lundi 18 janvier 2021

CSD Terminale 3 - Cours du 20/01/2021

             

Tout est issu d’un ouvrage de sélection de morphèmes où se jouent des variations de phonèmes, toujours. Ce que j’ai l’impression de vivre positivement, c’est-à-dire pleinement, réellement, c’est, en réalité ce qui ne se manifeste que « négativement », c’est-à-dire que je ne vis l’impression de caresser l’encolure de ce cheval qu’à partir de l’oeuvre de distinction au gré de laquelle « caresser un cheval » est un autre énoncé linguistique que « traverser un chenal ». Je ne peux réaliser ce que je fais que linguistiquement. 

        Mais dés lors c’est la logique d’agencement d’une certaine dynamique qui opère dans cette réalisation et cette logique est celle de la différenciation, de la sélection, de la variable. Ce que nous vivons, du fait même que nous le vivions comme une expérience identifiable, descriptible, énonçable, dicible, consciente: « je caresse l’encolure de ce cheval » nous ne le vivons qu’à condition de la distinguer de ce qu’elle n’est pas. Ce que je vis, si je le vis, c’est parce que cela m’apparaît comme n’étant pas une autre expérience possible transcriptible par d’autres énoncés possibles, avec d’autres morphèmes utilisés, eux-mêmes combinant d’autres phonèmes. Réaliser cela, c’est saisir une réalité de l’existence humaine aux conséquences inouïes et parfaitement analysées, formulées par Nietzsche: « il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations » (et chacun comprend bien ici que Nietzsche ne dit pas « à chacun sa vérité », il dit qu’il n’y a pas de vérité si, par ce terme, on désigne une perception vraie, pure, brute du réel.
    - Troisièmement le fait que cette dynamique de distinction, de sélection par le biais de laquelle rien n’est jamais humainement vécu directement, pleinement, positivement s’active continuellement induit l’existence en chaque sujet de langue du système entier de sa langue maternelle. Puisque je ne comprends ni ne formule jamais rien que par un travail de différenciation de ce qui est énoncé par rapport à ce qui ne l’est pas, alors il faut que le sujet ait en lui la totalité des énoncés possibles, en droit. Mais qu’est-ce que cela veut dire? Serions nous des espèces de Dieux omniscients détenant dans notre esprit la totalité de ce qui s’est dit et de ce qui se dira dans l’univers pour l’éternité? Evidemment non, mais nous sommes des sujets de langue, ce qui veut dire que nous sommes comme capturés, pris, engoncés, dans un jeu perpétuel de différenciation de signifiants grâce auquel des signifiants expriment des signifiés en se distinguant d’autres signifiants. Et même si nous n’effectuons pas toutes ces différences, nous sommes pris dans la dynamique sélectionnante de cette effectuation d’un Sens (pour le meilleur et pour le pire).
          
