mercredi 18 novembre 2020

CSD (Cours semi distanciel) Tle 1 - 19/11


 

A bien y réfléchir nous pouvons affirmer qu’il existe 4 sens de ce qu’être inconscient veut dire:
a) Être inconscient - Celui que nous venons de voir et dont il ne sera pas question dans ce cours: on est inconscient quand on se laisse aller, quand on ne maintient pas le principe de cette auto-surveillance de la conscience à l’égard de nos actes.

 


b) Les petites perceptions chez Leibniz (1746 - 1616). On peut également parler d’ « inconscient physique ». Leibniz n’utilisait pas ce terme mais il a évoqué ces « petites perceptions » que nous enregistrons sans vraiment nous en rendre compte. Dans les nouveaux essais sur l’entendement humain (écrit en 1704 et publiés en 1765), Leibniz prend l’exemple de la mer. Sur une plage, nous entendons le bruit de la mer. Pour qu’il insiste ainsi à nos oreilles, il faut bien que quelque chose se soit manifesté à nous, quelque chose que nous avons assimilé, réceptionné. On peut dire tout simplement qu’un milieu nous impacte en nous envoyant des stimuli que nous percevons grâce à nos capteurs sensoriels. En l’occurrence nous parlerons ici du mugissement des vagues. C’est un bruit assourdissant. Pourquoi? Parce qu’il est composé de cette incroyable et incomptable profusion de gouttelettes de chaque vague qui s’abattent sur le rivage. Leibniz fait ici valoir un raisonnement apparemment simple mais dont les conséquences sont pourtant très troublantes. J’entends une totalité et je dis consciemment:" j’entends le bruit de la mer", mais comment pourrais je entendre ce tout sans en percevoir aussi chacune des infimes parties puisque de fait ce tout est composé d’une multitude de parties? Des parties au tout, nous passons d’un format de choses que nous percevons inconsciemment à une autre dimension de ces mêmes choses mais que nous percevons consciemment. 
                    Il n’y a pas des choses que nous percevrions inconsciemment et d’autres choses que nous percevrions consciemment. Ce sont les mêmes choses mais approchées de façon différente. Cela signifie que si nous exercions sur nous-mêmes un effort « énorme » d’attention visant à faire passer des choses captées inconsciemment à l’état conscient, nous pourrions jouir d’une sorte de sensibilité à l’infime qui nous mettrait en phase avec le fil d’une incroyable continuité dans l’univers. Ce serait finalement l’univers lui-même.Soyons clair: cet effort n’est pas humain. Selon Leibniz, nous pourrions dire qu’il est le privilège de Dieu: « Ces petites perceptions sont donc de plus grande efficace par leur suite qu'on ne pense. Ce sont elles qui forment ce je ne sais quoi, ces goûts, ces images, ces qualités des sens, claires dans l'assemblage, mais confuses dans les parties, ces impressions que des corps environnants font sur nous, qui enveloppent l'infini, cette liaison que chaque être a avec tout le reste de l'univers. On peut même dire qu'en conséquence de ces petites perceptions, le présent est gros de l'avenir et chargé du passé, que tout est conspirant et que dans la moindre des substances, des yeux aussi perçants que ceux de Dieu pourraient lire toute la suite des choses de l'univers. Quae sint, quae fuerint, quae mox futura trahantur.("qui sont, qui ont été, et qui surviendront dans l'avenir,", Virgile)». 
            Mais cela signifie aussi que la perception de l’éternité est là, nous serions tentés de dire « à notre portée » (mais évidemment, c’est faux) dans cet effort surhumain de sensibilité qui nous rendraient capables de saisir l’infiniment petit, le pire étant que nécessairement je l’ai perçu puisque j’entends le bruit de la vague mais que je n’en suis pas conscient.  C’est la raison pour laquelle le « subliminal »  nous fascine autant: nous faisons partie intégrante d’un univers dont chaque « morceau » est tellement et intimement lié l’un à l’autre que tout est en communion. Cela veut dire qu’en tant que partie de l’univers, tout l’univers est en interaction avec moi sans que je m’en rende compte, mais si c’était le cas, je perdrai l’univers dans son entièreté, je serai la conscience claire d’un univers enfin transparent à lui-même. Bref je serai Dieu (Youpi!). Dieu, finalement, c’est une affaire de perception ou plus exactement d’attention portées à nos perceptions. Etre Dieu, est « là « , c’est une condition qui est comme intégrée dans chaque bruit, dans chaque vision, dans chaque goût. C’est probablement la raison pour laquelle la madeleine de Proust nous fascine autant. Cet incroyable effort du narrateur pour faire passer un souvenir de l’état inconscient à l’état conscient n’est ni plus ni moins, en fait, qu’un effort pour percevoir que nous sommes finalement constitués de toutes les sensations que nous avons ressentie et qu’en tant que nous serions capable de nous souvenir de chacune de ces sensations, de leurs trajets, nous aurions une pleine et entière conscience non seulement de nous, mais aussi de l’univers et plus important encore du temps (mais c’est plutôt ce que Bergson appelle la durée). Dans Dune  de Frank Herbert (pour les fans de SF) c’est le Kwizatz Haderach. 
   


