mardi 24 mars 2020

Séance du 25/03/2020 CALM (Cours A La Maison) TL2: 1h30

Bonjour à vous,

   
T'y crois toi? A la fin du confinement?
Voici la pensée du jour: la période que nous vivons est vraiment dure, difficile, pénible à supporter par bien des aspects dont le pire est sans aucun doute l’épreuve de la perte de personnes qui nous sont proches famillialement ou pas. Mais au-delà de toutes ces expériences tragiques, elle a le mérite de redonner du sens aux mots. Se demander aujourd’hui si « ça va » porte une intention, une sincérité, une authenticité qui nous manque en temps de « non-crise ». Entre autres choses, la philosophie peut servir à célébrer cette acuité, cette hyperesthésie (intensification de tous nos sens, mot cool à sortir dans tous les cocktails mondains: succès assuré. Exemple: « la lecture de ce livre m’a rendu hyperesthésique»). De nombreuses personnes qui, en ce moment, se voient privées de la possibilité de sortir, de travailler se retrouvent dans la position décrite par Pascal:
        « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »

« Ça va? »

Pascal sur un billet:si vous en avez, je fais collection!
Quelques mots sur les figures de Chladni: finalement c’est un dispositif qui permet de « voir du son ». Un sourd peut grâce à lui voir de la musique, l’effet de vibrations, de tonalités musicales au gré des figures de sable qui se dessinent sur le plateau. C’est ça l’idée: voir l’effet de la vibration créée par l’archet du violon (mais on pourrait imaginer d’autres instruments) sur des figures de sables (un peu comme des mandalas, sauf qu’ils ne seraient pas dessinés par l’homme mais par la musique). Nietzsche reprend cette image pour parler de la métaphorisation dans laquelle le langage consiste: de la même façon que les figures de sable donnent une certaine idée de ce qu’est le son parce qu’elles enregistrent, transposent la sonorité, les images, les symboles  et les opérateurs à l’œuvre dans le système de la langue transposent les sensations. Mais il faut suivre le parallèle jusqu’au bout: ce n’est pas pour autant que le son « est » le dessin, pas davantage que la sensation n’est l’image et moins encore le mot.


Nous en étions au §6. Attention, nous entrons vraiment dans les passages les plus difficiles. A partir de maintenant, il faut VRAIMENT me signaler précisément vos difficultés, surtout que ce que l’on voit commence à être vraiment concerné par le sujet du 10/04: « ne peut-on tenter de connaître la réalité qu’en créant des fictions? » Il est parfaitement possible de suspendre un peu le suivi de l’explication et de consacre »r une séance entière pour moi à répondre à vos questions. Pour cela il faudrait que vous me posiez des questions. Certaines et certains d’entre vous le font, mais là il faudrait que ce soit la majorité des élèves. Je choisira 5 ou 6 questions qui reviennent et j’essaierai d’y répondre le moins mal possible. Pour être clair, nous entrons dans une nouvelle notion qui est celle de la Science dont il faut bien comprendre que Nietzsche donne ici une vision plutôt négative.

L'important c'est la beauté intérieure!
Dans la nature, il n’y a rien que réalités disparates et existence confondue, dynamique, fluide, mutante. Il y a de l’X, autant dire de l’inconnaissable, l’inconnue de l’équation humaine. Ce paragraphe dans son intégralité est une remise en cause de Platon pour qui le sensible n’est qu’une pâle copie de l’intelligible dans lequel séjourne les idées pures, abstraites. La philosophie de Nietzsche est une philosophie de l’immanence, un rejet sans condition de toute transcendance. Que sont finalement ces théories posant la prévalence des Idées (Platon), ou de l’idée d’infini (Descartes) ou de l’universel (Kant)? Des pseudo conceptions qui en réalité ne se rendent pas compte qu’elles déplient vainement et surtout tautologiquement les présupposés du langage.  On pourrait ici citer l’expérience de l’esprit de Descartes qui à l’occasion du changement d’apparences qu’une flamme fait subir à un bloc de cire (du bloc à une flaque) déduit la nécessité de poser une cire identique là où nos sens font l’expérience de deux réalités distinctes. C’est pour le philosophe français la preuve que notre entendement perçoit la cire UNE là orle sens échouent, puisque faut bien que cette cire soit « UNE ». Mais la perspective nietzschéenne est ici très éclairante: où est cette unité de la cire? Dans le concept et celui-ci n’est nulle part ailleurs que dans le mot. Nous annulons les métamorphoses réelles et existentielles de ce qui s’effectue devant nos sens parce que nous partons de cet arbitraire du concept de cire.
         
