mercredi 25 mars 2020

Séance du 26/03/2020 CALM (Cours A La Maison) 1ere 3: 1h

Bonjour,

        Une fois de plus, je vous propose de partir l’intérêt philosophique fort de la situation actuelle pour aborder le sujet du cours d’aujourd’hui qui concerne les représentations du politique.
              
Si nous revenons au problème posé par cette notion de droit naturel, nous réalisons qu’une pandémie met les Etats en demeure de trouver une solution globale, mondiale à cette catastrophe. Nos dirigeants sont-ils en mesure d’aborder une menace autrement que du point de vue de la nation qu’ils dirigent, c’est-à-dire autrement que dans les termes de l’administration même qu’ils gouvernent, du système qui a fait d’eux ce qu’ils sont statutairement, voire, pour certains, de l’esprit nationaliste qui leur permis d’être élus? (Parler du Covid 19 en évoquant le « virus chinois » comme le fait Donald Trump répond clairement à cette question!). La pandémie pourrait finalement être envisagée comme un problème dont l’essence tient profondément du droit naturel et auquel les dirigeants répondent dans la perspective du droit positif, parce qu’il ne peut en être autrement. Récemment une réunion de l’ONU a été annulée parce que les autorités des pays n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la modalité même de la discussion, la Russie refusant que les échanges se produisent par télé-conférence (alors que l’on ne voit pas bien comment il pourrait en être autrement).
         
        Nous avons beaucoup parlé de la science en insistant sur la pertinence de la notion de « re-présentation ». Le chercheur utilise des modèles, des hypothèses, voire des fictions pour rendre compte d’une réalité dont la nature même le dépasse tant par sa complexité que son étendue. Mais dés lors que nous sommes confrontés à des problèmes  vitaux et qu’une solution politique est expressément requise, cette notion de représentation et de modèle si pertinente dans le domaine des sciences se révèle insuffisante d’un pur point de vue logistique (de moyens), parce qu’il ne suffit pas de se faire une idée de ce qui se produit, encore faut-il rapidement remédier au problème.
        Nous pouvons ainsi mettre en perspective trois domaines de compétences: celui de la Science, celui de la Justice et celui de la politique, en nous interrogeant à chaque fois sur le rapport entre la réalité et la fiction (par fiction il faut entendre la notion de « modèle », de re-présentation, d’idée qui sert à moins comment les choses se sont effectivement passées que comment elles auraient pu ou du se passer: le Big Bang est le modèle de la naissance du monde mais il n’est pas la naissance du monde). La thèse qu’il s’agit d’éclaircir est la suivante: est-ce parce que l’Homme ne peut comprendre une réalité qu’en s’en fait une représentation (fictive donc) que la fiction occupe autant de place dans la politique?
        Certaines et certains parmi vous ont envisagé la possibilité que le droit. Naturel soit la fiction idéale du Droit, comme l’axe vers lequel devaient tendre tous les droits positifs sans jamais se confondre parfaitement avec lui, sur le même modèle géométrique que la courbe asymptotique. C’est effectivement une façon très intéressante d’aborder ce rapport Droit positif/Droit naturel. Ils ‘y a pas de droit n naturel mais il devrait y en avoir un (le problème c’est que nous n’avons pas nécessairement l’impression que les droits positifs suivent cette courbe, mais passons!).
          
Nous réalisons donc qu’en science, nous avons besoin de fiction pour rendre compte de nombreux phénomènes mais dans le domaine de la justice également le droit naturel semble pouvoir jouer le rôle de fiction régulatrice. Le droit naturel n’existe pas mais il est ce vers quoi devrait tendre tous les droits positifs (même si indiscutablement , ils ne le font pas). De ce fait, se pose à nous la question du politique: la fiction s’y manifeste-t-elle aussi à la fois comme une nécessité idéale, une sorte d’étoile qui guiderait les navigateurs que nous sommes et comme une impossibilité réelle, puisque de fait, n nous faisons bien l’expérience qu’il n’existe pas de régime politique parfait?
        Toutefois, dans cette question que nous allons nous poser, nous allons, pour le moins nous confronter à deux constations problématiques:
La pandémie que nous vivons, par exemple, requiert une solution politique « sans tarder », ce qui nous fait comprendre que la politique, contrairement à la science ou à la Justice, ne peut se contenter de solutions « théoriques » (Et encore pour la justice, la question se pose). La politique est peut-être, comme le suggère Machiavel l’art de trouver des solutions prenant en compte les hommes tels qu’ils sont et non tels qu’ils devraient être. Il y a de la pragmatique en politique.
        
            Les utopies politiques décrivent souvent des régimes totalitaires, comme si la possibilité de réfléchir à la question politique (quel est le meilleur régime possible?) imposait de fait une conception idéale des hommes qui se reflétait dans la tentation de leur imposer par force d’être ce qu’ils ne sont pas (pensons notamment aux camps de travail en Chine sous Mao Zedong).    

