mardi 17 mars 2020

Séance du 18/03/2020 - TL2 CALM (Cours A La Maison): 1h30

   Bonjour,
J’espère que tout va bien pour vous et que vous commencez à vous adapter aux nouvelles conditions du cours. Je me permets simplement de vous rappeler qu’il est très important de ne pas perdre le contact et de ne pas hésiter à me faire part de vos difficultés éventuelles. Finalement cette situation inédite a trois effets immédiats:
- Il n’y a plus vraiment de limite horaire au cours
- Vous prenez connaissance du cours en étant seul(e)
- Nous échangeons par écrit
        Même si ces conditions ne sont pas toutes favorables, notamment la deuxième, elles favorisent toutes vos compétences à l’écrit. C’est exactement ce que j’ai voulu dire hier en vous envoyant un message dans lequel je suggère qu’il est possible de tourner ces contraintes en avantages. Pour atténuer les inconvénients causés par l’absence d’interaction, il convient de ne jamais hésiter à me signaler vos difficultés, vos hésitations. Je vous répondrai le plus vite possible.
Bon courage à vous!

Correction des 3 questions:
1)  Quel est le but poursuivi par Nietzsche dans cette oeuvre?
2) Quel est le rôle joué par le langage dans la recherche de la vérité, selon lui?
3) Donnez des exemples de double métaphorisation. Qu’est-ce qu’une métaphore?


1) Nietzsche entreprend de faire la généalogie de cette recherche de la vérité qui caractérise la plupart de nos démarches. L’homme est une créature trompeuse et trompée parce que l’arme qu’il a choisi pour se défendre et pour se conserver est « l’intellect ». Il convient de suivre le fil de cette « valeur » et de voir, en deçà de l’impératif moral de dire la vérité l’instinct qui anime et motive souterrainement ce mouvement.
2) Ce que nous reprochons au menteur finalement, c’est de ne pas dire la vérité de ce qui est, mais nous partons alors du principe qu’il est possible de dire la vérité de ce qui est sans nous rendre compte que les mots ne sont jamais que des symboles de la réalité que nous décrivons. Si nous acceptons de penser que la fleur existe et que le rouge existe, alors oui il est vrai de dire que la fleur est rouge, sauf que….La notion même de fleur est problématique généralisante. Elle crée un amalgame qui est fondamentalement faux. Il faut donc nous méfier de la langue, tout en prenant conscience qu’il n’existe peut-être aucun autre instrument à la portée de l’intellect humain.
3) J’en prendrai un mais suffisamment simple pour être compris debout le monde: j’entends un bruit et je visualise l’image d’un chien: c’est la première métaphore, à savoir que je transpose le son pur vers l’image d’un animal. Le simple fait de rendre compte d’une sensation par l’image d’un être ou d’une chose est une métaphorisation, une interprétation. Puis je dis: c’est un chien qui aboie, je mets un nom: « chien » sur l’image mentale que je visualisai. Nous faisons des métaphores à chaque perception. Nous sommes des « métaphoriciens »  nés.


        Reprenons maintenant le fil de l’explication: Nous sommes à la fin du paragraphe 1. Hier, nous avons vu que Nietzsche s’attaquait à l’intellect humain, lequel est une arme de défense que l’homme a choisi d’exploiter plus que les autres. Si l’auteur évoque l’intellect « humain », cela signifie qu’il ne nous est pas réservé. Les animaux aussi en disposent, mais, contrairement à nous, ils bénéficient de qualités et d’armes naturelles qui leur permettent de survivre alors que l’espèce humaine s’est spécifiquement  orientée vers lui. Nous avons choisi ce moyen de survie et comme l’intellect est une faculté particulièrement vouée au travestissement, à la dissimulation, nous sommes probablement l’espèce animale la plus trompeuse et la plus trompée de la création.

ATTENTION: je vais faire référence au plan que je suis dans l’explication. C’est celui que je vous avais présenté et qui correspond au cheminement suivi par Nietzsche.
I) Problématique
            1) Fiat Fabula (§1)
            2) L’intellect (§2)
           3) « L ‘intellect, instrument des instincts » (§3)

        Où nous situons-nous? Nous sommes en train de glisser vers le 2) l’intellect.