Quelque chose de crucial est ici en train de se jouer qui préfigure la référence à la science, laquelle ne va pas tarder dans l’oeuvre. Nous faudrait-il suivre Nietzsche et soutenir que la vapeur, un bloc de glace et de l’eau liquide sont des réalités dissemblables? Toutes sont pourtant des états différents d’une seule et même molécule: H2O.  La démarche conceptuelle ici ne se trompe pas et nous permet bien de saisir la réalité d’une seule et même substance soumise à des températures et des opérations différentes. Faut-il ici encore concevoir que la « vérité » conceptuelle est trompeuse, alors même qu’elle nous permet de poser l’existence de l’eau au-delà de ses apparences multiples?
        Nietzsche répondrait ici sans aucun doute que nous sommes aussi bien ici que pour l’exemple de la feuille ou de l’honnêteté confrontés à un processus de métaphorisation du réel. Que la symbolisation de l’eau par la molécule H2O et la mise en rapport mathématique, physique (au sens de la science physique) de cette molécule avec d’autres nous permettent de poser des propriétés, de transformer, voire de réaliser des caractéristiques et des opérations de cette eau réelle ne saurait remettre en cause le fait qu’il s’agit bel et bien d’une métaphorisation. Le scientifique ne détient pas davantage la vérité de cette eau en la baptisant H2O, que Holderlin ne détient la vérité du Rhin en composant un poème en son honneur.
        La fin du § est d’ailleurs particulièrement éclairante sur ce point: l’opposition entre individu et genre est effective dans l’esprit humain qui cible la nature, pas dans la nature, mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne rendrait pas compte de quelque chose de naturel. Toute métaphore fonctionne par analogie et il y a bien quelque chose de la faucille d’or dans le champ des étoiles qui nous dit une réalité de la lune, soit sa forme quand elle comment de se dégager de l’ombre de la terre par rapport au soleil. Le problème n’est pas la métaphore en soi, mais la croyance que la métaphore dit le vrai et que H2O nous dise la vérité de l’eau.
       
Sacré Milan! Toujours aussi motivant!
Quelque chose de profondément Nietzschéen s’exprime ici: nous sommes tous plus ou moins convaincus que la science est plus vraie que l’art ou que la mythologie, mais dés lors que le langage et la science nous apparaissent sous leur véritable jour de métaphorisations de la réalité, alors la science et l’art ne se distinguent plus d’une façon aussi radicale qu’auparavant puisque dans les deux cas nous avons affaire à des métaphorisations de la nature, mais l’une est plus assumée que l’autre (l’art se donne à interpréter alors que la science se présente comme explication) . Si nous déplaçons le curseur de la vérité en considérant que celle-ci ne consiste pas dans l’universalité du concept mais dans le dévoilement du réel, et plus encore dans « le dévoilement du voile de la nature », alors le poème d’Holderlin n’est pas moins vrai que l’analyse scientifique de la molécule H2O.

        Nous passons maintenant au:
3) Le « colombarium » des métaphores conceptuelles. (mais souvenez-vous: ce qui compte est que vous suiviez les §)
   
« Qu’est-ce donc que la vérité?….la grand-mère de tout concept (§7):  Nous voici à un moment crucial de l’ouvrage, celui dans lequel Nietzsche redéfinit la vérité à partir de tout ce qu’il vient de mettre à jour, notamment dans son rapport au langage et également celui qui va permettre à Nietzsche de revenir à la formulation précise du problème qu’il veut traiter: l’instinct de vérité.
          
                   Revenons à des définitions strictes: la métaphore, comme nous l’avons vu, désigne cette figure de langage qui consiste dans une modification de sens par substitution analogique. Le sens du mot faucille n’a rien à faire « dans le champ des étoiles », mais la forme de la lune justifie l’assimilation en tant qu’image, puisque visuellement la lune ressemble à une faucille. La métaphore suppose que nous acceptions de passer d’un domaine à un autre avec lequel il n’entretient habituellement aucun rapport, mais il existe une analogie au niveau de l’image. Il n’y a pas de loup à la cour de Louis XIV mais La Fontaine suggère que les nobles sont comme des loups qui se donnent l’apparence de leur bon droit.
         Une métonymie se définit en tant que figure par laquelle on désigne un objet ou une idée par un autre terme que celui qui lui conviendrait littéralement. Un écrivain n’est pas une plume mais on dira de lui qu’il est une bonne plume par métonymie (la plume étant l’instrument qu’il utilise pour écrire). Personne ne boit de verre mais son contenu. Dans toute métonymie, on compte sur la compréhension figurée d’un énoncé qui littéralement serait absurde. Je ne vais pas manger la région du Cantal, mais un fromage qui vient du cantal.
          