Il est vraiment impossible de mesurer les implications philosophiques et humaines de cette dimension systématique que revêt en nous la langue maternelle si l’on ne cultive pas un minimum un sens très aigu du paradoxe, principalement par rapport aux notions philosophique de pouvoir et de liberté. Parce que nous sommes pris dans cette efficience de la distinction qui prévaut dans notre langue maternelle, nous pouvons exprimer et ressentir un nombre incroyable d’expériences (probablement plus que la plupart des animaux, pour autant que nous le sachions aujourd’hui). Il y a ce principe d’économie pointé par Martinet grâce auquel avec peu de phonèmes, nous pouvons combiner un nombre infini de morphèmes. Cela signifie aussi que ce principe fait de nous, d’une certaine façon, les détenteurs de la totalité de la langue. Ce terme de « totalité » est fondamental, car cette totalité du système entier de la langue grâce à l’acquisition de laquelle je peux opérer un nombre incroyable de combinaisons, lesquelles peuvent faire valoir, par un jeu très subtil de variations de phonèmes, ce fond total grâce auquel je distingue entre elles les perceptions, les substances, les choses du monde que je perçois et d’ailleurs me le faire vivre en tant que monde et non chaos est aussi à prendre au sens de totalité « totalitaire ». C’est là que nous retrouvons l’affirmation de Roland Barthes: « La langue est fasciste ». En d’autres termes, c’est dans l’exacte mesure où notre langue nous donne le pouvoir infini de tout comprendre et de tout formuler qu’elle ne le fait qu’au sein d’une dynamique totalitaire dans laquelle nous sommes pris, capturés, enfermés, aliénés. La richesse et la subtilité de notre langue maternelle ne se réalisent qu’à nos dépens, au sens propre, c’est-à-dire qu’à la condition de nous rendre totalement voire totalitairement dépendant d’une certaine façon de penser, c’est-à-dire de distinguer, de classifier, de sentir et de percevoir qui est celle de notre langue. Notre langue ne nous autorise pas à percevoir un autre monde que celui qui se constitue au fil de la dynamique qui lui permet à elle de faire système, c’est-à-dire de faire valoir au sein de son système une logique de circuit fermé. Plus nous exprimons des énoncés multiples, nouveaux, précis, rendant compte d’expériences inédites, plus, en réalité, nous les exprimons grâce à des jeux de renvois de sens entre des morphèmes qui ne peuvent fonctionner qu’au sein du système fermé de la langue (c’est un pléonasme: tout système est fermé mais il faut vraiment insister ici sur ce cloisonnement, sur cette logique de fermeture par le biais de laquelle plus j’ai l’impression de dire quelque chose de nouveau et d’extérieur, plus en réalité, la façon dont cette ouverture et cette extériorité me viennent à l’esprit sont le produit d’une dynamique de fermeture, voire d’isolement). Plus je crois comprendre quelque chose de ce monde (extérieur), plus les biais cognitifs par lesquels je le comprends participent en fait de la mise en interposition d’un certain monde: celui de la langue…Par quoi ce n’est jamais exactement du monde pur, brut, extérieur que je prends connaissance, dont je fais l’expérience, mais seulement de celui qu’instaure un système linguistique. On ne sort donc pas d’un système totalitaire et linguistique donné.

         

              Lorsque Roland Barthes affirme que « la langue est fasciste », c’est cela qu’il veut dire et toute l’ambiguïté vient de ceci qu’il utilise le terme d’un totalitarisme politique pour désigner en fait un totalitarisme linguistique. 1984 de Georges Orwell décrit les dégâts causés par une entreprise de terrorisme politique s’appliquant à une langue qui est déjà en elle-même structurellement totalitaire. Etant entendu que l’on ne peut vivre, percevoir et penser que dans sa langue, que se passe-t-il quand on réforme la langue de telle sorte que l’on ne peut y vivre, y exprimer et y percevoir que des expressions simplifiées, caricaturales, appauvrissantes de la réalité? On crée dés lors un monde « Trumpien » où les entretiens entre chefs d’état sont « fantastiques », où les ministres ou les autres chefs d’état approuvés par le leader font du « bon travail » alors que les ministres renvoyés en faisaient du « mauvais ». Tout est bon ou mauvais, fort ou faible, blanc ou noir. Il faut bien comprendre ici que Trump n’est qu’un exemple très récent et finalement très anecdotique d’une thèse philosophique incroyablement plus profonde que l’arrivée au pouvoir d’un homme d’affaire quasiment analphabète. C’est cela qui nous intéresse ici: être le sujet d’une langue maternelle, c’est en être le sujet au sens de sujétion, soumission. C’est être pris sous le joug d’une langue qui fait « mur », de telle sorte que l’idée même d’une perception pure, brute d’une réalité donnée est absolument impossible, interdite. C’est exactement ce que Roland Barthes affirme un peu plus loin dans son discours: « Il n’y a de liberté que hors du langage mais le langage humain est sans extérieur. » (la seule brèche que nous pouvons faire dans ce mur, c’est la littérature, l’art: c’est là ce qu’il dire encore plus tard dans ce discours génial)
 



