lundi 30 novembre 2020

CSD Tle 2 - Cours du 1er décembre: L'importance du refoulement

 3) Le refoulement comme donnée première et fondamentale de l’inconscient psychique
        Si les thèses de Lévi-Strauss et celles de Sigmund Freud se rejoignent sur l’importance de la prohibition de l’inceste, elles se différencient profondément dans la question de l’origine et de l’implication de cette prohibition, mais, pourrait-on dire, c’est exactement ce qui fait du premier un ethnologue et du second un psychanalyste. Autant, en effet, pour Lévi-Strauss, c’est parce qu’il y a d’abord des mentalités et des interdits dans les groupes humains qu’il y a conséquemment du désir et des refoulements, autant pour Freud, c’est parce qu’il y a d’abord du désir et du refoulement qu’il y a des structures familiales et sociales. Les analyses de Freud portent sur des individus et sur les troubles nés de la contradiction entre des instances qui sont d’abord celle de la psyché. Celles de Lévi-Strauss partent du principe anthropologique que la psyché, c’est justement ce qui se constitue au fil des structures parentales ethniques, sociales. Cette opposition de perspective est absolument indépassable.
        Mais en quoi consiste précisément cette contradiction entre instances distinctes au sein de la Psyché (psyché: ensemble des tendances conscientes et inconscientes et des éléments psychiques au fil desquels se constitue la pensée d’un individu. La psyché ce n’est pas ce que pense l’individu mais le dispositif à partir duquel penser s’active en lui, et donc en nous tous).
        Tout enfant qui vient au monde est animé par des pulsions qui veulent être satisfaites immédiatement et ses pulsions ne sont pas seulement la faim, la soif, etc. mais aussi la sexualité (une sexualité infantile « polymorphe » (plusieurs formes) puisque orientée par une autre finalité que celle de la reproduction - le fait que la sexualité de l’enfant soit « en germe » ne signifie pas du tout qu’elle soit inactive, bien au contraire, elle se diffuse dans toutes les autres pulsions: nutrition, sensation, jeu, etc.). Ces pulsions premières, Freud les appelle le « ça ».
          


Cette première instance, animée par la libido (principe de plaisir) se confronte très rapidement à l’impossibilité physique de se satisfaire pleinement et immédiatement, cette confrontation avec le principe de réalité (il y a de l’impossible) c’est ce qui va constituer « le moi ». Cette deuxième instance est donc né d’un tout premier refoulement: la confrontation entre l’exigence de plaisir et la limite physique de la réalité.
        L’enfant va se trouver confronté à un deuxième type de répression: celui de l’éducation. Une partie de sa psyché va s’identifier à l’autorité et intégrer les interdits parentaux, en particulier ceux du père. Cela signifie qu’une 3e instance va s’ajouter aux deux premières aux deux premières. Le moi se retrouve donc coincé entre deux instances qui n’ont de cesse qu’à lui adresser des mots d’ordre contradictoire: autant le ça exige la jouissance, autant le Sur-moi la réprime. Le moi est donc une sorte de ligne de fracture qui se dessine au fil de ce tiraillement comme une ligne de faille se dessine au fil de l’écartement de deux mouvements telluriques animés de directions opposées. Nous nous « arrangeons » pour concilier dans notre psyché ces deux exigences contraires. « Etre soi » définit donc une sorte de tentative permanente visant à gérer un conflit interne, dans l’individu.
        Nous disposons maintenant des trois instances capables de rendre compte de l’existence de l’inconscient:

