mercredi 6 janvier 2021

HLP terminale - Méthodologie de l'essai

 Conseils de méthode pour l’épreuve HLP
en Philosophie
(notamment sur le texte de Sartre extrait de huis clos)


Il vous sera demandé de rédiger soir un essai philosophique, soit un travail d’interprétation philosophique:

L’essai philosophique 


A) Travail préliminaire

        Il est évidemment impossible de comprendre ce texte si on ne comprend pas la situation: « Huis clos » est une pièce de Jean-Paul Sartre dont on peut considérer qu’elle est de bout en bout philosophique et qu’elle vise à illustrer une thèse très simple: nous sommes condamnés à une insuffisance fondamentale et irrévocable: l’autre personne est à la fois cet intermédiaire sans laquelle il m’est impossible de me sentir vivre authentiquement, de revêtir une véritable consistance et en même temps cette condition qui rend finalement aléatoire et dépendante cette existence même.  Nous ne pouvons nous concevoir nous-mêmes sans passer par l’autre mais passer par l’autre c’est aussi renoncer à se connaître vraiment soi-même puisque je serai toujours dans une situation de dépendance. C’est là l’idée centrale de « torture ». Toutes les représentations de l’enfer de Dante au peintre Jérôme Bosch en passant par Van Eyck décrivent des démons appliqués à faire subir des tourments éternels aux damnés. L’intuition d’Inès, dans la pièce qui finalement décrit le propos même de l’oeuvre dans son ensemble, consiste à soutenir qu’en réalité, ces images ne sont que l’illustration du rapport à autrui, rapport marqué à la fois par une absolue nécessité parce que sans Autrui, nous ne pouvons pas trouver confirmation de notre être et par une extrême servitude, aliénation, parce que de ce fait toute notre considération de nous-mêmes passe par l’autre.
        Le passage s’éclaircit considérablement: nous y voyons Inès réaliser la situation, Garcin proposer immédiatement une solution et Estelle manifester par son comportement à quel point la solution proposée par Garcin (l’indifférence) est absolument impraticable (parce que personne n’ayant de miroir, chaque personnage va devoir passer par autrui pour se reconnaître et se confirmer à soi-même - Il ne faut pas ici accorder trop d’importance à l’absence physique de miroir parce que même s’ils en avaient un, cela ne changerait pas grand chose, chacune et chacun de nous ayant besoin de l’autre pour être reconnu(e))
        Ce qu’il faut bien comprendre ici du point de vue de la méthode, c’est que l’on vous demande de répondre à une question qui peut et doit se poser à partir du texte: on voit bien qu’ici c’est finalement le rôle de médiateur qui fait d‘autrui tout à la fois mon unique recours et l’impasse finale de ce recours. Il est illusoire de penser se connaître et plus encore être reconnu(e) sans autrui mais en même temps, cela me rend profondément inapte à me fonder authentiquement moi-même par moi-même. Il faudra donc que notre essai marque à la fois la compréhension du rapport profond entre le texte et la question mais aussi éventuellement (et ici, je dirai plus qu’éventuellement)  la possibilité de nous écarter de la seule thèse du texte en tentant d’autres possibilités de réponse, à savoir qu’autrui n’est pas  le médiateur entre moi et moi-même.
        