                
  Nietzsche critique  déjà l’intellect humain à la fin du premier §, après la fable. Mais il ne parlera que de lui dans le 2e§. Il est vraiment capital que vous sachiez toujours où nous en sommes dans le texte de Nietzsche. La référence à la mouche situe bien la faiblesse de cet intellect qui n’est « qu’humain ». Gilles Deleuze, reprenant les thèses de l’éthologue Jacob Von Uexküll (1864 - 1944) prenait lui l’exemple de la tique qui construit son milieu autour de trois affects mais c’est la même chose pour la mouche. On ne voit pas comment on pourrait nier que la mouche perçoit son milieu, qu’elle le construit d’une certain façon suivant sa sensibilité, sa perception. Il y a donc un monde vu par la mouche et un monde vu par l’homme. Que la perception de l’homme s’articule autour de davantage d’affects que celui de la tique est indiscutable mais ce n’est pas pour autant que le monde vu par l’homme devrait être le seul viable, le seul à compter. C’est ça l’idée, et ça qui explique la référence au « Pathos », c’est-à-dire au ressenti, à ce que nous recevons comme informations sensibles de ce qui nous entoure.

        Toujours dans le 1er paragraphe de l’oeuvre, Nietzsche s’attaque au philosophe. Il est assez prévisible qu’en ciblant de façon aussi violente l’intellect humain, Nietzsche finisse par viser son promoteur tout désigné, à savoir le philosophe. Ce souffle du grand dehors comme un grand vent qu’il s’agirait de faire souffler sur la pensée humaine en ouvrant enfin ces fenêtres que nous ne cessons au contraire de vouloir fermer se manifeste aussi par le point de vue extérieur qu’un « philosophe » ou considéré comme tel va porter sur « la philosophie », entendons par là la philosophie académique, celle qui, depuis Platon, est une philosophie de professeurs, enseignante comme si l’on pouvait l’enseigner (mais que suis-je est train de faire, au juste?). Plusieurs portraits de philosophes conviendraient parfaitement ici pour illustrer le point de vue critique de Nietzsche, mais, par souci de simplicité, il est est préférable de garder le viseur braqué sur Kant puisque est incontestablement la cible de l’auteur. A aucun moment de sa philosophie, Kant ne prend vraiment au sérieux la possibilité d’un univers sans homme, et de fait, chacune de ses thèses visent au contraire à établir la limite de ce que l’être humain peut connaître, faire ou espérer. Il est un philosophe des Lumières et n’a pas complètement tort de penser que les yeux des hommes sont braqués sur lui, car il a, mieux et plus qu’aucun autre, établi clairement ce qu’il s’ensuit pour un homme de vouloir agir moralement, intellectuellement du point de vue de la connaissance, espérer un avenir. Toutefois cette clarté et cette justesse s’est toujours effectué au prix de ce que nous pourrions appeler un « impensé », comme si, de fait il était impossible à un homme de saisir une vérité non-humaine. Nous ne percevons pas le même monde que la mouche, mais de ce fait nous pouvons concevoir la possibilité d’une vérité qui ne serait que la multiplicité  de tous les mondes interprétés par d’autres pathos, par d’autres ressentis.
        Nous sommes ainsi à la fin de ce §1 à même de clairement discerner ce qu’est une vérité morale et une vérité extra-morale:
- La dimension de la vérité morale (appelée aussi véracité) provient de modalités de pensée dont on peut faire la généalogie  et qui servent les intérêts de la communauté humaine (qu'on l'appelle société, famille, troupeau ) parce qu’en fait il s’agit de s’entendre sur ce que nous appeler « vérité »
Le plan extra-moral est précisément ce que l’on obtient quand on a conduit à son terme ce processus de généalogie symptomatique: on découvre les points de déformation au premier rang desquels il faut situer la structure métaphorique du langage. Si nous les corrigeons nous pouvons retrouver la source de cette vérité extra-morale. Il s’agit de celle qui conduit à abandonner le genre de vie théorique (connaître par concept), et à lui substituer un genre de vie artistique (celui qui approuve intuitivement la vie et la célèbre comme une valeur positive, celui qui crée ): « L'homme intuitif récolte déjà, à partir de ses intuitions, à côté de la défense contre le mal, un éclairement au rayonnement continuel, un épanouissement, une rédemption ».