    « La représentation la plus simple de ce système (inconscient) est pour nous la plus commode : c’est la représentation spatiale. Nous assimilons donc le système de l’inconscient à une grande antichambre, dans laquelle les tendances psychiques se présentent, telles des êtres vivants. A cette antichambre est attenante une autre pièce, plus étroite, une sorte de salon, dans lequel séjourne également la conscience. Mais à l’entrée de l’antichambre dans le salon veille un gardien qui inspecte chaque tendance psychique, lui impose la censure et l’empêche d’entrer au salon si elle lui déplaît. Que le gardien renvoie une tendance donnée dès le seuil ou qu’il lui fasse repasser le seuil après qu’elle eut pénétré dans le salon : la différence n’est pas bien grande et le résultat est à peu près le même. Tout dépend du degré de sa vigilance et de sa perspicacité. Cette image a pour nous cet avantage qu’elle nous permet de développer notre nomenclature. Les tendances qui se trouvent dans l’antichambre réservée à l’inconscient échappent au regard du conscient qui séjourne dans la pièce voisine. Elles sont donc tout d’abord inconscientes. Lorsque, après avoir pénétré jusqu’au seuil, elles sont renvoyées par le gardien, c’est qu’elles sont incapables de devenir conscientes : nous disons alors qu’elles sont refoulées. Mais les tendances auxquelles le gardien a permis de franchir le seuil ne sont pas devenues pour cela nécessairement conscientes ; elles peuvent le devenir si elles réussissent à attirer sur elles le regard de la conscience. Nous appellerons donc cette deuxième pièce : système de la pré-conscience [...] L’essence du refoulement consiste en ce qu’une tendance donnée est empêchée par le gardien de pénétrer de l’inconscient dans le pré-conscient. Et c’est ce gardien qui nous apparaît sous la forme d’une résistance, lorsque nous essayons, par le traitement analytique, de mettre fin au refoulement. »
                        FREUD, introduction à la psychanalyse


        Il faut compléter ce texte de Freud en insistant sur le fait que les tendances psychiques refoulées par le gardien ne vont pas se satisfaire d’avoir été exclues du pré-conscient et de la conscience. Elles constituent cet ensemble qui, par suite, pèse de tout son poids sur les actions de l’individu et vont profiter de la moindre brèche ouverte par les moments d’absence (rêves, lapsus, actes manqués) de la conscience pour essayer de se faire reconnaître du sujet lui-même. Si ces tendances refoulées sont puissantes, elles feront tout pour forcer le passage, pour s’imposer violemment, quitte à créer des troubles plus ou moins graves. C’est alors que survient les névrosé et les psychoses. Toutes les maladies mentales non génétiques peuvent se diviser en fonction de cette classification. Le psychotique n’a pas conscience de ses troubles et il finit par perdre tout contact avec la réalité (comme Norman Bates dans psychose). Le névrotique est lucide sur ses troubles et s’en plaint, ce qui rend son mal-être plus difficile à traiter. Nous sommes tous des névrotiques plus ou moins atteints. Les paralysies hystériques à partir desquelles Freud commença à développer ses thèses dont des névroses: les patientes savant qu’elles sont aveugles ou paralysées et en un sens, c’est tout le problème puisque on peut penser qu’elles se racontent des histoires à elles-mêmes, qu’elles simulent, mais la vérité est qu’elles se convainquent elles-mêmes de leur trouble jusqu’à en souffrir « réellement ». Avec les névroses nous avons un exemple parfait de ceci que la psyché agit directement sur le corps, et que l’inconscient des patients se sert de leur corps pour dire quelque chose. Tout trouble de comportement devient un discours, une façon de signifier par un trouble manifeste, un traumatisme latent, c’est-à-dire une tendance psychique refoulée par le gardien.

         