        Il convient évidemment maintenant de faire le rapport entre le texte et cette notion de médiation. Inès, Estelle et Garcin sont dans une pièce dont ils ne peuvent pas sortir. Chacune de ces personnes voit le passé de l’autre par une sorte de pouvoir télépathique étrange de telle sorte qu’elles disposent toutes de la connaissance des actes honteux commis par les deux autres.  Inès comprend cela très vite et définit exactement leur situation: ils sont là pour se torturer mutuellement et mentalement.  Ce n’est même pas la peine d’aller chercher les démons: toute vie sociale est déjà en elle-même porteuse de souffrances infinies. Le jugement des autres est comme une épine enfoncée dans notre esprit qui ne nous laissera jamais tranquilles et nous placera continuellement en situation d’avoir à faire ses preuves aux yeux des autres, à mendier sa reconnaissance, à toujours attendre de lui une sorte de confirmation, de ratification de notre être comme si exister ne pouvait se concevoir ni s’effectuer sans qu’autrui nous donne son aval.
        Nous ne sommes « qu’entre nous » dit Inès mais ça suffira pour que nous soyons chacune et chacun à notre tour le bourreau des autres. Garcin évoque immédiatement ce qui lui apparaît comme « la solution », à savoir l’indifférence. Nous allons vivre dans une profonde inattention à l’autre, faire comme s’il n’existait pas et désamorcer ainsi cette effroyable logique de la cohabitation infernale. Les deux femmes se rallient à sa proposition mais trais vite Estelle a besoin de se maquiller. Pourquoi? Pour se rassurer de la belle apparence qu’elle donne d’elle-même aux yeux des autres, preuve que la solution de Garcin ne peut pas fonctionner puisque comme elle le dit elle-même: « quand je ne me vois pas (mais on pourrait tout aussi bien rajouter quand je ne me sens pas « vue ») je me demande si j’existe pour de vrai. Ici se trouve exprimée en termes simples l’une des thèses les plus profondes de l’existentialisme  sartrien: notre absence de substance. L’existence précède l’essence, cela veut dire aussi: « nous sommes jetés dans ce monde en pâture  à la vue et au jugement des autres ». S’auto-suffire est un rêve qui n’est pas à la portée des êtres humains socialisés. Nous sommes trop inconsistants pour cela. L’être humain se définit par une sorte « d’effet de surface » et cette surface est aussi celle du miroir qui reflète nos actes et notre présence.
        Nous pouvons donc essayer de mieux comprendre la question posée par le sujet: tout ce passage illustre finalement le caractère incontournable de la présence d’autrui non seulement pour conforter notre personnalité sociale mais plus profondément notre être tout court. Autrui est cette personne autre dont j’ai absolument besoin pour ne concevoir et me construite comme étant « moi-même ». C’est en tant qu’autre que je suis moi-même, c’est-à-dire que je suis « moi-même à moi-même ».  Ce paradoxe inscrit au coeur même de l’être à soi de chaque individu humain est-il aussi indépassable et irrévocable que tente de l’illustrer ce passage?
        En fait la compréhension de ce texte est très largement, pour ne pas dire exclusivement métaphorique, c’est-à-dire que l’on ne comprendra rien à son propos si on ne réalise pas:
a) qu’il s’agit d’illustrer par une sorte de « fable » une réalité quotidienne et existentielle: le regard de l’autre est à la fois ce qui nous sauve et ce qui nous condamne, mais c’est exactement dans la mesure où il semble nous sauver d’abord (de quel danger? Celui de l’inexistence ou de l’insignifiance absolue) qu’il nous condamne et nous torture (par le caractère absolu de notre dépendance: nous ne sommes à nous-mêmes que par l’intermédiaire d’autrui)
b) qu’il se compose a) d’une image d’abord: l’enfer b) du problème illustré par cette image: le regard d’autrui et ce qu’il induit de jugement notamment dans le rapport que j’établis de moi-même à moi-même c) d’une solution proposée par Garcin d) de l’inefficacité de cette solution (reste donc le problème et le caractère éternel du supplice
 c) que la notion d’intermédiation est ici présenté sous un angle délibérément négatif. C’est comme si chaque personnage ne faisait finalement qu’exacerber les blessures ouvertes des autres, blessure dont on pourrait dire qu’elle est originelle. Nous sommes toutes et tous nés sans consistance, sans capacité d’auto-fondation. Le passage le plus important, en ce sens, est celui de l’aveu d’Estelle: quand je ne me vois pas, c’est-à-dire quand je ne fais pas l’expérience d’être un corps visible aux yeux des autres, je me demande si j’existe pour de vrai. A l’insu même de son auteur, il est difficile d’éviter ici le rapprochement avec le stade du miroir. Nous ne nous identifions à nous-mêmes qu’en nous reconnaissant dans le miroir ce qui revient à se reconnaître par autrui puisque cette image de soi est extériorisé et que l’on n’est jamais au sens propre, cette projection de soi.

        Pour comprendre réellement l’intention de l’auteur, il n’est pas inutile de lire cette interview dans laquelle Sartre essaie de tempérer la réputation qui (à juste raison quand même!) avait taxé cette oeuvre de pessimisme radical à l’égard de toute vie sociale.
« L’enfer c’est les autres » a toujours été mal compris. On a cru que j’avais voulu dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c’était toujours des rapports infernaux. Or, c’est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l’autre ne peut être que l’enfer... Pourquoi ?
Parce que les autres sont au fond ce qu’il y a de plus important en nous‑mêmes pour notre propre connaissance de nous‑mêmes. Quand nous pensons sur nous quand nous essayons de nous connaître, au fond nous nous servons des connaissances que les autres ont déjà sur nous ;  nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donnés de nous juger : quoi que je dise sur moi toujours le jugement d’autrui entre dedans ; quoi que je sonde de moi, le jugement d’autrui entre dedans, ce qui veut dire que si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d’autrui et alors, en effet je suis en Enfer, et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en Enfer parce qu’ils dépendent trop du jugement d’autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu’on ne puisse avoir d’autres rapports avec les autres; cela marque simplement l’importance capitale de tous les autres pour chacun de nous.