        Quelques mots sur cette dernière citation: l’homme intuitif, c’est celui que ne se laisse pas prendre par l’illusion de tout savoir « conceptuellement ». Toute la philosophie de Nietzsche repose sur une forme de défiance à l’égard de l’intellect, mais, comme toujours pour lui, ce n’est pas pour autant qu’il serait une faculté fondamentalement nuisible ou dommageable. Que l’intellect soit une faculté de travestissement n’est pas mauvais ni embêtant, en soi. La nature elle-même ne cesse de se dissimuler. Simplement elle provoque chez l’homme un orgueil démesuré et c’est à cela qu’il faut faire attention. L’homme intuitif fait preuve de suffisamment d’utilité pour bien saisir cette faculté de travestissement inhérente à l’intellect.

        (§2) Passons maintenant au 2e § - Nietzsche accentue et affine ses attaques contre l’intellect qui est présenté comme l’auteur de cette imposture de la connaissance mais précisément si l’homme est le créateur de la connaissance, il n’est pas désigné comme l’auteur de l’intellect, lequel apparaît donc plutôt comme une force, un instinct de survie. L’intellect est une puissance de déformation grâce à laquelle des espèces naturellement défavorisées vont s’inventer des raisons de s’entêter dans l’existence alors même qu’elles seraient plutôt vouées, sans cette ruse, à s’en détacher (Lessing est un écrivain et philosophe de Saxe dont le fils ne connût que deux jours d’existence). On retrouve évidemment la tournure même de la généalogie Nietzschéenne: l’intellect est « nécessaire » parce que sans lui, l’espèce humaine aurait peut-être perçu la nature dérisoire de sa faiblesse fondamentale mais en même temps il a constitué une illusion dont sont victimes les hommes incapables de déceler sa présence dans la représentation qu’ils se font de la connaissance humaine, de notre supposée finalité et de notre importance dans l’univers.
        L’intellect est donc une faculté mensongère à laquelle nous devons à la fois notre salut (au sens où nous existons grâce à lui) et notre aveuglement (au sens où nous nous trompons quasi structurellement, automatiquement grâce à lui).  Il pervertit nos ressentis et nos pensées « à la racine », c’est-à-dire à la conscience que nous prenons de ceux nous entoure, de ce qui nous touche, de ce qui nous fait penser: « la conscience d’une notion implique l’illusion - l’intellect, l’unique et le tout premier menteur. » En 1884, Nietzsche se demandera « dans quelle mesure notre intellect est lui aussi une conséquence des conditions d’existence - nous ne l’aurions pas s’il ne nous était nécessaire; et il ne serait pas ce qu’il est si ce n’était nécessaire qu’il soit tel pour nous si nous pouvions avoir une existence différente. »
       