        b) le principe de relativité linguistique (Benjamin Whorf et Edward Sapir)
            Grâce à ces trois thèses, à savoir:
- "Dans la langue: il n’y a que des différences » - Saussure
- « La langue est fasciste » au sens de totalitaire - Barthes
- « Il existe dans la langue un principe d’économie »:  « On aperçoit ce que représente d’économie cette seconde articulation : si nous devions faire correspondre à chaque unité significative minima une production vocale spécifique et inanalysable, il nous faudrait en distinguer des milliers, ce qui serait incompatible avec les latitudes articulatoires et la sensibilité auditive de l’être humain. - Martinet
Nous sommes à même de comprendre le sens d’un autre principe défendu par les linguistes américains Sapir et Whorf, celui de la relativité linguistique. De quoi s’agit-Il?

Pour répondre à cette question, nous allons expliquer le texte suivant écrit en 1956 par Benjamin Whorf, mais nous allons mener à bien cette explication en suivant la méthode du 3e sujet de l’épreuve de baccalauréat, de telle sorte que les développements suivants essaient de répondre à la fois à une exigence de méthodologie et, sur le fond, à la nécessité de poursuivre  la réflexion de ce cours.  Dans une épreuve de type bac, le texte en question vous serait présenté de la façon suivante:

 Expliquez le texte suivant:

            « Lorsque des linguistes devinrent capables d'analyser d'une façon critique et scientifique un grand nombre de langues dont les structures présentent des différences considérables, leur base de référence s'en trouva agrandie. Ils constatèrent une solution de continuité dans les phénomènes considérés jusque-là comme universels, et prirent conscience du même coup de tout un nouvel ordre de significations. On s'aperçut que l'infrastructure linguistique (autrement dit, la grammaire) de chaque langue ne constituait pas seulement « l'instrument » permettant d'exprimer des idées, mais qu'elle en déterminait bien plutôt la forme, qu'elle orientait et guidait l'activité mentale de l'individu, traçait le cadre dans lequel s'inscrivaient ses analyses, ses impressions, sa synthèse de tout ce que son esprit avait enregistré. La formulation des idées n'est pas un processus indépendant, strictement rationnel dans l'ancienne acception du terme, mais elle est liée à une structure grammaticale déterminée et diffère de façon très variable d'une grammaire à l'autre. Nous découpons la nature suivant les voies tracées par notre langue maternelle. Les catégories et les types que nous isolons du monde des phénomènes ne s'y trouvent pas tels quels, s'offrant d'emblée à la perception de l'observateur. Au contraire, le monde se présente à nous comme un flux kaléidoscopique d'impressions que notre esprit doit d'abord organiser, et cela en grande partie grâce au système linguistique que nous avons assimilé. Nous procédons à une sorte de découpage méthodique de la nature, nous l'organisons en concepts, et nous lui attribuons telles significations en vertu d'une convention qui détermine notre vision du monde, – convention reconnue par la communauté linguistique à laquelle nous appartenons et codifiée dans les modèles de notre langue. Il s'agit bien entendu d'une convention non formulée, de caractère implicite, mais ELLE CONSTITUE UNE OBLIGATION ABSOLUE. Nous ne sommes à même de parler qu'à la condition expresse de souscrire à l'organisation et à la classification des données, telles qu'elles ont été élaborées par convention tacite.
          Ce fait est d'une importance considérable pour la science moderne, car il signifie qu'aucun individu n'est libre de décrire la nature avec une impartialité absolue, mais qu'il est contraint de tenir compte de certains modes d'interprétation même quand il élabore les concepts les plus originaux. Celui qui serait le moins dépendant à cet égard serait un linguiste familiarisé avec un grand nombre de systèmes linguistiques présentant entre eux de profondes différences. Jusqu'ici aucun linguiste ne s'est trouvé dans une situation aussi privilégiée (…)   
         On aboutit ainsi à ce que j'ai appelé le "principe de relativité linguistique", en vertu duquel les utilisateurs de grammaires notablement différentes sont amenés à des évaluations et à des types d'observations différents de faits extérieurement similaires, et par conséquent ne sont pas équivalents en tant qu'observateurs, mais doivent arriver à des visions du monde quelque peu dissemblables. […] À partir de chacune de ces visions du monde, naïves et informulées, il peut naître une vision scientifique explicite, du fait d'une spécialisation plus poussée des mêmes structures grammaticales qui ont engendré la vision première et implicite. Ainsi l'univers de la science moderne découle d'une rationalisation systématique de la grammaire de base des langues indo-européennes occidentales. Évidemment, la science n’est pas le produit exclusif de la grammaire mais elle n’aurait jamais existé sans elle. »
             Benjamin Lee Whorf, Linguistique et anthropologie, 1956,


