mardi 17 mars 2020

Séance du 18/03/2020 - 1ere 3 CALM (Cours A La Maison): 1h

Bonjour,
           Lors des deux dernières séances, nous avons travaillé en groupes sur des questions portant sur le texte de Francis Bacon (la mise en question de l’autorité des Anciens). Chacune et chacun de vous dispose d’une explication (type bac) de ce texte, puisque je l’avais distribuée. Si ce n’est pas le cas, faites-le moi savoir, je vous l’enverrai par pronote. Je considère la compréhension de ce texte comme acquise. Ici encore, contactez-moi si vous avez besoin de précisions ou d’éclaircissements sur tel ou tel passage. Il s’agit pour Francis Bacon de pointer ce paradoxe qui nous voit parfois accorder plus de crédit à des auteurs ou à des représentations anciennes sous le faux prétexte que nos ancêtres auraient plus de sagesse que nous.

Nous poursuivons aujourd’hui le cours sur les représentations du monde dont le plan est le suivant:

1)  Mythos / Logos - Cosmogonie / Cosmologie
2)   Le cours du monde et les crises de sa représentation

Et nous passons à la troisième partie:

3) Différences de cultures et valeurs universelles

Tout est bien clair pour toutes et tous? Alors c’est parti!

       
   Qu’est-ce qui justifie ce terme de « re-présentations » du monde? Pourquoi nous est-il impossible de considérer que le monde nous serait « présenté », ce qui suggérerait une appréhension directe et peut-être exacte du monde? Nous n’avons pas cessé d’apporter des réponses à cette question depuis le début de ce cours. La dernière en date est celle de Francis Bacon qui désigne et critique finalement une sorte de préjugé de notre culture selon lequel l’autorité des textes et des auteurs anciens devrait prévaloir sur la notre. Cette critique attire notre attention sur la notion de « culture » et sur son ambiguïté. C’est effectivement une notion qui a plusieurs sens, au moins quatre:
La culture au sens de cultiver un jardin ou un champ (il est clair que ce n’est pas celui que nous allons questionner ici)
La culture au sens d’avoir de la culture, d’être cultivé(e). C’est bien celui auquel fait référence Bacon quand il stigmatise le préjugé culturel de la sagesse des Anciens
La culture au sens de civilisation: la culture occidentale, la culture du pays dans lequel nous naissons et dont nous héritons. Attention, ce n’est pas la même culture qu’au sens 2. Elle désigne ici les traditions, les modes de vie, de croyance, de représentation, les mentalités d’une nation ou d’un continent ou d’une identité dont on dira précisément qu’elle constitue une identité culturelle. C’est exactement ce qui va nous intéresser maintenant.
La culture en tant qu’elle s’oppose à la nature. L’enfant sauvage est un être humain qui n’a pas été élevé dans LA culture, laquelle ne désigne plus ici la culture européenne ou française mais LA culture au sens où l’homme est un être de culture et que Victor de l’Aveyron ne possède pas les caractéristiques habituelles de ce qui définit un Homme, puisque il a grandi dans la nature.
       
            Francis Bacon évoquait les différences de représentations du monde selon les époques et le fait que de vieux modèles nous empêchaient d’en concevoir des nouveaux, pourtant plus performants. Mais il n’y a pas seulement des différences de représentations dans le temps, il en existent aussi dans l’espace. Et c’est bien cela que nos allons interroger maintenant. Nous ne vivons pas dans le même monde selon que nous naissons dans telle ou telle pays, dans telle ou telle civilisation et chacune, chacun de nous a déjà fait l’expérience de ces coutumes, de ces façons différentes de penser, de percevoir et de vivre qui nous distinguent des autres cultures.
        Ces différences de moeurs et de coutumes sont troublantes, parce qu’elles nous amènent à nous questionner sur le bien-fondé des nôtres. « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage » nous dit ici Montaigne:
        « Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en ce peuple, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas conforme à ses usages ; à vrai dire, il semble que nous n’avons autre critère de la vérité et de la raison que l’exemple et l’idée des opinions et usages du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, le parfait gouvernement, la façon parfaite et accomplie de se comporter en toutes choses. »
        Quiconque manifeste un tant soit peu d’esprit critique, ou simplement de distance, s’aperçoit que ce qu’il considère comme « juste » constitue en réalité une habitude, un usage qui correspond aux conventions de « sa » culture. Rien n’est « normal », tout est affaire de normativité, c’est-à-dire de ce qu’un peuple, en tel lieu, a choisi arbitrairement de considérer comme « l’usage ». Mais jusqu’où peut aller ce relativisme culturel? Cela signifie-t-il qu’élevé ailleurs, nourri de tel autre culture, j’aurais trouvé juste que, par exemple,  ce soit les oncles et les tantes qui élèvent l’enfant plutôt que la mère et le père, ou bien encore que tel enfant soit soumis à un rite violent et douloureux pour marquer son passage à l’adolescence?
       
