lundi 23 novembre 2020

CSD Tle 2 - Cours du 24/11/2020 L'inconscient

 (Vous êtes nombreuses et nombreux à ne pas pouvoir écouter l'enregistrement audio. Je cesse donc de le proposer sur le blog, mais vous pouvez l'écouter en me le demandant sur mon adresse perso. N'hésitez vraiment pas si cela vous est utile. Par contre n'attendez pas la fin de la semaine pour m'en demander plusieurs parce que je les jette au fur et à mesure. Ecrivez-moi le soir même du cours, ce sera plus simple pour moi. Merci à vous)

2) Le complexe d’oedipe et la prohibition de l’inceste (nature et culture)
        Nous percevons tout ce qui distingue Freud de Nietzsche ou de Schopenhauer. La psychanalyse n’est pas une théorie sur l’homme, mais d’abord une pratique thérapeutique qui vise à le soigner. Mais en même temps, nous comprenons bien que les troubles qu’elle essaie de traiter ne sont pas exactement communs. Tout être humain a à gérer ce conflit entre des pulsions premières et des interdits secondaires (secondaires en ce sens qu’ils sont le produit de l‘expérience par l’enfant de l’autorité de l’adulte et à travers lui de la vie en société, mais pas du tout au sens de légers ou anodins - ils ne sont pas du tout secondaires du tout, en ce sens). De ce conflit, naîtra nécessairement en chacun et en chacun du refoulement, donc de l’inconscient. L’être humain en tant qu’animal politique, c’est-à-dire socialisé est l’animal malade de la civilisation, laquelle ne va pas sans règles, sans interdits, mais, en même temps, cette maladie fait partie intégrante de sa spécificité culturelle.  Freud a écrit un livre très pessimiste qui s’appelle « malaise dans la civilisation » en 1929, mais on pourrait quasiment le rebaptiser « malaise de la civilisation » en réalisant bien que Freud n’entend d’aucune manière soutenir que l’homme n’aurait pas dû se civiliser. Bien au contraire: « Là où le ça était, le Je doit advenir »; C’est le devoir de l’homme, en tant qu’homme de gagner sur « la mer » de nos pulsions, « les terres cultivables » d’un sujet de droit, volontaire, comprenant parfaitement la nécessité de refouler ses pulsions sociales.
         

Par conséquent, si la psychanalyse est un traitement, on peut affirmer sans conteste qu’elle est aussi un traitement qui présuppose une certaine conception de l’être humain socialisé, plutôt pessimiste reposant sur le conflit entre la nature (pulsions) et la culture (lois). Cette opposition culmine dans le complexe d’Oedipe. Entre 3 et 6 ans, l’enfant éprouve une pulsion érotique et inconsciente à l’égard du parent de sexe opposé et il conçoit également une haine tout aussi inconsciente à l’égard du parent de même sexe. On peut dire qu’en un sens, ce complexe est la conséquence la plus immédiate de la découverte par Freud de la sexualité infantile. A partir du moment où il est acquis que l’enfant ressent bel et bien des pulsions sexuelles pré-pubères, il semble assez évident que ses pulsions vont s’exercer à l’égard des êtres les plus proches et l’enfant se situe bien à cet âge où les interdits, les règles, les normes lui sont petit à petit inculquées, ce qui signifie que les attirances sont encore à cet âge animées par des forces naturelles et non sociales. Pourquoi l’inceste est-il aussi « tabou »? Pourquoi nous apparaît-il comme un crime haïssable et dégoûtant? Pourquoi sommes-nous aussi spontanément inclinés à le maudire (comme Oedipe se sent maudit et se crève les yeux de honte)?
        Précisément parce que cette spontanéité n’en est pas vraiment une, répond en substance Freud. Ce n’est pas de notre propre mouvement que nous repoussons l’inceste, c’est parce que la société s’est constituée en nous comme nécessaire à partir de cette détestation  culturelle première. L’inceste ne fait pas l’objet d’une interdiction naturelle mais culturelle et cela à double titre: d’abord en tant qu’interdit imposé par la société, mais surtout en tant que cet interdit est le fondement d’un certain type de société qui s’appuie sur la cellule familiale et donc sur l’exogamie (trouver sa femme ailleurs). Nous sommes dégoûtés par ce crime parce que c’est finalement l‘édifice entier de notre socialisation, de notre culture (au sens où la culture s’oppose à la nature) qui se constitue à partir de lui. Cette thèse est intéressante dans la mesure où elle nous fait réaliser à quel point des rejets, des répulsions très profondément ancrées en nous le sont toujours par de l’histoire, par des habitus, par des conditionnements nés de la vie collective et de notre assimilation de structures. La distinction entre l’amour sexuel et  l’amour familial , distinction que nous avons complètement intériorisée, mais qui fut en même temps l’origine du premier refoulement (tout autant que l’origine première du refoulement) caractérise un moment, un passage crucial où se joue finalement le point d’achoppement de la culture à la nature. Ce que la culture rend possible et effectif à partir de ce point s’articule à ce que nous refoulons premièrement, initialement de la nature, soit la pulsion sexuelle dans la cellule familiale proche.
        Il est vraiment éclairant, par conséquent, de relier ici la psychanalyse et la sociologie (études des processus de socialisation) , l’ethnologie (science étudiant la constitution et les différences entre peuples, entre ethnies), l’anthropologie (science étudiant les attitudes, les conditionnements, les démarches culturelles différentes au fil desquelles se construit l’être humain) parce que nous percevons bien ce qui de l’étude psychologique des effets de la prohibition de l’inceste chez « un » patient, nous passons à la constitution des peuples socialisés, de la notion même d’acculturation au sens fort du terme (acculturation désigne habituellement les mécanismes par le biais desquels une personne assimile une autre culture que la sienne mais ici nous parlons de la façon dont un être naturel devient culturel).
        D’autre part, il convient de ne pas négliger tout ce que cette perspective implique dans notre considération de l’amour: tout n’y est plus que « transferts », interdits et contreparties. La dynamique de cet engouement, de cet attachement que nous portons à des personnes auxquelles nous pensions le plus souvent vouer une affection sincère, authentique, mais surtout gratuite et spontanée, émanant de notre être, se révèle en fait être un flux sexuel passant par le filtre d’un jeu d’interdictions, de contreparties, de devoirs et de droits, d’arrangements, de processus structurels propres à l’acquisition d’une culture. Rien ne saurait dés lors être vraiment naturel ou spontané dans l’amour. Dans le film « Freud, passions secrètes » de John Huston, il faut prêter attention à ce dialogue entre Freud et sa femme, Martha (née Martha Bernays).
- Je croyais que l’on aimait quelqu'un pour ce qu’il était
-  Nous n’aimons quelqu’un que parce qu’il nous rappelle une autre personne sur laquelle notre affection s’est déplacée.
         