Tout être humain vient au monde animé par des pulsions de plaisir (libido), c’est-à-dire par une propension à agir d’abord en vue de satisfaire des pulsions de jouissance et cela ne se limite pas à la nutrition, ou, cela peut emprunter le canal de la nutrition tout en ne s’y réduisant pas. L’enfant ne tête pas seulement le sein maternel par désir de satisfaire sa faim mais il y entre déjà du désir tout court. C’est cela le scandale de la sexualité infantile révélé par Freud et rejette par l’écrasante majorité de ses collègues de l’époque.
        A ces pulsions, Freud donne le nom de « ÇA ». Le pronom rend bien compte, comme son nom l’indique de la nature impersonnelle de ces pulsions. Elles constituent le lien originaire, primal, de notre être au monde. Nous sommes des exigences de satisfaction de pulsions de plaisir. Puis nous faisons des expériences, on pourrait dire que nous allons successivement entre dans deux dimensions: celle de la réalité  et celle de la société. De la confrontation avec le réel nous retirerons d’abord cette expérience qu’il y a de « l’impossible », c’est-à-dire que nos exigences ne peuvent pas toutes se satisfaire parce que les adultes ne sont pas toujours à notre service, parce que le monde physique n’est pas le prolongement de nos pulsions. C’est ainsi qu’une instance va se constituer peu à peu: le « MOI ». En d’autres termes notre caractère va se constituer au fil des impossibilités et interdits dont nous allons subir successivement les décrets. Qu’est-ce qu’un être humain, en tant qu’il va devoir se socialiser? Réponse: des pulsions de plaisir sculptées, rabotées par des impossibilités physiques et des interdits légaux, moraux, religieux familiaux.
        Il convient d’insister sur la « désacralisation » de l’être humain, ou plus exactement sur cette notion de désenchantement souvent associé à des travaux scientifiques. Il n’existe aucune spontanéité de l’être humain excepté celle du «  ça », laquelle n’est pas excessivement « gratifiante ». Adhérer aux thèses du freudisme c’est accepter de regarder en face la possibilité que nous ne soyons dans tous les sens du terme « ÇA ». L’impossibilité dans laquelle nous sommes de maîtriser la totalité de notre pensée vient finalement, en dernière analyse, de la dynamique de notre origine pulsionnelle. Notre caractère, nos refoulements, nos traits psychiques et comportementaux vont se dessiner progressivement dans ces lignes de fracture qui vont, comme elles peuvent, gérer ces contradictions entre l’efficience de ces exigences de jouissance qui ne cessent jamais complètement et la vigueur de leur répression.
        Mais pourquoi ces interdits sont-ils aussi importants? Parce que l’enfant les assimile au point d’en constituer une partie de son psychisme, de lui-même. C’est le « SUR-MOI », à savoir l’intériorisation de l’autorité parentale par l’enfant. Sans trop révéler du film, on peut dire que la psychose de Norman Bates, dans le film d’Alfred Hitchcock s’explique par la nature surdimensionnée de son sur-moi, influence envahissante à laquelle le moi n’a pas pu ou su résister.
        Tout s’explique à présent de la représentation spatiale proposée par Freud: nos tendances psychiques sont « comme des êtres vivants », ce sont des pulsions qui viennent directement du ça ou en dérivent. Le gardien est très influencé par le Sur-moi et c’est en fonction de cette partie de son psychisme influencé par l’autorité et la répression parentales que le garde inspecte les tendances. Si elles sont « admises », elles deviennent pré-conscientes, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas conscientes mais rien ne s’oppose à ce qu’elles le soient. Si elles sont refoulées à l’entrée, elles retournent dans l’inconscient et useront de toutes les « tactiques possibles » pour se rendre manifestes au sujet, pour se faire connaître. En d’autres termes, ce que nous avons inconsciemment refoulé de nous-même (ça) est trop puissant pour se satisfaire de cette existence clandestine dans l’ombre de l’inconscient. Ces tendances sont plus ou moins fortes mais une pulsion réprimée prend une certaine force du fait même d’avoir été refoulée. Ces « tactiques » peuvent être douces (rêve, lapsus, acte manqué) ou dures (troubles graves de comportement: ce que nous appelons « pathologies, désordres, psychoses ou névroses, etc.)
          

Le mouvement que la psychanalyse a pour rôle de favoriser est celui qui permettra à la tendance de vaincre la résistance du gardien pour passer dans le pré-conscient, ou la conscience, ce qui revient à déclencher un processus par le biais duquel le patient va progressivement réaliser qu’il est animé par des tendances auxquelles il a refusé inconsciemment le droit à l’expression. Il a agi comme un souverain refusant d’écouter « le bas peuple » en envoyant la garde réprimer « ses agitateurs de l’ombre ». La psychanalyse est comme une tentative de pacification de la cité sous tension. Il faut faire entendre la voix du peuple, donner aux pulsions et aux souvenirs refoulés le droit de se manifester, de se faire connaître.
        Pourquoi l’hypnose a-t-elle été la méthode initiale de Freud et de Breuer? Parce que grâce elle, le gardien « dort » et que la tendance refoulée a moins de résistance à combattre pour se révéler. On voit exactement la nature de cette résistance dans le film de John Huston lorsque Cécily propose deux versions successives différentes à Breuer et à Freud, la dernière faisant enfin éclater la vraie nature du scandale, refoulé par le gardien: son père est mort dans une maison close en Italie. Les médecins deviennent des policiers, les infirmières des prostituées, l’hôpital, une maison de passe. Le gardien a jugé déplacé la réalité de ce souvenir dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est marquant. Chacune et chacun de nous abrite en son sein un appareil de censure, une sorte de ministère de la propagande à la 1984 (Georges Orwell) qui recompose les souvenirs en les arrangeant et surtout en les débarrassant de leur potentiel érotique, de leur charge émotive et sexuelle.
        Cecily ne veut pas « voir cela » et il faut prendre très au sérieux ces images nées d’expressions de la langue. C’est finalement le trait spécifique de notre inconscient de ne pas avoir  d’humour et finalement de prendre au premier degré des expressions imagées de la langue courante jusqu’à rendre l’hystérique aveugle. La cécité de Cecily c’est le moyen que son inconscient a trouvé pour lui rappeler ce souvenir honteux, ces morceaux de notre passé qui sont trop importants, trop cruciaux, trop « formateurs » pour accepter d’être recouverts par le vernis des convenances. Nous sommes ce qui nous est arrivé et il n’est pas possible de se raconter une autre histoire que la notre (souvenons nous ici que Javier par exemple ne se raconte pas d’histoire: quand il recompose son identité par la narration, cette recomposition est tout le contraire d’un mensonge. L’inconscient pose donc des problèmes dés que le travail de notre identification s’accomplit fallacieusement, compose un faux portrait, trop lisse, sans aspérités. Le sur moi de Cecily la contraint à ne pas se donner un père qui soit un habitué des maisons closes, encore moins oui soit décédé dans l’une d’entre elles. Nous recomposons tous nos souvenirs mais nous pouvons nous mentir à nous-mêmes sous l’influence de différentes influences, nous assigner un autre passé que le vrai. c’est à ce moment que notre inconscient peut se révéler dangereux, hostile, voire implacable.
              

