mercredi 18 novembre 2020

CSD (Cours Semi Distanciel) TLe 2 - 19/11/2020

 


d)  La perspective de Sigmund Freud (1856 - 1939)  est très différente, d’abord parce que c’est en tant que médecin qu’il aborde cette question, en tant qu’il est confronté à un certain type de troubles mentaux qu’il ne prend pas en compte de la même façon que ses collègues de cette époque (Théodor Meynert). C’est par l’hystérie que Freud en est petit à petit venu à cette notion d’inconscient. A bien des égards, sa démarche est scientifique: il part d’observations et considère que ses thèses sont davantage de nature que les autres à expliquer ses troubles. Si la psychanalyse ne peut être considéré comme une science, contre l’avis de Freud lui-même, ce n’est pas parce qu’elle serait inefficace, mais plutôt parce qu’elle donne à l’interprétation de l’analyste un rôle trop important qui ne peut pas se mesurer avec le travail d’explication d’un physicien ou d’un chimiste. Cette question de savoir si le propre d’une théorie est d’interpréter ou d’expliquer reste néanmoins largement sujette à caution, comme nous le verrons dans le cours sur la vérité. Comment Freud en est-il venu à concevoir l’existence d’un Inconscient dans la psyché de l’individu? Les patientes hystériques souffraient notamment de paralysie de certains membres et de cécité (aveugle). Pourtant, ces pathologies n’étaient pas repérables d’un pur point de vue physiologique. En d’autres termes, il était impossible de relever la trace de ces paralysies sur le corps des patientes, pas davantage que l’origine de leur cécité dans une affection de leur nerf optique. Le corps de ces patientes n’était pas atteints. Elles étaient physiquement aptes à marcher et à voir pourtant elles disaient qu’elles ne pouvaient ni marcher ni voir. Par conséquent la plupart des médecins de cette période (fin 19e début 20e) n’accordaient aucun crédit aux discours de leurs patientes et les considéraient comme des simulatrices. C’est sur ce point que Freud était en désaccord: que ces patientes se racontent une histoire en se croyant paralysées ou aveugles: cela ne fait aucun doute, mais ce n’est pas pour autant qu’elles font semblant de ne pas pouvoir marcher ou de ne pas pouvoir voir. Il est possible que ces troubles soient des symptômes manifestes faisant signe d’un traumatisme caché, comme une façon pour la patiente de faire sortir « quelque chose » qu’elle se serait inconsciemment dissimulé à elle-même. Ce n’est pas parce qu’un trouble n’a aucune origine physique qu’il est fictif ou simulé. La pensée est assez étroitement mêlé au corps pour que le corps soit la manifestation de dysfonctionnements de la pensée, ces dysfonctionnements étant toujours en rapport avec un processus de dénégation, de refoulement, de refus d’une réalité dérangeante et déterminante. Nous refusons de prendre en compte des désirs, des expériences, des souvenirs, des composantes affectives ou sexuelles qui font pourtant bel et bien partie de nous, c’est de cette contrariété que naissent des symptômes, des troubles plus ou moins graves, tout simplement parce que ces éléments dynamiques de notre vie sexuelle et affective ne peuvent rester « lettre morte », se satisfaire d’être ainsi étouffés. Il existe donc des points de comparaison entre ses travaux et les thèses de Schopenhauer (qu’il avait lues) et celles de Nietzsche (dont il prétend qu’il ne les a pas lues tout en reconnaissant avoir conçu l’instance du « ça »  en référence à son oeuvre, ce qui est contradictoire - Disons qu’il n’a pas la connaissance de l’oeuvre de Nietzsche dans son intégralité)     puisque Freud insiste sur l’impossibilité radicale de réduire la psyché de l’être humain socialisé à la conscience. Toutefois, si Nietzsche n’a jamais diminué l’importance de la sexualité dans la compréhension de la volonté de puissance, il ne la considère pas comme la seule force de cette persévérance dans l’être que désigne cette volonté. Nietzsche évoque parfois le ça pour désigner le caractère impersonnel et naturel de la vie. Pour Freud, le ça deviendra le principe de plaisir exclusivement animé par une motivation sexuelle. On mesure pleinement l’écart entre Nietzsche et Freud en évaluant le rapport que chacun des deux instaurent entre le ça et le social: autant pour Nietzsche le ça (mais évidemment ce n’est pas exactement le même ça) est ce qui permet au petit moi de se libérer du troupeau par l’idiosyncrasie et de progresser vers ce qu’il a à devenir: le moi supérieur, autant pour Freud le ça est ce dont il convient de favoriser l’expression pour la diminuer et pour favoriser la bonne santé du patient: « là où le ça était, le je doit advenir ». Freud utilisait une image particulièrement forte pour exprimer la nature interminable et infini de toute psychanalyse: « Nous n’en aurons jamais fini avec l’assèchement du Zuyderzee. » Il compare le travail mené par les néerlandais afin de gagner des terres cultivables sur la mer à celui du patient qui doit gagner sur le ça pour installer progressivement son Je. Cet « assèchement » est donc opportun, alors qu’il ne le serait aucunement pour Nietzsche. D’autre part, la volonté de puissance est composée de forces qui sont inconscientes naturellement pour Nietzsche alors que l’inconscient de Freud est ce qui nait du refoulement de la sexualité chez le sujet socialisé, lequel ne peut pas ne pas avoir d’inconscient mais n’est pas naturellement doté d’un inconscient. Enfin on mesure bien la différence de considération de l’inconscient entre Freud et Nietzsche en prêtant attention à leur conception de l’art. Autant pour Nietzsche l’art est la force active la plus à même d’épouser et d’accroître le développement en nous de la puissance d’adhésion à la vie, autant pour Freud elle est simplement une activité de sublimation permettant à l’artiste de dépasser le refoulement de ses pulsions sexuelles  (Léonard De Vinci).
 
Projection de la première scène du film de John Huston (Paralysie hystérique et cécité + scéne d'hypnose par le professeur Charcot)
 
 

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