La deuxième chose que je voudrais dire c’est que ces gens ne sont pas semblables à nous : les trois personnes que vous entendrez dans Huis Clos ne nous ressemblent pas, en ceci que nous sommes tous vivants et qu’ils sont morts. Bien entendu, ici « morts » symbolise quelque chose : ce que j’ai voulu indiquer c’est précisément que beaucoup de gens sont encroûtés dans une série d’habitudes, de coutumes, qu’ils ont sur eux des jugements dont ils souffrent, mais qu’ils ne cherchent même pas à changer et que ces gens‑là sont comme morts en ce sens qu’ils ne peuvent pas briser le cadre de leurs soucis, de leurs préoccupations et de leurs coutumes et qu’ils restent ainsi victimes souvent des jugements qu’on a porté sur eux.
A partir de là, il est bien évident qu’ils sont lâches ou méchants par exemple, s’ils ont commencé à être lâches rien ne vient changer le fait qu’ils étaient lâches, c’est pour ça qu’ils sont morts. C’est une manière de dire que c’est une mort vivante que d’être entouré par le souci perpétuel de jugements et d’actions que l’on ne veut pas changer de sorte que, en vérité, comme nous sommes vivants, j’ai voulu montrer par l’absurde, l’importance chez nous de la liberté. »


    B) La phase de rédaction
        Vous ne disposez que de 2h, ce qui signifie que les exigences de méthode tout en étant réelles sont très allégées par rapport à une dissertation de philosophie:
    a) L’introduction
        Elle se compose de 3 étapes:
    - Amener le sujet par une amorce simple, le plus souvent extraite d’une expérience assez banale, quotidienne (ici la difficulté née du jugement et du regard d’autrui
    - Posez la question (telle qu’elle a été énoncé dans le sujet).
    - Montrez en une ou deux phrases que vous avez bien compris le sujet, ou en d’(autres termes, formulez l’enjeu philosophique d’un tel sujet.

    b) Développer la réflexion
        Le principe fondamental de tout travail de rédaction philosophique est celui de la progression: il faut que la puissance philosophique de votre travail ne cesse de monter en puissance. Pour cela, il convient de suivre ces étapes dans cet ordre:
    - Analyser la question posée de façon plus profonde que dans l’introduction. Ce que l’on avait dit en quelques phrases peut maintenant être développé en une dizaine de lignes: qu’est-ce que l’on nous demande exactement? En quoi cette question recouvre-t-elle des interrogations et des concepts philosophiques essentiels?

    - Faire le lien avec le texte en montrant de façon très précise pourquoi c’est effectivement une question que l’on se pose A PARTIR du texte
    -  Prolonger le propos de l’auteur en utilisant éventuellement d’autres pensées, d’autres références mais en allant toujours dans le sens de la thèse défendue par l’auteur.
    - Enfin si le sujet s’y prête et si vous disposez des références nécessaires, contredire ou dépasser la thèse de l’auteur en allant plus loin que lui ou en montrant pourquoi sa réponse n’est pas ultime sur ce sujet. Il est vraiment bon de monter qu’aucun auteur n’épuise jamais le sens d’une question. Cela prouve à quel point cette question est bonne.
    c) Conclusion

        Il ne vous reste plus en conclusion que deux choses à faire:
      - Reprendre les étapes de votre travail (ce dont vous êtes partis et là où cela vous a conduit)
    - Répondre simplement mais précisément à la question éventuellement en montrant pourquoi le propos de l’auteur est dépassable si vous pensez l’avoir effectivement approfondi dans une perspective plus convaincante (ici dépasser Sartre par Lacan ou Deleuze)



1 commentaire:

  1. Bonjour
    Merci pour cette article très intéressant. Est ce que l'essai doit toujours prendre en compte des éléments du texte ou peut-il complétement s'en détacher ?
    Si j'ai bien compris lorsque l'interprétation du texte est littéraire, l'essai est philosophique et inversément. Merci

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