lundi 30 novembre 2020

CSD (Cours Semi-Distanciel) Tle 3 - Cours du 30/11

     

Tout ceci est un rappel du cours précédent:

Tout enfant qui vient au monde est animé par des pulsions qui veulent être satisfaites immédiatement et ses pulsions ne sont pas seulement la faim, la soif, etc. mais aussi la sexualité (une sexualité infantile « polymorphe » (plusieurs formes) puisque orientée par une autre finalité que celle de la reproduction - le fait que la sexualité de l’enfant soit « en germe » ne signifie pas du tout qu’elle soit inactive, bien au contraire, elle se diffuse dans toutes les autres pulsions: nutrition, sensation, jeu, etc.). Ces pulsions premières, Freud les appelle le « ça ».
        Cette première instance, animée par la libido (principe de plaisir) se confronte très rapidement à l’impossibilité physique de se satisfaire pleinement et immédiatement, cette confrontation avec le principe de réalité (il y a de l’impossible) c’est ce qui va constituer « le moi ». Cette deuxième instance est donc né d’un tout premier refoulement: la confrontation entre l’exigence de plaisir et la limite physique de la réalité.
        L’enfant va se trouver confronté à un deuxième type de répression: celui de l’éducation. Une partie de sa psyché va s’identifier à l’autorité et intégrer les interdits parentaux, en particulier ceux du père. Cela signifie qu’une 3e instance va s’ajouter aux deux premières aux deux premières. Le moi se retrouve donc coincé entre deux instances qui n’ont de cesse qu’à lui adresser des mots d’ordre contradictoires: autant le ça exige la jouissance, autant le Sur-moi la réprime. Le moi est donc une sorte de ligne de fracture qui se dessine au fil de ce tiraillement comme une ligne de faille se dessine au fil de l’écartement de deux mouvements telluriques animés de directions opposées. Nous nous « arrangeons » pour concilier dans notre psyché ces deux exigences contraires. « Etre soi » définit donc une sorte de tentative permanente visant à gérer un conflit interne, dans l’individu.

 Il faut compléter ce texte de Freud en insistant sur le fait que les tendances psychiques refoulées par le gardien ne vont pas se satisfaire d’avoir été exclues du pré-conscient et de la conscience. Elles constituent cet ensemble qui, par suite, pèse de tout son poids sur les actions de l’individu et vont profiter de la moindre brèche ouverte par les moments d’absence (rêves, lapsus, actes manqués) de la conscience pour essayer de se faire reconnaître du sujet lui-même. Si ces tendances refoulées sont puissantes, elles feront tout pour forcer le passage, pour s’imposer violemment, quitte à créer des troubles plus ou moins graves. C’est alors que survient les névrosé et les psychoses. Toutes les maladies mentales non génétiques peuvent se diviser en fonction de cette classification. Le psychotique n’a pas conscience de ses troubles et il finit par perdre tout contact avec la réalité (comme Norman Bates dans psychose). Le névrotique est lucide sur ses troubles et s’en plaint, ce qui rend son mal-être plus difficile à traiter. Nous sommes tous des névrotiques plus ou moins atteints. Les paralysies hystériques à partir desquelles Freud commença à développer ses thèses dont des névroses: les patientes savant qu’elles sont aveugles ou paralysées et en un sens, c’est tout le problème puisque on peut penser qu’elles se racontent des histoires à elles-mêmes, qu’elles simulent, mais la vérité est qu’elles se convainquent elles-mêmes de leur trouble jusque’à en souffrir « réellement ». Avec les névroses nous avons un exemple parfait de ceci que la psyché agit directement sur le corps, et que l’inconscient des patients se sert de leur corps pour dire quelque chose. Tout trouble de comportement devient un discours, une façon de signifier par un trouble manifeste, un traumatisme latent, c’est-à-dire une tendance psychique refoulée par le gardien.
        Tout être humain vient au monde animé par des pulsions de plaisir (libido), c’est-à-dire par une propension à agir d’abord en vue de satisfaire des pulsions de jouissance et cela ne se limite pas à la nutrition, ou, cela peut emprunter le canal de la nutrition tout en ne s’y réduisant pas. L’enfant ne tête pas seulement le sein maternel par désir de satisfaire sa faim mais il y entre déjà du désir tout court. C’est cela le scandale de la sexualité infantile révélé par Freud et rejette par l’écrasante majorité de ses collègues de l’époque.
        A ces pulsions, Freud donne le nom de « ÇA ». Le pronom rend bien compte, comme son nom l’indique de la nature impersonnelle de ces pulsions. Elles constituent le lien originaire, primal, de notre être au monde. Nous sommes des exigences de satisfaction de pulsions de plaisir. Puis nous faisons des expériences, on pourrait dire que nous allons successivement entre dans deux dimensions: celle de la réalité  et celle de la société. De la confrontation avec le réel nous retirerons d’abord cette expérience qu’il y a de « l’impossible », c’est-à-dire que nos exigences ne peuvent pas toutes se satisfaire parce que les adultes ne sont pas toujours à notre service, parce que le monde physique n’est pas le prolongement de nos pulsions. C’est ainsi qu’une instance va se constituer peu à peu: le « MOI ». En d’autres termes notre caractère va se constituer au fil des impossibilités et interdits dont nous allons subir successivement les décrets. Qu’est-ce qu’un être humain, en tant qu’il va devoir se socialiser? Réponse: des pulsions de plaisir sculptées, rabotées par des impossibilités physiques et des interdits légaux, moraux, religieux familiaux.