4) Les représentations du Politique: Etat, fiction et utopie
       
            
               Mais d’où vient cette présence de la fiction en Politique? Il est vraiment possible de citer ici un auteur: Platon dont l’un des ouvrages les plus connus: « La république » répond parfaitement à cette question. Non seulement Platon y décrit une organisation idéale (et finalement plutôt totalitaire dans laquelle la population est divisée en trois catégories), mais il justifie complètement cet usage:

Socrate - « C’était donc pour avoir des modèles que nous cherchions ce qu'est la justice en elle-même, et ce que serait l'homme parfaitement juste s'il venait à exister; pour cette même raison nous recherchions la nature de l'injustice et de l'homme absolument injuste : nous voulions, portant nos regards sur l'un et sur l'autre, voir le bonheur et le malheur dévolu à chacun d'eux, afin d'être obligés de convenir, en ce qui nous concerne nous-mêmes, que celui qui leur ressemblera le plus aura le sort le plus semblable au leur; mais notre dessein n'était point de montrer que ces modèles pussent exister.
Glaucon - Tu dis vrai, avoua-t-il.
- Or donc, penses-tu que l'habileté d'un peintre se trouve diminuée si, après avoir peint le plus beau modèle d'homme qui soit, et donné à sa peinture tous les traits qui conviennent, il est incapable de démontrer qu'un tel homme puisse exister ?
- Non, par Zeus, je ne le pense pas.
- Mais nous-mêmes qu'avons-nous fait dans cet entretien, sinon tracé le modèle d'une bonne cité ?
- Rien d'autre.
- Crois-tu donc que ce que nous avons dit fût moins bien dit si nous étions incapables de démontrer qu'on peut fonder une cité sur ce modèle ?
- Certes non. »

           Tout ce texte fait une comparaison entre le philosophe et le peintre. Socrate qui représente ici comme dans tous ses dialogues, la pensée de Platon, établit un parallèle entre la réflexion philosophique sur la politique (il ne faut pas se laisser abuser par l’utilisation du terme de Justice: ce que cherche Socrate, et derrière lui Platon, c’est le régime politique le plus juste) et la représentation picturale de la beauté physique. Un. Peintre qui dessine un très bel homme sur sa toile ou un statuaire qui sculpte un homme superbe ne se préoccupe aucunement de savoir si ce »t homme existe ou peut exister. Il veut représenter un bel homme et c’est tout. Mais aise i il donnera une idée de ce qu’est la beauté masculine.
           
      De la même façon, un philosophe doit réfléchir au meilleur régime possible et en donner idée par une oeuvre sans se soucier de savoir si cette cité idéale peut exister. Le raisonnement de Platon est le suivant: aucun homme ne peut être juste s’il n’est pas lui-même éduqué par des institutions justes au sein d’une cité juste. Il faut donc réfléchir à la possibilité d’une telle cité en décrivant les principes et les lois qui « idéalement » parviendrait à un tel résultat. Ensuite, la question de savoir si l’homme élevé au sein d’une telle cité serait heureux ou pas. La conclusion de Platon consiste d’ailleurs à poser qu’il est  impossible d’être heureux sans être juste et inversement.
            
Son propos ne se situe donc finalement jamais dans la vie réelle. Le peintre veut représenter le Beau, le philosophe le Juste et la politique décrit simplement le devoir des hommes de « s’aligner » sur ce dont la vérité a été démontrée « théoriquement », « idéalement ». Le modèle de République proposé par Platon est de bout en bout une fiction (et heureusement en un sens). Cela signifie que l’une des premières réflexions philosophiques sur le politique place au centre même de cette notion un modèle de fiction, comme s’il ne servait à rien d’observer la condition effective des hommes mais préalablement de définir la cité « pure » telle qu’elle doit être.
        Il faudra attendre la Renaissance pour que Machiavel (1469 - 1527) remette complètement en question cette approche fictive en affirmant à quel point la politique constitue au contraire le domaine qui, par excellence, doit faire preuve de réalisme plutôt que d’idéalisme moral:
       
  « Bien des gens ont imaginé des républiques et des principautés telles qu'on n'en a jamais vu ni connu. Mais à quoi servent ces imaginations ? Il y a si loin de la manière dont on vit à celle dont on devrait vivre, qu'en n'étudiant que cette dernière on apprend plutôt à se ruiner qu'à se conserver ; et celui qui veut en tout et partout se montrer homme de bien ne peut manquer de périr au milieu de tant de méchants. »       
        La politique n’apparaît pas à Machiavel comme l’occasion ou le lieu de changer les hommes mais plutôt de les observer et de ruser de leurs travers, de leurs dispositions, de leurs appétits, de leurs peurs et de leurs passions pour acquérir le pouvoir et le conserver de façon à ce qu’une paix civile puisse s’installer et demeurer en place. Le lieu du politique, à savoir la cité est, au contraire de Platon, l’espace qu’il faut saturer de réalisme, de pragmatisme, d’habileté « technique », éventuellement cynique, l’efficacité étant ici la seule règle. S’il est bien un domaine qui ne peut pas se permettre de donner prise à l’Utopie, c’est  celui du politique.


Nous allons en rester là pour aujourd’hui. Voici les deux questions à me rendre pour la semaine prochaine (mercredi ou jeudi):
1) Quel est le rôle de la fiction en Science, en Droit, en Politique?
2) Décrivez une utopie politique (imaginez que vous êtes la législatrice ou le législateur de la constitution d’un nouveau pays, un peu comme les colons débarqués en Amérique, et rédigez un début de texte visant à poser les principes de l’organisation politique d’une communauté - Humour autorisé )

Portez-vous bien!

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