On ne se ment pas à soi-même impunément, c’est ça l’histoire de l’hystérie, de la paranoïa, des psychoses et des névroses. Mais comment guérir? En substituant au mensonge un processus d’aveu, mais plus difficile qu’un aveu volontaire puisque précisément, c’est inconsciemment que l’on se ment. Pour avouer un mensonge, encore faut-il savoir qu’on a menti. L’hypnose permet de contourner le mécanisme de refoulement de la vérité. Grâce à différentes analyses et à cause de la résistance de ses collègues à l’utilisation de « l’Art noir », Freud va s’orienter vers une autre méthode « the talking cure », la guérison par la parole, une libre expression, une prise de parole relâchée grâce à laquelle le patient pourrait sans s’en rendre compte révéler des éléments essentiels à l’analyste qui pourra effectuer par son interprétation les recoupements nécessaires, voire évidents. Dans cette interprétation, la connotation sexuelle des éléments refoulés sera toujours considérée par le psychanalyste comme un principe fondamental.
        
            Dans certaines maladies et, de fait, justement dans les névroses , que nous étudions [...] le moi se sent mal à l'aise, il touche aux limites de sa puissance en sa propre maison, l'âme. Des pensées surgissent subitement dont on ne sait d'où elles viennent ; on n'est pas non plus capable de les chasser. Ces hôtes étrangers semblent même être plus forts que ceux qui sont soumis au moi. [...] La psychanalyse entreprend d'élucider ces cas morbides inquiétants, elle organise de longues et minutieuses recherches, elle se forge des notions de secours et des constructions scientifiques, et, finalement, peut dire au moi : « Il n'y a rien d'étranger qui se soit introduit en toi, c'est une part de ta propre vie psychique qui s'est soustraite à ta connaissance et à la maîtrise de ton vouloir. [...] Tu crois savoir tout ce qui se passe dans ton âme, dès que c'est suffisamment important, parce que ta conscience te l'apprendrait alors. Et quand tu restes sans nouvelles d'une chose qui est dans ton âme, tu admets, avec une parfaite assurance, que cela ne s'y trouve pas. Tu vas même jusqu'à tenir "psychique" pour identique à "conscient", c'est-à-dire connu de toi, et cela malgré les preuves les plus évidentes qu'il doit sans cesse se passer dans ta vie psychique bien plus de choses qu'il ne peut s'en révéler à ta conscience. Tu te comportes comme un monarque absolu qui se contente des informations que lui donnent les hauts dignitaires de la cour et qui ne descend pas vers le peuple pour entendre sa voix. Rentre en toi-même profondément et apprends d'abord à te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu vas tomber malade, et peut-être éviteras-tu de le devenir. »
C'est de cette manière que la psychanalyse voudrait instruire le moi. Mais les deux clartés qu'elle nous apporte : savoir que la vie instinctive de la sexualité ne saurait être complètement domptée en nous et que les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, et ne deviennent accessibles et subordonnés au moi que par une perception incomplète et incertaine, équivalent à affirmer que le moi n'est pas maître dans sa propre maison * .

FREUD
"Une difficulté de la psychanalyse",
in Essais de Psychanalyse appliquée, Idées Gallimard

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