La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
   


1) Les critères de sélection du 3e sujet
        Pourquoi choisir le 3e sujet plutôt que les deux premiers (sujets de dissertation)? Dans ma mesure du possible, il serait vraiment ruineux et dommageable que vous choisissiez seulement ce sujet par incapacité de faire les deux autres. Le choix du texte est d’élection, cela sous entend que vous consentez à faire de ce passage le creuset, le sujet de toutes vos réflexions pendant 4h et c’est long. Acceptez-vous de penser « dans » ce texte? Y percez-vous de quoi alimenter pendant tout ce temps et de façon vraiment appliquée concentrée, toute votre capacité à mener des analyses et à avoir des idées? C’est là la question que vous devez vous poser.
        Il existe aussi un critère décisif mais plutôt négatif de ce choix: si, au terme de 4 ou 5 lectures de ce texte lancées dés le début de l’épreuve, vous ne parvenez pas à avoir le sentiment qu’il défend UNE idée, et finalement UNE SEULE, alors il est préférable de ne pas entamer son explication. Tout texte de philosophie est riche, dense mais les termes mêmes de cette épreuve suppose que l’on vous donne un texte qui défend UNE thèse. Il faut donc avoir le sentiment d’une unité, même si cette unité n’est pas encore bien formulable pour vous. Le sentiment d’une UNITE suffit.
        Enfin, il importe que vous soyez sensible à la densité philosophique du texte. Si telle ou telle phrase vous semble lourde d’une quantité plus ou moins importante de développements implicites que vous vous sentez à même de faire basculer dans l’explicite, ou autrement dit, si vous réalisez que ce texte dit de façon rapide et allusive plusieurs idées ou arguments présupposés dont vous percevez l’importance sans qu’elle soit vraiment inscrite dans le texte, alors ce sujet est « prenable ». Il faut avoir le sentiment d’être en résonance avec ce texte. Cela veut dire que parfois, vous devez trouver que l’auteur dit rapidement ce qui en réalité a besoin de plus de développement pour être compris.