Ce qui est important dans ces figures rhétoriques, c’est que nous les comprenions immédiatement alors même qu’elles ne sont pas littéralement compréhensibles. Echanger des propos dans une langue suppose donc que nous « misions » inconsciemment et sans jamais « perdre » sur une entente se situant au niveau du sens figuré des images et des recoupements suscités par l’expression utilisée. Toute compréhension d’une métaphore ou d’une métonymie m’intronise comme membre à part entière d’une communauté linguistique. C’est comme s’il y avait un mot de passe secret dans tel énoncé et qu’en le relevant inconsciemment j’ai gagné le droit de me joindre aux autres.
        La fonction de ces figures est donc de fédérer des communautés autour de leur usage et aucunement de dire la vérité extérieure quant à ce qu’elles affirment. Si je dis que la pierre est dure, je ne dis pas la vérité de la pierre, je valide des assimilations métonymiques et métaphoriques, à savoir que le mot « pierre » vaut pour tous les échantillons minéraux et que « dure » regroupe toutes les excitations nerveuses de fermeté au toucher, que tous les prédicats peuvent être assignés à des sujets, à des substances par le biais de la copule « Etre ». « Dire la vérité », c’est finalement valider l’accord de tous autour d’une formulation qui fera consensus. Toute vérité de ce type est auto-proclamée. Si je dis que "la pierre est plus dure que la boue », je ne dis pas quelque chose d’insensé, ni d’inintéressant, mais ce sera toujours sur le fond d’assimilations métaphoriques (analogie) et métonymiques (contiguïté) que je l’aurai émise.
        Toute « vérité » énonce  ce qui peut être dit d’une situation mais en aucune façon la vérité de ce qui, d’elle, est à vivre, de telle sorte que l’homme ne fait que vérifier des implications logiques entre des opérateurs de langage sans jamais en apprendre vraiment sur la vérité de ce qu’il vit dans son rapport au monde. Le langage situe ce que nous vivons sur un autre rapport en faisant valoir une relation de simple analogie entre ce qui est vécu et ce qui en est dit. C’est en ce sens qu’il y a illusion, parce que de la vie au discours, nous passons nécessairement du littéral au figuré et nous « comprenons », mais par « analogie » et aucunement par intuition directe de la situation. L’efficacité même de la compréhension repose sur ce décalage de dimension qu’opère la métaphore. C’est justement parce que le puissant n’est pas le loup que j’ai l’impression de comprendre ce qu’est le puissant par analogie avec le loup, et ce n’est pas totalement faux, bien sur…sauf que le puissant n’est pas un loup. Je dis que qu’il est vrai que les puissants sont des loups, au figuré, alors même que c’est littéralement « faux ». Nous pourrons exactement formuler le même raisonnement avec la molécule H2O: c’est justement parce que l’eau réelle n’est pas une formule que la formule m’en apprend un peu sur la réalité, mais nous nous laissons à oublier que la formule est la métaphore de l’eau réelle, exactement comme une pièce de monnaie dont nous oublierions qu’elle n’est qu’une monnaie d’échange et que nous assimilerions à du pur métal.
            
              
                   Mais la métaphore n’est pas seulement illusion, elle devient mensonge quand nous l’assimilons à ce dont elle n’est qu’une image, quand nous oublions le décalage dans lequel elle consiste, dans lequel elle installe toute activité humaine. Quoique l’homme puisse dire de la réalité, il ne le dira que « métaphoriquement », parce que le langage a pris une importance fondamentale dans son développement. C’est donc justement quand il croit dire la vérité qu’il dit autre chose, qu’il pratique autre chose que la vérité. L’oubli de la dimension métaphorique de son rapport au réel transforme sa vérité en mensonge et c’est inconsciemment qu’il ment et c’est aussi inconsciemment qu’il croit dire la vérité. La vérité, ou plutôt la croyance que l’on est dans le vrai, c’est l’inconscience de la métaphore. Le langage et son lot de conventions arbitraires entraînent inconsciemment l’homme dans un criblage conceptuel du réel qui lui impose de percevoir des identités là où ne s’effectuent que des dissemblances. Plus il travaillera au nom de la vérité de ces fautes assimilations, plus il s’enferrera dans le mensonge de l’arbitraire humain de ces classifications. Mais alors d’où vient le sentiment d’être dans le vrai ? De l’unanimité de la communauté, du troupeau, et seulement d’elle.
        Jusque là il n’y a pas d’instinct de vérité, parce que derrière ce terme se cache simplement ce devoir de ne pas s’écarter du troupeau. Il y a quelque chose qui tient du pléonasme dans la morale Kantienne quand elle impose de toujours dire la vérité par devoir. Il s’agit en réalité de faire son devoir par devoir, d’adhérer aveuglément et universellement à des concepts susceptibles de faire société, de ne jamais suivre la vérité de sa nature, pas plus que celle de la nature.
        Le paragraphe qui suit va introduire deux éléments fondamentaux dans la réflexion:
- La référence explicite à la science
- La mention des métaphores intuitives qui implique leur opposition aux métaphores conceptuelles
       