                 Cette dernière affirmation est suffisamment éclairante et difficile pour que nous nous efforcions réellement d’en pénétrer le sens. L’intellect est né des conditions mêmes d’existence d’une espèce aussi fragile que l’espèce humaine. Sa nécessité repose donc entièrement et exclusivement sur notre perpétuation, notre persévérance dans la bonté d’exister malgré tout et « ce malgré tout » est plein d’une multitude de carences, de faiblesse, d’indigence propres à l’existence humaine naturelle. Mais aussi nécessaire soit-elle, cette force de l’intellect, cet instinct de survie aurait été différent si nous avions été une espèce naturellement différente. En d’autres termes, l’intellect est tellement indissociable des conditions mêmes de notre survie et de notre développement que nous ne pouvons pas réaliser qu’il est finalement contingent. Si nous accordons autant d’importance à l’intellect, si nous considérons la connaissance avec autant d’emphase, d’orgueil et de « finalisme » (comme si nous étions l’espèce créée par Dieu pour faire rayonner dans l’univers cette lumière divine de l’intelligence de l’univers), c’est parce que nous lui devons en réalité notre salut. Mais nous accomplissons cette opération inconsciemment et sans nous rendre compte non plus que nous ne faisons en plaçant ainsi l’intellect et la connaissance au-dessus de toute chose, en intellectualisant nos perceptions et nos ressentis, que nous complaire dans l’autosuggestion, dans une forme d’auto-congratulation. Jusqu’à quel point notre volonté de comprendre l’univers, de le conceptualiser, d’en saisir les lois ne manifesterait pas en réalité quelque chose de très égoïste, de très « intéressé », une sorte de recouvrement à la dette que nous avons contractée à l’égard de l’intellect, laquelle est « LA » faculté grâce à laquelle nous existons encore et toujours. Ne serait-ce pas ça en fin de compte « la connaissance »?
        Pourquoi y-a-t-il tromperie? Parce que nous faisons comme si notre intellect nous permettait de comprendre l’univers alors qu’en réalité il nous cache le fait que « comprendre l’univers par le concept » est un dessein parfaitement anthropocentrique où se célèbre une sorte de culte vouée à l’auto-célébration par une espèce donnée et naturellement faible qui ne fait ainsi que qu’auto-promouvoir le fait de sa propre existence.
       
On pourrait ici utiliser une image un peu étrange mais particulièrement  à même de nous faire comprendre la pensée de l’auteur. Imaginons un bébé prématuré dont la vie est, d’un point de vue clinique, particulièrement précaire et qui devrait le prolongement de son existence à sa capacité à rêver qu’il est quelqu’un d’important, une vie de songe qui ne se déploierait  qu’au gré de cette continuelle auto-suggestion. La connaissance, telle que la décrit Nietzsche, serait ce rêve et l’intellect la faculté, l’instinct de survie, qui lui permet de rêver. Nous aurions devant la stratégie de défense d’un tel bébé, deux sentiments qui se situent au plus prés de ce que Nietzsche nous explique ici:
Qu’importe si c’est cela qui lui permet de vivre et tant mieux s’il rêve.
A quel point ce rêve est faux, trompeur, impressionnant dans "la teneur même de la vérité » qu’il dissimule, à savoir qu’il est un prématuré dont l’existence ne tient qu’à un fil.
        La difficulté majeure que nous éprouvons à cerner exactement ce que Nietzsche par ce terme d’ « intellect » réside précisément dans la conciliation de ces deux points. Nous avons besoin d’alimenter cette croyance totalement illusoire de notre importance dans la nature sans quoi nous serions ramenés à la justesse de  notre pitoyable condition. L’image du bébé prématuré est donc correcte voire éclairante parce qu’elle décrit exactement la profondeur de l’illusion dont l’intellect est responsable. Il n’est ni plus ni moins qu’une stratégie d’auto-défense qui consiste dans le développement d’un processus d’auto-persuasion, et surtout il est finalement impossible de dire qu’il est bon ou mauvais, dans la mesure où il nous protège de la stricte vérité (dont nous reconnaissons les accents tragiques dans le théâtre antique grec) mais aussi où il nous engage à aller toujours plus avant dans le mouvement d’une existence qui ne cesse de se nier davantage elle-même au fur et à mesure qu’elle de déploie (les cinq étapes du nihilisme).
        « Son effet général est l’illusion »: même si cet aspect sera beaucoup plus développé dans le 3e §, Nietzsche évoque les effets plus particuliers de cet intellect. Cela signifie qu’il ne se limite pas à cette conséquence externe de falsifier les rapports que nous entretenons avec le monde mais aussi qu’il stimule tous les comportements sociaux par le biais desquels nous « donnons le change », c’est-à-dire nous donnons notre part à cette hallucination collective dans laquelle consiste en fait cette humanité portée à développer le flambeau de l’esprit, à générer une évolution spécifique, un progrès moral et historique, et cela à l’intérieur même de cette société. Plus nous sommes persuadés de créer, d’innover, d’inventer, moins nous réalisons qu’en fait nous sommes animés par l’instinct de survie, par cette passion primitive qui consiste à rester vivants coûte que coûte.
Le travail authentique de l’intellect est donc la dissimulation, une forme d’art, un travail indiscutablement métaphorique: comment, à partir de ce qui « EST » vraiment, à savoir ce chaos de forces naturelles, antagonistes et absurdes (qui tient énormément du vouloir vivre schopenhauerien), l’homme peut-il constituer de toute pièce un « cosmos » bien ordonné au sein duquel nous allons construire des cités et développer des communautés organisées autour de lois communes?
       