2) L’idée essentielle, le plan et l’introduction
        Il est temps maintenant de formuler cette impression d’unité qui vous a décidé à choir ce sujet. Vous pensez que l’auteur défend finalement une seule thèse mais laquelle précisément? De quelle idée pourrions-nous dire qu’elle imprègne TOUT le texte, qu’elle le hante? Que veut vraiment démontrer Whorf au final, ici?
        Une attention particulière est donc requise ici au sens évidemment mais aussi au registre lexical utilisé et à la fréquence de l’utilisation de certains termes. Benjamin Whorf utilise 5 fois le terme de science ou scientifique. D’autre part le registre lexical de la science imprégne ce passage de façon évidente (Critique, analyse, synthèse, rationnel, structure, absolue, impartialité, spécialisation, rationalisation, etc.). L’idée essentielle concerne dont le rapport entre l’étude de la langue et la science. Nous comprenons peut-être un peu plus le soubassement implicite de la thèse qui nous est ici proposée, à savoir que le propre de la science est de viser l’objectivité, c’est-à-dire qu’elle se définit comme un savoir suffisamment rationnel et sceptique, soucieux de soumettre chacune de ses hypothèses à des tests, qu’elle est, de tous les savoirs, celui qui manifeste avec le plus de rigueur et d’exactitude la capacité de fournir à l’homme des résultats fiables sur le monde. Or Benjamin Whorf soutient ici qu’aussi rigoureuse et efficace que puisse être la pratique scientifique, elle doit ou devrait prendre en compte d’abord ce principe de relativité linguistique selon lequel toute pensée et perception du monde est nécessairement d’abord celle d’UN monde, celui qui est structuré et comme présupposé par la grammaire de la langue du sujet  humain qui le perçoit et qui le pense. Le principe de relativité linguistique réduit donc à néant toute prétention scientifique à viser la connaissance universelle d’un monde qui serait conçu et posé comme étant LE monde. Chaque sujet, y compris le scientifique, est en contact avec le monde que sa langue maternelle a d’abord structuré, et il ne peut en être autrement, mais il peut viser une représentation scientifique du monde dés lors qu’il prend en compte ce principe de relativisation linguistique.
        Cette étape ainsi que celles qui suivent s’exécutent sur le brouillon. Nous disposons de l’idée essentielle qui consiste à affirmer que la science elle-même est prise dans le mouvement de cette relativité linguistique et ne parvient pas à pointer vers UN monde objectif. Il reste à déterminer comment l’auteur parvient à justifier cette affirmation dans ce passage en prêtant attention à l’enchaînement de parties dans le passage proposé. Evidemment le découpage en paragraphes est une indication éventuelle mais ce n’est pas un principe assuré. Il convient également de prêter attention aux connecteurs logiques. Dans le texte de Benjamin Whorf, les paragraphes définissent bel et bien trois parties distinctes:
1er §: l’infrastructure (la structure élémentaire ou l’organisation) grammaticale de notre langue maternelle détermine radicalement nos pensées et nos perceptions. Celles-ci ne sont donc des données pures, brutes, premières à partir desquels nos langues respectives constitueraient des énoncés, elles sont déjà ce qui se manifestent à des pensées et à des systèmes nerveux préconditionnés par les principes de classification et d’organisation de leur langue respective à percevoir tel ou tel phénomène.
2e §: par conséquent l’idée même d’impartialité dans l’observation d’une réalité s’effectuant dans « le » monde est fausse, nulle et non avenue. Rien de ce qui se passe dans « le » monde ne peut être perçu autrement qu’au travers du filtre d’une langue, laquelle percevra ce qu’elle pourra percevoir en fonction de son infrastructure grammaticale. Si un linguiste possédait toutes les bases linguistiques de toutes les langues, peut-être pourrait-il prétendre à cette objectivité là, mais l’existence de ce linguiste est pour l’instant improbable.
3e §: il faut donc convenir de l’activation d’un principe de relativité linguistique dont l’efficience est double: elle rend purement impossible l’idée même d’unité d’un univers observable, mais elle ouvre en même temps une voie qui est celle d’une rationalisation redoublée, ou si l’on préfère d’un travail d’objectivation des données à partir des perceptions différentes provoquées par les langues. La conséquence évidente de ce principe de relativisation consiste à reconnaître que la Science découle de la grammaire des langues occidentales. Il convient donc d’inverser la définition que nous assignons à la linguistique: elle n’est pas l’activité qui fait de la langue un objet de science mais celle qui fait de la science un objet de langue, même si la science n’est pas le produit exclusif de la langue.

        Il faudra suivre cette progression dans l’explication puisque celle-ci se doit de ne pas s’écarter du texte même si elle peut utiliser d’autres références que celles de l’auteur. Il sera possible de faire droit à des pensées défendant des thèses opposées mais toujours sur les idées qui sont développées ici. C’est un point non négociable de toute explication: ne jamais s’écarter de ce qui est affirmé, argumenté dans le texte à expliquer.
  


