriser d’un élément dont je sais bien par ailleurs qu’il est constituant de mon être, de ma façon d’être, de comprendre et de penser. Que puis-je réaliser du langage qui ne soit pas finalement « juge et partie »? Que puis-je en comprendre objectivement si comprendre est nécessairement déjà du langage? Certains animaux possèdent des fonctions que l’on retrouve dans celles qui décrivent le langage selon Jakobson, mais précisément ils ne les utilisent pas de la même façon. L’observation de Castor Mother est particulièrement intéressante de ce point de vue. Certains oiseaux ne comprennent pas le message hors de son contexte social, c’est-à-dire que c’est très exactement l’inverse de la classification de Jakobson: ce n’est pas la fonction phatique qui est une fonction parmi d’autres du langage, c’est plutôt le langage qui ne se constitue que dans et par la fonction phatique. 
           

Dire que « les animaux parlent » est donc assez risqué, sur le fond, parce que cela évidemment  se prolonge dans nos esprits de la façon suivante: « comme nous » alors que justement ce n’est pas le cas. L’humain est un animal qui a donné ou qui a subi de la part du langage une détermination extrêmement forte, allant jusque’à percevoir le monde au travers du filtre de la langue, cela ne fait aucun doute. Les animaux utilisent des signes, énormément de signes. Tout fait signe chez la plupart des animaux, mais il semble bien que cette libération de signes ne se fasse pas ou en tout cas moins que pour les hommes, au détriment du rapport institué avec le milieu    ou avec la vie. La proposition suivante est très relative, et peut-être fausse, mais elle pointe néanmoins une ligne tendancielle efficiente dans la façon qu’a l’homme d’utiliser les mots, soit celle d’une fermeture: on a l’impression que si l’homme est dans le monde, c’est avant tout pour libérer du sens alors que l’animal utilise bel et bien des signes mais c’est toujours pour faire monde. Evidemment il faut rajouter à cette thèse « risquée » et sujette à caution que faire monde c’est aussi faire  sens et faire sens c’est aussi faire monde, par quoi finalement la distinction homme animal s’efface, mais cela ne signifierait pas moins que deux voies distinctes ici se dessinent (une piste très porteuse serait ici à explorer et cela évidemment a été fait, dans la différence entre la sémiotique et la sémantique: la sémantique désigne la compréhension des signes linguistiques et la sémiologie à celle des signes non linguistiques - quand un chat me regarde, cela veut nécessairement dire quelque chose de non linguistique, c’est une porte ouverte vers une dimension vraiment « autre » alors que quand une personne porte un brassard avec une croix rouge, cela s’explique dans un code de signes humains)


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire