vendredi 20 novembre 2020

Ecriture libre: "la reine blanche"

               

 Ce matin....Comme tous les autres matins, le soleil se lève, sauf que…..là, bizarrement, il n’envoie pas que du jour. Il y a aussi de l’ombre. C’est un peu comme de la lumière filtrée par des stores: éclairage, nuit, éclairage, nuit. Nous voilà striés comme des zèbres! Coup de bol, les yeux de Justine sont pile poil dans la bonne occurrence, dans le bon tempo, sous le seul projecteur qui reste, le seul aussi qui vaille: les prunelles à Bibi. Sacrée Justine: des yeux de chatte dont les intentions criminelles vous criblent et vous saturent le ciboulot jusqu’à vous faire désirer la mort par broyage dans la déchiqueteuse à courrier. J’imagine mon concierge:
- "J’ai tout compris Monsieur l’inspecteur, il picole tellement qu’il a pas du se rendre compte que la machine lui prenait le bracelet de sa montre, le reste a suivi. C’est un peu con comme destin, mais bon! Le plus dur à admettre, c’est que le corps ait fini par se faire au format A4. Bon, c’est pas tout ça: quand est-ce que je pourrai le mettre en location ce studio?"

        

Je regarde Justine dans les rayures de ce soleil hémiplégique: il pourrait pleuvoir des tronçonneuses en marche qu’elle trouverait encore le moyen de saigner dans le sens de l’averse. Y’a que les chats pour faire doubler aussi naturellement qu’elle leur colonne vertébrale. Elle s’est rendue compte de rien. J’imagine pourtant que ma tête de déterré est aussi bicolore que la mire des écrans des années 60:
-"Justine il faut que je te dise: le soleil fait la grève. C’est le service minimum. Avant qu’il bloque définitivement les stocks de lampe halogène, on devrait peut-être envisager, toi et moi, de se mettre à la colle, tu crois pas? Comment ça: quel est le rapport? Mais c’est aveuglant bon sang! Tant que tu te feras pas à l’idée que j’suis ton Jules: le seul mec de ta vie qui compte après ton dabe, Phébus n’éclairera plus la terre qu’en demi-teinte, ce qui fera des hommes des demi-portions de visibilité comme le Kiri mais sans la languette rouge. Tu vois d’ici l’apocalypse? Tout ça parce que Madame ne se sent pas de « s’engager dans une relation stable ». Tu t’imagines Iseut dire à Tristan: « je le sens qu’à moitié ton road trip dans les cornouailles »? Allez ma belle, habille-toi fissa et allons dans la grande ville clamer notre amour à tout va, rassurer les passants apeurés qui font déjà dans leur froc à l’idée de ressembler aux colonnes de Buren. Viens Justine! Viens ma tourterelle striée! Viens t’immiscer dans la doublure moirée des Anciens Mondes, dans l’éventail en trompe l’oeil des antiques cités. Quand tu m’auras dit « oui », ça ira mieux pour tout le monde crois-moi! Fais pas ta bêcheuse, Bételgeuse! Amour! Enfant, Soeur! Mon tabou-bateau! Mon coeur! Ma tueuse à gages! Mon placebo! "
 

        Les klaxons de la rue se font entendre, assourdissants. Les feux rouges fonctionnant à l’énergie solaire, y’a des voitures qui s’arrêtent et qui passent, qui s’arrêtent et qui passent, qui s’arrêtent et qui passent, les piétons ne se fient plus aux passages cloutés que sur un mode alternatif. La figure de Donald Trump n’est plus orangée que du côté droit comme une entrecôte saisie seulement sur la tranche et Gollum n’est plus Smeagol. Ah! Qui dira l’ennui qui saisit le schizo quand le soleil lui-même plonge sa face sombre dans la nuit!

          

Justine se lève et fait la moue dans les ténèbres. Vue sous un autre angle, je pourrais toujours me dire qu’elle sourit. Ça m’arrangerait bien…sauf qu’elle sourit pas. Je pense à tous les couples illusoirement soudés par le rayon d’invisibilité d’un soleil parcimonieux. C’est un peu comme la matière noire induite des variations du fond diffus cosmologique. On a peur de s’ennuyer et on spécule sur la croyance qu’on a des choses à se dire. On participe un tantinet à la couleur dominante de la toile et finalement on cache sous le voile pudique d’une bipolarité constitutive de la vie de couple le malaise et l’absence de vrais contours. Ça donne ces beaux tableaux abstraits de banquise « sous la brume », offerts à l’interprétation des pingouins diplômés:

 -Moi, j’y vois la vision cataclysmique d’une Europe en fin de parcours.
- Ben non:  c’est un chien qui mange une huître
- Euh les copains: c’est le schème explicatif de la conduite à tenir en cas d’incendie en fait!
 

 

        On se croyait parti pour un David ou un Delacroix mais, en fait, on se retrouve avec un Malevitch difficile à accrocher prêt du canapé. Justine marronne à la lisière de sa part sombre. Son humeur mûrit dans l’angle mort de sa légèreté chronique et je sens que c’est un gros météorite de matière cristalline que je vais me prendre en plein dans la gueule.
- Tu vas me chercher des cigarettes?

             
          Ben voyons! Et pourquoi pas des roses et du champagne, tant qu’on y est?  Ce corps appelé Justine a toutes les cartes en main, ici là, maintenant, posé sur le clavier d’ébène et de marbre de Carrare, pavé des pires intentions du monde à l’endroit du seul homme capable d’en sortir du Chopin. « J’m’en fume une petite juste avant de t’arracher le ventricule gauche, ça te va? » 

 


        
J’ouvre la porte lentement, et déjà la spirale de la cage d’escalier m’aspire, me fait dévaler la pente. J’aurais tellement voulu la jouer: ta partition, Justine! La vie discrète, ardente, réclamait son dû, hypnotique et insistante comme le sabbat des sorcières de Macbeth. Les rayons du soleil me désignent une à une les plages de lumière à partir desquelles l’idée d’un corps nouveau se fait jour et puis nuit, jour et puis nuit, jour et puis nuit. Je clignote, un peu groggy, dans la « machine à croire » des petits matins sans gloire où il fait si bon se rétamer grave la gueule.

        

                Quelque chose commence enfin dans ma vie, mais aussi, pour la première fois "de" ma vie, à partir d’elle.  La rumeur de très anciennes cohortes au pas de charge se fait assourdissante, comme un assaut puissant dans le mouvement duquel on se réveille avec la gueule de bois et l’épée dans la main. Je m’entends clamer enfin mon nom, mon vrai nom,  dans la bataille absconse. 

 


            Je suis le mouvement que je SUIS sans conteste parce que jamais Justine n’aura ses cigarettes.  « Quelque chose comme un jeu »: oui sans doute pour les séducteurs en fin de parcours qui peinent à rédiger leur carnet de romances. Mais pour ma part, je sens la bienveillance qui, d’un doigt pur et gourd, effleure le poli de ma pièce, là, engoncé dans la diagonale de sa fuite comme Hannibal Lecter dans sa cure endémique, le FOU NOIR, psychopathe : « JE » ne prendrai pas LA REINE BLANCHE



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