        Il est maintenant possible de rédiger l’introduction. Celle-ci se compose de trois parties: Thème / Thèse / Problématique:
le thème désigne le sujet global sur le fond duquel se détache la thèse (qui désigne l’idée essentielle du texte). Ici c’est l’influence, l’impact de la langue maternelle sur nos possibilités de connaissance
La thèse est l’idée essentielle. Il sera possible d’en faire précéder la formulation par l’expression: ici, Benjamin Whorf soutient que….Cela nous fait ainsi bien comprendre l’importance du thème: il décrivait une sorte de halo, de plan large dont l’idée essentielle est comme la focalisation, une manière de dire (sans le dire comme ça évidemment): concentrons avec attention à ce que défend ce texte, à savoir que…La thèse de ce texte, comme il a déjà été dit, c’est qu’il existe un principe de relativisation linguistique qui rend caduque la prétention de la science à observer « le » monde. Par contre, la science peut et doit œuvrer à partir des perceptions différentes de mondes causées par la pluralité des langues. L’universalité du discours scientifique ne peut donc se concevoir comme un principe de base mais plutôt comme une idée régulatrice, ce vers quoi la science doit tendre et non ce dont elle doit partir.
La problématique désigne le « conflit », la contradiction dans laquelle la thèse du texte intervient et tranche d’un côté ou de l’autre. Ici le problème sur lequel la thèse de Whorf prend position est une sorte de dispute entre la science et la linguistique: de quel domaine de compétence peut-on dire qu’il englobe l’autre? Il ne fait aucun doute que la linguistique est une science, qu’elle est comme un sous ensemble d’un vaste édifice que l’on appelle la science mais Benjamin Whorf fait remarquer qu’il est un biais par lequel ici l’objet visé, à savoir la langue, dépasse le type de savoir qui prétend l’englober, comme si la langue décrivait une réalité trop déterminante pour se laisser ainsi circonscrire par un type de discours, et cela est d’autant moins absurde que la science est bel et bien un type de discours donc de la langue. Finalement la science est-elle autre chose qu’un métalangage, c’est-à-dire qu’en effort de la langue porté sur la langue elle-même?

Introduction:   Quiconque prête attention à ses pensées s’aperçoit qu’elles se tissent dans la forme même de notre langue maternelle. Comme l’écrit Platon la pensée est le dialogue de l’âme avec elle-même et ce « dialogue » est fait de mots: ceux que nous avons appris en naissant dans telle ou telle communauté linguistique. Mais quelle est exactement l’impact de cette influence de notre langue sur ce que nous pensons ou percevons? Ici l’auteur américain Benjamin Lee Whorf affirme qu’il existe un principe de relativité linguistique que la science doit prendre en compte sous peine d’en être la victime et de ne pas réaliser qu’en fait elle se donne pour objet l’étude des phénomènes d’un monde possible parmi tant d’autres: celui que la langue maternelle du chercheur découpe, celui dont le savant ne fait l’expérience qu’au travers du filtre de cette langue.  Le problème ici est celui de la lutte d’influences que se livrent une discipline cultivant plus et mieux que toute autre son rapport au réel par le biais d’expériences faisant jaillir des « faits », des résultats: la science, et une autre travaillant la langue et l’influence déterminante, pour ne pas dire décisive qu’elle exerce sur nos modes de pensée et de perception. Le principe de relativité linguistique est-il suffisamment fondé et irrévocable pour s’appliquer à la science et la redéfinir comme méta-langage, c’est-à-dire finalement comme cette entreprise de rationalisation qu’un discours effectue sur des modalités de pensée et de perception elles-mêmes structurées par les grammaires de leur langue respective? L’étymologie commune de langage et de logique, à savoir « logos » doit être ici mobilisée et interrogée avec beaucoup d’attention. Ce terme signifie en grec à la fois le langage et la raison. Or, si il va de soi en effet qu’il ne saurait exister de langue, ni de langue sans manifestation de la raison, sans effort de rationalisation, il est tout aussi vrai qu’il serait inconcevable de définir la raison sans langage.
 