c) L'inconscient selon Nietzsche - Il y a également la conception Nietzschéenne de l’inconscient. Parmi les trois philosophes que l’on considère comme les initiateurs de la philosophie « moderne » (cassant la notion de sujet), Marx, Nietzsche et Freud, Nietzsche est sans aucun doute celui qui donne à l’inconscient une puissance et un rôle incommensurable aux deux autres auteurs, notamment parce qu’il y a quelque chose de naturel dans l’inconscient, quelque chose qui d’ailleurs nous amène à nous défier de la conscience. Marx n’évoque jamais l’inconscient mais il considère que nous naissons toutes et tous dans ces milliers sociaux qui à notre insu déterminent nos actes, nos pensées, notre être. Nous verrons dans la totalité de ce cours la conception de Freud (sens d). Nietzsche est beaucoup plus proche du tout premier philosophe à voir vraiment donner tout son poids à la notion d’inconscient sans jamais le nommer de cette façon: Spinoza. 
             
Qu’est-ce que la réalité pour Nietzsche? Une débauche de forces chaotiques et dynamiques dans la libération desquelles exister se fait pour tout ce qui existe, tout ce qui croît: hommes, bêtes, plantes, galaxies, organismes divers, etc. (N’oublions pas que Nietzsche a été marqué par la lecture de Schopenhauer). Que sommes-nous dans tout ça, nous humains? Des pulsions, des combinaisons d’affects. Nous nous constituons dans le flux de cette émission de forces multiples, chaotiques et contradictoires. Mais nous sommes dotés de la capacité d’interpréter cette réalité et c’est en cela que nous sommes des volontés de puissance. Nous sommes donc en situation de pouvoir favoriser en nous l’épanouissement de la vie en hiérarchisant ces pulsions dont nous sommes constituées de telle sorte que les plus faibles ne dominent pas les plus fortes, c’est-à-dire que les pulsions conservatrices ne réduisent pas en esclavage les pulsions créatrices. On peut dire que la volonté de puissance, c’est la réalité interprétée de telle sorte que l’épanouissement de la vie s’y libère. Mais l’on peut, sous l’effet de certaines religions par exemple, ou tout simplement de rencontres, d’expériences malheureuses, faire triompher les pulsions faibles comme celles de la réaction, du ressentiment, de la culpabilité, du remords, de la repentance, du culte de l’ego, du confort, de la veulerie, de la mesquinerie, de l’étroitesse d’esprit, du calcul, de l’ambition personnelle, etc. 
                Nietzsche en déduit une classification des personnes sur lesquelles de très nombreux malentendus se sont opérés. « Il faut protéger le fort contre le faible »: qu’est-ce que cela veut dire? Sûrement pas qu’il soit nécessaire de protéger l’aryen de souche contre le juif créancier, mais plutôt Van Gogh contre Jeff Bezos (PDG d’Amazon) ou Mark Zuckerberg (FaceBook). Aussi anachronique (et impossible) soit-elle, cette lutte met en présence un peintre dont la volonté de puissance a su hiérarchiser les pulsions de telle sorte que la vie, par son oeuvre, s’accroît, s’auto-féconde, se libère. Nous entendons souvent des PDG d’entreprises en plein développement nous décrire par le menu « une existence partie de rien et arrivée au pinacle des plus hautes sphères de la société ». Mais de quoi s’agirait-il dans les termes de la philosophie Nietzschéenne? De volontés de puissance qui, parties de ce qu’elles étaient, sont descendues encore plus bas que ce qu’elles étaient au départ, et ne cessent de descendre au gré d’une vitesse sans cesse plus vertigineuse au fur et à mesure que leur fortune s’accroît. Ce que ces hommes d’affaires peuvent faire dans la société est exactement inversement proportionnel à ce qu’ils peuvent faire de leur vie et dans la vie, autant dire qu’ils ont autant de pouvoir qu’ils ont peu de puissance.  
                 

                    Qu’est-ce Mark Zuckerberg finalement? Un ado timide, craintif et refermé sur lui qui est parvenu à faire de son complexe relationnel un mode de relation médiatisé et virtuel à Autrui, entrainant ainsi dans sa perception psychotique de l’être humain des millions d’abonnés. Comment s’opère cette hiérarchisation si cruciale dont dépend notre être: surhomme (Van Gogh) ou esclave (Zuckerberg) ? Par deux étapes: la première nous menant du petit moi au Soi et la seconde du Soi au moi supérieur, c’est-à-dire au moi créateur. Qu’est-ce que le petit moi? C’est ce que l’on pourrait appeler cette membrane offerte à tous les coups de l’extérieur, aux influences, aux chocs, aux mouvements d’adhésion. Notre petit moi c’est ce qui nous fait plier à la moindre tentation addictive et nous rallier aux troupeaux de tous les addicts à Netflix, Amazon, FaceBook, etc. La tentation est donc grande et toujours menaçante de passer de cet être de surface à un être totalement superficiel.

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