L’acte de dénomination va petit-à-petit se charger d’une dimension morale, comme si le commandement de son adhésion avait à compenser le décalage métaphorique de son étiquetage. Il va devenir « respectable » de souscrire à la symbolisation des sensations par des noms. Imaginons une personne qui aurait lu ce commentaire de Gilles Deleuze sur l’intuition du Présent chez les Stoïciens: « Pour les Stoïciens, l’arbre n’est pas vert, il verdoie » (autrement dit, il y a toujours un biais par lequel le présent ne cadre jamais pleinement aux dénominations, l’arbre n’est pas simplement vert, il est dans cette mouvance, dans ce devenir chromatique) et qui donc émettrait une réserve sur la stricte application d’un qualificatif sur la couleur de l’arbre, il se verrait lui-même stigmatisé en tant que menteur. Puis va se mettre en place une succession anthropocentrique de réactions en chaîne au terme de laquelle de la dénomination à la morale puis de la morale à la connaissance, l’humanité suit un processus de dévitalisation consternant comme si plus nous nous éloignions de la sensation, plus nous progresserions vers la vérité.
       
Je n'ai pas la moindre idée de ce que j'écris!
  Il faut « appeler les choses par leur noms », par quoi je gagne une respectabilité parmi mes prochains, ce qui va également me donner le statut d’être raisonnable, lequel est seul à même de se différencier des animaux en progressant de pallier de généralisation en pallier de généralisation jusqu’à l’abstraction pure du concept. Nous passons par métaphore de la sensation à l’image et de l’image au concept. « Il ne souffre plus de se laisser emporter par des impressions soudaines » signifie ici: « il ne supporte plus ». L’homme passe ainsi du réel au concept, du monde naturel au monde humain, de la métaphore intuitive, particulière, à la métaphore généralisante en croyant agrandir son univers quand, en réalité, il le restreint dramatiquement. Nietzsche ici ne fait ni plus ni moins qu’exposer les ravages de l’intelligence symbolique, ce qu’elle induit d’éloignement par rapport à la vivacité des premières métaphores intuitives (on peut penser ici à l’art et à la mythologie).
       
  
ça c'est du rasage efficace!
Les métaphores conceptuelles sont des métaphores trop filées qui précisément perdent quelque chose de leur vivacité dans la longévité et la postérité de « ce filage ». Les métaphores poétiques ou mythologiques  gardent, au contraire, de ce tremblement provoqué par la rencontre du monde, l’impact physique et sensible avec la violence des éléments. C’est l’importance du schéma qui, selon Nietzsche joue ici un rôle décisif. A parti du moment où l’on passe de la première métaphorisation à la seconde, on entre dans la métaphore conceptuelle, celle-là même qui ne se sait pas métaphore ou qui l’oublie, qui donc se solidifie en se prenant pour une connaissance alors qu’elle n’est qu’une interprétation. Schématiser c’est franchir un seuil de symbolisation supplémentaire, c’est formaliser jusqu’à finalement ne plus entretenir le moindre rapport avec la réalité physique du monde, et c’est bien ce que font les mathématiques.

  On va en rester là. Je ne vous pose pas de question aujourd’hui mais je vous invite à formuler des interrogations sur ce cours auxquelles je répondrai collégialement.
 
Portez vous bien et gardez le moral (nous n’allons pas rester confinés à vie. Essayons de profiter de cette période exceptionnelle pour comprendre ce que Pascal pouvait bien vouloir dire par cette phrase que je vous rappelle:
« Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »
        Si vous avez des propositions à faire sur le sens de cette phrase, même un peu loufoques ou déjantées, je suis preneur, et je les mettrai sur le blog.
 
Enfin vous êtes pas obligés d'aller jusque là!
 A demain

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