Les termes de Montaigne sont sans ambiguïté: « il semble que nous n’avons autre critère de la vérité et de la raison que l’exemple et l’idée des opinions et usages du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, le parfait gouvernement, la façon parfaite et accomplie de se comporter en toutes choses ». Ce que nous appelons « vrai » ou « raisonnable » ne s’appuie en fait sur aucune autre légitimité que celle d’être la coutume de mon pays.
        Le problème vient de ce qu’il nous est impossible de considérer nos valeurs comme étant simplement « nos » valeurs. Nous leur donnons une portée et une validité universelle, et a fortiori nous, français, qui incarnons aux yeux du monde l’image d’un peuple s’étant libéré du joug d’une monarchie de droit divin au nom des droits universels de l’homme. Qu’un humain ne soit pas, du fait de sa naissance, supérieur à un autre humain, c’est bien ce que fondent les principes de la déclaration des Droits de l’homme, et cela ne suppose pas seulement l’égalité mais aussi l’universalité, c’est-à-dire que les humains soient considérés comme des êtres égaux en droit quels que soient leur origine, leur sexe, leur âge, leur statut social, etc. Et pourtant si une intuition universelle des droits de l’homme existait vraiment, comment expliquer que les lois et les conceptions de la justice soit aussi variées, aussi différentes?
        C’est exactement le propos de Pascal dans ce passage extrait de ses Pensées:
  « Sur quoi fondera-t-il (1) l’économie du monde (2) qu’il veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? Quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? Il l’ignore. Certainement s’il la connaissait, il n’aurait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les mœurs de son pays. L’éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples. Et les législateurs n’auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands. On la verrait plantée par tous les Etats du monde, et dans tous les temps, au lieu qu’on ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat, trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence, un méridien décide de la vérité. En peu d’années de possession, les lois fondamentales changent (…) Plaisante justice qu’une rivière limite. Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au delà.
        Ils confessent que la justice n'est pas dans ces coutumes, mais qu'elle réside dans les lois naturelles communes en tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniâtrement si la témérité du hasard, qui a semé les lois humaines, en avait rencontré au moins une qui fût universelle. Mais la plaisanterie est telle que le caprice des hommes s'est si bien diversifié qu'il n'y en a point (de générale).
    Le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant qu'un homme ait droit de me tuer parce qu'il demeure au-delà de l'eau et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui ?
    Il y a sans doute des lois naturelles, mais cette belle raison corrompue a tout corrompu. »
                                    Blaise Pascal - Pensées


(1)    Par ce « il », Pascal désigne l’être humain en général
(2)    Par économie du monde, il faut entendre la façon dont évoluent les affaires des hommes. Comment réguler tous les actes et évènements qui se déroulent ?


(Question d’interprétation philosophique:  Pourquoi les hommes ne peuvent-ils pas fonder l’exercice du droit sur une conception universelle de la Justice?
Question de réflexion littéraire:  Toute compréhension d’une autre justice que celle de mon pays nous est-elle interdite ? (Voici les deux questions qui accompagneraient ce texte s'il était l'objet de l'épreuve du bac. Je les formule pour vous donner une idée de ce qui vous attend, mais vous n'avez pas à répondre.Ce n'est pas un travail que je vous donne. C'est demain que je vous donnerai des questions.)