3) Développement
        Expliquer un texte ne consiste ni à le commenter, ni même à le comprendre. Il convient ici d’être extrêmement précis sur ce qu’est une « explication » en distinguant clairement cet exercice:
Commenter un texte suppose que l’on formule les idées qui nous sont venues « à l’occasion » de sa lecture, un peu comme si le texte était le prétexte à penser « par soi-même » et par ailleurs. On commente, on précisé ce à quoi le texte nous fait penser. Ce n’est pas du tout la même chose qu’expliquer qui implique une attention exclusivement portée au texte. Il ne s’agit plus dans une explication de dire à quoi le texte fait penser mais ce qu’il pense, ce que l’auteur pense en l’écrivant. Cela ne signifie pas que toute référence extérieure est interdite dans une explication mais qu’elle doit nécessairement, aider à saisir le sens de ce texte ci ici et maintenant.
Comprendre un texte ne signifie pas la même chose que l’expliquer. Il y a quelque de plus modeste dans ce dernier terme. Expliquer est un acte. Comprendre désigne plutôt la capacité à se situer dans un certain état achevé, posé. De trés nombreuses explications de texte sont ratées parce que leur auteur « comprend » ou pense qu’il a compris et de ce fait résume, synthètise le texte en affirmant qu’ « en gros », « le texte dit ça ». Autant la supposée compréhension est un acte synthétique autant l’explication est un exercice d’analyse. C’est un effort méthodique que l’on produit sur un texte, pas une volonté affichée de ramener à du connu. Quelque chose de l’explication fait signe d’une progression nécessaire: son étymologie: ex-plicare signifie « démêler les plis ». Il faut prendre cette expression au pied de la lettre. Représentons nous le texte comme un papier froissé au sens de dense, compacté. Il va nous falloir l’aplanir, le repasser avec un fer pour saisir et aplanir ses difficultés. L’explication est laborieuse, progressive. La compréhension est plus affaire de réalisation presque soudaine. Cette distinction est fondamentale.
Enfin expliquer un texte implique que l’on ne s’en éloigne jamais et que l’on ne se contente pas de le répéter en remplaçant simplement des mots. Ce n’est pas de la paraphrase.
           
            Il faut bien saisir l’idée essentielle du texte que l’on pourrait formuler par le biais de cette inversion: ce n’est pas la langue qui est objet de science comme pourrait le laisser à penser le terme de linguistique mais c’est plutôt la science qui est objet de langue, c’est-à-dire que le principe de relativité linguistique nous oblige à remettre en cause l’idée d’une réception pure et objective des données de l’observation et de l’expérience. Une fois que l’on a parfaitement assimilé que c’est pour démontrer cette thèse que ce texte a été écrit, nous percevons plus facilement ses « ressorts », sa machinerie argumentative (tout texte philosophie est une machine argumentative que nous devons démonter, pas au sens de détruire, mais à celui de détailler)
            On détecte ainsi plus facilement que Whorf décrit d’abord ce qui s’imposa à l’esprit des premiers linguistes, à savoir que la langue n’était pas seulement l’outil de la pensée mais déterminait sa forme. Faire de la langue un objet de pensée aboutit à la réalisation de cette conclusion:en fait, c’est la pensée qui est un objet de langue. Se donnant comme finalité d’étudier la langue, le chercheur s’aperçoit comme par un effet « boomerang » que ce sur quoi porte son travail est finalement déjà implicitement à l’oeuvre dans sa façon de travailler. Comment être objectif sur l’objet d’une étude dont on s’aperçoit qu’il n’est pas du tout devant nous, mais derrière nous, déjà « efficient » dans notre façon « d’oeuvrer »? Notre langue imprègne nos façons de penser, de percevoir, d’être. C’est ce qui nous est dit dans le premier paragraphe
            Dans le deuxième paragraphe, bien plus petit, oil est clair que Whorf désigne clairement son objectif en le citant: « la science moderne » et en invoquant l’argument essentiel de sa thèse, à savoir que l’idée même d’une impartialité de l’observation de la nature devient dés lors proprement impossible.
            Dés lors, une conclusion s’impose: il importe de reconsidérer ce que la science est, ou pense être en affirmant qu’elle consiste moins dans un travail de rationalisation et d’explication de la réalité que dans un double effet de rationalisation, de classification. Toute langue en effet impose aux données pures de la perception le filtre d’une organisation. Elle crée un certain ordre dans ce flux kaléidoscopique d’impressions. La science désigne alors un effort de seconde main par rapport à ce tout premier ordonnancement qui est celui-là même de toute langue.
  


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