               Il importe ici de bien saisir que le terme d’« Art » englobe la technique, le savoir-faire. Nous allons cultiver l’art de construire en lieu et place du chaos l’ordre de la cité, des lois, de la morale et de valeurs communautaires. Dans l’un de ses fragments posthumes, Nietzsche décrit la première étape de cet art de l’intellect grâce auquel il va transformer un matériau brut en « représentation humaine et socialisante »:
« La première impression sensible est retravaillée par l’intellect: simplifiée, corrigée en fonctions de schémas préalables; la représentation du monde phénoménal  est, en tant qu’oeuvre d’art, notre oeuvre. Mais pas les matériaux - l’art, c’est précisément ce qui souligne les lignes générales, qui retirent les traits décisifs et laisse de côté bien des choses. »
        Marc de Launay, spécialiste de la philosophie allemande, insiste sur l’injustice de Nietzsche à l’égard d’Emmanuel Kant car c’est bien finalement de ce philosophe détesté que Nietzsche se rapproche ici en l’ignorant probablement. Il convient en effet de ne pas oublier que Nietzsche est encore à cette époque, sous le charme de la lecture du « monde comme volonté et comme représentation » et que Schopenhauer n’a jamais caché tout ce que son intuition et son oeuvre devaient à Emmanuel Kant, et cela Nietzsche le sait, même si selon Marc de Launay, sa critique quasi systématique de Kant (et totalement cohérente du point de vue de la morale et de l’histoire) s’appuie sur une faible connaissance de la théorie de la connaissance de Kant.
       
Mais en quoi consiste globalement celle-ci? Dans la distinction entre le phénomène (la chose que nous percevons) et le noumène (la chose en soi). Tout ce que nous expérimentons est, du fait même que nous l’expérimentions, dans le temps et dans l’espace, et c’est précisément à partir de ce filtre que nous appliquons au contenu de cette intuition les catégories de notre entendement. (causalité, substance, unité, possibilité, nécessité, etc.). Cela signifie que nous ne pouvons pas faire l’expérience d’une réalité sans lui imposer des cadres au fil desquels nous la reconstruisons, et nous la re-présentons. Il n’est pas du pouvoir de l’homme de percevoir la chose en soi: par exemple, nous ne percevrons jamais « la » lumière, en tant que noumène mais seulement d’elle, la seule longueur d’ondes à laquelle nous sommes sensibles, à savoir la fréquence située entre l’infrarouge et l’ultraviolet. L’opposition entre Nietzsche et Kant se situent sur cette question de l’existence de la chose en soi, par exemple de « la » lumière pure, objective. Pour Nietzsche, cette lumière n’existe pas: « Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations ». De ceci qu’elle puisse être interprétée différemment, il ne s’ensuit pas qu’elle puisse être sans être interprétée. « Etre lumière » n’est ni plus ni moins que consister dans cette myriade d’interprétations. Par contre, Kant maintient la référence à « la chose en soi » et donne à la représentation du phénomène par le biais des catégories de l’entendement humain une légitimité universelle. Cette lumière pure existe mais elle n’est et ne sera jamais connaissable par l’homme, lequel va construire sa représentation dans l’efficience cognitive de cette limite (d’où la notion de « critique » de la raison pure: « que puis-je connaître? »).
      