Toutes ces singularités et ces étrangetés de l’attirance amoureuse au gré desquelles une femme préfère tel ou tel type d’hommes, etc, singularités que l’on préfèrerait assigner à une alchimie romantique ou à une destinée romanesque apparaissent à la lumière de Freud comme des mécanismes, des déplacements nés d'un interdit fondamental: celui de l’attirance sexuelle au sein de la famille. Nous n’aimons que dans le processus de dénégation de ce penchant premier, originel. Le petit garçon intériorise pendant l’oedipe, de façon plus ou moins facile, qu’il peut tomber amoureux de toutes les femmes sauf sa mère, mais précisément cette interdiction originelle deviendra constitutive de ses attirances à venir, de telle sorte que les femmes qu’il aimera seront fondamentalement des façons contournées d’aimer sa mère à travers elles. Il ne tombera donc pas amoureux de toutes les femmes mais le principe de détermination de ses attirances sera nourri de cette logique de dénégation de la première qu’il a aimée: la mère. « Aimer quelqu’un pour ce qu’il est » ou encore l’affirmation Montaigne: « parce que c’était lui, parce que c’était moi » nous apparaissent donc comme des affirmations légèrement désuètes face la mécanique subtile et plurivoque de cette dénégation.
        Pour bien saisir cette articulation entre les thèses de Sigmund Freud et celles de Claude Lévi-Strauss (1908 - 2009 ethnologue français), il faut saisir le rapport entre la prohibition (l’interdiction) de l’inceste et l’exogamie (règle imposant de chercher son conjoint hors de sa propre tribu ou de sa famille). Il va de soi que dans le texte qui va suivre, Claude Lévi-Strauss se réfère au modèle le plus répandu d’organisation sociale: celui du patriarcat:
           
            « Considérée comme interdiction, la prohibition de l'inceste  se borne à affirmer, dans un domaine essentiel à la survie du groupe, la prééminence du social sur le naturel, du collectif sur l'individuel, de l'organisation sur l'arbitraire. Mais même à ce point de l'analyse, la règle en apparence négative a déjà engendré sa contrepartie : car toute interdiction est en même temps, et sous un autre rapport, une prescription. (…)
 
Explication: selon Lévi-Strauss, on mesure bien le caractère fondamental de la prohibition de l’inceste à ceci qu’elle constitue l’interdit culturel par excellence et que nous la retrouvons dans la plupart des sociétés humaines, comme si aucun collectif ne pouvait se constituer (ou disons pour l’écrasante majorité d’entre eux) autrement qu’à partir de cette interdiction là. Même si cette hypothèse sera contestée (mais jamais réfutée)  par la suite: la prohibition de l’inceste est une interdiction universelle, c’est ce qui fonde une logique de socialisation de constitution de groupes humains. Première concession du désir propre de l’individu à l’intérêt du collectif dans lequel il s’intègre mais à la fondation il participe par ce renoncement même. Renoncer à sa mère ou à sa soeur, c’est consentir à créer un lien avec une autre cellule famille qui petit à petit va se joindre à un « nous », à un collectif. C’est le renoncement à cette sexualité de proximité qui crée le principe d’association d’un collectif. L’idée même d’une autorité qui accorde à ses sujets ce qu’elle ne leur interdit pas se fonde ici, comme une ligne de marquage du désir sexuel: ce que tu peux, c’est tout ce qui se caractérise comme le négatif de ce que tu ne peux pas. La puissance, ici au sens sexuel du terme, se libère à partir de ce que le pouvoir m’interdit. La puissance naturelle se plie à des lignes de partage culturelle et autoritaire. Elle se canalise. Ce que tu peux maritalement se définit à partir de ce que ce que le pouvoir institutionnel t’interdit de pouvoir sexuellement. L’interdit de l’inceste est donc l’une des premières captures de la puissance naturelle par un pouvoir institué, construit, social. C’est déjà une politique de l’agencement qui s’insinue dans la matière brute d’une pulsion naturelle et primitive.
 

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