 Nous reprenons maintenant le fil du cours. Nous en sommes à la 2e partie:


2) Le complexe d’œdipe et la prohibition de l’inceste (nature et culture)


Pour bien saisir cette articulation entre les thèses de Sigmund Freud et celles de Claude Lévi-Strauss (1908 - 2009 ethnologue français), il faut saisir le rapport entre la prohibition (l’interdiction) de l’inceste et l’exogamie (règle imposant de chercher son conjoint hors de sa propre tribu ou de sa famille). Il va de soi que dans le texte qui va suivre, Claude Lévi-Strauss se réfère au modèle le plus répandu d’organisation sociale: celui du patriarcat:
            
            « Considérée comme interdiction, la prohibition de l'inceste  se borne à affirmer, dans un domaine essentiel à la survie du groupe, la prééminence du social sur le naturel, du collectif sur l'individuel, de l'organisation sur l'arbitraire. Mais même à ce point de l'analyse, la règle en apparence négative a déjà engendré sa contrepartie : car toute interdiction est en même temps, et sous un autre rapport, une prescription. (…)
 
Explication: selon Lévi-Strauss, on mesure bien le caractère fondamental de la prohibition de l’inceste à ceci qu’elle constitue l’interdit culturel par excellence et que nous la retrouvons dans la plupart des sociétés humaines, comme si aucun collectif ne pouvait se constituer (ou disons pour l’écrasante majorité d’entre eux) autrement qu’à partir de cette interdiction là. Même si cette hypothèse sera contestée (mais jamais réfutée)  par la suite: la prohibition de l’inceste est une interdiction universelle, c’est ce qui fonde une logique de socialisation de constitution de groupes humains. Première concession du désir propre de l’individu à l’intérêt du collectif dans lequel il s’intègre mais à la fondation il participe par ce renoncement même. Renoncer à sa mère ou à sa sœur, c’est consentir à créer un lien avec une autre cellule familiale qui petit-à-petit va se joindre à un « nous », à un collectif. C’est le renoncement à cette sexualité de proximité qui crée le principe d’association d’un collectif. L’idée même d’une autorité qui accorde à ses sujets ce qu’elle ne leur interdit pas se fonde ici, comme une ligne de marquage du désir sexuel: ce que tu peux, c’est tout ce qui se caractérise comme le négatif de ce que tu ne peux pas. La puissance, ici au sens sexuel du terme, se libère à partir de ce que le pouvoir m’interdit. La puissance naturelle se plie à des lignes de partage culturelle et autoritaire. Elle se canalise. Ce que tu peux maritalement se définit à partir de ce que ce que le pouvoir institutionnel t’interdit de pouvoir sexuellement. L’interdit de l’inceste est donc l’une des premières captures de la puissance naturelle par un pouvoir institué, construit, social. C’est déjà une politique de l’agencement qui s’insinue dans la matière brute d’une pulsion naturelle et primitive.

            [...] l'aspect négatif n'est que l'aspect fruste de la prohibition. Le groupe au sein duquel le mariage est interdit évoque aussitôt la notion d'un autre groupe, [...] au sein duquel le mariage est, selon les cas, simplement possible, ou inévitable ; la prohibition de l'usage sexuel de la fille ou de la soeur contraint à donner en mariage la fille ou la soeur à un autre homme, et, en même temps, elle crée un droit sur la fille ou la soeur de cet autre homme.

 

Explication: quelque chose d’un bénéfice culturel, social, ethnique, politique vient contrebalancer cette renonciation pulsionnelle, ce refoulement sexuel: le lien qui se crée avec l’autre famille ou tribu à laquelle appartient la conjointe. Par le mariage, la pulsion sexuelle se révèle autre chose qu’une pulsion: un principe d’association et, plus que cela encore, un principe de communautarisation, de gestion politique d’un collectif. C’est un peu comme si l’attirance sexuelle libérait la puissance d’une énergie dont le contrat matrimonial exogamique diffracte le flux et le transforme en dynamique de réseaux d’association sur la base de laquelle se crée des groupes. Ce que l’on perd en terme de satisfaction immédiate de la pulsion c’est ce que l’on gagne en terme de satisfaction médiate d’association. Le refoulement de la pulsion sexuelle inhibée ou plutôt procrastinée crée le sentiment d’augmentation d’une puissance autre, celle de composer un groupe plus fort parce que nourri de l’adhésion d’autres membres. Il n’est pas d’exclusion (pas la mère ou la sœur) qui ne crée en retour des dynamiques d’intégration sociales porteuses.  L’union sexuelle avortée par la prohibition  se révèle incroyablement féconde à un autre niveau: social, ethnique, politiquement fédérateur.
     

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