  Nietzsche est peut-être « ingrat » en ne mesurant pas, notamment dans l’impact de la lecture de Kant sur Schopenhauer (impact que ce dernier n’a jamais nié, au contraire) tout ce que sa propre pensée doit finalement au philosophe de Koenigsberg, mais il ne se trompe aucunement sur la différence fondamentale qui subsiste, et qui se manifeste au plus haut point ici, entre l’entendement kantien et la conception de l’intellect qu’il décrit, dans ce deuxième §. La compréhension de ce que l’entendement est et fait permet à Kant de déterminer précisément ce que l’on peut connaître, à savoir le phénomène (et nous pouvons le connaître parce que nous le constituons) et ce que nous ne pouvons pas connaître, le noumène, la chose en soi. Pour Nietzsche, l’intellect est exclusivement l’agent de cette dissimulation créant le rêve de la connaissance, rêve n’ayant d’autre motivation que de maintenir en vie « ce bébé sous perfusion » qu’est le genre humain. Dans une optique Nietzschéenne, nous réalisons bien que Kant est pris dans le rêve dont il ne décèle qu’un seul ressort (mais honnêtement , c’est déjà bien): la part de l’entendement humain dans la constitution du phénomène.

⇒ATTENTION:  Pour demain, je vous pose une simple question à laquelle je vous demande de répondre en quelques lignes. Il est vraiment essentiel que tous les élèves de la classe m’envoient leur réponse parce que non seulement cela nous permet de ne pas perdre le contact mais cela me donne également la possibilité de voir ce qui est assimilé et ce qui ne l’est pas. Nous avons déjà expliqué 2 § (et l’oeuvre n’en compte que 14, donc c’est bien, mais cela ne sert à rien d’aller vite si des confusions ou des obscurités demeurent, donc échangez avec moi si vous avez besoin de clarifications)

QUESTION: qu’est-ce que l’intellect humain, selon Nietzsche?
Gardez le moral et portez-vous bien. A demain

6 commentaires:

  1. Bonjour monsieur, je me demandais avant de répondre à votre question si l'on peut faire un lien entre l'intellect et la diplomatie (Aulieu de tout résoudre par la force (qui aurai pu être développée à la place de l'intelligence) on tourne autour des choses , dissimulant nos intentions, cherchant des compromis multiples pour arriver le plus possible à nos fin). Est ce que l'on peut dire que l'intellect est à l'origine par exemple de la diplomatie ?

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    1. Bonjour,
      Ce n'est pas du tout un rapprochement incohérent si je vois bien ce que vous voulez dire. L'homme a choisi une arme assez sournoise: l'intellect "fait semblant" comme la diplomatie "fait semblant". On peut être très poli alors que nos deux nations se détestent et vont peut-être entrer en guerre. La diplomatie est l'art d'arrondir les angles mais en jouant beaucoup sur les apparences. Oui, c'est conforme, sauf que pour Nietzsche la nature elle aussi joue des apparences, se cachent et aime dissimuler. L'intellect est une force naturelle, mais chez l'homme elle est devenue anthropocentrée, orgueilleuse. Nous croyons vraiment que le monde entier tourne autour de notre nombril. Il faut essayer de bien comprendre l'image du bébé (je l'aime bien). Le bébé est fragile et il faut par auto-suggestion qu'il se donne des raisons de maintenir ce fil étroit qui le maintient en vie. Donc il rêve qu'il est le centre du monde. La puissance mentale qui permet à l'homme de faire ce rêve, c'est l'intellect.
      J'espère que j'ai un peu éclairici les choses. Votre rapprochement est cohérent mais en même temps l'intellect a plus d'amplitude que la diplomatie qui désigne un certain type de rapport entre les hommes.

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  2. -La vérité extra-morale est-elle ce à quoi il faut tendre, mais qui n’est accessible que par la généalogie et l’abandon de la vie théorique ?
    -Pour ce qui est de Kant et son avis sur la lumière comme "pure"... je nage un peu je crois ! J’ai compris que Kant ne croyait qu’en l’univers avec l’espèce humaine et ne croit qu’en une vérité humaine. Mais il reconnaît quand même que l’Homme ne peut pas voir cette "lumière pure" ?