         
Nous allons traiter ce texte comme celui de Francis Bacon,  c’est-à-dire comme un exercice type bac. Mais il convient d’abord de bien en saisir le sens, dans sa totalité. C’est à un travail d’élucidation préalable qu’il convient donc d’abord de s’activer, sachant qu’il ne fait pas encore parie de l’explication proprement dite. Compte tenu de la difficulté du style de Pascal, il convient , en effet, d’en clarifier les passages difficiles.

Travail d’élucidation préalable: Il faut d’abord bien comprendre que Pascal parle de l’homme quand il utilise la 3e personne: « il ». Il faut bien qu’il y ait des principes communs, mais évidemment on ne pas s’en remettre aux caprices de chacun. S’il existait UNE justice qui serait la même pour tous les humains, il n’aurait pas suivi aussi aveuglément cette règle dont on peut considérer qu’elle est efficiente dans le monde, à savoir que chaque peuple applique SA vision de la justice. C’est bien la preuve qu’il n’existe pas une seule vision de ceux est équitable. Quand Pascal évoque les caprices des Perses et des allemands, il n’est pas critique et encore moins raciste à l’égard de ces peuples, il insiste seulement sur le caractère subjectif de toutes ces variantes de ce qu’est « le bon droit ».
        La jurisprudence désigne cet exercice de la justice par lequel une décision prise à telle cour de justice vaut pour les autres. Parfois quand un cas est complexe et qu’il dépasse de ce qui est prévu dans le code civil, on « copie » la décision d’une autre cour de justice. Dans ces cas de figure, la justice reprend des décisions qui ont dû  être « improvisées ».
        Le deuxième paragraphe est plus difficile. Les Etats ne considèrent pas du tout que leur justice est acquise, qu’elle vient de leurs costumes. Ils pensent au contraire que leur justice est la seule, qu’elles résident dans des lois qui sont identiques à tous les pays, et qui transcendent les frontières. Pourtant en adhérant à une telle croyance, ils nient l’évidence, à savoir l’absence totale de lois universelles dans le monde. Ce que l’on constate, au contraire, c’est la vérité des façons de rendre la justice, selon les pays.
        On peut tout rendre légal: le vol (après tout, sur quel fondement les états-unis se sont-ils constitués par rapport aux indiens d’Amérique?), l’inceste (les pharaons en Egypte), le meurtre des enfants et des pères (le pouvoir parfois sans limite de l’autorité patriarcale). Qu’est-ce que la guerre? C’est le droit de tuer qui s’appuie sur la seule délimitation géographique des frontières. Il y a peut-être des lois naturelles mais les hommes ne les connaissent plus à faire c’avoir exercé leur raison.

Demain, nous expliquerons le texte de Pascal de façon plus suivi. Il s’agissait seulement de clarifier ces passages difficiles. Si quelque chose reste encore obscur dans le vocabulaire utilisé par Pascal il faut me le dire avant demain.
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⇒ ATTENTION: tous les groupes n’ayant pas pu s’exprimer lors du dernier cours et ce travail étant noté, je n’ai pas de notes pour Enzo, Clément, Lucie, Paul, Emile, Lison, Amélya, Antonin, Gazel, Florine, Silvia, Jeanne, à savoir deux groupes. Il faudrait m’envoyer, via pronote ou par mail, le travail écrit correspondant aux deux questions qui restaient, à savoir les questions 8 et 9
Groupe 8:            A-t-on toujours raison de se révolter? Développez les arguments en faveur de la réponse positive à cette question.
Groupe 9:          A-t-on toujours raison de se révolter? Développez les arguments en faveur de la réponse négative à cette question.
Merci d’avance

J’attire votre attention sur la nécessité de ne pas perdre le contact et, pour vous, de ne jamais hésiter à me faire part de vos difficultés ou de vos remarques sur tel ou tel aspect du cours. Je compte sur vous et sur votre dynamisme pour que les nouvelles conditions qui nous sont imposées profitent finalement à chacune et à chacun.
Gardez le moral et portez vous bien!

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