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    1. Oui, pour Nietzsche, pour extraire la vérité de la morale, il faut réfléchir sir les soubassements de notre obsession pour le vrai, et cela ne peut se faire que par la généalogie. Voilà pour la première question.
      Pour la différence entre Kant et Nietzsche et l'importance de l'intellect, c'est effectivement plus compliqué. Kant ne nous parle pas de l'intellect mais d'entendement et il en a une vision plus positive que Nietzsche. Rappelez vous de la différence entre le noumène et le phénomène. Il y a la chose telle qu'on la perçoit(phénomène) et la chose telle qu'elle est (noumène). Moi j'ai pris l'exemple de la lumière parce que je pense que c'est un bon exemple mais Kant l'applique évidemment à toute chose vue. Il y a la lumière pure, que nous en voyons jamais telle qu'elle est et puis il y a la lumière que nous voyons mais nous la voyons seulement comme nous pouvons la voir. Nous sommes partie prenante de cette vision, nous la voyons comme ça parce que nous avons in entendement qui va imposer certaines catégories au travers desquelles nous la percevons. Nous constituons ce que nous voyons avec notre entendement humain. Là-dessus Kant et Nietzsche serait d'accord. Mais ce qui les sépare, c'est que Kant donne beaucoup de poids, de valeur à cette vision universellement humaine du phénomène et d'autre part, il croit qu'il existe la lumière en soi. Nietzsche insiste au contraire sur le fait que le phénomène décrit seulement notre vision (à la limite, c'est juste une différence sur l'importance qu'il convient d'accorder à l'être humain)et d'autre part, Nietzsche ne croit pas que la chose en soi existe.
      Est-ce que c'est plus clair?

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  3. Bonjour,
    Je ne suis pas sure d'avoir bien compris ce passage :
    "Mais nous accomplissons cette opération inconsciemment et sans nous rendre compte non plus que nous ne faisons en plaçant ainsi l’intellect et la connaissance au-dessus de toute chose, en intellectualisant nos perceptions et nos ressentis, que nous complaire dans l’autosuggestion, dans une forme d’auto-congratulation. Jusqu’à quel point notre volonté de comprendre l’univers, de le conceptualiser, d’en saisir les lois ne manifesterait pas en réalité quelque chose de très égoïste, de très « intéressé », une sorte de recouvrement à la dette que nous avons contractée à l’égard de l’intellect, laquelle est « LA » faculté grâce à laquelle nous existons encore et toujours. Ne serait-ce pas ça en fin de compte « la connaissance »?"

    Je vous propose de vous dire ce que je pense avoir compris afin de vous puissiez m'éclairer ensuite.

    -l'opération inconsciente est le fait d'accorder à l'intellect humain une telle importance alors qu'il n'est que contingent
    - nous plaçons l'intellect et la connaissance au dessus de tout et nous intellectualisons toutes nos sensations, or nous ne nous rendons pas compte que cela est en fait un moyen pour nous de nous satisfaire d'une espèce d'auto-congratulation.
    -Je n'ai pas compris de quel manière nous avions une dette face à l'intellect...
    - la connaissance c'est avoir conscience de la dette que nous avons à l'intellect ?

    Merci d'avance,

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    1. Bonjour,
      L’intellect est vraiment une faculté ambiguë: elle est trompeuse comme vous l’avez bien compris. Mais elle est aussi ce sans quoi l’homme ne pourrait pas vivre, survivre. Elle tient d’un instinct de conservation en fait. Ça c’est très intéressant: cela veut dire que plus nous sommes dans l’intellect, tenant des raisonnements abstraites, plus, en réalité, ce qui nous travaille c’est une pulsion, un instinct de survie. Donc la notion de dette peut être envisagée. Quelque chose en nous de très inconscient perçoit tout ce que nous devons à cette faculté et la connaissance aussi trompeuse et trompée soit-elle serait une façon de payer notre tribut, notre dette à l’égard de cette faculté grâce à laquelle étrangement nous sommes vivants. Comme toujours chez N Nietzsche tout n’est pas que bien ou que mal!
      C’est pour ça que j’insiste autant sur l’auto-suggestion avec l’exemple du bébé prématuré. Il faut qu’on tienne à une histoire, même fausse, précisément parce qu’elle est fausse parce que ce rêve d’un homme choisi par Dieu nous permet d’avoir quelque chose à quoi croire. Evidemment si on est artiste c’est mieux parce qu’on se donne en créant des raisons d’exister: nos oeuvres.

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